Interview de Mme Elisabeth Hubert, ministre de la santé publique et de l'assurance maladie, à RTL le 25 octobre 1995, sur la maîtrise des dépenses de santé, et sur l'affaire dénoncée par InfoMatin du contrat d'un des chauffeurs affecté au cabinet du ministère.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-C. Bourdin : InfoMatin affirmait ce matin que l’un de vos chauffeurs est payé sur le budget de l'hôpital de Fontainebleau. Est-ce vrai ?

E. Hubert : C'est pas tout à fait ce que disait InfoMatin. InfoMatin disait des choses plus graves. Elles étaient carrément diffamatoires et je me réserve le droit de porter plainte parce que je trouve ça inacceptable. En réalité, ce qui se passe, c'est des pratiques antérieures à mon arrivée à ce ministère. Cette personne a été recrutée il y a déjà plusieurs années en 1988. M. T. BRAUN a ensuite continué à être dans le cabinet de ministres successifs et c'est en 92 qu'il y a eu recrutement sur un hôpital qui à l'époque n'était pas Fontainebleau, mais un autre hôpital. Il y a eu un changement de son contrat sur un autre hôpital au début de l’année 95, contrat qui a été officialisé le 6 avril 1995. Donc vous voyez, des pratiques qui sont loin de nous concerner. Qui plus est, ce n'est pas l'un des mes chauffeurs, ce n'est pas un chauffeur affecté au cabinet, c'est un chauffeur qui, depuis cette date, est à la direction des hôpitaux et pas du tout dans le cadre de mon activité ministérielle, bien sûr.

J.-C. Bourdin : Est-ce que c'est courant dans les ministères ?

E. Hubert : Vous allez voir au ministère de l'intérieur, vous y trouverez des policiers ; vous allez voir au ministère de la justice, vous allez voir des gens qui sont des gens qui viennent de la magistrature, etc. Alors il y a effectivement, de façon courante, des personnes qui sont détachées et qui sont, soit sur des problèmes administratifs, soit sur un autre, ce qu'on appelle des contrats hospitaliers. Moi, pour ma part, lorsque je suis arrivée dans ce ministère au mois de mai, je suis parfois assez sourcilleuse et j'ai trouvé ça assez scandaleux. C'est ce qui fait – je l'ai d'ailleurs dit ce matin – que je tenais à disposition l'ensemble des contrats, qu'aucun des personnels administratifs ou de service qui sont dans mon cabinet ne sont recrutés de cette façon-là parce qu'effectivement j'estime qu'on ne peut pas donner des leçons et ne pas se les appliquer à soi-même. Je ne suis donc pas concerné par ce genre de choses et c'est pour ça que je les trouve d'autant plus inacceptables que ces informations fallacieuses aient pu circuler.

J.-C. Bourdin : Ces derniers temps, avez-vous le sentiment qu'on vous en veut personnellement. Vous êtes attaquée de toutes parts, on a parlé de démission, vous avez été désavouée un peu par J. BARROT, ministre du travail, concernant l'annonce de l'augmentation du forfait hospitalier qui va passer de 55 a 70 francs. On charge la bête, c'est vous qui le dites ?

E. Hubert : Oui, tout à fait mais comme j'ai les épaules larges, je suis quelqu'un d'assez solide dans sa tête.

J.-C. Bourdin : Qui charge la bête ?

E. Hubert : Oh j'en sais rien mais vous savez, à la limite, c'est aussi à cause des responsabilités importantes que j'ai. Je suis dans un ministère exposé, je le constate tous les jours. C'est tous les jours qu'effectivement je suis un peu dans un rôle de pompier, que je dois réagir à des problèmes graves qui se produisent dans le cadre de mon activité ministérielle. Là, c'était d'une autre nature. Il y a une décision gouvernementale qui a été prise. Je m'en tiens à ce que j'ai déjà eu l'occasion de dire et le reste, ce n'est que péripéties politiciennes. Je ne suis pas très paranoïaque.

J.-C. Bourdin : Vous êtes notamment très critiquées par votre prédécesseur ?

E. Hubert : S. VEIL a effectivement du mal à faire preuve de mansuétude à l’égard de son jeune successeur.

J.-C. Bourdin : Elle dit que vous faites le contraire de ce que vous avez dit.

E. Hubert : Dans ce cas-là, elle devrait plutôt se satisfaire de m'avoir convaincue, elle qui avait tant de mal à me convaincre quand elle était ministre. Non, c'est plus sérieusement autre chose, c'est que j'estime que les méthodes antérieures qui ont été utilisées concernaient surtout des procédures qui, finalement, n'ont été que conjoncturelles. Il suffit de voir que les mesures prises en 93 n'ont pas empêché les dépenses de santé de rebondir dès le mois d'octobre 94, ce que S. VEIL a tendance un petit peu à oublier. Tout comme aujourd'hui quand on évoque les augmentations importantes des dépenses de santé, notamment le poids des honoraires des médecins. Mais pour une part, pas totalement – parce qu'il y a effectivement des pratiques que j'estime pas normales et qui méritent d'être suivies plus attentivement – il y a aussi un effet qui est lié à l'augmentation des honoraires dont je rappelle qu'elle a été décidée par S. VEIL en février 95. Alors, si on commence a rappeler les responsabilités, je crois qu'il faut les rappeler jusqu'au bout et je suis plutôt une partisane de la transparence en la matière.

J.-C. Bourdin : Je rappelle deux chiffres : revenu des médecins de ville, plus 8,9 % cette année, prescription de médicaments, plus 6,5 %.

E. Hubert : Ce n'est pas tout à fait sur les revenus. C'est une augmentation prévisionnelle des honoraires des médecins. Il faut faire attention de ne pas confondre les chiffres d'affaires et les revenus. Mais ça, c'est un détail technique.

J.-C. Bourdin : Les médecins ont-ils été raisonnables ?

E. Hubert : Non, je crois que, globalement – mais nous le voyons sur l'ensemble des dépenses de santé – il y a eu c'est vrai, en 1995, un dérapage certain et qui obéit à des mécanismes un petit peu plus compliqués que la seule explication qu'on en donne de la campagne présidentielle. Je crois globalement que chez les Français, chez les médecins, chez les usagers, on n'imagine pas à quel point nous sommes dans une situation grave au regard de l’assurance-maladie, de l'importance de ses déficits et lorsque l'on évoque l'idée de dépenser mieux l'ensemble de ces masses considérables qui sont affectées à la santé, je peux vous assurer que depuis six mois que je suis dans ce ministère, je constate tous les jours que c'est possible. Par contre, il faut modifier les pratiques, il faut modifier les comportements. Il faut pour cela donner les moyens aux professionnels de le faire, c'est ce que je compte faire.

J.-C. Bourdin : Que faire ? Déconventionner ? Sanctionner les médecins ?

E. Hubert : Sanctionner.

J.-C. Bourdin : Comment sanctionner ?

E. Hubert : Tout dépend bien sûr de la nature des manquements, mais ça va effectivement aujourd'hui jusqu'au déconventionnement.

J.-C. Bourdin : Vous êtes prête à déconventionner s'il le faut ?

E. Hubert : Mais de toute façon, c'est d'ores et déjà prévu. N'oublions pas que déconventionner ça veut dire effectivement rompre le contrat qui lie les organismes de gestion sociale aux médecins et c'est à eux qu'il appartient de faire la discipline. C'est la politique contractuelle qui jusqu'à aujourd'hui le veut ainsi. Alors nous verrons dans le futur si nous modifions les responsabilités des uns et des autres. C'est pour ça qu'à plusieurs reprises, j'ai appelé les partenaires conventionnels, d'un côté les médecins, de l'autre côté les partenaires sociaux, à assumer leurs responsabilités et je suis ravie de voir que le patronat aujourd'hui se réintéressé à ce domaine de l'assurance-maladie, de la protection sociale. Pendant plusieurs années, ils n'ont pas occupé leur siège à la Caisse nationale d'assurance-maladie. Ils l'occupent désormais. Je souhaite effectivement qu'ils y apportent leurs contributions. D'ailleurs, j'avoue que, entendant G. SARKOZY faire un certain nombre de propositions, je vois qu'elles rejoignent pour la plupart d'entre elles très fortement ce que j'ai déjà eu l'occasion de proposer. Nous avons donc des pistes qui nous permettent de nous rejoindre. C'est donc intéressant.

J.-C. Bourdin : Pour faire des économies, il faut élargir la CSG à l'épargne ?

E. Hubert : Non, ça ce n'est pas des économies, c'est faire en sorte qu'effectivement il y ait des recettes complémentaires, ce qui, au-delà des économies, permet d'augmenter les recettes puisque la seule voie des économies ne permettra pas de combler elle seule. C'est une des pistes qui est aujourd'hui envisagée.

J.-C. Bourdin : Augmentation des cotisations-maladie des retraites ?

E. Hubert : C'est aussi une autre piste qui est envisagée. Mais vous savez que sur l'ensemble du problème, qui concerne tant les dépenses que les recettes, A. JUPPÉ, Premier ministre, aura l'occasion de s'exprimer les 13, 14, 15 et 16 novembre devant le Parlement.