Texte intégral
M. Kamel : Philippe de Villiers, bonsoir. Le but de ma question est le suivant : vous avez derrière vous pour vous financer quelqu'un d'assez fortuné, M. Jimmy Goldsmith, et vous êtes contre le financement des partis et des campagnes politiques par les deniers. Faut-il que tout le monde, tout parti ou tout candidat, ait derrière lui quelqu'un de puissant financièrement comme vous ?
Anne Sinclair : Bonsoir à tous et bonne année à vous, téléspectateurs de 7 sur 7. Bonsoir Philippe de Villiers.
M. de Villiers : Bonsoir Anne Sinclair.
Anne Sinclair : Vous avez entendu la question : est-ce que tout le monde peut se permettre d'avoir un gros financier derrière soi ?
M. de Villiers : D'abord, Jimmy Goldsmith, comme colistier, la campagne des élections européennes dans le cadre de la loi, c'est-à-dire qu'il était colistier. Je voudrais dire à ce monsieur qu'il y a trois manières de financer la vie politique :
- par les citoyens, c'est la façon la plus saine ;
- par les entreprises, à mon avis, ce n'est pas tout à fait dans leur objet ;
- par les contribuables, ça c'est la facilité.
Jimmy Goldsmith a contribué, à la mesure de ses moyens qui sont grands, au financement de la campagne européenne que j'ai eu l'honneur de mener. Mais il y a une grande différence, je dirais même il y a deux mondes. Il y a une très grande différence entre quelqu'un qui dépense pour la politique et quelqu'un qui s'enrichit avec la politique. Je ne voudrais pas qu'il y ait de confusion parce que, là, je crois que c'est une démarche tout à fait exemplaire. Et, moi, je suis très fier de la manière dont nous avons mené cette campagne parce que nous n'avons eu que 45 secondes de temps de campagne officielle – nous, notre liste, parce que nous n'étions pas répertoriés – et nous n'avons pas bénéficié de la manne publique.
Savez-vous, Anne Sinclair, combien a reçu, en 1994, le RPR ? 150 millions de francs, 15 milliards de centimes. Combat pour les valeurs et le Mouvement pour la France, je crois que c'est 300 000 francs.
Anne Sinclair : Vous dites : « Jimmy Goldsmith a financé la campagne européenne », cela veut dire qu'il ne vous finance plus ou va-t-il contribuer au financement du Mouvement pour la France, que vous avez lancé ? On en parlera peut-être tout à l'heure. Imaginons qu'il y ait une campagne présidentielle, pourrait-il, à ce moment, être de vos financiers ? Précisions sur Jimmy Goldsmith.
M. de Villiers : Soyons très clairs et très précis, pour le Mouvement pour la France, qui fait appel à tous les citoyens français en tant que cotisants, la cotisation est de 200 francs, tous ceux qui veulent nous aider peuvent d'ailleurs nous écrire avec un chèque de 200 francs. On peut aller jusqu'à 30 000 francs pour un particulier. Je ne sais pas d'ailleurs si Jimmy Goldsmith a fait un don de 30 000 francs. Il est au Mexique, je vais lui demander.
Et puis, pour la campagne présidentielle, un financement public est prévu à hauteur de 32 millions de francs et la possibilité de faire appel naturellement aux dons des personnes physiques. Pendant la campagne européenne, on a tout de même battu tous les records puisque nous avons reçu 7 500 dons individuels. Je trouve que c'est important que la vie démocratique soit financée par la vie civique.
Anne Sinclair : Dernier point et très rapidement parce qu'on va enchaîner. Au-delà de la personnalité de Jimmy Goldsmith, votre campagne a été jugée par la commission des comptes comme celle qui a dépensé le plus d'argent pour la campagne des européennes. Est-ce que cela colle avec le discours de rigueur que vous souhaitez tenir ?
M. de Villiers : C'est de l'argent propre. Il y a une différence entre l'argent propre et l'argent sale.
Anne Sinclair : Ceci n'était pas en cause.
M. de Villiers : Nous, ce ne sont pas des fausses factures et ce n'est pas l'argent du consommateur, et ce n'est pas l'argent du contribuable, c'est l'argent des citoyens, ceux qui sont un peu fortunés, qui font un geste et ceux qui sont plus fortunés, colistiers ou non.
Ce pourquoi je me suis toujours battu – je vous le rappelle, j'ai été le premier homme politique à me battre contre la corruption en 1990 –, c'est l'idée de tout ce qui ne peut pas être transparent et en particulier, on le voit bien en ce moment, le trafic d'influence et les fausses factures. Alors, qu'il y ait des limites aux dons privés, ça c'est une chose, mais je considère qu'il faut inciter aujourd'hui les citoyens à participer à la vie politique et Jimmy Goldsmith en est un bel exemple. Quelqu'un qui, sur sa fortune personnelle, dépense 50 millions de francs pour une fondation, la Fondation Goldsmith pour l'environnement, et qui dépense pour le débat civique parce que, pour lui, le GATT est un débat qui l'écorche, je trouve cela formidable.
Anne Sinclair : Deuxième question, deuxième personne rencontrée dans la rue.
Mme Massignon : Bonjour M. de Villiers. Nous sommes très sensibles à votre défense d'un certain nombre de valeurs auxquelles nous croyons, mais est-ce que ces valeurs ne devraient pas être défendues d'une autre façon, moins outrée, moins passéiste et mieux adaptée à notre époque ?
Anne Sinclair : Voilà une question piquante sur vos valeurs…
M. de Villiers : … Mes valeurs sont des valeurs modernes et je pense que ce sont les valeurs de l'avenir : l'honnêteté, le sens des autres, l'ouverture aux autres, le sens de la responsabilité personnelle, la vie, la famille.
Je dirais que toute société harmonieuse repose sur un échange entre les générations. Les responsables publics qui sont en charge, eux, doivent vis-à-vis des jeunes Français aujourd'hui… ils ont une obligation de résultat, c'est de leur assurer finalement une qualification et un emploi.
Quant aux jeunes Français, pour parler des valeurs et des valeurs des jeunes, j'ai envie de leur dire ceci : si vous voulez réussir, d'abord, il faut de l'imagination. 70 % des produits qu'on consommera en l'an 2000 ne sont pas encore inventés, donc l'imagination. Soyez la génération des inventeurs.
Deuxièmement, l'effort personnel. Rien ne se fait sans l'effort personnel, le sacrifice, la patience, je dirais l'artisanat plutôt que l'assistanat. Soyez les artisans de votre succès. Voilà ce que je dis aux jeunes Français.
Enfin, et c'est moderne, c'est l'amour de la France parce que, pour aimer le monde et pour aimer son lointain, il faut aimer son prochain et d'abord, pour être de son temps, il faut être de quelque part. L'amour de la France, ce n'est pas passéiste du tout, à mon avis, c'est très moderne.
Anne Sinclair : Quand on vous entendait défendre ces valeurs de famille, de patrie, on a fait une assimilation un peu rapide avec l'idéologie de l'extrême droite et du Front national, cela vous a mis en colère. À « L'Heure de vérité », il y a un mois, vous aviez répondu que vous n'aviez rien à voir. Pourriez-vous dire les valeurs avec lesquelles vous êtes en désaccord profond avec celles que défend le Front national ?
M. de Villiers : Je vous renvoie, Anne Sinclair, vous qui êtes une lectrice sans doute assidue du journal « Le Monde », à l'étude qui a été faite par « Le Monde ». Ils ont envoyé des politologues, des sondologues, des sociologues avec un magnétophone à protons, ils ont fait une étude de terrain pour voir si le villiérisme avait quelque chose à voir avec le lepénisme. Ils sont arrivés à trois conclusions, c'est qu'il y a au moins trois différences :
- une différence de sociologie, c'est net ;
- une différence de stratégie. Jean-Marie Le Pen se bat contre la majorité, moi je me bats dans la majorité. Nicolas Sarkozy, ce matin, l'a dit très clairement. Moi, je me bats pour la majorité et dans la majorité ;
- enfin, une différence thématique. Je vois plus large que la simple cristallisation sur le problème de l'immigration.
J'ai une vision plus optimiste de la France, je pense qu'on peut être plein d'espoir. Notre pays est un grand pays, créateur et généreux.
Anne Sinclair : Première pause avant de parler de Furiani et de l'Algérie. À tout de suite.
Publicité
Anne Sinclair : 7 sur 7, en compagnie de Philippe de Villiers.
Toute la semaine, la France a vécu au rythme de Furiani, à l'heure du défilé des victimes et des responsables du drame. Les victimes parlent, écoutez-les.
Panoramique :
- Furiani : Être enfin en paix, pouvoir faire son deuil et recommencer à vivre. Voilà deux ans et demi que la Corse tout entière attend cela.
Anne Sinclair : Philippe de Villiers, qu'est-ce qui vous indigne le plus dans ce drame ? Qu'on ait fait venir trop de monde dans un stade trop petit, tout cela pour renflouer des caisses vides, ou est-ce la succession en chaîne d'irresponsabilités et de négligences, notamment la construction de la tribune ?
M. de Villiers : C'est épouvantable le sentiment qu'on a en regardant ces images. C'est un sentiment de cauchemar en partageant la douleur des familles, mais il y a la justice qui n'est pas la vengeance et la justice qui est sereine et qui est rapide pour une fois. On se plaint tellement d'avoir en France une justice trop lente.
Puis des fautes ont été commises incontestablement. Puis il y a ce système de défausse et justement d'irresponsabilité personnelle. Si j'avais à résumer en un seul mot quelle est la principale valeur de la vie aujourd'hui dans une société ? C'est la responsabilité personnelle, ce que les constructeurs d'une tribune appellent partout ailleurs la conscience professionnelle. Et on ne peut pas mettre un policier, un gendarme derrière chaque citoyen, donc c'est à chaque citoyen de faire preuve de conscience professionnelle. C'est cela la grande défaillance de cette soirée de Bastia.
C'est terrible de voir un stade comme ça parce que, un stade, on pleure mais de joie et voir ce cauchemar, toutes ces victimes et les familles des victimes…
Anne Sinclair : … Pour beaucoup, c'est aussi le système corse qui est mis en cause avec ses passe-droits, ses clans, ses pots-de-vin. Est-ce que, pour vous, aujourd'hui, il n'y a pas un problème corse où il y eut plus de 30 meurtres dans l'année ? Beaucoup disent : y a-t-il encore un État de droit en Corse ?
M. de Villiers : Je n'ai pas envie ce soir de dire quoi que ce soit sur les Corses, qui sont des gens formidables et qui sont des gens atteints, tous, il n'y a pas de famille qui ne soit pas atteinte par ce drame.
Je voudrais dire aussi, en pensant à tous les pompiers et à tous les fonctionnaires, tous les préfets, tous les directeurs de cabinet, qui sont des gens formidables – moi, je les connais bien –, les sapeurs-pompiers sont des gens formidables, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac d'opprobre. Il y a eu là des fautes très lourdes, des fautes de contrôle, des fautes de montage, l'appât de l'argent, il y a eu des caisses noires mais, heureusement, ce n'est pas partout comme ça en France. Aujourd'hui, il y a aussi des gens formidables qui ont une grande conscience professionnelle.
Anne Sinclair : L'actualité à l'étranger est grave en ce début d'année. Tchétchénie, ce sont des images de terreur : l'armée russe contre un peuple rebelle. Quant à l'Algérie, elle compte ses morts jour après jour.
Zoom :
- Algérie : « Les impies seront tués froidement si vous ne fermez pas votre ambassade à Alger », c'est le dernier ultimatum du GIA, le Groupe islamiste armé, aux États-Unis, à l'Allemagne, à la Grande-Bretagne et à la France.
- Palestine : Les relations israélo-palestiniennes vont de crise en crise. L'année commence dans la violence. Sept Palestiniens tués par l'armée en Cisjordanie et trois policiers dans la bande de Gaza.
- Tchétchénie : C'est l'impasse aussi en Tchétchénie où Moscou est enlisé dans une nouvelle guerre du Caucase.
Anne Sinclair : Philippe de Villiers, aujourd'hui, ce que l'Occident condamne, est-ce le fait que la Russie fasse la guerre pour garder cette république de Tchétchénie ? Ou la façon dont la Russie fait la guerre avec son cortège d'horreurs, de drames et de cruautés ?
M. de Villiers : La façon d'abord, c'est-à-dire que la méthode est tout à fait condamnable, ce qu'on vient de voir. On ne réduit pas l'âme d'un peuple sous les chenilles des pachydermes d'acier, ce n'est pas pensable.
Anne Sinclair : De deux choses l'une, ou l'on accepte que ce peuple fasse sécession ou alors on ne l'accepte pas et, à ce moment-là, on fait la guerre.
M. de Villiers : Le peuple tchétchène est un petit peuple d'un million d'habitants. Ils avaient leur autonomie, c'était une des républiques autonomes de Russie, ils voulaient plus. Eltsine a commis évidemment une énorme erreur en choisissant l'option militaire.
Je crois que pour ce qui nous concerne nous, les Européens, et nous, en particulier, les Français, il faut faire très attention. Il faut, d'une part, demander à Eltsine, par tous les moyens, que cesse la méthode qu'il utilise, c'est une méthode honteuse, au nom de la défense des minorités. Mais il faut aussi prendre garde à ne pas provoquer une désagrégation de la Russie, après la désagrégation de l'URSS, parce que cela pourrait avoir des conséquences intérieures en Russie terribles – Jirinovski est là qui guette la chute d'Eltsine – et des conséquences aussi pour la paix du monde et pour la paix en Europe.
Anne Sinclair : Vous dites à Boris Eltsine : « gardez la Tchétchénie mais de manière douce » ?
M. de Villiers : Je ne voudrais pas que la Russie reprenne la tentation impériale. Je crois que la bonne solution, c'est que Eltsine rentre ses chars au garage, renoue le fil de la négociation et que l'Europe fasse pression pour que, dans le cadre de la CSCE, les droits de l'homme soient bien protégés dans toute la Russie et en particulier en Tchétchénie. Mais avec l'idée qu'il ne faut pas déstabiliser Eltsine parce qu'il peut y avoir ensuite quelque chose qu'on ne contrôlera plus.
La Russie a beaucoup souffert pendant 70 ans, il faut y penser, la Russie est en Europe, la Russie est d'Europe et les Russes sont des Européens.
Anne Sinclair : Et les Tchétchènes souffrent depuis trois siècles de domination du tsar et de Staline.
M. de Villiers : Bien sûr.
Anne Sinclair : Boris Eltsine, à votre avis, est-il le président dont la Russie a besoin aujourd'hui ? Il y aura des élections en 1996. Vous l'aviez soutenu plutôt contre Gorbatchev, aujourd'hui, le soutenez-vous toujours ?
M. de Villiers : Il y a eu deux périodes chez Eltsine. La bonne période, c'est la démocratisation et la décolonisation. Et maintenant, il y a la mauvaise période, il y a la dérive autoritaire. Mais en disant cela je me rends compte aussi que, parmi ses opposants, en juin 96, au moment de l'élection présidentielle, il y a un vrai risque car le parti le plus nombreux à la Douma, sauf erreur de ma part, c'est le parti de Jirinovski, donc la tentation extrémiste. Donc, il faut faire attention.
Anne Sinclair : Vous disiez tout à l'heure : « Les Russes sont européens », il y a eu précisément un débat sur ce point-là de savoir si la Russie doit entrer à terme dans l'Union européenne. Quelqu'un comme Jacques Delors répond : « Dans l'Union européenne, sûrement pas », François Léotard, cette semaine, lui, insistait sur le fait, disait-il, « d'offrir à la Russie les moyens de se sentir membre à part entière de la famille européenne ».
M. de Villiers : Je crois qu'il a raison. Naturellement, si on doit faire, on en parlera tout à l'heure, un cercle de la préférence communautaire, un Marché commun, je ne vois pas les Russes y entrer, du moins dans un premier temps. Mais pour toutes les questions de sécurité collective et j'ajouterai de sécurité écologique en pensant à Tchernobyl…
Anne Sinclair : … À la CSCE, ils y sont déjà.
M. de Villiers : Je pense qu'il faudra, dans le cadre d'un pacte de sécurité collective qui reste à inventer, établir un lien fort entre les pays de l'UEO, de l'Union européenne occidentale, d'un côté, et les pays de la CEI, c'est-à-dire la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie, de l'autre côté, pour que la Russie se sente prise en compte en Europe.
Je crois que, aujourd'hui, la CSCE, l'OTAN sont des survivances de la guerre froide, de Yalta. Il faut imaginer quelque chose. Il faut imaginer la nouvelle Europe puisque l'Europe qui est aujourd'hui sous nos yeux, c'est l'Europe d'hier, c'est l'Europe de Yalta, c'est l'Europe du passé, c'est l'Europe de François Mitterrand.
Anne Sinclair : Nous allons parler de l'Algérie et pour en parler j'ai invité Lounès Matoub, qui publie un livre dans une dizaine de jours chez Stock, intitulé « Rebelle ».
Lounès Matoub, je vous le rappelle, est cet auteur-compositeur, chanteur, berbère, enlevé et séquestré pendant 15 jours en octobre dernier par le GIA, le Groupe islamiste armé, et libéré parce que toute la Kabylie s'était mobilisée.
Bonsoir, Lounès Matoub.
M. Matoub : Bonsoir, Anne Sinclair.
Anne Sinclair : On va venir à votre livre mais tout le monde a en tête, d'abord, si vous me le permettez, l'épisode de l'Airbus d'Air France détourné en cette fin d'année 1994. Avez-vous été surpris qu'ils osent s'attaquer à un tel symbole français ?
M. Matoub : Non, je n'ai pas été surpris, c'était prévisible. Mais tout d'abord avant d'être transporté politiquement, je voudrais dire aux téléspectateurs que je suis transporté dans une phase que je n'ai pas choisie.
Anne Sinclair : Vous êtes représentant de la culture berbère, c'est au nom de cette culture berbère que vous avez été plus que maltraité, puisque que vous avez reçu des balles dans la peau en 88 du gouvernement de l'époque, que vous avez été, par tous les gouvernements, par toutes les forces politiques en Algérie, très maltraité. C'est le moins que l'on puisse dire.
M. Matoub : Être berbère dans notre pays, être dans le camp du mouvement culturel berbère ne veut pas dire être contre l'Arabe. Ceci est très important. Ceci pour éclairer les téléspectateurs. Malheureusement, toutes les facettes du pouvoir qui se sont succédé et qui se sont réclamées, proclamées ou revendiquées de l'arabo-islamisme ont montré un ostracisme sévère à l'égard de cette culture ancestrale.
Anne Sinclair : C'est pour cela que vous avez été victime plusieurs fois.
Je reviens à cet épisode de l'avion. Comment avez-vous vécu cela ? Parce que vous savez, vous, ce que c'est qu'être otage.
M. Matoub : C'est terrible, c'est angoissant, c'est innommable. Je ne trouve pas les mots pour qualifier cet acte odieux, cet acte fasciste.
Anne Sinclair : Cette semaine, deux journalistes algériens ont été assassinés. On a vécu aussi l'assassinat des Pères blancs, ces prêtres catholiques auxquels vous rendez hommage dans votre livre en disant « que c'est le seul bon souvenir que vous avez de l'école ».
M. Matoub : Exact, c'était ces Pères blancs. Le père Dacasse qui a été assassiné en Algérie, je le connaissais personnellement. C'était des gens qui m'avaient ouvert les yeux, surtout pour ce combat identitaire. À aucun moment, ces Pères blancs ne m'ont enseigné autre chose qu'être moi-même, donc j'ai été révolté, dans tous mes états quand j'ai appris cet acte barbare à l'encontre de ces Pères blancs. Donc, ces forces du mal sont à craindre même dans l'avenir parce qu'il n'est pas exclu que les intégristes ne frapperont pas en France, ailleurs, parce que je les ai entendu fomenter, parler devant les casemates.
Anne Sinclair : Vous prenez les menaces du GIA au sérieux ?
M. Matoub : La preuve est là. Je crois que le détournement de l'Airbus d'Air France est là pour confirmer ce que je dis.
Anne Sinclair : Vous racontez dans ce livre « Rebelle » votre enlèvement et particulièrement le trajet en voiture après qu'il vous ont enlevé où l'on vous a dit : « Toi, tu es l'ennemi de Dieu. » Cela donne une coloration très particulière de ce que c'est que ce combat, c'est au nom d'un certain fanatisme religieux.
M. Matoub : Oui, c'est ce qui fait peur, c'est ce qui est à craindre dans le futur aussi. J'avais peur, Anne Sinclair, j'avais peur. Quand ils m'avaient enlevé et quand je me suis remémoré tous mes compagnons, les gens que j'ai connus, qu'on avait enterrés, ils n'avaient peut-être pas, sans prétention aucune, fait le dixième ou le centième de ce que j'ai fait à l'encontre de ces gens, donc, j'étais mort. Dès la minute même où on m'avait enlevé, je me suis considéré mort, j'étais mort.
Anne Sinclair : À votre avis, pourquoi vous ont-ils libéré ?
M. Matoub : J'ai joué le jeu avec eux, j'ai prié, j'ai essayé de copier leurs gestes. Ce n'est pas cela qui m'a sauvé. Parce que j'étais coupé du reste du monde, je ne savais pas ce qui se passait à l'extérieur…
Anne Sinclair : … Vous ne saviez pas la mobilisation qu'il y avait pour vous dans toute la Kabylie.
M. Matoub : Exact ! Je suis sorti. Quand j'ai été libéré et que j'ai vu cette formidable solidarité, c'est là où j'ai compris que ces gens-là n'étaient pas aussi invulnérables qu'ils le prétendent.
Anne Sinclair : Qu'est-ce qui peut les toucher ?
M. Matoub : Quelque part, ils sont vulnérables. Ils avaient peur parce que leur but était de s'accaparer la Kabylie, parce que la Kabylie, de tout temps, a été le fief de la résistance. Aujourd'hui, beaucoup de gens disent : « Qu'est-ce que c'est que cette résistance ? », alors que la résistance est une légitime défense. On ne lance pas des assauts, on subit des assauts. Leur but était de faire tomber cette palissade qu'est la Kabylie et, à travers moi, à travers peut-être ma popularité, ils ont voulu peut-être que je les aide dans leur triste dessein. C'est vrai que j'ai joué leur jeu, je leur ai dit : « Je vais vous aider, je ferai cela, je ferai cela », parce que c'était ma tête qui était en jeu.
Anne Sinclair : Aujourd'hui, êtes-vous retourné en Algérie depuis votre libération ? Ou êtes-vous tellement condamné à mort là-bas que c'est invivable pour vous ?
M. Matoub : La Kabylie me manque beaucoup, l'Algérie dans sa profondeur. Je ne suis pas reparti parce que, là, je travaille, le livre dont vous venez de parler, il y a aussi mes spectacles…
Anne Sinclair : … Vous allez faire deux concerts au Zénith le 28 janvier.
M. Matoub : Donc j'ai du pain sur la planche. Mais j'y retournerai.
Anne Sinclair : À votre avis, le président Zéroual est-il en mesure aujourd'hui d'organiser des élections, donc le retour à la démocratie ? Souhaitez-vous ces élections dans la mesure où le processus démocratique a été rompu en 1991 parce que le FIS menaçait de gagner ces élections ? Peut-on lutter contre le FIS et souhaiter en même temps ces élections et le risque d'arriver au pouvoir ?
M. Matoub : Anne Sinclair, aucun homme de bonne volonté ne pourrait ne pas être d'accord, du moins sur le principe des élections. Mais, aujourd'hui, on assiste à un terrorisme au quotidien. Ce sont des dizaines, des centaines de morts qu'on compte tous les jours. Le climat, je suppose, n'est pas favorable à l'organisation de ces élections.
Anne Sinclair : Philippe de Villiers, vous avez écouté Lounès Matoub avec attention. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir ce que la France doit faire vis-à-vis de l'Algérie. Doit-elle aider ? Aider qui ? Comment ? Lier son aide à un retour à la démocratie ?
Deuxième question : est-ce que, aujourd'hui, la France doit se faire plus accueillante qu'elle ne l'est et elle l'est, c'est vrai, beaucoup moins qu'hier pour les opposants algériens qui souhaiteraient venir en France ?
M. de Villiers : Tout d'abord, je voudrais saluer le courage de Lounès Matoub. Votre courage physique et votre courage tout court et puis votre combat pour l'identité berbère. C'est tout à fait admirable. Ensuite dire, en vous écoutant, que la réponse à la question est dans ce que vous avez dit tout à l'heure, je ne crois pas que ce soit l'intérêt de l'Algérie que de voir la France s'impliquer, je suis même certain du contraire. Moi, je pense que, aujourd'hui, la France doit considérer l'Algérie comme un État indépendant mais ne pas s'impliquer en choisissant l'une des factions en présence, d'une part, pour ne pas importer chez nous cette guerre civile et, d'autre part, parce que ce que veut le FIS aujourd'hui, je crois que vous l'avez dit récemment dans une interview, c'est de pouvoir se débarrasser de ses adversaires en les envoyant dans toutes les bases arrière européennes.
Je voudrais que vous confirmiez devant les téléspectateurs français ce que vous avez dit dans une interview récente à un grand hebdomadaire français en disant que, un de vos geôliers, que vous avez reconnu, vous a dit avoir été contacté dans une mosquée de la banlieue parisienne et que, par ailleurs, les autres geôliers vous avaient dit : « Nous, de toute façon, nous allons faire de l'Algérie une république islamiste, puis le Maroc, puis la Tunisie, puis la France. » Cela veut dire que la France est en train de devenir une des bases arrière.
M. Matoub : Excusez-moi, mais là, vous n'avez pas répondu à la question d'Anne Sinclair concernant le sort des démocrates qui veulent se réfugier en France avant de me poser la question.
M. de Villiers : Je crois avoir répondu mais je vais me répéter.
M. Matoub : Non, non, je suis désolé…
Anne Sinclair : … Rapidement, Philippe de Villiers, vous répondez sur la question que je vous ai posée. Est-ce que, aujourd'hui, on devrait aider plus qu'on ne le fait ?
M. de Villiers : La France ne doit pas s'impliquer, cela veut dire que le fait d'envoyer 36 milliards par an à la caste militaire d'Alger, pour moi, c'est de l'argent inutile et dangereux dont on ne connaît pas l'utilisation.
Anne Sinclair : … Elle doit suspendre son aide ?
M. de Villiers : Parfaitement. On aurait dû le faire depuis longtemps d'ailleurs. En s'exposant ainsi, on s'expose à être la cible, on l'a bien vu avec l'affaire d'Airbus… Nous, notre territoire…
M. Matoub : … Je demanderai simplement et en toute honnêteté à la France de ne pas servir de base arrière au FIS.
M. de Villiers : Nous sommes bien d'accord là-dessus.
M. Matoub : Et de penser au sort des démocrates. Parce que les frontières sont aujourd'hui fermées et ces démocrates sont la proie privilégiée du pouvoir, d'un pouvoir corrompu et des intégristes. Cela est très important. Comme vous le savez, les extrêmes se rejoignent d'une manière ou d'une autre.
Je vous renvoie à un journal de l'extrême droite qui s'appelait « Minute » et qui disait : « Pas une voix ne doit manquer au FIS », c'était en 1991.
Anne Sinclair : On conclut.
M. de Villiers : Pour être très complet, le droit d'asile est un droit sacré. C'est un droit individuel, régalien, accordé par l'État à des gens qui sont persécutés, c'est clair. La France ne faillira pas à sa tradition. En revanche, là, ce dont on parle, ce serait un exode massif de toute une population et vous avez, vous-même, dit récemment, me semble-t-il, dans « L'Express », que ce « serait vider finalement l'Algérie de sa substance que de procéder de cette manière ». Je crois que ce n'est pas la solution, ce n'est pas l'intérêt de l'Algérie à terme et ce n'est pas l'intérêt de la France.
Anne Sinclair : Je vous remercie Philippe de Villiers.
Merci aussi à vous, Lounès Matoub. Je rappelle le titre de votre livre, « Rebelle », paru chez Stock. À vos admirateurs qui aiment votre musique et vous entendre sur scène, ils peuvent le faire le 28 janvier au Zénith.
Merci à vous d'être venu nous parler de l'Algérie. Merci, Philippe de Villiers.
On va faire une dernière pause et on parle politique. À tout de suite.
Publicité
Anne Sinclair : Cette semaine, c'était la semaine de vos voeux. Les voeux de nos dirigeants politiques, la campagne présidentielle qui s'amorce et la première enquête sérieuse chez les exclus.
SDF : S, D, F, trois lettres qui claquent et qui provoquent à la fois l'impuissance et la honte.
Europe des Quinze : 1995 rime avec Europe des Quinze.
Bonne année : C'est la semaine de tous les voeux politiques.
Anne Sinclair : Image clin d'oeil évidemment du spectacle du Puy-du-Fou. Ce preux chevalier appartient à votre spectacle.
Il paraît que vous ne devriez pas tarder à vous déclarer, Philippe de Villiers. Êtes-vous candidat à la présidence de la République ?
M. de Villiers : Je vais vous répondre. Il y a trois risques majeurs pour le prochain septennat qui est le septennat de l'an 2000 :
– Premièrement, les Français vont-ils abdiquer leur souveraineté ?
– Deuxièmement, la France qui veut travailler va-t-elle se décourager ?
– Troisièmement, la dérive de la corruption et de l'insécurité va-t-elle s'accentuer ?
J'ai observé l'action du gouvernement, j'ai écouté Jacques Chirac, je n'ai pas trouvé de réponse qui soit à la hauteur de la gravité de ces enjeux. Alors, oui, je suis candidat. Je suis candidat pour rendre aux Français leur souveraineté. Je suis candidat pour libérer la France au travail et je suis candidat pour conclure avec les Français un pacte d'honnêteté et de sécurité publique.
Anne Sinclair : Vous venez de donner vos trois thèmes de campagne ; souveraineté, emploi, corruption. On va peut-être les prendre dans l'ordre puisque ce sont les fameuses idées pour lesquelles vous aviez dit : « Si elles ne sont pas représentées, je serai candidat », ce que vous venez de dire.
Vous étiez le chantre, je parle de souveraineté, de l'anti-delorisme. Maintenant que Jacques Delors n'est plus dans le jeu politique, est-ce que votre combat a toujours autant de sens ?
M. de Villiers : Le 20 novembre dernier, lorsque nous avons réuni le Mouvement pour la France, j'avais donné comme instruction à tous les membres de ce nouveau mouvement de décourager la candidature de Jacques Delors. En fait, Jacques Delors a renoncé pour des raisons personnelles et aussi parce qu'il a fait une analyse et qu'il a vu que ses idées européennes n'étaient pas majoritaires en France.
Anne Sinclair : Sa raison, c'est qu'il n'avait pas les moyens de gouverner comme il le souhaitait.
M. de Villiers : Quand je parle de la souveraineté, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire : le pouvoir de décision sur notre lendemain. Ce pouvoir de décision, les Français en ont été progressivement dépossédé, c'est-à-dire les quatre libertés qui sont constitutives d'un peuple libre :
1. La liberté de garder nos frontières alors que le 25 mars prochain, je ne sais pas si les Français le savent, la France a reçu l'ordre de faire disparaître ses frontières terrestres, c'est-à-dire que l'Espagne, le Portugal, l'Italie vont garder nos frontières sud. Quand on sait ce qui se passe en Algérie, on vient d'en parler, c'est tout de même terrifiant.
2. La liberté de protéger nos emplois face à la concurrence inéquitable des pays à très bas salaire.
3. La liberté de faire la loi chez nous et non pas à Bruxelles au pays des fonctionnaires irresponsables. C'est cela la souveraineté populaire.
4. La liberté de battre monnaie, de battre notre monnaie, le franc, ce qui n'empêche pas qu'il y ait une monnaie commune, l'écu. Plutôt que l'écu-mark, moi, je ne veux pas que la France soit gouvernée à Francfort.
Anne Sinclair : La monnaie commune, ce n'est pas du tout ce qui est prévu, ni ce qui a été voté par les Français. Ce qui a été voté, d'ailleurs, c'est dans le traité de Maastricht, c'est irréversible, c'est le passage à la monnaie unique. Donc, vous récusez ce passage d'après ce que je comprends…
M. de Villiers : … Oui.
Anne Sinclair : Et souhaitez-vous que l'on revienne sur ce traité ? Que l'on fasse un nouveau référendum au moment du passage à la monnaie unique ? Est-ce que cela a un sens quand cela a déjà été voté ?
M. de Villiers : D'abord, la monnaie unique, il faut bien voir ce que c'est. On pourrait très bien avoir une monnaie commune, l'écu, puis chacun garde sa monnaie convertible en écu. La monnaie unique, c'est une machine à transférer tout le pouvoir : le pouvoir économique, le pouvoir financier, le pouvoir fiscal, le pouvoir social.
Anne Sinclair : Refaites-vous là la campagne de Maastricht…
M. de Villiers : … Non, je ne la refais pas. Comment peut-on en sortir ? Il y a trois occasions d'en sortir qui sont devant nous et je réponds à votre question :
– Premièrement, le futur président de la République sera le futur président de l'Union européenne pendant encore un mois, en juin prochain, c'est la présidence française. Il aura l'occasion et il devra faire connaître les orientations et les exigences de la France.
– Deuxième occasion de revoir complètement le traité de Maastricht, mais c'est le traité de Maastricht lui-même qui a vécu sa propre révision. En 1996, Maastricht, c'est fini. Il va y avoir un nouveau traité, avec des nouvelles institutions et un nouvel élargissement. C'est l'occasion de faire un nouveau traité fondateur.
Anne Sinclair : Dans ce traité-là, soyons précis, vous souhaitez qu'on revienne totalement sur la monnaie unique.
M. de Villiers : Je souhaite que l'on revienne sur la monnaie unique, qu'on fasse la monnaie commune qui permet la souplesse économique et la souplesse des ajustements avec un système monétaire européen tel qu'il fonctionne. Cela peut très bien fonctionner avec, évidemment, les déséquilibres économiques que l'on connaît parce que la Grèce et l'Italie ne sont pas l'Angleterre et encore moins l'Allemagne. Et puis, si on veut élargir, de toute façon il faut de la souplesse. La différence entre la monnaie unique et la monnaie commune, c'est la différence qu'il y a entre un paralysé et un athlète : la rigidité d'un côté, la souplesse de l'autre.
Je souhaite qu'on revienne surtout sur l'idée du libre-échangisme mondial. Pour moi, l'Europe doit être démocratique, elle doit assurer la sécurité des Européens et elle doit naturellement assurer la préférence communautaire.
Si j'avais à résumer d'un mot, pour répondre à votre question, Anne Sinclair, je dirais, nous, ce que nous voulons, c'est le droit de veto. C'est tout. C'est ce petit verrou-là qui manque, c'est-à-dire un nouveau traité dans lequel la France dit : quand mes intérêts essentiels sont en jeu, eh bien, je veux pouvoir dire non.
Anne Sinclair : C'est le compromis de Luxembourg.
M. de Villiers : C'est le compromis de Luxembourg. Une femme qui ne peut pas dire non n'est plus une femme libre, elle n'est plus souveraine. Il en est d'un pays comme de n'importe quel individu, le droit de pouvoir dire non quand les intérêts essentiels sont en jeu. Hélas, on voit bien aujourd'hui que cette question de la souveraineté est une question de survie.
L'Europe d'aujourd'hui, c'est l'Europe de l'échec, c'est l'Europe du passé. Tous les problèmes qui sont devant nous, l'Algérie, la Tchétchénie, la Yougoslavie, le trafic de plutonium, le problème de la pression migratoire, les 320 kilos d'héroïne qui ont été pris à Paris depuis un département du Nord parce que cela vient des Pays-Bas, sont des problèmes de sécurité, des problèmes de chômage. Et que voit-on face à cela ? Des réponses de l'Europe qui sont des réponses complètement décalées, qui sont des réponses d'un monde qui est un monde révolu.
Anne Sinclair : On va revenir à l'emploi. Mais ne peut-on pas dire juste l'inverse d'ailleurs de ce que vous venez de dire ? C'est-à-dire que, dans un monde qui est de plus en plus mondialiste, qui est de plus en plus ouvert, où les citoyens circulent de plus en plus librement, est-ce que le repli sur les frontières n'est pas un peu dépassé ?
M. de Villiers : C'est très théorique quand on est à Paris, comme ça, dans un studio de télévision, mais, quand on va sur le terrain, je vais vous prendre deux exemples :
Le département des Landes aujourd'hui est département mort parce que c'est toute la chaussure qui est par terre. M. Banguemann, ministre de l'Industrie de l'Europe, a dit : « L'industrie européenne devrait renoncer à certains secteurs où elle n'est plus compétitive et se concentrer sur les secteurs d'avenir. » Cela fait un million d'emplois, la microtechnique, le jouet, les articles de voyage, la bicyclette, la joaillerie, etc.
En d'autres termes, c'est très simple, le GATT, l'OMC, toutes ces inventions technocratiques consistent à éliminer les droits de douane, c'est-à-dire toutes les écluses qui nous protègent des pays à bas salaire qui, souvent, exploitent leur population. Quand vous avez chez UCLA aux Herbiers, pour un salarié, 60 Vietnamiens, vous avez deux choses qui se passent : le transfert de la main-d'oeuvre et la pression mondiale à la baisse des salaires. C'est ce que nous sommes en train de vivre en ce moment.
Anne Sinclair : On va parler de l'emploi, deuxième de vos grands thèmes, si j'ai bien compris. Cela fait 20 ans que les différents gouvernements qui se succèdent à la tête de la France luttent, comme ils le peuvent, face au problème du chômage. Est-ce que Philippe de Villiers arrive en disant : moi, j'ai la recette miracle, ça y est, j'ai trouvé la pierre philosophale ?
M. de Villiers : Je ne dis pas que j'ai la recette miracle mais il me semble bien que ce qui a été fait depuis 20 ans repose sur des dogmes qui sont erronés : le libre-échangisme, l'ouverture à tout crin, alors qu'il y a la révolution des transports et qu'il faut protéger au contraire le continent européen. C'est le plus grand marché du monde, donc libre à l'intérieur, protégé à l'extérieur, je n'y reviens pas. Puis les prélèvements publics. Or, que se passe-t-il depuis 20 ans ? On a le libre-échangisme, on a l'étatisme et on a le monétarisme, la monnaie plutôt que les hommes.
Moi, je veux renverser complètement ce système. Et libérer la France au travail, ça veut dire, pour moi, très concrètement, libérer le petit patron qui est aujourd'hui accablé d'impôts et écrasé par les lourdeurs bureaucratiques. Cela veut dire aussi, dans le même temps, libérer le smicard qui est menacé par le déménagement de son usine en Asie, qui est menacé dans son pouvoir d'achat par la pression mondiale à la baisse des salaires. Parce que, pour un patron d'une multinationale, c'est beaucoup plus facile d'avoir ses usines en Asie, aux Philippines, et le siège social à Paris, c'est l'Europe des RMIstes et des sièges sociaux.
En ce qui concerne le smicard, j'ai fait le calcul : revenu horaire par rapport à un RMIste, la différence est de 10 francs. C'est-à-dire qu'un smicard a un revenu horaire, frais professionnels compris, qui est supérieur de 10 francs à un RMIste. Je ne veux pas supprimer le RMI mais je dis que, aujourd'hui, il faut revaloriser les bas salaires et on ne peut le faire que si on instaure naturellement des écluses autour de nous pour pouvoir permettre à nos industries de survivre.
Anne Sinclair : Vous parlez de baisser les impôts…
M. de Villiers : … Oui.
Anne Sinclair : J'ai envie de vous dire : tout le monde sait le faire. En revanche, ce qu'on ne sait pas faire, c'est dire quelles dépenses publiques doivent être supprimées. Parce que baisser les impôts, cela veut dire qu'on finance moins de dépenses publiques. Pouvez-vous dire aujourd'hui : voilà telle dépense publique que je souhaiterais supprimer ?
M. de Villiers : Je vais vous le dire : il faut casser la machine à exclure, c'est-à-dire cette machine qui décourage celui qui crée des emplois, qui décourage les moins qualifiés et qui finalement développe l'exclusion.
Je propose un certain nombre de mesures que je vais d'ailleurs développer dès demain matin dans « La Tribune », une partie de mon programme économique.
– Premièrement, taxer les importations des pays à bas salaire pour pouvoir revaloriser, augmenter le salaire direct des bas salaires chez nous.
– Deuxièmement, supprimer la taxe professionnelle et l'impôt sur le revenu en sept ans, c'est-à-dire un plan de décrue fiscale qui correspond à un plan de décrue de la dépense publique. On va y revenir peut-être dans un instant, je souhaite qu'on y revienne.
– Troisièmement, libérer le franc pour diminuer le coût du crédit.
– Quatrièmement, libérer les PME de tous les carcans bureaucratiques. Je pense en particulier aux effets de seuil. C'est complexe, c'est technique mais c'est une machine à empêcher la création d'emplois.
– Cinquièmement, apporter la liberté aux familles avec le salaire parental.
– Sixièmement, instaurer le bon de liberté scolaire pour libérer l'école.
Si on fait tout cela, on casserait la machine à exclure et on mettrait sur place une machine à créer des emplois.
Anne Sinclair : Restons un instant sur les impôts. Vous dites, au fond, moins d'impôts, pas d'impôts sur le revenu, etc., cela veut dire, moins de dépenses publiques. Je vous repose ma question : quelles dépenses publiques aujourd'hui ? Routes, armée, police, que supprime-t-on ?
M. de Villiers : Je vous réponds très précisément : moins d'impôts, plus d'emplois, voilà ce que je vous dis. Il faut que l'on baisse nos prélèvements publics de 1 % par an, qu'est-ce que ça veut dire ? L'impôt sur le revenu, c'est 300 milliards de francs par an sur une masse budgétaire de 1 500 milliards. Cela veut dire, faire baisser les charges de l'État de 3 % par an. N'importe quel chef d'entreprise qui nous regarde en ce moment le fait dans la période de difficulté où nous sommes.
Comment faire baisser ces charges ? Et, après, on parlera de la taxe professionnelle qui est un impôt local.
Anne Sinclair : Rapidement, Philippe de Villiers, parce que je ne pourrai pas vous faire développer tout le programme.
M. de Villiers : – Premièrement, il faut faire comme aux États-Unis ou comme M. Kohl va le faire en Allemagne, il faut remplacer les fonctionnaires qui partent à la retraite qu'à raison d'un sur trois. Il y a 60 000 fonctionnaires qui partent à la retraite, spontanément, chaque année. Ce sont les départs naturels, il ne faut en remplacer qu'un sur trois.
– Deuxièmement, il faut baisser les subventions. C'est le titre III du budget, 61 milliards de 10 % par an. Il y a 600 000 associations qui sont subventionnées.
– Troisièmement, il faut taper dans les interventions de l'État. Par exemple, il n'est pas normal que ce soit les contribuables de Lyon, de Marseille ou des Sables-d'Olonne qui paient un tiers du coût du ticket de métro de la région parisienne. Tout cela n'est pas normal. Il faut revoir complètement les dotations aux entreprises publiques. Tout cela est un formidable gâchis de l'argent public.
Nous ne pouvons pas, nous, les hommes politiques, demander aux Français de faire des efforts si on ne commence pas par mettre les administrations publiques à la diète, je dis bien à la diète. 3 % par an, n'importe quelle entreprise en difficulté fait 10 % par an. Il faut que toutes ces réductions de la dépense publique permettent de relancer l'esprit d'entreprise, la consommation et l'investissement. C'est comme cela qu'ils sont repartis ailleurs, aux États-Unis, au Japon, en Allemagne. C'est comme cela qu'on repartira. Aujourd'hui, la barque est trop lourde, la barque des créateurs de valeur ajoutée est trop lourde.
Anne Sinclair : Un mot parce qu'on est obligé d'aller très vite et on doit conclure dans cinq minutes. Sur l'exclusion, qui est aujourd'hui devenue le thème, j'allais dire presque à la mode, tristement à la mode, vous avez vu le sondage paru dans le journal « La Croix » et dans le journal « La Rue », pour la première fois, l'enquête auprès des sans domicile fixe. Ils disent au fond que c'est l'indifférence qui les touche le plus. Ils doivent être satisfaits parce que, aujourd'hui, il y a une sorte de course à l'intérêt pour les sans-toit, les sans-abri, les sans-famille. Que diriez-vous aujourd'hui de la mesure prioritaire à prendre ? Êtes-vous favorable aux réquisitions de logements dont on parle aujourd'hui, logements inoccupés ?
M. de Villiers : Pour lutter contre l'exclusion, il faut remettre en marche, développer ou mettre en valeur les cercles d'inclusion. Quels sont les cercles d'inclusion ? C'est la famille, c'est l'entreprise et c'est l'école.
Si on avait demain, et je souhaite qu'on ait demain, une grande politique de liberté de l'école, de liberté de la famille et de liberté de l'entreprise, ce sont eux les créateurs de valeurs. Les créateurs de valeurs, les créateurs de valeur ajoutée, ce n'est pas l'État. Je crois qu'il faut rendre l'école à la nation, rendre la Sécurité sociale à la nation et faire en sorte que, demain, on puisse dire chacun à nos enfants : tu seras créateur d'entreprise mon fils. Aujourd'hui tout est possible.
Anne Sinclair : Je voudrais juste signaler que le journal « Faim de siècle », avec Richard Bohringer pour parrain…
M. de Villiers : … Les réquisitions de logements, je crois que ce n'est pas la solution parce que, finalement, ça paralyse l'investissement immobilier. Je crois que M. Chirac a fait un coup médiatique, là.
Anne Sinclair : Je voulais dire que le journal « Faim de siècle », avec Richard Bohringer pour parrain, le Secours populaire français, la Croix-Rouge et la MNEF, lancent une opération de ticket-service d'une valeur de 30 francs qui permettront à ceux qui en ont besoin de pouvoir prendre un repas ou acheter des provisions.
Je voudrais qu'on dise deux mots de stratégie politique. Ces idées que vous défendez, ni Jacques Chirac, ni Édouard Balladur ne les représentent, c'est ce que vous avez dit. Comment les voyez-vous l'un et l'autre ? Commençons peut-être par Jacques Chirac.
M. de Villiers : Moi, j'aime bien l'homme Jacques Chirac, donc je ne dirai pas de mal de lui. Je dirai simplement lequel ? Parce qu'il y a plusieurs Jacques Chirac. Il y a le Jacques Chirac de 7 sur 7 qui vous dit qu'il va faire un référendum sur la monnaie unique et, huit jours après, il revient sur cette idée. Il y a le Jacques Chirac du travaillisme à la française, il y a le Jacques Chirac de l'ultra-libéralisme, il y a le Jacques Chirac qui fait expulser les squatters par les forces de l'ordre et il y a le Jacques Chirac qui réquisitionne les logements, il y a le Jacques Chirac de l'appel de Cochin et il y a le Jacques Chirac du oui à Maastricht. Donc lequel ? Moi, il me donne un peu le tournis.
Il y a Jacques Chirac qui fait des embardées, il y a Édouard Balladur qui fait du sur place.
Anne Sinclair : Justement Édouard Balladur, Nicolas Sarkozy à « L'Heure de vérité » aujourd'hui disait : « Philippe de Villiers, je ne partage pas toutes ses convictions mais il est dans la majorité. » Il disait par ailleurs : « Peut-être qu'il y aurait une chance que le candidat de la majorité, s'il était candidat unique, soit élu au premier tour, ce qui donnerait un formidable élan, un dynamisme à la vie politique… ».
M. de Villiers : … Pendant qu'il y est, il peut aussi faire élire tout de suite le Premier ministre avec des sondages des instituts accrédités à Matignon. Il y a strictement plus simple.
Anne Sinclair : D'un mot, qu'est-ce qui vous sépare d'Édouard Balladur ?
M. de Villiers : Édouard Balladur a commis une erreur grave, c'est la cohabitation qui est une période de transition et donc d'immobilisme et qui est une période de connivence sur les grands sujets de préoccupation de notre avenir. C'est-à-dire, regardez en quelques semaines ce qui s'est passé, on a accepté Schengen, le démantèlement de nos frontières, on a accepté le GATT, la destruction de nos emplois et l'OMC, alors que les Américains se sont réservés une clause de résiliation unilatérale.
Dans quelques jours, on va accepter de démembrer complètement l'exception culturelle à Bruxelles. On a accepté la monnaie unique, M. Balladur l'a fait dans le monde avant la fin de l'année. Bref, on a accepté ce que voulait François Mitterrand et il n'y a pas eu de politique autonome.
Et quant à la politique économique, c'est celle de M. Bérégovoy, avec les mêmes recettes et les mêmes résultats. Il y a 500 000 chômeurs de plus depuis mars 93.
Ce que je reproche à M. Balladur, avec toute l'estime que j'ai pour l'homme d'État mais qui n'a pas pu donner sa mesure avec la cohabitation, eh bien, c'est d'avoir gâché notre grande victoire de mars 93. Je l'avais dit… pardon, je suis comme les vieux hommes politiques : j'avais dit, j'avais écrit… non là, j'avais tout de même dit : « Avec la cohabitation, on va se planter. » Eh bien, voilà.
Anne Sinclair : Imaginons, je ne veux pas vous faire offense, que vous ne soyez pas au second tour, à ce moment-là, vous vous désistez pour Édouard Balladur ou pour Jacques Chirac, celui qui sera en tête ?
M. de Villiers : Anne Sinclair, il y aura beaucoup d'événements de tous ordres avant l'élection présidentielle, si vous voyez ce que je veux dire…
Anne Sinclair : … Donc, vous ne voulez pas le dire maintenant.
M. de Villiers : Je me désisterai de toute façon pour ce que je crois être l'intérêt supérieur de la France, sans négociation. Mais il ne faut pas exclure l'hypothèse d'être au deuxième tour. Aux européennes, j'avais dit : « Il y aura une surprise… »
Anne Sinclair : … Tout candidat, en effet, essaie de se présenter pour le deuxième tour.
M. de Villiers : Parce que la situation politique est tout à fait différente. Il n'y a plus la gauche, il n'y a plus le danger de la gauche, donc il n'y a plus la pression du vote utile. Les gens vont voter, vont faire un vote de conviction. Moi, je vous dis que mes idées, les idées dans lesquelles beaucoup de Français se reconnaissent, majoritaires dans notre pays, il faut les faire connaître, il faut ouvrir le débat. Vous verrez que le débat va permettre de créer une grande surprise et la possibilité d'être au deuxième tour.
Anne Sinclair : On a une incertitude jusqu'au 23 avril au soir : ou vous êtes au deuxième tour ou, à ce moment-là, vous direz si vous vous désistez pour le candidat de la majorité, puisque vous avez dit que vous apparteniez à la majorité.
M. de Villiers : … Bien sûr, de la majorité.
Anne Sinclair : Qui est en tête.
Merci Philippe de Villiers de nous avoir annoncé votre candidature, votre programme et d'être venu ce soir à 7 sur 7.
Dimanche prochain, je recevrai Robert Hue, secrétaire national du Parti communiste français qui est, lui aussi, candidat à l'élection présidentielle. Je recevrai également Isabelle Autissier, qui sera avec nous en direct de Sydney et qui nous parlera d'elle, de la mer, de son aventure.
Dans un instant, le journal de 20 heures de Claire Chazal.
Merci à tous.