Déclaration de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, sur l'appui financier au secteur privé dans les pays de la zone franc, l'intégration régionale et la nécessité d'une action en faveur des secteurs sociaux (santé, enseignement), Bamako le 3 octobre 1995.

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Circonstance : Réunion des ministres de la zone franc à Bamako (Mali) le 3 octobre 1995

Texte intégral

C’est pour moi un grand plaisir de vous retrouver à l’occasion de cette réunion des ministres de la zone franc, qui à échéance régulière permet de faire le point de l’évolution de la situation économique et financière de nos pays et de débattre librement et en toute franchise des principaux thèmes qui nous occupent. Quatre me semblent aujourd’hui mériter un examen particulier : l’appui au secteur privé, l’intégration régionale, le soutien aux secteurs sociaux et enfin les débats sur le devenir de l’APD.

Le ministre de l’Économie, des Finances et du Plan a souligné dans son intervention la nécessité dans les pays de la zone de favoriser la reprise de l’investissement productif. C’est pour vous, je le sais, et pour moi, un sujet de préoccupation majeur d’autant qu’il est indissociable de celui du développement du secteur privé. J’aimerais sur ce thème vous livrer quelques réflexions car j’ai l’intention d’en faire un axe mobilisateur de l’action de mon ministère dans les prochains mois ; je livrerai le contenu de mes priorités lors d’un colloque consacré à ce sujet, à Paris, le 30 octobre, mais je tenais à vous soumettre les grandes lignes de celui-ci.

Vous le savez, le développement du secteur privé en Afrique est dans une large mesure dépendant du dynamisme des grandes filières primaires agricoles, minières et pétrolières. Depuis la dévaluation, de nouvelles opportunités se sont créées, mais elles doivent, nous le savons, impérativement être accompagnées dans chaque État de politiques de relance des investissements adaptées et de nouveaux dispositifs d’intervention. La Coopération française et mon ministère, en particulier, vous accompagneront dans cette démarche.

S’agissant du soutien aux politiques économiques, je ne reviendrai pas sur les principaux axes évoqués par mon collègue et à l’intérieur desquels je continuerai à œuvrer.

Concernant en revanche les dispositifs d’intervention, je voudrais insister sur sept points qui, s’agissant de la Coopération française, me paraissent essentiels.

Le premier concerne le renforcement de la concertation avec les entreprises. À ce titre je vous rappelle qu’un certain nombre d’initiatives ont été prises au cours des derniers mois. Qu’il s’agisse de l’organisation, à l’occasion des commissions mixtes, de rencontres bilatérales entre entreprises françaises et africaines, de l’appui apporté à la Conférence permanente des chambres consulaires africaines et françaises (CPCCAF) ou au réseau de l’Entreprise créé à l’initiative du Club du Sahel, de la création du Club des investisseurs de PROPARCO et des comités consultatifs du secteur privé par les agences de la CFD, ces initiatives n’ont d’autre objet que de renforcer la concertation entre entreprises françaises et africaines et de favoriser les synergies. Elles seront poursuivies.

Le second concerne l’adéquation entre besoins et offres de financement. De ce point de vue je tiens à souligner le rôle que joue la CFD notamment en matière de système de garantie, comme l’atteste le fonds de garantie ARIA, d’appui direct aux entreprises avec le fonds FADE, ou l’ADEPIA dans le domaine agro-alimentaire. Le gouvernement souhaite qu’il soit renforcé.

Le troisième intéresse le désengagement de l’État des secteurs productifs. Dans ce domaine la PROPARCO et la CFD sont, vous le savez, en mesure de vous apporter un appui tant en ce qui concerne la restructuration des sociétés publiques que la recherche de partenaires ou la prise de participation au capital. Je vous invite à les approcher.

Le quatrième concerne la promotion des exportations africaines et des échanges commerciaux.

Le développement et la diversification des filières agricoles d’exportation et l’émergence d’un secteur industriel et agro-industriel performant impliquent, en effet, des actions de promotion de produits africains sur les marchés européens et français. Je souhaite que les actions menées au travers de l’agence Promex-PMA ou le groupe exportateur du « Réseau de l’Entreprise » soient renforcées. Je suis également en train de me rapprocher de grands intervenants des Nations unies sur ce sujet, comme la CNUCED ou l’ONUDI.

Le cinquième concerne l’adaptation de la formation professionnelle aux besoins de l’entreprise et pour cela la Coopération française mettra prochainement au point un dispositif nouveau de promotion de la formation professionnelle associant des bourses, les fonds FADE et le fonds PROPARCO.

Le sixième concerne l’accès à l’information pour les investisseurs potentiels. En ce qui concerne les investisseurs français, je souhaite que soit rapidement opérationnel le serveur « Secteur privé d’Afrique » sur lequel les entreprises intéressées pourront trouver pour chaque pays l’essentiel des informations utiles en matière d’investissement.

S’agissant enfin des nouveaux axes de notre coopération, je voudrais rappeler que le soutien aux grandes filières agricoles et agro-industrielles reste une de mes priorités, mais que deux secteurs comme le secteur des mines ou le tourisme devraient faire l’objet d’une attention renouvelée. Je mettrai prochainement en œuvre des dispositifs particuliers sur ces secteurs auxquels vous accordez, je le sais, une grande importance.

Ces points sur lesquels j’ai voulu insister me semblent de nature à faire évoluer de façon déterminante notre action commune en faveur du secteur privé et aussi favoriser l’insertion de nos économies dans leur environnement régional et international.

Cette insertion de vos économies dans leur environnement régional est un objectif auquel vous vous êtes attelés depuis de nombreuses années, voire de nombreuses décennies. Si de nombreuses tentatives n’ont pas, il faut l’admettre, connu tous les succès escomptés, j’observe depuis le début des années 90 une évolution qui me paraît irréversible. En choisissant en effet une intégration par le droit, qui a donné lieu à la conclusion récente de nombreux traités, vous avez, dans le domaine des assurances, de la prévoyance sociale, du droit des affaires, contribué à harmoniser des règles qui organisent un véritable espace régional. À l’intérieur de celui-ci, des fonds autrefois volatiles peuvent être orientés vers des investissements productifs, des organismes autrefois consommateurs des finances publiques remplissent désormais leur fonction, la sécurité juridique et judiciaire retrouvée incite les investisseurs à intervenir dans ces pays.

Au-delà, l’intégration économique, qui s’est traduite par la mise en place progressive en Afrique de l’Ouest et du centre d’unions économiques prolongeant les unions monétaires, devrait déboucher sur un véritable marché commun à l’intérieur duquel les hommes, les marchandises, les monnaies, circuleront librement pour le seul bénéfice des populations qui y vivent.

Il y a là un enjeu considérable que certains nient, voire combattent, au nom de je ne sais quel libéralisme débridé, mais que pour ma part je continuerai avec vous inlassablement à servir. Je voudrais ici indiquer et répondre par avance aux esprits chagrins qui parfois nous critiquent que cet élan ne signifie en rien isoler les pays concernés de leurs voisins notamment anglophones. Je suis partisan d’un approfondissement des échanges avec nos voisins anglophones, lusophones et je ne vois pas de contradiction entre notre souci de renforcer les liens qui nous unissent et notre volonté de participer à la construction d’un ensemble plus vaste, plus ouvert. Toute construction se fait par étape et celle que nous menons me semble à tout point de vue incontournable.

Je vous l’ai dit, l’enjeu me paraît considérable, aussi ne perdons pas de temps et avançons vite pour que les traités signés soient ratifiés, leurs dispositions mises en œuvre et les nouvelles institutions créées opérationnelles. Il y va de votre, de notre responsabilité. Nous serions coupables vis-à-vis des pays et des générations futures si nous manquions ces rendez-vous.

Rétablir les grands équilibres, favoriser le secteur privé, mener des actions dans une perspective régionale, cela signifie-t-il qu’il n’y a plus de place pour les États ; que la puissance publique n’a vocation qu’à disparaître ? Assurément non ! Je suis de ceux qui au contraire souhaitent restaurer la crédibilité de l’État, lui voir jouer avec sérieux et efficacité le rôle qui est le sien, lui assurer les moyens nécessaires pour remplir ses missions.

Parmi celles-ci, l’action en faveur des secteurs sociaux me paraît prioritaire. Il n’est pas admissible en effet que les enfants, garçons et filles, n’aient pas accès à l’école ou qu’ils y aient accès dans des conditions d’accueil telles que les formations ne puissent y être dispensées de façon satisfaisante. Investir dans la formation des enfants, c’est investir pour l’avenir de nos pays.

De même dans le secteur de la santé, peut-on encore accepter que les structures de santé qui disposent souvent des personnels nécessaires ne soient pas en mesure d’offrir une qualité de soins satisfaisante et que les malades n’aient finalement que le guérisseur comme recours ?

Eh bien je vous dis non et je vous invite à relever le formidable défi que constitue la restauration d’une grande politique d’éducation et de santé. Ceci suppose bien entendu la définition d’objectifs clairs, et la reconnaissance du rôle éminent que peuvent jouer différents acteurs, le secteur privé, les associations en particulier. Cela suppose aussi que l’État consacre à ces secteurs les moyens nécessaires, en personnel certes, mais aussi en moyens de fonctionnement, ce qui implique au plan budgétaire des arbitrages appropriés. Cet effort de l’État doit cependant être partagé et je suis pour ma part favorable à une participation de la population aux frais de scolarité et de santé.

Dans ces secteurs nous continuerons à travailler avec vous, mais selon des procédures que je souhaite voir progressivement renouvelées. Il me semble en particulier essentiel que les projets que nous pourrons financer s’inscrivent désormais dans des politiques sectorielles clairement définies et définies non par les bailleurs de fonds, mais par les pays partenaires c’est-à-dire l’État bien sûr, mais aussi les bénéficiaires, la société civile, bref tous les acteurs concernés. Il me paraît ensuite important d’éviter la dispersion des actions des bailleurs de fonds et il s’agit là aussi de votre responsabilité. Faire en sorte que les projets servent le même objectif, que les actions soient coordonnées sans concurrence ni redondance et mises en œuvre selon des procédures harmonisées, voilà des objectifs qui je le crois méritent d’être poursuivis.

Je souhaite pour finir vous dire quelques mots des débats globaux qui se déroulent sur l’aide publique au développement et qui appellent une forte mobilisation de votre part.

L’aide publique au développement est en crise, voire en danger. Cette crise est d’abord une crise de légitimité puisque, dans de nombreux pays donateurs, les opinions publiques doutent de l’efficacité de l’aide et s’interrogent sur l’intérêt de la pérenniser. Mais c’est aussi une crise financière car les contraintes budgétaires dans ces mêmes pays affectent, nous le constatons, les montants consacrés au développement.

Il faut enrayer cette crise et le faire au plus vite.

Ceci se passe du côté des bailleurs de fonds, par une meilleure coordination des actions, un effort accentué pour renforcer l’efficacité des interventions et certainement par une redéfinition des dispositifs d’aide de sorte que ceux-ci gagnent en transparence, en cohérence et en performance.

Mais ceci passe également par une mobilisation intense des pays receveurs. Cette mobilisation doit, je le crois, s’exercer sur plusieurs fronts.

Dans les instances internationales où il me semble important que vous fassiez mieux entendre vos voix et que vous participiez activement aux débats actuels. Cette participation, et j’insiste sur ce point, ne doit pas consister seulement à défendre des positions figées comme j’ai pu le constater la semaine dernière à New York à l’occasion de l’examen, à mi-parcours, du programme d’actions pour les PMA. Elle doit au contraire contribuer à faire progresser les programmes de réformes comme celui à l’étude pour le système des Nations unies.

Cette mobilisation doit aussi s’exercer dans vos pays. Il vous faut montrer que l’aide est efficace, qu’elle produit des résultats qui surviennent à la présence des bailleurs de fonds, qu’elle est gérée de façon rigoureuse et affectée aux seules opérations nécessaires. Une plus grande transparence dans la gestion et une qualité accrue dans la mise en œuvre des projets, voici deux soucis qu’il nous faut avoir en permanence.

De son côté la France, vous le savez, continuera à plaider pour une mobilisation en faveur des pays africains. Le président de la République l’a dit à l’occasion du dernier G7 et dans le cadre européen ; il l’a répété lors de son dernier voyage en Afrique. Seule l’augmentation de l’efficacité de l’aide peut permettre de défendre des volumes importants de contributions des principaux bailleurs de fonds multilatéraux. Je suis sûr que vous partagez cette position et que vous nous aiderez par votre action à la faire entendre.