Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur les succès et les échecs de l'ONU dans la défense du droit international et des droits de l'homme, à l'Assemblée nationale le 8 décembre 1998.

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Circonstance : Réception de M. Kofi Annan, secrétaire général de l'ONU, à l'Assemblée nationale le 8 décembre 1998 à l'occasion de la célébration du 50ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'homme

Texte intégral

Monsieur le secrétaire général,
Monsieur le Premier ministre,
mes chers collègues,


C'est, à ma connaissance, la première fois que le responsable d'une organisation internationale est reçu dans cet hémicycle. Votre présence témoigne du rôle essentiel de l'ONU. Votre venue nous honore.

L'Organisation des Nations unies est en effet la seule instance internationale légitime de recours à la force. La contourner, c'est déjà la trahir. À l'exemple de votre action personnelle durant les récentes crises irakiennes, vous cherchez partout à prévenir les conflits pour empêcher la souffrance, la guerre, la mort. Serviteur de la Charte, patron de la plus vaste institution du monde, vous devez, sans troupes et pratiquement sans budget, rassembler 185 pays et éviter 5 veto, pour demeurer l'arbitre impartial des disputes internationales.

Le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme sert de cadre à votre venue. Entre le texte sublime de 1789 et celui de 1948, il existe, vous le savez, un dialogue intime. L'un est parti de cette Assemblée même, pour atteindre à l'universel. L'autre, issu d'une négociation internationale où s'illustra notamment René Cassin, est redescendu vers tous les hommes. La Déclaration de Paris a fait entrer l'individu directement dans le champ du droit international, refusant l'écran des États servant de prétextes au déni des droits fondamentaux. Je veux rendre hommage ici à tous les défenseurs de ces droits, individus ou organisations, militants exemplaires de la dignité humaine.

Nous pouvons mesurer à cette occasion le chemin parcouru depuis la création de l'ONU. Avancées de la paix, fin de la colonisation, éclosion de nombreuses démocraties, écroulement de l'apartheid, voilà de magnifiques victoires. Elles ne masquent pas d'immenses échecs : 1 milliard 300 millions d'individus crèvent la misère avec moins de 6 F par jour ; 35 000 enfants meurent quotidiennement de maladie ; combien de belles proclamations et de violations sordides ! En cet instant, je songe en particulier, on le comprendra, à notre compatriote Vincent Cochetel, enlevé il y a de longs mois en Ossétie. Notre condamnation de la barbarie est totale. La création de la Cour pénale internationale représente un espoir dont nous souhaitons la ratification rapide ; Cette cour peut en effet déboucher sur la fin de l'impunité pour les plus grands des criminels.

Monsieur le secrétaire général, « agis toujours de manière à traiter la personne humaine comme une fin et non comme un moyen » ; « agis toujours de manière que le principe de ton action puisse être érigé en loi universelle ». Ces deux maximes fondatrices se complètent maintenant d'une troisième : « agis toujours de façon à préserver l'avenir de la vie sur notre terre ». Nous savions déjà qu'il ne pouvait pas exister de relativisme des droits humains ; nous proclamons désormais que les droits de l'homme impliquent la protection même de l'avenir de l'espèce contre les nouveaux ennemis à vaincre  détournements bioéthiques, saccage de l'environnement, prolifération des armes de destruction massive, famines, pandémies et dérives fondamentalistes. Sous la pression de l'opinion s'écrit donc une liste de nouveaux droits de l'homme. De l'homme, de la femme et de l'enfant. L'ONU  doit en être le garant.

Un garant qui finalement a tenu face à un demi-siècle de tourmente internationale. 50 opérations de maintien de la paix, mais encore 40 États en guerre ! Au temps des 2 superpuissances, rien ne se faisait, - ou ne se défaisait - sans leur approbation. La chute du mur de Berlin a dynamité tout le système. Un seul pays dispose aujourd'hui d'une domination militaire, économique, technologique et culturelle, poussant d'ailleurs le paradoxe jusqu'à être, malgré sa richesse - record, votre débiteur - record. Mais si on se projette vers demain nous sommes nombreux à penser qu'un autre paysage peut et devra se dessiner, où, sans naïveté, chaque pays jouera son rôle, cependant que des blocs subrégionaux ou régionaux s'affirmeront, et que des ensembles continentaux - le nôtre s'appelle l'Europe unie - relaieront la construction d'une véritable société internationale.

Ce nouvel état, de la Terre, que nous rêvons multipolaire et non unipolaire, devra s'accompagner, enfin, d'un respect réel du droit. Les champs nouveaux sont devant nous : préservation de la planète, lutte contre la drogue et contre le terrorisme, droit à la vie privée, combat contre l'argent sale et contre la corruption, coordination monétaire et gestion des crises ; avec, comme fondement, le trépied sur lequel tout repose, éducation, développement économique et social, démocratie. Les moyens de l'ONU et de ses agences, ses structures évolueront probablement à l'unisson de cette géographie nouvelle, où les parlements du monde devront jouer leur rôle. Bref, puisque les questions sont de plus en plus mondiales, les réponses devront l'être aussi.

Mesdames et Messieurs, je rappelais en commençant que dans le coeur de la France, dans notre projet et dans notre langue, il y a toujours eu une exigence d'universel. Nous sommes profondément attachés à notre identité mais notre circonscription, à chacun, devient aussi d'une certaine façon le monde. L'universalité n'est plus seulement, comme par le passé, un atout supplémentaire pour le droit ; l'universalité devient la condition de l'efficacité du droit. Environnement, santé, information, technologie, commerce, dans des domaines de plus en plus nombreux les règles doivent s'appliquer à tous, sauf à ne plus même avoir de sens. Le temps d'une humanité solidaire a donc commencé. Puisse l'Organisation des Nations unies être au XXIe siècle l'instrument de cette solidarité.

La parole est à Monsieur le secrétaire général, Kofi Annan.