Interview de M. Bruno Mégret, délégué général du Front national, à TF1 le 17 janvier 1999, sur l'avenir et les objectifs électoraux du Front national, ses différends avec Jean-Marie Le Pen sur la conduite du parti, la politique de lutte contre l'insécurité, son opposition au Traité d'Amsterdam et l'éventualité d'un rapprochement du FN de certains courants politiques de la droite.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Public - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Michel Field :
Bonsoir à toutes, bonsoir à tous. Merci de rejoindre le plateau de « Public ». Bruno Mégret, merci d’avoir accepté notre invitation. Comment vous présente-t-on ? Ex-délégué national du Front national ? Futur président du Front national ?

Bruno Mégret :
Je suis surtout un dirigeant du Front national qui a derrière lui soixante-quatre fédérations départementales, plus de la moitié des conseillers régionaux, la substance vive du Front national et qui souhaite un grand renouveau de notre mouvement.

Michel Field :
Et un jugement qui est tombé hier du tribunal de grande instance, qui vous donne le droit jusqu’à l’appel que Jean-Marie Le Pen a interjeté, d’utiliser le sigle, le logo et le fichier du front national.

Bruno Mégret :
Oui, c’est un grand succès judiciaire qui légitime notre démarche parce que les juges ont clairement explicité qu’ils n’avaient pas à intervenir dans un débat qui concerne les militants du Front national, que c’est à eux de trancher, et les juges ont en quelques sortes légitimé, légalisé le congrès de Marignane qui aura lieu le week-end prochain.

Michel Field :
Mais vous qui d’habitude ne cessez de dire que la justice est aux ordres etc, de temps en temps, les juges font leur métier d’après vous ?

Bruno Mégret :
C’est-à-dire qu’entre deux parties prenantes qui sont du Front national, ce n’était peut-être pas très facile pour eux.

Michel Field :
On parlera évidemment de la situation au Front national grâce aux questions qui ont été nombreuses à la fois par Minitel, par Internet, par courrier, par téléphone, on entendra un certain nombre de ces messages que vous avez enregistrés sur notre ligne audiotel et vous serez évidemment tout à fait libre d’y répondre. On commencera par regarder un petit peu l’actualité du Front national. On se retrouve dans un instant.

Michel Field :
Qu’est-ce que vous éprouvez quand vous voyez Jean-Marie Le Pen à l’antenne ?

Bruno Mégret :
Oh écoutez, moi je reconnais dans Jean-Marie Le Pen le fondateur du Front national, c’est lui qui a mené le Front national au-delà des 10%, qui l’a fait émerger, qui l’a installé dans la scène politique française et ça, c’est son rôle historique qui demeurera, que nous reconnaissons.

Michel Field :
Et puis ?

Bruno Mégret :
Et puis après, nous allons en parler.

Michel Field :
Mais il se bagarre quand même Jean-Marie Le Pen.

Bruno Mégret :
Ça vous étonne ?

Michel Field :
Non, non, pas du tout. Et vous, est-ce que vous ne l’avez pas sous-estimé parce que Papy fait de la résistance, pour une fois peut-être.

Bruno Mégret :
Je n’ai rien sous-estimé du tout pour la bonne raison, c’est que je n’ai rien engagé. Ce qu’il faut bien comprendre dans cette affaire, c’est que c’est Jean-Marie Le Pen qui a ouvert les hostilités. Moi, j’ai simplement dit à un certain moment tout haut ce que le mouvement pensait tout bas à propos de la candidature de son épouse en tête de liste aux élections européennes. J’ai simplement approuvé l’initiative de Serge Martinez qui était rigoureusement conforme aux statuts et parfaitement légitime. Et lui, en réponse, a déclenché si je puis dire l’artillerie lourde : les exclusions, les suspensions, les révocations, les licenciements, bref il a même été jusqu’à traiter des membres de son mouvement de racistes, de xénophobes, d’activistes ou d’extrémistes, ce qui est quelque chose d’ahurissant quand on est président d’un parti, de se retourner contre ses amis avec les armes de l’adversaire.

Michel Field :
Parce qu’évidemment ce n’est pas vrai tout ce qu’il disait ?

Bruno Mégret :
Mais évidemment que ce n’est pas vrai.

Michel Field :
Non, non, je vous demande.

Bruno Mégret :
Bien sûr que non. Et moi je demande est-ce que les militants du Front national qui resteraient avec Jean-Marie Le Pen pourraient continuer à réfuter ces attaques de Ras-le-Front, de nos adversaires de gauche lorsqu’ils leur répondent : mais c’est votre président lui-même qui le dit. Donc tout cela prouve que Jean-Marie Le Pen avait cessé d’être le rassembleur du Front national comme il l’était dans le passé, pour devenir le destructeur, le diviseur. Il n’a pas su mettre son orgueil après l’intérêt du mouvement et après l’intérêt de ses idées. C’est une diva qui est en train de rater sa sortie.

Michel Field :
C’est les vraies raisons de la crise ?

Bruno Mégret :
Oh ! il y a d’autres raisons. D’autres raisons très profondes. Il y a le fait par exemple de depuis quelques temps, Jean-Marie Le Pen avait cessé d’être le moteur de Front national pour devenir un frein, je pense à toutes les initiatives, aux déclarations, qu’il prenait avant les échéances électorales majeures et qui en quelque sorte cassaient l’élan électoral du Front national.

Michel Field :
On ne vous a jamais entendu les critiquer ces déclarations, vous l’avez plutôt défendu quand la justice l’a mis en cause.

Bruno Mégret :
Je l’ai défendu parce que j’étais loyal mais que ce soit le détail de Munich, que ce soit la tête décapitée de madame Trautmann, que ce soit ses déclarations en faveur de M. Jospin qui ont complètement dissuadé les électeurs déçus du RPR et de l’UDF de nous rejoindre, ou encore le soutien à Bernard Tapie, c’est plus ancien, tout cela était en quelque sorte un élément qui empêchait le Front national de sortir de ce ghetto des 15% où il était enfermé depuis longtemps et ça, les militants ne le supportaient plus. Jean-Marie Le Pen était devenu l’homme qui transformait les boulevards en impasses.

Michel Field :
Et quand il dit que c’est au contraire vous, parce que vous aviez la main mise sur une partie de l’appareil et tout, qui êtes le responsable des demi-succès ou des demi-échecs des dernières échéances électorales – j’ai lu ça dans le journal interne du Front national tendance Le Pen…

Bruno Mégret :
Oui, mais non, mais ça, ça ne tient pas du tout. En réalité, le Front national ne faisait plus de politique puisque toute l’énergie du Front national, toutes les actions militantes, tous les débats internes, portaient exclusivement sur les questions qui touchaient à la situation personnelle de monsieur Le Pen ou de sa famille. Il y a eu l’affaire de Mantes-la-Jolie, il y a eu ses procès, il y a eu la question de sa femme en tête de liste aux élections européennes et pendant ce temps-là…

Michel Field :
Mais c’est vous qui aviez quand même commencé à donner l’exemple de mettre votre femme…

Bruno Mégret :
Oui, mais ça n’a rien à voir, c’était une élection locale, la France n’est pas une commune.

Michel Field :
Ça veut dire que les femmes sont bonnes à être dans les municipalités pas d’être têtes de liste européenne ?

Bruno Mégret :
Pas du tout, là on parle d’épouses d’abord, c’est différent. Pour le reste, pendant ce temps-là, le Front national ne menait plus le combat politique. On n’a pas été suffisamment présents contre le PACS, on n’a pas été présents dans la bataille contre Amsterdam, sur les banlieues qui brûlent, le Front national ne réagissait pas. Le Front national était devenu, disons-le, le syndicat de défense des intérêts de Jean-Marie Le Pen et de sa famille. Et le slogan du mouvement, ce n’était plus les Français d’abord, c’était Le Pen d’abord. Et je ne plaisante pas en disant cela puisqu’il fallait maintenant mettre sur les affiches non pas FN mais Le Pen. Et il était interdit dans les locaux du Front national d’afficher d’autres portraits que celui de Le Pen. Alors voilà, tout cela fait que ça ne pouvait plus continuer. C’est la cause de la crise. Le résultat de tout ça, c’est que l’établissement lui-même en venait à considérer que Le Pen, c’était bien pratique et bien utile. Jean-Marie Le Pen qui était jusqu’à présent l’ennemi numéro un du système, est devenu son allié objectif parce qu’en cantonnant le Front national avec ses dérapages et cette pratique du pouvoir dans le Front national, en cantonnant notre mouvement dans le ghetto des 15%, il servait objectivement les intérêts de l’établissement et de la gauche. Il était devenu en quelque sorte l’ennemi institutionnel, celui que l’on se choisit, que l’on protège parce qu’il n’est pas dangereux et qu’il est bien pratique. Et ce n’est pas moi qui le dis là non plus, c’est des ténors de l’établissement. J’ai là un article qui est paru dans le quotidien Libération, de monsieur Serge July, du 20 novembre 98, qui le dit clairement, c’est le même titré : de l’utilité de Le Pen. On préférerait, dit-il, ne pas avoir à utiliser ce moyen mais la réalité étant ce qu’elle est, il faut garder Le Pen précieusement. Seize ans après sa première percée électorale, il réussit avec un talent époustouflant à auto-limiter sa nuisance. Heureusement, pourrait-on le dire, Le Pen est là pour stériliser les ambitions de son parti, pour entraver la stratégie contagieuse des mégrétistes.

Michel Field :
Brunot Mégret lisant Serge July à la télévision, ce n’est pas souvent quand même.

Bruno Mégret :
J’aurai préféré ne pas avoir à le faire car tout cela, c’est vrai, me navre ; tout cela aurait pu se passer autrement. Car il faut le savoir, à tout moment, Jean-Marie Le Pen aurait pu arrêter la crise. Il aurait suffi qu’il écoute les militants, qu’il mette en œuvre ce ticket Le Pen - Mégret comme on disait, qui était voulu par tout le monde. Et à quatre reprises, il y a eu des tentatives de conciliation, à chaque fois j’ai dit oui, à chaque fois il a dit non.

Michel Field :
On va revenir sur l’état actuel du Front national et évidemment sur vos perspectives politiques dans la seconde partie de l’émission. Puisqu’on a fait un résumé de l’actualité, je voudrais vous la faire évidemment commenter et notamment les propos du premier ministre qui marquent je dirais, la lancée du colloque de Villepinte, c’est-à-dire au moins verbalement vous me l’accorderez, eh bien la détermination du gouvernement à prendre la question de sécurité au sérieux, ou plus exactement peut-être de ne pas la laisser à ceux qui d’après la gauche, l’exploitent et vous notamment.

Bruno Mégret :
Oui, ce que je voudrais dire en préambule à ce propos, c’est combien la question de sécurité est une question grave et majeure parce que contrairement à un tas d’autres, ce n’est pas une question intellectuelle, c’est une question très concrète qui renvoie à la souffrance des gens et moi cette souffrance, je la connais pour être à Marseille par exemple, à Vitrolles, ou dans les Bouches-du-Rhône, au contact de ceux qui souffrent de cette insécurité. Et quand je dis ça, je pense à cette mère de famille qui vit dans l’angoisse de voir son fils revenir du collège agressé ou racketté, je pense à ce père de famille qui voit sa voiture brûlée et qui n’a pas fini de payer ses traites ou cette vieille dame qui a été jetée à terre pour qu’on lui vole son sac. Tout cela, c’est de la vie quotidienne concrète qui est maintenant parfois un véritable enfer pour de plus en plus de nos compatriotes. Et moi je suis scandalisé de voir qu’on est dans un monde, en France, où on se préoccupe de plus en plus de raffiner les codes juridiques en termes d’État de droit, en terme de droits de l’homme, en terme de garanties juridiques et que dans le même temps, on est totalement incapables de garantir complètement la sécurité des biens et des personnes. C’est-à-dire l’un des droits les plus fondamentaux. C’est-à-dire qu’on est dans un système où au niveau des textes, on est dans une civilisation de plus en plus raffinée et dans la réalité, on est en train de sombrer dans la barbarie, ce qui est l’un des signes de la décadence et ça, c’est quand même dramatique.

Michel Field :
Quel type de solutions ?

Bruno Mégret :
Non, mais d’abord, je voulais quand même dire que Chevènement et Jospin se moquent du monde parce que ça fait quand même… les socialistes disons… vingt ans, alternativement avec le RPR et l’UDF, qu’ils sont au pouvoir. Ils en parlent régulièrement, ils n’ont jamais rien fait. Moi j’ai envie de leur dire : mais quand est-ce que vous commencez ?! Parce que vous l’avez dit vous-même, ce gouvernement-là, pour ne prendre que celui-là, ce n’est pas nouveau, déjà à Villepinte en effet mais il y a quand même de cela combien… un an et demi, ils avaient fait les mêmes rodomontades verbales. On nous avait dit à l’époque : la sécurité est devenue une valeur de gauche. Qu’ont-ils fait depuis ? Rien. Si, ils ont désarmé les polices municipales et ils ont fermé des commissariats de police et des brigades de gendarmerie. C’est tout. Alors maintenant, on nous annonce de nouvelles mesures, il faudrait peut-être prendre acte de l’échec total de leur politique. Cette politique de prévention, cette politique de la ville, on l’a vu d’ailleurs encore au cours des fêtes à Strasbourg où on organise des amusements pour les délinquants. Ça coûte très cher aux honnêtes citoyens et ça ne les empêche pas de voir leur voiture brûler. Alors je crois qu’il faut bien comprendre maintenant que les politiques de prévention du type de celles qui ont été mises en œuvre, ça ne marche pas et qu’il faut passer à une politique de répression des crimes et des délits. C’est la méthode qui est utilisée depuis la nuit des temps pour rétablir l’ordre dans la cité.

Michel Field :
Alors les modalités de ce tout répressif ? Je dis « tout répressif » parce que Jospin dit : il faut marcher sur deux jambes, prévention-répression, vous dites une jambe où les deux jambes côté répression plutôt.

Bruno Mégret :
Oui, si on veut avoir des résultats, il faut simplement appliquer par exemple la méthode qui a été appliquée à New-York, c’est-à-dire la tolérance zéro et la rapidité de sanction qui a fait de cette ville une ville sûre alors qu’elle était une des plus dangereuses des États-Unis. En fait, ce que nous voulons, nous, faire, c’est renforcer les pouvoirs et les effectifs de police nationale afin qu’elle soit beaucoup plus efficace et remettre la justice prioritairement sur sa mission essentielle de répression des crimes et des délits de façon à rétablir ce que j’appellerais la chaîne de la sanction. Il faut qu’un délinquant qui commet un délit, puisse être appréhendé par une police plus efficace de façon quasi-systématique, qu’il soit systématiquement poursuivi, qu’il soit effectivement condamné s’il est coupable à une peine sévère et qu’il la purge effectivement. C’est-à-dire qu’il faut rétablir dans la tête d’un délinquant l’idée de la certitude de la sanction, alors qu’actuellement c’est la quasi-certitude de l’impunité.

Michel Field :
Et tout ce qui est formation, prévention, vous n’y croyez pas du tout ? Enfin on a vu à Vitrolles que vous n’y croyez pas beaucoup parce que les budgets ont valsé.

Bruno Mégret :
Eh bien voilà un bon exemple…

Michel Field :
En ce qui concerne le travail social…

Bruno Mégret :
Non, ce n’est pas sur le social que ça a valsé, c’est en effet sur tous les agents de prévention, les éducateurs de rue, les agents d’ambiance…

Michel Field :
Ce qu’on appelle le travail social souvent.

Bruno Mégret :
Non, non, ce n’est pas le social qui vient au soutien des Français en difficulté, c’est des gens qui sont dans la rue pour essayer d’acheter la paix civile en discutant avec les gens ou en les occupant. Bon. Nous avons supprimé tous ces agents de prévention. Nous avons augmenté la police municipale, elle a été doublée par deux, elle est passée de trente-cinq à soixante-dix et c’est sans doute la ville de France où il y a plus de policiers municipaux que de policiers nationaux. Eh bien le résultat, monsieur Field, c’est que pendant que la délinquance augmentait de 8% l’année dernière dans les Bouches-du-Rhône, elle baissait de 10% à Vitrolles.

Michel Field :
Donc ce modèle-là, vous le généraliseriez volontiers ?

Bruno Mégret :
Oui, je suis convaincu que si on le généralisait à l’échelle du pays comme c’est notre intention lorsque nous arriverons au pouvoir, eh bien on obtiendra des résultats majeurs. C’est dans l’ordre naturel des choses : il faut rétablir l’autorité de l’État car il n’y a pas de civilisation sans ordre et si on rétablit l’autorité de l’État, eh bien demain, la répression ayant produit son effet, deviendra d’ailleurs un élément plus mineur dans l’action publique.

Michel Field :
Alors autre thème de l’actualité qui était évoqué dans la semaine en images, les conséquences de l’élection de l’UDF à la présidence de Rhône-Alpes. Alors d’abord là, est-ce qu’on a vu la nouvelle stratégie de Bruno Mégret, est-ce que c’était lié à la personnalité de Bruno Gollnisch, on n’a pas très bien compris ce qu’était la stratégie des Fronts nationaux si j’ose dire lors de cette élection.

Bruno Mégret :
Je vais vous expliquer en tout cas la stratégie des conseillers régionaux qui derrière Denis Bouteiller sont avec moi. Ils sont vingt-deux. Ceux qui sont avec Bruno Gollnisch sont une douzaine. Le premier et le deuxième tour, ils ont voté pour leur candidat, Denis Bouteiller. Le troisième tour, il n’y avait plus de candidat de gauche en lice. Nous n’avions donc pas à choisir entre l’un et l’autre des candidats de droite et par conséquent, ils se sont dégagés de cette mascarade politicienne et ils n’ont pas participé au vote. Je crois qu’ils ont eu une attitude à la fois politique cohérente et digne dans cette pagaille épouvantable.

Michel Field :
Il y a beaucoup de questions sur la stratégie dans les conseils régionaux notamment une, celle que j’ai retenue, de Jean -Michel Borget qui nous a, par Minitel, posé cette question, de Saumur : pourquoi tout semble bien se passer avec le Front national au conseil régional de Languedoc-Rousillon ou en Picardie et pas du tout en Rhône-Alpes ?

Bruno Mégret :
Je vais vous dire, pour une raison très simple, c’est qu’en Languedoc-Roussillon, monsieur Blanc qui a certainement beaucoup de défauts… mais il a au moins une qualité, c’est qu’il assume à peu près l’accord qu’il a passé avec le Front national. Et le problème de monsieur Millon, c’est qu’il avait passé un accord avec le Front national, ce qui d’ailleurs lui avait valu une extraordinaire popularité dans les milieux de droite, du RPR et de l’UDF, ce qui lui avait valu d’avoir beaucoup de ralliés à son mouvement parce que ces gens-là avaient salué son courage de briser les tabous des états-majors parisiens et d’adopter une stratégie pas d’ennemis à droite. Mais le problème, c’est qu’après avoir accompli cet acte, monsieur Million n’osait plus l’assumer et disait qu’il n’avait passé aucun accord avec le Front national. Alors je crois que ça, c’est la pire des situations, c’est la pire des stratégies en politique ; il faut être clair, il faut être cohérent, il faut assumer ce qu’on fait. Quand on ne le fait pas, eh bien on se retrouve le bec dans l’eau, c’est ce qui lui arrivé, c’est un échec.

Michel Field :
Avec Jacques Blanc, avec Jean-Pierre Soisson, les choses passent mieux ?

Bruno Mégret :
Écoutez, ce n’est pas des situations…

Michel Field :
Vous avez l’air gêné de me répondre.

Bruno Mégret :
Non, non, je ne suis pas gêné du tout mais ce ne sont pas des situations qui se passent toujours très bien, bien sûr, mais ce sont des situations qui fonctionnent.

Michel Field :
Donc ça veut dire que dans au moins deux régions, trois à en croire la Picardie, il y a quand même un accord de fait entre les forces de la droite traditionnelle et le Front national ?

Bruno Mégret :
Il y a un accord de fait et qui permet à ces régions de fonctionner à peu près correctement.

Michel Field :
C’est important que vous le disiez puisque les principaux intéressés le dénient constamment quand on leur en parle.

Bruno Mégret :
Ça c’est un peu leur problème.

Michel Field :
Mais ça ne vous irrite pas au bout d’un moment, des gens qui ont quand même besoin de vos voix et qui, dès qu’ils les ont, continuent à faire semblant de ne pas les avoir demandées ?

Bruno Mégret :
C’est la raison pour laquelle, s’agissant de monsieur Million, nous lui avions demandé cette fois-ci s’il voulait de nouveau notre soutien face à la gauche, eh bien d’accepter de prendre un engagement par écrit de façon à ce que les choses soient claires et carrées.

Michel Field :
Il ne l’a pas fait et du coup, il n’est plus président.

Bruno Mégret :
Oui, voilà.

Michel Field :
Et vous soutenez ces gens-là un peu comme la corde soutient le pendu, à un moment donné quand vous décidez de lâcher, ils tombent.

Bruno Mégret :
Mais non, mais ça c’est le problème des accords. Lorsqu’on passe un accord, il faut que les deux parties l’honorent, sinon il y a un problème. Nous, nous sommes des gens fidèles, nous sommes des gens fiables, nous honorons nos engagements mais nous entendons que les autres en fassent autant.

Michel Field :
Alors dernier point sur l’actualité : Jean-Marie Le Pen manifestait aujourd’hui à Versailles contre le traité d’Amsterdam et la tenue du Parlement qui se réunit en congrès demain pour modifier l’article 88-2 de la Constitution et y inscrire désormais les transferts de compétences imposés par le traité d’Amsterdam. Les mégrétistes étaient à cette manifestation, n’y étaient pas ; est-ce que vous vous retrouvez d’accord avec Jean-Marie Le Pen sur cette question européenne ?

Bruno Mégret :
Les cadres…

Michel Field :
J’ai dit « mégrétistes » et pas « mégrébins » comme on le dit de façon ironique du côté de chez Le Pen, vous ne l’ignorez pas.

Bruno Mégret :
Oui. Vous savez qu’à Vitrolles, ce sont tous des Mégrébins. Alors les cadres qui sont avec nous, étaient tous répartis à travers la Provence parce que nous avions une soixantaine de congrès départementaux pour la préparation du congrès de Strasbourg ; mais nous n’avions pas donné du tout d’instructions de ne pas aller à cette manifestation car nous, nous ne trompons pas d’adversaire : notre adversaire, ce n’est pas Le Pen, ce sont ceux qui veulent détruire la France et de ce point de vue-là, nous sommes totalement opposés à ce traité d’Amsterdam. Ce traité d’Amsterdam qui va en quelque sorte consacrer la soumission de la France à une autorité étrangère notamment d’abord en matière d’immigration puisqu’avec ce traité, ce ne sera plus le gouvernement et le Parlement français qui vont décider qui a le droit d’entrer et de résider chez nous, ce sont des technocrates de Bruxelles, les parlementaires européens. Et puis ce traité prévoit aussi que les textes européens auront une valeur juridique non seulement supérieure aux lois françaises, ce qui est déjà le cas, mais également une valeur supérieure à la Constitution française. Donc notre texte fondamental, la Constitution, qui définit les pouvoirs publics en France, sera soumis à des décisions dépendant de l’étranger, c’est la fin de l’indépendance nationale et c’est la raison pour laquelle c’est scandaleux que monsieur Chirac ait refusé d’organiser un référendum car seul le peuple français était légitime pour abandonner cette souveraineté si tant est qu’on puisse le faire. Alors je vais vous dire, la différence sur cette question entre Jean-Marie Le Pen et moi, ce n'est pas ce que je viens de dire – je pense qu'il est tout à fait d'accord avec ça- c'est que Jean-Marie Le Pen dit : le traité adopté, la France va disparaître ; moi je dis non, rien n’est perdu car le Front national arrivant au pouvoir pourra procéder à propos du traité d’Amsterdam, à une opération très simple comme on l’à déjà pratiqué dans l’histoire de notre pays et que je vais vous montrer maintenant : voilà le traité d’Amsterdam et voilà ce que nous en ferons lorsque nous arriverons au pouvoir.

Michel Field :
Ça en dit long sur la parole de la France et l’engagement de la France… ce n’est pas vraiment un geste d’homme d’État qui accéderait au pouvoir. Normalement, il y a une continuité des grands engagements de l’État, non ?

Bruno Mégret :
Je crois au contraire qu’il est des moments où il faut savoir faire des ruptures importantes pour assurer la survie de notre pays. Il y a un droit supérieur au droit des traités, c’est le droit d’un peuple à se survivre à lui-même et d’une nation à rester elle-même et à conserver son avenir.

Michel Field :
Vu la gravité de ce que vous nous dites, ça va de soi que vous serez présent aux élections européennes.

Bruno Mégret :
La question sera débattue au congrès de Marignane mais il est bien clair que le Front national sera présent dans les élections européennes.

Michel Field :
Je vous propose de nous retrouver après une interruption publicitaire. Un petit sujet fera le point sur l’état actuel du Front national et on passera aux questions par téléphone des auditeurs.

Journaliste :
11 décembre 98, après plusieurs semaines de conflit interne, Jean-Marie Le Pen annonçait violemment sa rupture avec Bruno Mégret. Une rupture qui se concrétisait ensuite par l’expulsion pure et simple du parti de l’ancien délégué général et de ses proches. Officiellement divorcés, Jean-Pierre Le Pen et Bruno Mégret ne cessent depuis la rentrée de revendiquer la légitimité et l’héritage du Front national. Alors que les lepénistes multiplient les sanctions au sein du FN Historique en excluant systématiquement toutes les personnes qui se rallient à Bruno Mégret, de leur côté, les mégrétistes collectent les soutiens pour la reconnaissance d’un nouveau FN légal dont l’exigence devrait être officialisée au congrès extraordinaire de Marignane le week-end prochain. Ce FN version Mégret est déjà soutenu majoritairement par 62 secrétaires de fédérations départementales et par 141 des 272 conseillers régionaux du Front national. Et même au sein du service d’ordre du FN, le fameux DPS, une douzaine de responsables régionaux viennent d’annoncer leur intention d’assurer la protection du congrès de Marignane. Un congrès toujours illégitime pour Jean-Marie Le Pen qui après avoir intenté une action devant les tribunaux pour interdire aux mégrétistes le droit d’utiliser le nom et le sigle du FN, a déjà annoncé qu’il ne se rendrait pas en pèlerinage à « Lilliput », au risque de perdre officiellement la présidence du parti qu’il avait fondé.

Michel Field :
On va tout de suite entendre une première question qui a été donc enregistrée sur la ligne audiotel qui est à votre disposition toute la semaine pour poser des questions aux invités de « Public ».

Auditeur :
Bonsoir. Monsieur Bonnet de Nice. Monsieur Mégret, pourquoi avez-vous provoqué la scission du Front national sachant que cette manœuvre affaiblirait indéniablement ce parti notamment lors des prochaines élections européennes ? Pourquoi n’avez-vous pas attendu de prendre la relève de Jean-Marie Le Pen qui a soixante-dix ans et qui sera atteint par la limite d’âge dans quelques années, la place de numéro un vous revenant naturellement.

Michel Field :
C’est vrai que c’est une question qu’on est nombreux à se poser en tant qu’observateurs politiques, on a l’impression que peut-être Jean-Marie Le Pen vous a débusqué et que d’un certain point de vue, ça vous a obligé à intervenir plus tôt que vous ne l’auriez souhaité.

Bruno Mégret :
Je n’étais pas du tout, moi, dans une démarche de ce type et je l’ai dit tout à l’heure, ce n’est pas moi qui ai lancé le conflit, qui ai organisé la crise. Vous savez, il y a un proverbe africain qui dit : quand la savane brûle, c’est que l’herbe est sèche. Eh bien c’est exactement ça qui s’est produit au Front national, ce n’est pas moi qui ai allumé un incendie. Si un sentiment de révolte en quelque sorte, s’est manifesté aussi spontanément, aussi massivement contre les actions d’exclusion, de révocation de Jean-Marie Le Pen, c’est parce que qu’il y avait une grande majorité du mouvement qui voulait que ça change profondément.

Michel Field :
En même temps, quand on voit une partie majoritaire semble-t-il, de l’appareil, basculer en votre faveur, on a l’impression que c’est le résultat d’un long travail que vous avez fait et qui rend assez crédible les insinuations de fractionnisme que Jean-Marie Le Pen vous adresse.

Bruno Mégret :
Mais, non, je crois que ça n’a absolument aucun sens de dire cela parce qu’on nous qualifie de putschistes. Ce qui a été demandé, c’est un congrès. C’est un petit peu, comme si à l’échelle d’un pays, on qualifiait de putschistes des gens qui demandent des élections générales anticipées. Voilà. Non. La différence, c’est qu’il y avait entre Jean-Marie Le Pen et moi une différence d’appréciation, une différence de conception de la politique et que ce sont les adhérents, les militants, les cadres qui l’ont apprécié de cette façon. Quelle est la différence ? C’est que Jean-Marie Le Pen faisait de la politique pour témoigner et pour protester ; moi je veux en faire pour gagner et pour gouverner. Jean-Marie Le Pen se complaisait dans le verbe ; je pense qu’il est essentiel en politique d’en venir aux actes et aux résultats.

Michel Field :
Ça veut dire que le Front national va changer de nature et que d’un parti protestataire, il va devenir sous votre direction un parti de gouvernement ?

Bruno Mégret :
Ces derniers temps, Jean-Marie Le Pen ne voulait plus de pouvoir ; moi et mes amis, nous voulons le conquérir.

Michel Field :
Avec qui ? Voilà, on vient là dans le vif du sujet. Pas tout seuls sans doute ?!

Bruno Mégret :
Mais avant de parler de tout cela…

Michel Field :
Mais c’est important de savoir ce que va être la stratégie de votre mouvement, on est impatient…

Bruno Mégret :
Oui, mais avant de parler d’alliance ou de quoi que ce soit, ce n’est pas le problème. Il y a aujourd’hui en France 30% de Français qui au moins une fois dans leur vie, ont déjà voté Front national et qui n’ont pas persévéré. Eh bien notre ambition, c’est de rassembler l’écrasante majorité de ces 30% de Français qui globalement ont nos idées puisqu’ils ont déjà voté Front national et qui manifestement ont été un peu déçus peut-être par les outrances, et qui ne sont pas restés fidèles. Eh bien si demain nous rassemblons 20% et après-demain près de 30% de ces Français, eh bien c’est plus qu’il n’en faut pour être en mesure d’arriver au pouvoir, absolument.

Michel Field :
Sans alliance… Parce qu’on vous a longtemps prêté une divergence d’appréciation avec Jean-Marie Le Pen, à savoir une plus grande ouverture vers certains secteurs de la droite classique.

Bruno Mégret :
Oui, bien sûr. Vous savez, il y a un livre très intéressant qui n’est pas du tout écrit par un homme du Front national puisqu’il a été écrit par monsieur De Closets, qui n’est pas un ami de notre mouvement et qui s’appelle « Le compte à rebours ». Eh bien le compte à rebours pour lui, c’est le compte à rebours de l’arrivée au pouvoir du Front national. Il dit que c’est inéluctable, que ça va survenir, qu’on n’y peut plus rien. Et comment l’explique-t-il, comment le prévoit-il, quel est son scénario ? Le Front national va continuer à progresser. À 20%, la pression sera telle sur la droite RPR-UDF qu’elle explosera, qu’émergera une fraction rénovée qui acceptera de servir d’appoint au Front national, lequel dès lors pourra arriver au pouvoir.

Michel Field :
Mais ça, c’était un scénario qui était crédible quand il y avait un Front national. Vous avouerez que maintenant qu’il y en a deux, c’est moins crédible parce que ça vous affaiblit quand même.

Bruno Mégret :
Eh bien figurez-vous monsieur Field que dans le scénario de monsieur De Closets, il y mettait une condition, c’est que Jean-Marie Le Pen prenne sa retraite.

Michel Field :
Donc c’est parce que vous avez lu le livre de De Closets que…

Bruno Mégret :
Je vous ai dit, je n’ai rien provoqué. C’est vrai que c’était un cas de conscience. Dans cette crise, c’était un problème de loyauté, de fidélité. Mais où était la loyauté, où était la fidélité ? À l’homme pour le passé, pour les chemins parcourus ensemble ou aux idées et aux combats ? Et c’est vrai que la question était difficile à trancher. Et moi je suis engagé d’abord avant d’être engagé pour un homme ou pour un sigle ou pour un mouvement, je suis engagé pour des idées, pour mon pays, pour les Français et notamment pour ces militants du Front national qui paient souvent un très lourd tribut au politiquement correct. Mais je n’ai pas eu à trancher, C’est Jean-Marie Le Pen qui a tranché pour moi et pour nous en engageant la guerre.

Michel Field :
Une autre question.

Auditrice :
Le Front national était un parti dont on pouvait penser qu’il avait un idéal. N’avez-vous pas le sentiment que votre attitude porte un grand tort à ce parti qui s’avère être comme les autres avec des intérêts de personnes, ni plus ni moins ?

Michel Field :
Alors ça… on a choisi ce message téléphonique parce qu’il est très expressif de beaucoup de messages qu’on a eus par Minitel, par lettres, c’était : finalement c’est une querelle de personnes comme il y en a dans tous les autres partis et la spécificité que certains prêtaient au Front national, finalement elle se perd.

Bruno Mégret :
Oui, en réalité, ceux qui croient qu’il s’agit là d’une question, de personnes, n’ont absolument rien compris.

Michel Field :
C’est ce que tout le monde dit, dans tous les partis à la même question, on est d’accord.

Bruno Mégret :
N’importe qui à ma place aurait essuyé les mêmes foudres de Jean-Marie Le Pen. Ça n’est pas un problème de personnes, ce n’est pas une querelle d’hommes, c’est une crise de croissance. Et il faut bien comprendre que ce problème qui survient à l’intérieur du Front national, n’a rien à voir avec les querelles qui existent de façon récurrente dans les partis de l’établissement, pour une raison très simple, c’est qu’indépendamment de la personnalité de Jean-Marie Le Pen, le Front national est un mouvement profondément uni sur le projet, sur le programme, sur les valeurs, sur l’objectif et que ce qui est survenu là n’est donc pas une querelle politicienne, c’est une crise de croissance et qui prouve au contraire que le Front national est un mouvement extrêmement sain car lorsqu’il rencontre des difficultés, il trouve en lui-même les ressources, la vigueur, pour se ressaisir, pour apporter une solution. Lorsque monsieur Chirac dissout sa majorité parlementaire et détruit… enfin en tout cas déstabilise le RPR et l’UDF, personne ne l’empêche de le faire. Lorsque Jean-Marie Le Pen veut dissoudre le Front national, il y a immédiatement des cadres, des élus, des militants qui se dressent pour l’empêcher de le faire, c’est toute la différence et c’est la raison pour laquelle de cette crise va sortir un Front national rénové, renforcé, de cette crise d’où aurait pu sortir le pire, va à mon avis sortir le meilleur, c’est le deuxième étage de la fusée Front national qui va être allumé et pour répondre à la question de l’auditeur précédent à laquelle je n’ai pas eu le temps de répondre : aux élections européennes, l’électorat du Front national ne vas pas disparaître. Sans doute d’ailleurs y aura t-il plus de Français encore qui voteront pour le Front national qu’il n’y en aurait eu si le Front national était resté en pleine crise avec une liste dirigée par Jean-Marie Le Pen qui aurait purgé la moitié de son mouvement et l’essentiel des forces vives de son parti.

Michel Field :
Des études aujourd’hui montrent… Je ne parle pas seulement de sondages mais des études un petit peu sérieuses, montrent que si vous êtes en effet détenteur sans doute de la majorité de l’appareil, du côté des électeurs, des sympathisants du Front national, l’attachement à la personnalité de Jean-Marie Le Pen est largement dominant par rapport à vous.

Bruno Mégret :
Oui, mais ça, je crois que ça n’a pas de signification actuellement. Il y a effectivement trois cercles concentriques : il y a les cadres, les adhérents, les électeurs. Bon. La bataille des cadres, elle a eu lieu, nous l’avons gagné. La bataille des adhérents, elle est en cours, nous avons déjà 18 000 signatures, c’est-à-dire presque la moitié des adhérents qui ont signés pour le congrès. Quant à la bataille des électeurs, elle n’a pas eu lieu. Alors le congrès n’a pas eu lieu, aucune déclaration de candidature n’a été faite, la campagne électorale n’a pas commencé, on ne peut rien dire à ce sujet.

Michel Field :
Vous allez postuler à la présidence du Front national dimanche prochain ?

Bruno Mégret :
Eh bien le congrès de Marignane dimanche prochain va procéder en effet au renouvellement des instances de notre mouvement et au Front national, enfin de par les statuts du Front national, personne ne se porte candidat, ce sont des secrétaires de fédération qui présentent la candidature…

Michel Field :
Vous devez avoir une idée de savoir s’ils vont présenter la vôtre ou pas…

Bruno Mégret :
Il faut une vingtaine de secrétaires départementaux pour être présenté.

Michel Field :
À votre avis alors ?

Bruno Mégret :
Ils sont réunis, je peux vous le dire.

Michel Field :
Et alors ?

Bruno Mégret :
Ils sont réunis, donc je serai candidat.

Michel Field :
Donc vous serez sans doute dimanche soir prochain président du Front national.

Bruno Mégret :
N’anticipons pas.

Michel Field :
D’accord mais il y a des chances.

Bruno Mégret :
Il y a des chances, oui.

Michel Field :
Ou des risques, selon l’opinion de chacun. Et est-ce que ce congrès à votre avis va prononcer l’exclusion de Jean-Marie Le Pen ?

Bruno Mégret :
Non, nous ne pratiquons pas l’exclusion. C’est Jean-Marie Le Pen qui en ne venant pas au congrès de son propre parti…

Michel Field :
Il va s’exclure de lui-même comme on le dit quelquefois.

Bruno Mégret :
Oui, en tout cas il se met en dehors du mouvement s’agissant des fonctions qu’il exerçait jusqu’à présent mais nous, nous n’excluons personne.

Michel Field :
Donc il n’y aura pas de charrette explicite de tous les lepénistes. Et vous leur tendez la main s’ils veulent revenir au bercail ?

Bruno Mégret :
Nous sommes pour la réconciliation, absolument, et je suis convaincu que passé ces mois de turbulence, eh bien le Front national qui va se trouver régénéré, rénové à l’issue de ce congrès, sera en mesure de rassembler à nouveau l’essentiel de ceux qui en faisaient la substance avant la crise, ajoutés à tous ceux qui sont en train d’arriver, voyant que le Front national se rénove. Je crois que c’est un grand espoir qui se présente pour ceux présente pour ceux qui se reconnaissent dans nos idées, le mouvement national va devenir une force encore plus forte et va être en mesure de sortir du ghetto des 15%, de reprendre se marche en avant.

Michel Field :
Dans l’échiquier politique, un certain nombre de tendances de la droite classique, je pense… je ne sais pas…à Démocratie Libérale d’Alain Madelin, à la Droite de Charles Millon, au Mouvement pour la France de Philippe de Villiers, est-ce que ce sont des alliés potentiels ou des forces politiques avec lesquelles le nouveau Front national que vous présiderez, aurait une attitude plus ouverte que celle qui était celle de Jean-Marie Le Pen ?

Bruno Mégret :
Rien ne permet de le dire pour l’instant. C’est à eux de se déterminer. Nous, nous avons des convictions très claires. Nous avons un projet, un objectif. J’attends que ceux dont vous venez de parler, se prononcent sur le Front national parce que jusqu’à présent, tous leurs propos ont été hostiles. Mais de toute façon, il est bien clair que nous, nous combattrons tous ceux qui s’opposent à ce projet de renaissance de la France qui est le nôtre. Nous ne pouvons pas nous entendre avec des gens qui acceptent l’immigration, qui cautionnent la régularisation des étrangers clandestins, qui approuvent le traité d’Amsterdam, qui n’ont rien fait pour résoudre le problème de la sécurité des Français, bref ce que nous voulons c’est un grand changement. Et de ce point de vue-là, le Front national rénové va se ré-enraciner dans les valeurs qui sont les siennes pour être plus efficace encore dans leur mise en œuvre.

Michel Field :
Mais si je reprends les prochaines échéances électorales, donc les élections européennes, une liste dirigée par Charles Pasqua, peut-être une liste dirigée par Philippe de Villiers, une liste dirigée par Jean-Marie Le Pen, une liste dirigée par Bruno Mégret, ça fait beaucoup de gens sur le même créneau.

Bruno Mégret :
Oui, ça on verra, mais enfin si je prends par exemple la liste de monsieur Pasqua. Bon. Alors c’est vrai qu’il va y avoir d’un côté les Euro-lâtres comme on dit et de l’autre les Euro-sceptiques. Il y a ceux qui vont accepter le déclin ou la destruction de notre pays et ceux qui s’y opposent. Et moi je me réjouis d’abord dans un premier temps au vu de cette énumération, que le camp des souverainistes, de ceux qui veulent maintenir la souveraineté de la France, se développe. Mais malheureusement, je trouve que c’est un renfort qui est un peu « branquignolesque » si vous me le permettez, je pense notamment à monsieur Pasqua parce que monsieur Pasqua, il s’était illustré en effet en 92 contre le traité de Maastricht. Qu’est-ce qu’il a fait un an plus tard : il entre au gouvernement de monsieur Balladur qui applique le traité de Maastricht, qui engage le processus de l’euro et qui commence les négociations pour Amsterdam, sans parler des positions de monsieur Pasqua sur la régularisation générale de tous les clandestins qui le placent à la gauche du pouvoir socialiste – il est vrai qu’il veut mettre des communistes sur sa liste. Alors tout ça n’est pas très sérieux. Dans cette affaire, je trouve que monsieur Pasqua ressemble un petit peu à Fernandel qui se serait déguisé en De Gaulle.

Michel Field :
Une question, je vous la cite telle quelle : vous présenterez-vous aux présidentielles de 2002 ? Les gens sont très attentifs à votre nouvelle carrière politique Bruno Mégret.

Bruno Mégret :
Écoutez en 2002, j’aurai 53 ans, j’ai le temps de voir…

Michel Field :
Ça, c’est une pierre jetée dans le jardin de Le Pen qui est votre aîné…

Bruno Mégret :
Ça, c’est vous qui le dites. J’aurai le temps de voir, je vous donnerai la réponse le moment venu. Nous aurons peut-être l’occasion de nous revoir d’ici là.

Michel Field :
Est-ce qu’il y a des différences – c’est une question d’Anne-Marie Oresta de Rouen – est-ce qu’il y a des différences de programme avec Jean-Marie Le Pen ?

Bruno Mégret :
Eh bien s’agissant du programme, c’est-à-dire des documents officiels du Front national, je pense notamment au programme des trois cents mesures, il se trouve que j’en ai été le maître d’œuvre et la cheville ouvrière, par conséquent, je ne le renie pas.

Michel Field :
Donc vous emportez le sigle, le fichier et le programme.

Bruno Mégret :
Je n’emporte rien du tout parce que ce congrès est légal et ce qui sortira du congrès, c’est le Front national légal et rénové.

Michel Field :
Une autre question, on a le temps, oui, une dernière.

Auditeur :
Monsieur Mégret, je pense que vous saviez très bien ce que vous faisiez en cassant le travail des militants à qui vous avez laissé croire jusqu’à l’envoi des demandes de signatures du congrès, qu’ils travaillaient pour le Front national avec comme président Jean-Marie Le Pen. Dites-nous si ce n’était pas prémédité depuis longue date pour casser le mouvement. Merci.

Michel Field :
On a retenu cette question parce qu’évidemment beaucoup de militants du Front national sans doute fidèles à Jean-Marie Le Pen, ont cette interprétation. Il y a même des gens qui vous demandent – c’est le cas de Patrick Massin – est-ce que vous êtes sûr de ne pas avoir été manipulé dans votre tentative de scission ? Je reprends ses termes.

Bruno Mégret :
Tout cela n’a absolument aucun sens. Moi je suis au Front national depuis quinze ans. Il y a à mes côtés… je pense à monsieur Timmermans qui est adhérent de la première heure. Il y a d’innombrables représentants de la famille nationale…

Michel Field :
Oui, mais vous avez la tache originelle d’avoir été au RPR, aux yeux des lepénistes, à un moment donné.

Bruno Mégret :
Comme monsieur Le Pen a lui-même été au CNI avant d’être au Front national. Tout ça ne veut rien dire. Moi je suis assez scandalisé par les invectives, les insultes, que j’ai subies de l’autre côté, auxquelles je n’ai d’ailleurs absolument pas répondu parce qu’il faut voir les choses de façon beaucoup plus simple. Encore une fois, s’il y a eu un tel mouvement à l’intérieur du Front national, c’est bien la preuve qu’il y avait un vrai problème. Encore une fois, je n’ai jamais prétendu putscher Jean-Marie Le Pen. C’est lui qui n’a jamais accepté la main qui lui était tendue, c’est lui qui n’a jamais accepté de réconcilier les membres du Front national alors qu’il était président, alors qu’il en avait l’obligation, alors qu’il était le garant de l’unité du mouvement. Donc personne ne met en cause le travail des militants. Moi je suis, c’est vrai dans cette affaire, peiné, parce que je sais que beaucoup de militants, d’adhérents du Front national ont le sentiment que c’est leur travail qui est détruit. Mais ils se trompent. C’est si rien ne s’était passé de notre côté que tout aurait été ruiné parce que Jean-Marie Le Pen avait entrepris de purger son mouvement de toutes ses forces vives. Jean-Marie Le Pen avait une conception patrimoniale du Front nationale, il considérait que c’était sa propriété et sa propriété familiale et que tout devait procéder de par lui, tout devait venir de lui et qu’il ne voyait par conséquent aucun avenir au Front national en dehors de lui..

Michel Field :
A partir de quand ça vous est devenu insupportable, parce que pour les observateurs comme nous, ça fait quand même belle lurette que la famille Le Pen… Enfin tout ce que vous dénoncez maintenant, on le voyait à l’œil nu !

Bruno Mégret :
Eh bien c’est bien la preuve ce que vous dites que je n’avais aucune volonté de complot, aucune préméditation et aucune volonté de rupture et que c’est Jean-Marie Le Pen, en engageant le processus de purge et d’exclusion, qui a engagé la rupture et heureusement que nous avons pris avec Serge Martinez, avec Jean-Yves le Gallou, avec Franck Timmermans, avec Philippe Olivier, avec Jean-Claude Bardet et tant d’autres, cette initiative. Car si nous n’avions pas pris cette initiative d’un congrès, eh bien aujourd’hui le Front national serait dans une crise terrible, sans aucune possibilité de solution, sans aucune possibilité de sortie de la crise. Et au contraire, nous avons par cette initiative fait en sorte que cette crise qui aurait pu provoquer une véritable implosion de notre mouvement, soit l’occasion d’une renaissance.

Michel Field :
Bruno Mégret, je vous remercie. FIN