Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, en réponse à des questions sur les regroupements européens dans l'industrie aéronautique, à l'Assemblée nationale le 14 octobre 1998 et au Sénat le 15.

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Texte intégral

14 octobre 1998, Assemblée nationale
Réponse du ministre de la défense à une question de Monsieur Pierre Lellouche, député de Paris.

Industrie aéronautique

Question : Ma question s'adresse à Monsieur le Premier ministre, parce qu'elle relève de plusieurs départements ministériels, mais aussi parce qu'elle touche à un intérêt national majeur, tout comme celle à laquelle il vient de répondre avec beaucoup de chaleur : je veux parler de l'industrie aéronautique. Quelle que soit notre appartenance politique, nous sommes tous fiers du travail accompli depuis quarante ans par les grands groupes, publics et privés, qui ont fait de la France une très grande puissance aéronautique et spatiale. Cette situation, cependant, est en train d'évoluer rapidement, et peut-être dangereusement, parce que nous assistons aux États-Unis à des regroupements sans précédent – une firme comme Boeing pèse aujourd'hui 275 milliards de francs de chiffre d'affaires, c'est-à-dire trois fois et demie le premier groupe européen – et parce que ces regroupements américains ont entraîné en Europe des restructurations industrielles très importantes. En Europe, à côté d'un certain nombre de moyennes entreprises, en Suède, en Espagne, et en Italie, l'industrie aéronautique dépend essentiellement de trois grands groupes : un groupe entièrement privé en Grande-Bretagne, British Aerospace, qui pèse 83 milliards de francs de chiffre d'affaires ; un groupe entièrement privé en Allemagne, DASA, qui pèse 51 milliards ; un groupe, enfin qui pèse également 83 milliards, celui que vous avez justement constitué au mois de juillet dernier, Monsieur le Premier ministre, en réunissant Matra haute technologie et Aerospatiale.

Le problème, c'est que depuis un an, et surtout depuis ces dernières semaines, à mesure que DASA et British Aerospace entrent dans la fabrication de l'avion de combat Eurofighter, ces deux groupes ont annoncé leur intention de fusionner en une entreprise européenne nouvelle, qui serait la base d'un regroupement général en Europe de toutes les industries aéronautiques et spatiales. Il est évident que si cette fusion devait s'opérer en l'état, il en résulterait deux conséquences : la marginalisation complète de notre industrie aéronautique de défense, laquelle est engagée, depuis 1985, dans un projet d'avion de combat différent de l'Eurofighter ; mais surtout, en matière civile, le danger inhérent au cumul des parts de British Aerospace et de DASA – 37,5 % et 20 % – de voir se constituer une majorité automatique anglo-allemande dans la société Airbus.

Monsieur le Premier ministre, les questions que je voudrais vous poser sont simples :
- Comment faire pour réintégrer la France dans le jeu, pour éviter qu'elle ne perde son leadership ? Doit-on ne rien faire – première option ?
- Doit-on, comme l'a suggéré M. Gayssot lors du salon de Farnborough début septembre dans un interview au Financial Times, bloquer la réforme d'Airbus, la prendre pour ainsi dire en otage, pour éviter la fusion anglo-allemande ? Auquel cas vous risquez, Monsieur le Premier ministre, de bloquer en même temps les grands projets d'investissement d'Airbus dans les avions de transport futurs.
- Troisième hypothèse, enfin, n'est-il pas temps de lancer une initiative politique importante auprès de vos collègues, M. Blair et M. Schröder, et surtout d'accélérer la privatisation d'Aerospatiale ?


Regroupement européen industriel de défense :

Réponse : Je reconnais le caractère objectif et prospectif de votre question qui aurait pu être posée d'égale bonne foi par les représentants de tous les groupes ainsi que son caractère décisif pour la place de la France dans une construction industrielle européenne dans un domaine majeur. À cet égard, vous avez bien fait de rappeler que le dispositif industriel et financier français dans le secteur concerné avait substantiellement évolué au cours de la dernière année et que le gouvernement avait pris des décisions permettant à nos capacités industrielles et technologiques de jouer pleinement leur rôle dans un regroupement européen que nous estimons tous souhaitable. Un cadre politique a même été donné, à l'initiative des autorités françaises, dans la déclaration du 9 décembre 1997 (1) fixant les objectifs du regroupement des forces européennes.

Matra haute technologie – Aerospatiale (processus de fusion)

Les discussions entre les trois grands partenaires, que vous avez cités, sont devenues plus mobiles, plus dynamiques, du fait du regroupement des forces françaises. À ce propos, je tiens à souligner que la décision prise par le gouvernement au mois de juillet a mis en route un processus de fusion entre Matra haute technologie et Aerospatiale qui arrivera à terme au début de 1999 après plusieurs phases de procédure. J'informe d'ailleurs l'Assemblée qu'il se déroule actuellement de façon positive et rapide.

Airbus

En ce qui concerne une possible conséquence de ce rapprochement sur Airbus, je crois que si deux des trois principaux partenaires industriels du groupement commettaient l'imprudence de réaliser un accord et de fusionner, donnant ainsi automatiquement la majorité à un seul membre du GIE, ils prendraient un risque car cela mettrait en cause son équilibre même, ce qui ne pourrait pas être accepté par la France. C'est exactement dans ces termes que s'est exprimé M. Jean-Claude Gayssot en donnant la position du gouvernement et même, je crois pouvoir le dire, des autorités françaises. Si une telle conjoncture devait intervenir, ce n'est pas nous qui prendrions Airbus en otage. Nous considérerions seulement qu'il s'agirait d'une initiative tendant à rompre le principe fondamental de ce rapprochement, c'est-à-dire l'équilibre entre les trois contributeurs.

Les initiatives politiques que vous appelez de vos voeux en ce domaine ont été prises très régulièrement par le Premier ministre lors de chacun des contacts qu'il a eus avec les autorités allemandes et britanniques, au cours des derniers mois. Les messages sont passés. Par ailleurs, les négociateurs d'Aerospatiale ont des propositions dynamiques et, créatives pour que l'on aboutisse à un accord équilibré. Bien entendu, pendant ce temps, circulent annonces de presse et rumeurs, mais cela fait partie du jeu de toute négociation.

Question : Quid de la privatisation d'Aerospatiale ?

Réponse : Tous les partenaires savent dans quelles conditions et grâce à quelles concessions réciproques pourrait être structuré un groupe européen vraiment équilibré qui serait la réponse ultime et efficace à la pression américaine, dont nous sommes d'accord pour dire qu'il faut y résister victorieusement.

(1) Cf. propos sur la défense, n° 69, p. 134.


15 octobre 1998, Sénat
Réponse du ministre de la défense à une question de Madame Maryse Bergé-Lavigne, sénateur de Haute-Garonne.

Pôle européen aéronautique (regroupement)

Question : Le gouvernement a entrepris depuis plusieurs mois la difficile restructuration de notre industrie aéronautique afin de parvenir à la création d'un grand groupe européen intégrant les différentes industries aéronautiques, civiles et militaires, des pays partenaires de l'Union. Aerospatiale, qui est au centre de cette démarche, a déjà fait des pas importants vers cet objectif. Certains de nos partenaires européens font mine de ne pas comprendre la volonté française ; ils envisageraient des fusions qui mettraient en péril la création du groupe européen, menaçant ainsi de laisser Aerospatiale sur le bord du chemin. Ces turbulences nous préoccupent et inquiètent les salariés. Monsieur le ministre, quelles sont les réponses du gouvernement aux pressions nouvelles de British Aerospace et de DASA ? À la suite de la fusion Aerospatiale-Matra, quels métiers resteront à Aerospatiale ? Enfin quelles conséquences les transformations profondes de notre industrie aéronautique auront-elles sur le statut social des salariés et sur l'emploi ?

Réponse : J'irai dans votre sens en soulignant que les décisions prises par le gouvernement depuis un an pour mieux rassembler les capacités industrielles et technologiques des industries d'armement mais aussi, en l'occurrence, des industries aéronautiques et spatiales françaises ont constitué un pas en avant important qui a été largement compris par l'ensemble de la représentation nationale mais aussi par les partenaires professionnels, auxquels il est apparu que la France devait évoluer et se mettre en mesure de participer à des regroupements européens nécessaires, nous le savons, pour exercer une concurrence équilibrée sur le plan mondial face aux regroupement tout à fait spectaculaires, de modalités exactes, notamment sur le plan de la sécurité, afin de ne pas exposer inutilement ces personnes. Cette mission sera essentielle à la fois pour vérifier les retraits et pour recréer des conditions de sécurité et de confiance en vue du retour des réfugiés.

Surveillance aérienne (OTAN)

Par ailleurs, le secrétaire général de l'OTAN que je viens d'appeler à la présidence du groupe de contact va partir pour Belgrade en vue de signer l'accord sur la surveillance aérienne du Kosovo.

Négociation politiques (autonomie du Kosovo)

Les négociations politiques vont s'engager, puisque le président Miloševic a accepté de discuter sur la base du document préparé par le groupe de contact, et une mission complémentaire est prévue à Pristina pour que les Albanais surmontent leur déception, car, à leurs yeux, les choses ne vont pas assez loin pour le moment.

Nous nous sommes également mis d'accord pour que, dans les tout prochains jours, une nouvelle résolution du Conseil de sécurité reprenne à son compte les accords et les engagements pris et donne le signal de la mise en oeuvre de cette opération de vérification sur le terrain. Enfin, le groupe de contact a décidé, compte tenu des circonstances particulières, de rester uni, exigeant, mobilisé ; il se réunira immédiatement, notamment à la demande de M. Geremek, si cela s'avère nécessaire. Bref, la situation change par rapport à ce que nous connaissons depuis des années, et plus encore depuis des mois. Ce n'est certes pas encore la panacée, mais une solution est en vue, à condition que nous restions véritablement déterminés.