Texte intégral
CFTC La Vie à Défendre : mai 1995
L'éditorial du Président Alain DELEU
Négocier le changement social
Jacques Chirac a gagné la confiance d'une majorité du peuple français en se mettant à son écoute et en faisant campagne sur le thème du changement. Les attentes des travailleurs s'expriment sous des formes très concrètes : emploi, salaires et niveau de vie, qualité des soins et de la protection sociale… Au-delà des formes particulières, ces revendications auxquelles la CFTC participe, expriment fondamentalement une urgence : vaincre le processus de rupture sociale. Ce processus résulte de deux grandes évolutions : d'abord la coupure du lien entre les entreprises et les travailleurs (chômage, flexibilité, précarité, sous-traitance, déconnexion entre salaires et productivité…), et ensuite l'exclusion sociale qui est maintenant de plus en plus souvent au bout de la pauvreté et la rend irréversible. La Rédaction de « La Vie à Défendre » analyse dans ce numéro les perspectives du « social » dans un tel contexte.
Tous les candidats à la Présidentielle se sont interrogés sur cette rupture sociale et ont avancé des réponses, qui ont permis aux électeurs de dire leurs aspirations au Président de tous les Français.
Nous considérons que cette déchirure n'a pas seulement une origine économique ou politique, mais que plus profondément il s'agit d'une crise morale, une crise du sens de la vie ensemble, qui empêche de découvrir les réponses de solidarité aux défis économiques et notamment la première réponse, qui est familiale.
En interrogeant les candidats à la Présidence nous avions le souci de faire avancer notre idée d'une société où chacun pourrait avoir sa place, c'est-à-dire avoir son rôle et les moyens de vivre dignement, tout en assumant une véritable solidarité sociale. Nous insistons sur le rôle essentiel des corps intermédiaires (les syndicats en particulier). Nous précisions les grands axes de nos propositions : donner de la marge à la négociation sur le temps de travail et l‘emploi, relancer le développement industriel et la recherche, promouvoir la qualité des services publics, conquérir une vraie place pour les questions sociales dans l'Europe.
Dans son programme comme dans ses réponses, Jacques Chirac a développé des options et des projets qui mériteront d'être discutés, approfondis, complétés ou revus et mis en perspective. Le dialogue commence.
Bien entendu, il serait illusoire de tout attendre du politique. La mobilisation des partenaires sociaux est tout aussi nécessaire. La CFTC tient une place importante dans le syndicalisme français par sa conviction forte et tranquille de la primauté de la négociation et par son souci permanent du bien commun. Ces atouts précieux en font un garant de la continuité et de l'efficacité de ce qu'on appelle dans le jargon syndical le « réformisme », c'est-à-dire le syndicalisme de négociation.
Notre responsabilité est donc grande en ces jours de négociation interprofessionnelle sur l'emploi, la formation des jeunes, l'organisation du partenariat social. Le patronat et les syndicats seront-ils capables de sortir de leurs vieilles oppositions idéologiques pour fonder un nouveau contrat de paix et de progrès social ? La question reste intégralement opposée.
Dans cet esprit de dialogue, nous présentons dans ce numéro les grandes institutions de concertation sociale, et notamment le Conseil Économique et Social, dont les travaux peuvent ouvrir des perspectives nouvelles pour les grandes questions de société. Il en donne actuellement un bon exemple avec le rapport en préparation sur la grande pauvreté, sous la houlette de Mme Anthonioz-de-Gaulle, Présidente d'ATD Quart-monde.
La Lettre Confédérale CFTC : 15 mai 1995
Le 7 mai, Alain Deleu était l'invité de TF1 à l'occasion de la soirée électorale du second tour. En tant que Président de la CFTC, il a fait la déclaration suivante :
« N'oublions pas une chose : si 52 % des Français ont élu Jacques Chirac, 48 % ne l'ont pas élu. Et sur des sujets aussi essentiels que celui de l'accès ou logement pour tous et celui de ces quartiers d'exclusion qui s'étendent dans nos villes, si vraiment Jacques Chirac parvient à épouser les projets des Français, il faut qu'il mobilise l'ensemble des Français sur ces projets. Mais je voudrais dire outre chose : ne croyons pas que le politique fera tout. C'est chacun de nous qui fera que ça bouge. Je pense notamment à la négociation qui est ouverte maintenant au CNPF. On parle parfois du troisième tour social. Le troisième tour social, pour nous, à la CFTC, c'est la négociation du 14 juin. Est-ce qu'on aura un vrai accord, un bon accord pour l'emploi des jeunes, ou est-ce qu'on aura un troisième tour dons la rue ? Il y a beaucoup de monde ce soir dans la rue. C'est normal. Mois est-ce qu'il n'y aura pas trop vite dans la rue d'autres manifestations pour d'autres objectifs ? Je souhaiterais que chacun, toutes forces syndicales et patronales confondues, se mobilise pour réussir la négociation. Il faut la réussir car, sinon, on aura un troisième tour difficile au plan social. »
La Lettre Confédérale CFTC : 18 juin 1995
Conférence de presse : « priorité-emploi »
Suite à la déclaration de politique générale du Premier ministre et à quelques jours de la grande négociation CNPF-partenaires sociaux, Alain Deleu et Jacques Voisin ont tenu une conférence de presse le 7 juin dernier afin de faire connaître les positions de la CFTC.
Le Président de la CFTC, Alain Deleu, a estimé « qu'un risque d'échec, de blocage de la discussion » lors du sommet patronat-syndicats prévu le 14 juin « n'est pas à exclure ». Si le 14 juin, on ne fait pas l'effort de remettre l'axe sur le renforcement des partenaires sociaux dans les PME, on aura un point très dur avec le CNPF. Par ailleurs, Alain Deleu a accusé l'organisation patronale de vouloir « marginaliser le syndicalisme » en rendant les négociations dans les branches professionnelles « supplétives » de celles dans les entreprises, et en envisageant ces négociations dans les entreprises même en l'absence de syndicats. En ce qui concerne la journée d'action lancée pour le 14 juin, Alain Deleu a précisé « que nous ne voulions pas faire de manifestation un jour de négociation, il n'est pas opportun de mélanger les genres ce jour-là ».
Le Président de la CFTC a jugé « louable » que le gouvernement ait « déclarer la guerre au chômage » mais s'est demandé toutefois de quelles munitions dispose le gouvernement « compte tenu des contraintes budgétaires ».
Alain Deleu a par ailleurs souhaité que les partenaires sociaux entrent dans « une phase de développement de la négociation ». Il a insisté sur la nécessité de lier la baisse des charges sociales à des négociations sur l'emploi et a souhaité qu'un « coup de pouce » soit donné à la réduction du temps de travail par une baisse des charges sur le salaire net, « hautement préférable aux formules consistant à distribuer des baisses de charges à certaines catégories comme les PME. » À ce propos, il a souhaité que s'engagent, le 14 juin, des négociations de branches et d'entreprises sur la réduction du temps de travail.
En ce qui concerne la mise en place de l'allocation parentale de libre choix, Alain Deleu a regretté que celui-ci soit « renvoyée à plus tard », voyant dans cette décision « une lacune importante ».
Enfin, évoquant les négociations salariales dans la fonction publique, le 29 juin prochain, il a demandé « un examen approfondi des problèmes de l'emploi » dans ce secteur.
CFTC La Vie à Défendre: juin 1995
L'Éditorial du Président Alain DELEU
Des paroles aux actes
Incontestablement le discours sur les questions sociales en France a changé. Patronat et gouvernement déclarent que l'action pour l'emploi est une priorité. Après tant d'années passées à rendre les salariés responsables du chômage, cela fait plaisir d'entendre dire qu'ils jouent un rôle essentiel dans l'économie.
Nous avons aussi remarqué le nouvel intitulé de deux grands ministères sociaux : « le dialogue social et la participation » et « la solidarité entre générations ». Ces dénominations rappellent deux « fondamentaux » de la politique sociale : le droit pour chaque salarié d'être un acteur à part entière de sa vie de travail (dont le droit syndical) ; et le respect des valeurs de la famille, de l'enfance au quatrième âge, qui structurent notre société.
Dans les orientations générales de l'action du Premier ministre, Alain Juppé, nous avons relevé avec intérêt l'accent mis sur l'emploi, l'insertion sociale et les salaires, mais aussi sur la famille, l'éducation et le logement, l'allocation-dépendance.
Mais quelles seront les mesures concrètes ? Quelle sera la prise en compte des inquiétudes manifestées ces dernières semaines dans de nombreux secteurs ? Après les manifestations de la fin mai, le gouvernement apportera-t-il une réponse positive à l'appel des salariés qui demandent que l'on défende les entreprises et les services publics ?
Depuis 1992, les emplois précaires se développent à un rythme accéléré. Il ne suffit pas de dénoncer la précarité. Il faut la combattre. Elle est un important obstacle à la confiance en l'avenir, et donc à l'investissement et à la consommation des ménages.
Les dossiers de l'hôpital, de l'allocation dépendance et de l'allocation parentale de libre choix, mais aussi ceux de l'avenir de l'Union européenne, vont également être l'occasion de mesurer la capacité du gouvernement à faire du neuf sur des questions de société.
Le cycle économique est dans sa phase de croissance, en principe pour quelques années. Le moment est favorable. À quoi le patronat et le gouvernement sont-ils prêts ? N'attendons pas d'être affrontés à une nouvelle phase de ralentissement pour agir efficacement.
Nous avons choisi d'afficher une attitude franchement constructive, ouverts à la discussion, prêts aux propositions et contre-propositions. Nous ne voulons pas mettre en doute à priori les intentions des nouveaux dirigeants politiques et patronaux. La négociation avec le CNPF sur l'emploi, les jeunes, le temps de travail, les niveaux de négociation, doit réussir. C'est pourquoi le 14 juin nous n'avons pas voulu mélanger les genres et nous avons refusé de manifester un jour de négociation. Mais il est clair qu'au bout du compte, ce n'est pas sur les paroles que nous apprécierons les options de nos interlocuteurs, mais sur leurs actes.
La Lettre Confédérale CFTC : 26 juin 1995
Communiqué
Jacques Chirac : l'emploi, l'Europe et la famille
Une délégation CFTC, conduite par son président, Alain Deleu a eu un entretien de plus d'une heure avec M. Jacques Chirac, Président de la République.
L'emploi, l'Europe et la famille ont été les sujets dominants.
La CFTC a demandé avec insistance que l'on ne retombe pas dans les vieilles recettes d'aides aux entreprises, qui ont montré leurs limites, mais que l'on fasse vraiment confiance aux salariés. C'est le sens de la proposition faite par la CFTC de débloquer les négociations sur la réduction du temps de travail en accordant aux salariés, par le jeu d'une exonération de leurs charges sociales, les moyens de conclure des accords sur l'emploi sans réduire les salaires nets. L'échange a également porté sur la dimension européenne et internationale de la question de l'emploi. La CFTC appuie la fermeté du Président de la République à l'égard des offensives de certains pays contre les salaires et les garanties salariales.
Jacques Chirac partage la conviction de la CFTC sur l'enjeu essentiel pour l'avenir du pays que constituent la politique familiale et la démographie. Une politique ambitieuse devra être préparée.
La CFTC a fortement insisté pour que cette orientation salutaire trouve sa concrétisation au plus vite avec des mesures comme la pérennisation de l'allocation de rentrée scolaire majorée et la revalorisation des prestations familiales ou 1er juillet.
Dans l'immédiat, un aspect important des conditions de vie des familles a été examiné avec la volonté du Président de mettre en place un observatoire sur le travail féminin. On sait combien l'inégalité de traitement dans la vie professionnelle peut porter atteinte à la vie des femmes et des familles. La CFTC se félicite donc d'une telle initiative. Elle a insisté sur l'importance des moyens d'information et d'action dans les entreprises.
Paris, le 20 juin 1995