Interviews de M. Bruno Mégret, délégué général du Front national, dans "le Monde" le 5 décembre 1998, à RTL le 10, à TF1 le 11 et à Europe 1 le 30, sur l'affrontement qui l'oppose à Jean-Marie Le Pen au sein du Front national.

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Texte intégral

Le Monde le 5 décembre 1998

Q -  Qu'attendez-vous de la réunion du conseil national de votre parti ?

– J'attends qu'il soit l'occasion de mettre un terme au grave malaise qui se développe depuis quelque temps à l'intérieur du Front national. Les militants sont inquiets et se posent beaucoup de questions sur l'avenir du mouvement. Il est temps de rétablir l'unité, et c'est à quoi, pour ma part, je m'emploie.

Q – Pour votre part ?

– Je ne suis pas certain que ce soit le cas de tout le monde.

Q – Vous attendiez-vous à ce que votre candidature à la direction de la liste des élections européennes, en cas d'empêchement de Jean-Marie Le Pen, déclenche une telle colère de sa part ?

– Je crois que là n'est pas le problème. J'avais exposé en privé à Jean-Marie Le Pen ce que je pensais de la configuration de la liste dans le cas où il serait inéligible. Il a ensuite lancé publiquement l'idée de la candidature de sa femme, et c'est seulement après ses déclarations que j'ai dit, tout haut, ce que l'ensemble du mouvement pensait tout bas. Depuis, Jean-Marie Le Pen éligible, et nous savons qu'il sera tête de liste. Cet épisode est donc clos, et si le problème perdure, c'est bien qu'il se situe ailleurs.

Q – Où cela ?

– C'est celui de l'unité du mouvement.

Q – Qu'est-ce qui la compromet aujourd'hui ?

– Un certain nombre d'initiatives et de déclarations, sur lesquelles je ne veux rien dire, car j'entends respecter la règle qui est la nôtre de ne pas mettre les problèmes internes sur la place publique, et je ne veux rien faire qui puisse aggraver encore la situation. Ce qui me préoccupe, c'est la victoire de nos idées et l'objectif, qui est le mien, de voir notre mouvement arriver au pouvoir pour appliquer son programme de redressement national.

Q – Comment expliquez-vous les mesures de rétorsion dont vos collaborateurs et vos amis sont victimes, notamment le licenciement deux de vos proches, Nathalie Debaille et Hubert Fayard ?

– Je suis sentimentalement peiné de voir deux de mes collaborateurs les plus directs et les plus anciens, cadres exemplaires et dévoués, se trouver ainsi licenciés brutalement et sans motif. Quant à l'explication, je pense qu'il faut la demander à Jean-Marie Le Pen.

Q – On a l'impression qu'il y a une volonté de vous marginaliser ou de vous pousser vers l'extérieur…

– Je ne quitterai jamais le Front national. On peut me retirer mes responsabilités, je n'en ai que plus de disponibilité pour mener la bataille au service de mes idées et, notamment selon trois axes qui me paraissent essentiels : le social, les valeurs et la sécurité. J'étais, il y a peu, aux portes des chantiers navals du Havre pour défendre les travailleurs de cette industrie stratégique, qui est menacée de disparition. Je fais campagne contre le PACS, pour défendre la famille et ses valeurs. Je me bats contre le désarmement des polices municipales et la fermeture des commissariats de police. Par ailleurs, je multiplie les meetings contre la ratification d'Amsterdam. Les prochains auront lieu à Lyon et Marseille.

Q – Combien de temps pourrez-vous supporter les humiliations et mesures de rétorsion ?

– Je me sens très soutenu par le mouvement, ce qui me rend serein et confiant. Ce qui m'importe, c'est de donner un avenir au Front national.

Q – L'objectif fixé par M. Le Pen d'atteindre 20 % des suffrages aux élections européennes vous semble-t-il réaliste ?

– Dorénavant, et ce sera le cas pour les élections européennes de 1999, tous les partis de l'établissement sont pour l'Europe de Maastricht. Les communistes et les chevènementistes, qui étaient contre l'Europe bruxelloise, font aujourd'hui partie d'un gouvernement qui a signé le traité d'Amsterdam et qui applique le traité de Maastricht. M. Séguin, qui était, contre ce traité, approuve maintenant la ratification d'Amsterdam, qui est pire que Maastricht. Quant à MM. De Villiers et Pasqua, chacun sait qu'un vote en leur faveur ne mènerait à rien. Il n'y a donc que le Front national qui soit partisan de l'Europe des nations et qui occupe l'espace politique du refus de l'Europe bruxelloise et du traité d'Amsterdam. C'est un espace qui dépasse même de loin les 20 %.

Q – Espérez-vous que la liste du Front national aux européennes prenne en compte les suffrages obtenus par chacun au congrès de Strasbourg ?

– Ce serait logique et légitime. Cela dit, actuellement, je ne sais pas qui figurera sur cette liste, dont Jean-Marie Le Pen a seul la responsabilité.

Q – Si vous n'y étiez pas, ou si vous étiez dixième ou quinzième de la liste ?…

– Je crois que ce serait très mal compris.

Q – Vous avez parlé récemment d'une tentation de « bunkérisation » au sein du FN. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

– En politique, il y a deux façons de trahir ses idées. On peut les abandonner pour des postes et des prébendes, et je condamne totalement cette conception opportuniste de la politique ; Mais on peut aussi les trahir en faisant pas tout ce qui est nécessaire pour assurer leur victoire et en se réfugiant dans le confort d'une perpétuelle opposition. Pour moi, il n'y a pas à choisir entre la fidélité, qui irait avec l'échec, et la victoire, qui serait synonyme de trahison. Je suis pour la victoire dans la fidélité, comme je crois l'avoir pratiqué à Vitrolles-en-Provence.


RTL – 10 décembre 1998

Q - Vous dites qu'il y a une grave crise au FN, mais quel est l'objet du débat exactement ?

– « Je crois que c'est tout simple : c'est le problème de l'unité du mouvement qui est mis en cause. Et c'est pour maintenir cette unité, pour la rétablir, pour retrouver la paix et pour pouvoir reprendre notre marche en avant que S. Martinez a proposé l'idée d'un congrès extraordinaire. »

Q - Mais qu'est-ce qui menace l'unité du mouvement ?

– « Je crois que vous l'avez observé. Il y a eu exclusions, licenciements, destitutions, suspensions. Je suis moi-même maintenant frappé par cette mesure en tant que délégué général. Ce qui est d'ailleurs contestable puisque ma fonction je la tire d'un vote du comité central où j'avais été élu comme délégué général, membre du bureau exécutif du mouvement. »

Q - À votre avis, pourquoi J.-M. Le Pen fait-il cela ?

– « Écoutez, c'est à lui qu'il faut poser la question ! Peut-être se sentait-il menacé, je ne sais pas, alors que... »

Q - Ce n'était pas le cas ?

– « Personne ne le menaçait. Bien sûr que non, ce n'était pas le cas ! Et par conséquent, je crois qu'il est temps de se ressaisir, de reprendre ses esprits, de retrouver la raison et de se retrouver tous ensemble dans un congrès. »

Q - Ce congrès, vous dites que des tas de fédérations du Front national le veulent. Mais où vous arrivent donc le courrier et les fax qui vous disent vouloir ce congrès puisque vous êtes exclu du siège du FN ?

– « Attendez, ce n'est pas à moi que cela arrive. C'est S. Martinez qui, en tant que membre du bureau politique, délégué aux fédérations a pris cette initiative. Eh bien, il avait loué pour cela une adresse postale adaptée. »

Q - Vous prenez une adresse postale prématurément, et ça ne justifie pas la thèse du complot de J.-M. Le Pen ?

– « Mais bien sûr que non ! Il faut que vous questionniez S. Martinez, cela fait quelque temps qu'il pensait à cette initiative – parce que le trouble ne date pas d'hier, il date déjà de plusieurs mois – et c'est son droit le plus strict. C'est l'application de l'article 24 des statuts, c'est l'initiative populaire que le Front national reconnaît d'ailleurs dans son programme pour le pays tout entier. Pourquoi ne l'appliquerait-il pas, alors que c'est prévu dans ses statuts qui est sa Constitution à l'intérieur du mouvement lui-même ? »

Q - D'ores et déjà, on peut dire qu'il y a physiquement deux Front national : il y en a un qui siège à Saint-Cloud qui est le siège légal du parti, puis un autre qui est en exil quelque part avec une adresse postale ?

– « Non, ce n'est pas du tout comme cela que cela se présente : moi, je souhaite que le Front national reste uni. Nous sommes en train de traverser une crise, et je pense... »

Q - Mais là, il y en a deux !

– « Je pense que tout cela doit se retrouver précisément au congrès C'est la raison pour laquelle cette suspension, ces exclusions, cette mesure dont je suis moi-même victime, tout cela est finalement très secondaire, parce que tout cela doit être revu, rediscuté lors du prochain congrès qui devrait d'ailleurs commencer par une espèce de remise en cause de ces destitutions, de ces licenciements, de ces exclusions ; une sorte d'amnistie pour apaiser et repartir d'un bon pas. »

Q - J.-M. Le Pen, hier soir sur TF1, en parlant de vous et de vos amis a dit : ils vont trouver à qui parler. Il a l'air déterminé !

– « Je crois qu'il devrait surtout être déterminé à retrouver la paix et l'unité dans le mouvement. Moi, je pense que ce n'est pas en accusant les membres du Front national qui proposent ce congrès, de racistes ou d'extrémistes que l'on va résoudre le problème. D'autant plus que cela est une accusation extrêmement grave puisque c'est l'accusation de nos adversaires contre nous. Je ne vois pas d'ailleurs ce que les militants vont pouvoir répondre maintenant quand on les traite de racistes puisque les adversaires pourront leur dire : mais c'est votre président qui le prétend. Donc, là, je pense qu'il est très important que J.-M. Le Pen se rétracte sur cette question, car c'est tout de même très grave. Moi, je suis très peiné de constater qu'on en vient à utiliser les armes de nos adversaires contre nous-mêmes. »

Q - Au Grand-jury RTL-Le Monde-LCI en avril dernier, vous disiez ceux qui nous traitent de racistes, sont des névrosés, des malades du ciboulot. Alors, même accusation, même constat en ce qui concerne J.-M. Le Pen ?

– « Non, moi je n'utilise pas l'invective, l'injure. »

Q - Mais vous l'avez dit : « malade du ciboulot. » Alors, aujourd'hui, il vous traite de « raciste » ?

– « Moi, je ne considère pas que J.-M. Le Pen soit un adversaire. Bien au contraire, c'est le président du Front national, et je souhaite que tout s'apaise, que tout cela cesse. J'ai lancé un appel, hier, à tous les membres du FN pour cesser les querelles, pour cesser les invectives et les exclusions, et pour que tous se retrouvent unis dans un congrès. »

Q - Aux européennes, il risque tout de même d'y avoir deux listes : une liste Le Pen, et une liste Mégret ?

– « Mais non, pas du tout. Il est important justement que nous nous retrouvions, pour remettre tout le monde ensemble, et pour partir d'un bon pas uni aux élections européennes. C'est si on ne fait pas le congrès que cela va partir dans tous les sens. »

Q - Mais alors, l'acte concret en dehors d'un congrès pour montrer que l'unité serait retrouvée, c'est quoi ? Une liste avec J.-M. Le Pen numéro un et Mégret numéro deux ?

– « Personne n'a contesté la tête de liste à J.-M. Le Pen. Donc le problème n'a jamais été là. »

Q - Et vous, numéro deux ?

 – « Vous savez, moi, je ne fais pas tout cela pour une place sur une liste. Vous pensez bien que ce n'est pas mon problème. Le problème va bien au-delà de la composition de la liste. Il faut ressouder le mouvement, réorganiser le mouvement conforme à ce qu'il est, dans l'unité, avec la représentation de tous ceux qui le composent. »

Q - En vous traitant, vous et vos amis, de racistes, est-ce que J.-M. Le Pen ne met pas en échec votre stratégie qui consiste à vouloir un Front national plus présentable, plus comestible pour d'éventuels alliés à droite ?

– « Il ne s'agit pas de savoir si le Front national doit être présentable ou plus comestible. Le Front national est respectable, parce que ses idées sont des idées éminentes, et que son programme est un programme de renaissance pour notre pays. Donc, je souhaite que nous soyons enfin reconnus tels que nous sommes… »

Q - Le président du Front national, lui-même, dit : il y a des racistes chez moi !

– « Je me suis exprimé là-dessus. Ça n'est évidemment pas vrai, et ce qui me paraît important c'est de nous remettre en ordre de bataille, car l'objectif c'est la conquête du pouvoir pour appliquer tout notre programme. Le Front national au pouvoir dans une situation dominante : c'est ça ma démarche ! Et je crois que ceux qui ne veulent pas se mettre dans cette perspective sont dans une situation qui n'est pas conforme à l'objectif du Front national. »

Q - Avez-vous la sensation que J.-M. Le Pen préfère rester dans l'opposition plutôt que d'assumer les risques du pouvoir ?

– « Je n'ai jamais dit ça. Jusqu'à présent je ne le pensais pas, et j'espère ne pas avoir à le penser. »

Q - Vous n'en êtes pas loin ?

– « Non, non ! Ce que je veux, c'est qu'on se retrouve, voilà ! Et je pense que J.-M. Le Pen va comprendre que c'est ça la solution. Parce que si on ne réunit pas de congrès, qu'est-ce qu'on fait ? On continue à couper les têtes ! Et lorsqu'on aura coupé 80 % des têtes dans le mouvement qu'est-ce qui restera ? Non, ce n'est pas la solution ! »

Q - C'est aujourd'hui le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'homme, qu'est-ce que ça vous inspire comme réflexion ?

– « Les Droits de l'homme et du citoyen, c'est essentiel. Il y a, d'ailleurs, dans l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen cette notion que les droits inaliénables et imprescriptibles c'est la liberté, la sûreté, la propriété et la résistance à l'oppression. Et la défense de la liberté, la défense de la propriété, la défense de la sûreté et l'utilisation de ce principe de résistance à l'oppression c'est le Front national qui l'incarne le mieux. »


TF1 – 11 décembre 1998

Claire Chazal : Alors, on va le voir dans un instant, on écoutera votre réaction, Bruno Mégret, mais tout de suite sachez que Jean-Marie Le Pen doit tenir ce soir un meeting à Metz. Il est arrivé dans une terre d'ailleurs assez favorable aux tenants de Bruno Mégret. Et déjà plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées dans le centre de la ville pour protester contre la venue de Jean-Marie Le Pen. Et puis, sachez que Serge Martinez, l'un de vos proches, affirme que toutes les signatures ont été obtenues pour demander la tenue de ce congrès extraordinaire. Enfin, je le rappelle, la permanence d'un délégué général du Front national à Marseille a été saccagée hier soir par une équipe de partisans de Jean-Marie Le Pen, c'est ce qu'ils affirment en tout cas à cette permanence. Une dizaine d'hommes ont menacé les militants avant d'arracher les affiches et d'emporter le fichier des adhérents. C'était une permanence, Bruno Mégret, qui dépendait de votre courant, l'un de vos proches.

Bruno Mégret : Oui, une permanence de Marseille, une des huit permanences de Marseille, absolument.

Claire Chazal : Alors on a vu, on a entendu la conférence de presse de Jean-Marie Le Pen, comment est-ce que vous réagissez ce soir, est-ce que vous vous sentez exclu de ce Front national ? Est-ce que vous prenez acte de cette décision ?

Bruno Mégret : Ah, d'abord je suis très peiné de cette décision parce que je suis au Front national depuis 12 ans et j'entends bien y rester, car il faut le savoir, cette décision en réalité ne change absolument rien pour la raison très simple, c'est qu'un congrès extraordinaire est demandé, il aide au droit, dès lors que les signatures sont réunies, les signatures sont réunies, nous allons aller d'ailleurs bien au-delà du minimum nécessaire.

Claire Chazal : Vous les présenterez quand ?

Bruno Mégret : Oh, nous verrons, dans les jours qui viennent. Donc, le congrès aura lieu et l'une des premières mesures d'apaisement de ce congrès de l'unité, ce sera précisément de lever les sanctions, les exclusions, les suspensions qui ont été décidées. Donc, tout cela sera remis d'aplomb à l'occasion du prochain congrès. Par contre, ce qui me choque terriblement c'est que Jean-Marie Le Pen ait, semble-t-il, depuis le début d'ailleurs, pris une démarche scissionniste, de division, de fracture, pour faire…

Claire Chazal : C'est lui, évidemment il vous accuse, vous, de félonie, de rébellion et de division.

Bruno Mégret : Mais du tout. Moi je me suis…

Claire Chazal : Il dit même que vous avez formé un complot avec ces documents notamment…

Bruno Mégret : Quel est le complot ? Le complot consiste à appliquer les statuts du Front national, l'article 24 et à demander un congrès extraordinaire. C'est un peu comme si on disait à l'échelle du pays : « regardez ces putschistes, ils demandent des élections législatives ». Tout ça n'a absolument aucun sens.

Claire Chazal : Ce qu'on comprend mal c'est comment vous pouvez demander toujours un congrès, alors que vous ne faites plus partie, enfin, selon Jean-Marie Le Pen, des instances dirigeantes ?

Bruno Mégret : Mais ce n'est pas moi qui va demander le congrès, ce sont les milliers et les milliers d'adhérents qui ont signé la demande et qui seront suffisamment nombreux pour l'obtenir. À partir de quoi, eh bien, le congrès est souverain, il peut parfaitement revenir sur des décisions d'expulsion et d'élimination comme cela a été fait. Si vous voulez, ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'il y a eu quatre tentatives de conciliation qui ont été proposées à Jean-Marie Le Pen, je les ai toutes acceptées, il les a toutes refusées. Karl Long d'abord, le premier, a proposé une mission de conciliation, ensuite Pierre Jabou, ce ne sont pas de mes amis. Pierre Jabou a proposé une réunion entre Jean-Marie Le Pen et moi pour régler les problèmes qui se posent. Jean-Marie Le Chevalier, le maire de Toulon a proposé un comité central exceptionnel à Toulon pour résoudre le problème. Chaque fois, Jean-Marie Le Pen a refusé, il est dans une logique de purge et moi je lui demande très solennellement ce soir, car je considère que rien n'est encore définitivement cassé, moi j'ai les épaules larges, je suis prêt à supporter beaucoup de choses…

Claire Chazal : Tant que ce parti ne fera pas persister et durer avec un Jean-Marie Le Pen à sa tête et vous-même à ses côtés.

Bruno Mégret : Moi, je lui demande solennellement ce soir, de se ressaisir, de reprendre ses esprits, de retrouver la raison, et de ne pas être le grand diviseur de la Droite nationale et donc d'accepter qu'on puisse tous se retrouver, régler les problèmes et le seul moyen de le faire c'est le congrès.

Claire Chazal : Mais comment vous voyez votre avenir, c'est-à-dire que vous continuerez à codirigez ce parti à ses côtés, à rester parmi comme délégué général ou dans une autre fonction et lui à la tête du Front national ?

Bruno Mégret : Mais la question ne se pose pas. Vous savez ce n'est pas un problème de poste, contrairement à ce que j'ai entendu dire, ce n'est pas un problème de mandat, vous savez que si j'étais obsédé par un mandat quel qu'il soit, je n'aurais pas fait les déclarations que j'ai faites à Toulon. Non, c'est un problème je dirai de survie du mouvement national pour faire en sorte qu'il puisse remettre en ordre de bataille et accomplir sa mission historique qui est la sienne en faveur de notre pays.

Claire Chazal : Alors, avant conclure Bruno Mégret, tout de suite nous allons nous rendre à Metz, je le disais, Jean-Marie Le Pen va tenir ce soir un meeting. Il y a une contre-manifestation qui est en ce moment organisée au centre de la ville…

Bruno Mégret : Ce ne sont pas les Mégrétistes qui manifestent.

Claire Chazal : Ce ne sont peut-être pas les Mégrétistes, nous allons le voir tout de suite dans ce sujet de Laure Debreuil.

Laure Debreuil : Près de 500 personnes se sont rassemblées au centre de Metz ce soir pour protester contre la venue de Jean-Marie Le Pen ; Loi, très loin du Palais des Congrès où se rassemblent les militants du Front national, loin aussi des querelles qui divisent le mouvement d'extrême droite.

Intervenant : Que les rats se « bouffent » entre eux, ce n'est pas notre problème. Notre problème c'est de savoir que ces rats portent en eux les mêmes germes du racisme, de la xénophobie et de l'intolérance.

Laure Debreuil : ici, on attend plus de 600 personnes pour un dîner prévu à l'origine comme le coup d'envoi de la campagne européenne. L'ennui, c'est que les quatre fédérations de Lorraine et les deux fédérations alsaciennes, ont pris position en faveur d'un congrès extraordinaire. Toutes les précautions ont donc été prises pour s'assurer de la fidélité de la salle à l'égard de la ligne officielle, Jean-Marie Le Pen est même arrivé en avance.

Journaliste : Quel est votre moral, ce soir ?

Jean-Marie Le Pen : Qu'est-ce qui vous paraît à votre avis ?

Laure Debreuil : Pour les militants, il y a tout de même un fond d'inquiétude.

Militante : Eh bien, disons qu'il est important d'être là, d'être présents, chez tout le monde que ce soit bien Bruno Mégret ou Jean-Marie Le Pen, il faut qu'on soit informé de tout ce qu'il se passe.

Laure Debreuil : Tout a été fait ici pour museler l'opposition, le service d'ordre a été renforcé, les fidèles ont été appelés en renfort et la prise de parole, bien évidemment, sérieusement contrôlée. Après une semaine de bataille acharnée, le leader du Front national entend démontrer que la parenthèse Mégret est sur le point d'être refermée.

Claire Chazal : Est-ce que tout cela ne va pas conduire à la mort du Front national, au fond ?

Bruno Mégret : Non, je ne suis pas pessimiste, je pense que le Front national a une mission essentielle à jouer dans notre pays, il a les forces vives pour le faire et quoi qu'il arrive, je suis, pour ma part, convaincu qu'il sortira et même peut-être grandi de cette douloureuse épreuve, à condition, bien sûr, qu'on reprenne ses esprits, à condition qu'on organise ce congrès.

Claire Chazal : Vous lui proposer une rencontre à Jean-Marie Le Pen, tous les deux, un face-à-face ?

Bruno Mégret : Et bien ça a déjà été fait vingt fois. Le meilleur endroit pour se rencontrer maintenant, c'est ce congrès qui aura lieu je pense, au mois de janvier.

Claire Chazal : Merci beaucoup Bruno Mégret.


Europe 1 – 30 décembre 1998

Q – « C'est vrai que cette année a été pour moi, assez importante, puisque j'ai été en quelque sorte à la pointe de tous ces événements. Je suis habitué à la difficulté et je crois d'ailleurs que c'est l'une des grandes forces. Notre combat, c'est que nous sommes sélectionnés par les épreuves. Et demain, au pouvoir, les épreuves ne nous feront pas peur. »

Q - Vous croyez au second départ ?

– « Nous verrons. D'une façon ou d'une autre, ce sera, en effet, une régénérescence, un renouveau, pour affronter les échéances qui viennent. À l'issue de cette crise, il sera définitivement un parti capable de conquérir les responsabilités du pouvoir pour engager la renaissance de notre pays. »

Q - Vous êtes très optimiste…

– « Oui, je le suis. Mais tous ceux qui sont avec moi sont très optimistes. Ils vivent cette crise comme l'occasion d'un grand renouveau. Et c'est pour cela que tous ceux qui spéculent déjà sur la disparition du Front national vont être terriblement déçus. Car mon objectif à moi, ça n'est pas de jouer pour qui que ce soit dans la classe politique, c'est de jouer pour le Front national, c'est-à-dire lui permettre d'occuper toute la place qui est la sienne, sur la base de son programme. »

Q - Le renouveau ça pourrait être un renouveau avec J. -M. Le Pen et B. Mégret ?

– « Ça, c'est pas moi qui peut le dire ; c'est surtout lui qui peut le dire, puisque... »

Q - Vous lui tendez une perche là…

– « Les perches, elles lui ont été tendues déjà à quatre ou à cinq reprises. À chaque fois il a refusé de les saisir. »

Q - Vous savez pourquoi il refuse ?

– « Je ne sais pas. Je pense qu'il a une vision très autarcique et très autocratique du Front national qui ne correspond pas justement à un grand mouvement politique contemporain. Il n'est pas question de tuer qui que ce soit. Il est simplement question de transformer le Front national en un grand mouvement politique qui ne soit pas une PME familiale. »

Q - Les européennes : deux listes, deux versions de l'Europe, deux visions de l'Europe ?

– « Non, non. Il n'y a pas deux versions de l'Europe. Le Front national est favorable à une Europe des nations – j'ai d'ailleurs écrit un ouvrage qui précise le contenu de cette Europe des nations. Et c'est sur ce programme-là que nous nous battrons pour les élections européennes qui viennent. »

Q - Là-dessus vous êtes d'accord avec J.-M. Le Pen ?

– « Je ne sais pas s'il est d'accord avec mon livre. C'est à lui de le dire. Et je ne sais pas s'il l'a lu. »

Q - Quel est votre souhait le plus cher pour l'année 99 ?

– « Pour moi, personnellement, je formule le voeu de réussir dans les objectifs que je me suis fixé. »

Q - C'est-à-dire ?

– « C'est mon secret. »