Déclaration de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, à Montreuil le 17 octobre 1995 publiée le 26 dans "L'Hebdo de l'actualité sociale" et interview à RTL le 24, sur le nouvel attentat dans le RER, le danger d'amalgame entre immigrés, Islam et terrorisme et de dérive des mesures de sécurité pour les libertés.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Attentat à l'explosif sur la ligne C du RER entre les stations Musée d'Orsay et Saint-Michel à Paris le 17 octobre 1995

Média : Emission L'Invité de RTL - L'Hebdo de l'actualité sociale - RTL

Texte intégral

L’Hebdo de l’actualité sociale : 26 octobre 1995

Une forte riposte populaire

Les lâches assassins viennent encore de frapper, aveuglément, avec la volonté de faire le plus grand nombre possible de victimes innocentes.

J’exprime ici à la fois mon indignation, celle de toute la CGT et notre solidarité avec les victimes.

La police, la justice ont à poursuivre évidemment leur mission, mais la gravité de la situation, la certitude maintenant établie que cette violence trouvera ses limites dans la mesure où les auteurs se sentiront vraiment isolés, condamnés, conduit à l’idée d’une expression populaire d’une autre ampleur.

Il est aujourd’hui nécessaire et urgent que toutes les formes démocratiques du pays, tous les hommes et toutes les femmes de cœur, attachés à la liberté, pour qui démocratie et sécurité vont de pair, se retrouvent dans une forte riposte populaire.

Pour sa part, la CGT est prête à tous les contacts, les rencontres pour apporter sa pierre à la construction d’une telle riposte dans les formes à déterminer pour exiger bien sûr que tout soit fait pour retrouver, châtier les coupables mais surtout pour que le sursaut populaire indispensable porte très haut les valeurs de liberté, de démocratie et de justice.

Le droit de vivre est inséparable de la volonté de vivre dans la sécurité et de juguler la violence.


RTL : 24 octobre 1995

M. Cotta : Vous appelé les Français à se rassembler sur leurs lieux de travail aujourd’hui à midi pour condamner les actes terroristes, pourquoi ?

L. Viannet : Je pense que les citoyens, et en particulier les salariés, les syndicalistes, les démocrates, ont un rôle à jouer pour non seulement isoler les terroristes et leur faire comprendre qu’ils ne parviendront ni à nous impressionner ni, comme ils le souhaitent, à faire grandir le racisme et provoquer une fracture dans ce pays, mais aussi faire en sorte que cet appel soit porté par le plus grand nombre possible d’hommes et de femmes aujourd’hui. Le plus gros danger, je crois, serait de laisser se développer l’amalgame entre immigrés, islam, terrorisme, parce que là se trouve le fondement d’une fracture.

M. Cotta : N’est-ce pas ce qui est en train de se passer ?

L. Viannet : C’est suffisamment préoccupant pour que nous ayons pris conscience de la nécessité de faire quelque chose et je pense que contrairement à ce que j’ai pu entendre dire ici ou là, le syndicalisme a une responsabilité. Est-ce qu’on imagine ce que pourraient être les conditions sur les lieux de travail si demain les travailleurs français, les travailleurs immigrés, non seulement perdaient le sens de la solidarité et des intérêts communs qui les unissent, mais se dressaient les uns contre les autres ? Il n’y aurait plus d’action syndicale possible.

M. Cotta : Mais l’union syndicale sur un tel sujet n’a pas été facile ?

L. Viannet : Oui, mais je le regrette. Je voudrais dire qu’en fait, l’élément vraiment marquant, c’est que très vite, quatre organisations syndicales se sont retrouvées pour exprimer non seulement la condamnation ferme des actes terroristes, mais cet appel à la responsabilité pour faire grandir les valeurs de la démocratie. Il ne peut pas y avoir de démocratie sans sécurité, pas d’action syndicale forte sans démocratie.

M. Cotta : Croyez-vous à une union nationale contre le terrorisme ?

L. Viannet : Non, je ne le crois pas, quelle que soit la gravité du sujet. Par contre, je pense qu’une initiative comme celle-là peut contribuer à une prise de conscience du fait qu’en définitive, chacun et chacune des hommes et des femmes de ce pays ont leur rôle à jouer et le syndicalisme joue le sien.

M. Cotta : Le gouvernement s’y prend-il bien contre le terrorisme ?

L. Viannet : Il est difficile de critiquer des mesures de sécurité. Par contre, nous avons tenu à faire savoir au gouvernement que nous restons particulièrement vigilants contre toute dérive possible, parce que l’on sait bien que lorsqu’une situation comme celle-là est créée, les dérives et les atteintes à la liberté peuvent se produire à tout moment. Ceci étant, personne ne comprendrait que le gouvernement ne prenne pas un certain nombre de dispositions et de mesures, même si tout le monde admet qu’en définitive, quoi qu’il arrive, elles ne mettront jamais à l’abri d’actes terroristes comme ceux que nous avons connus hélas.

M. Cotta : G. Moreau craint une exploitation de la lutte anti-terroriste à des fins intérieures ?

L. Viannet : C’est à elle qu’il faut poser la question. Moi, je crois que pour ce qui concerne les organisations syndicales, nous avons très bien situé la façon dont il était aujourd’hui nécessaire de se manifester. Premièrement, exprimer très fortement notre volonté d’isoler le terrorisme ; deuxièmement, exprimer la solidarité par rapport aux victimes ; troisièmement, exprimer aussi la solidarité par rapport au peuple algérien. Parce que quand on voit la situation créée à partir des attentats aujourd’hui en France, imaginons ce que pourrait devenir la situation du pays si demain le fascisme, le terrorisme prenaient pied en Algérie et imposaient un régime où l’intégrisme devenait la force dominante.

M. Cotta : L’échec de la rencontre Chirac-Zeroual est-elle un camouflet pour la France ?

L. Viannet : Je n’ai pas eu l’occasion de m’en exprimer très nettement sur l’opportunité de la rencontre et à la limite, je n’avais pas à proprement parler de jugement à porter. Ce qui est vrai, et que j’ai toujours profondément pensé, c’est qu’en définitive, quelle que soit l’opinion que l’on ait sur cette rencontre, une chose est sûre : la France, le gouvernement, le peuple français ne peuvent pas tolérer que leurs décisions et leur politique étrangère soient dictées par quelque violence que ce soit. Cela dit, je pense que l’échec de la rencontre n’est sûrement pas une bonne chose pour la diplomatie française. Ce n’est sûrement pas non plus une bonne chose pour le peuple algérien et je le regrette particulièrement. J’ai été sensible au fait que nous ayons reçu hier un témoignage de solidarité de l’Union générale de travailleurs algériens, pour nous dire qu’ils se retrouvaient avec nous dans la journée d’aujourd’hui.

M. Cotta : Vous ne parlez pas de camouflet pour la France ?

L. Viannet : C’est l’avenir qui le dira.

M. Cotta : Vous êtes opposé à ce que la protection sociale en France ne soit pas financée exclusivement par les salaires ?

L. Viannet : C’est l’avenir qui le dira.

M. Cotta : Vous êtes opposé à ce que la protection sociale en France ne soit pas financée exclusivement par les salaires ?

L. Viannet : Je pense que le problème se pose dans des termes un peu plus larges. On nous avait annoncé un débat. Pour le moment, on reste sur notre faim, parce que, en guise de débat, c’est un débat d’initiés, et ce dont nous avons besoin sur cette question, c’est d’un débat grand public, où l’ensemble des assurés sociaux prenne conscience des enjeux.

M. Cotta : Vous voulez presque un référendum ?

L. Viannet : Non. Avant un référendum, qu’il y ait au moins un effort d’information grand public beaucoup plus important qu’aujourd’hui. Deuxièmement, vous croyez logique que l’on nous annonce un débat sur la Sécurité sociale et qu’à ce moment on fasse tomber la décision d’augmenter le forfait hospitalier sans concertation ? Je pense que là, le gouvernement vient de porter un coup à sa crédibilité, et les acteurs essentiels, en particulier les syndicats, sont tout à fait en droit de considérer qu’en définitive, le gouvernement n’a aucune envie de tenir compte ni de leur opinion ni de leurs propositions, ni même des pistes sur lesquelles ils veulent travailler.