Interviews de M. Michel Péricard, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 7 novembre 1995, et à RTL le 7 et 8 novembre, sur le remaniement ministériel.

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Circonstance : Remaniement ministériel le 7 novembre 1995 : constitution du deuxième gouvernement d'Alain Juppé

Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

Europe 1 : mardi 7 novembre 1995

M. Grossiord : Vous étiez dans la confidence depuis combien de temps ?

M. Pericard : Je n’étais dans aucune confidence mais n’oubliez pas que j’ai été journaliste et donc hier soir je l’annonçais car il y avait des signes. Je crois que ce remaniement est une excellente chose et il vient à un excellent moment.

M. Grossiord : Un peu vite quand même, cinq mois après la constitution…

M. Pericard : C’est vrai mais ça n’a pas beaucoup d’importance. Pourquoi faudrait-il attendre six mois de plus pour que ça ait l’air plus présentable ? Ça n’est quand même pas un secret de dire qu’il y avait, qu’on ressentait un peu d’hésitation chez certains ministres.

M. Grossiord : Manque de professionnalisme ?

M. Pericard : Oui, je suis convaincu de cela. La politique, comme toute chose, elle s’apprend, certains ne la connaissaient pas.

M. Grossiord. : A. Juppé n’a-t-il fait une erreur lui-même en n’élargissant pas la base politique de son gouvernement où on trouvait essentiellement des chiraquiens ?

M. Pericard : Ce n’est pas tout à fait exact mais c’est vrai qu’au moment où il a composé son gouvernement, on était au lendemain d’une campagne électorale qui a été ce qu’elle a été, qui a laissé des traces. Aujourd’hui, justement, six mois après il peut sans doute se permettre de rassembler davantage tous les éléments de la majorité, je ne dirais pas les courants.

M. Grossiord : Vous avez toujours dit que « les querelles étaient oubliées ». Il faut donc faire entrer en masse des balladuriens dans le gouvernement aujourd’hui ?

M. Pericard : Je ne dis pas cela, j’ai dit que les balladuriens ça n’existait pas et je l’ai redit hier à E. Balladur.

M. Grossiord : Y aura-t-il un électrochoc dans l’opinion publique française ?

M. Pericard : Je crois que c’est la formation du gouvernement dans son ensemble qui va créer cet électrochoc.

M. Grossiord : Voulez-vous réagir aux propos de F. Hollande ?

M. Pericard : Naturellement, M. Hollande interprète à sa façon et c’est bien normal. C’est le jeu politique même s’il commence à être un peu démodé.

M. Grossiord : Vous ne pensez pas que Juppé sort là son joker ?

M. Pericard : Je crois qu’il tire les leçons de l’expérience courageusement. Qui peut le lui reprocher ? Si je comprends F. Hollande, il aurait mieux valu peut-être cacher les faiblesses et ne pas les corriger. Ce n’est pas ce qui a été fait. Il est vrai que des décisions difficiles attendent ce gouvernement. Raison de plus pour qu’il soit… Quand on dit resserré ça veut dire qu’il parle d’une seule voix. Je suis d’accord avec M. Hollande car ce n’est pas le nombre de ministres qui a de l’importance, mais qu’il parle d’une seule voix et qu’il y ait plus de professionnalisme. C’est une seconde chance pour A. Juppé et pourquoi ne l’aurait-il pas saisie ? Cette politique, qui a été redéfinie par J. Chirac l’autre jour, va prendre un bon départ.

M. Grossiord : Attendez-vous du gouvernement qu’il protège mieux J. Chirac, le président de la République, entraîné dans le gouffre des sondages aussi ?

M. Pericard : Jacques Chirac a répondu à cette question en disant qu’il n’avait pas « été élu pour être populaire ». Il n’a pas non plus été élu pour encaisser tous les coups. C’est vrai que certains coups auraient pu être évités au président de la République, si certains ministres y avaient davantage prêté attention.


RTL : mardi 7 novembre 1995

J.-J. Bourdin : Il fallait marquer le coup ?

M. Pericard : Oui. Il fallait marquer le coup. Nous étions plusieurs à souhaiter qu’il y ait un remaniement. Il fallait que A. Juppé reste, car il a eu de très bons résultats mais qui n’ont pas été suffisamment mis en valeur, peut-être pour des difficultés que vous connaissez mais aussi parce qu’il y avait un peu d’absence de professionnalisme dans certains ministères…

J.-J. Bourdin : D’amateurisme ?

M. Pericard : D’amateurisme, voilà. La politique, ça s’apprend. Cela ne demande pas forcément beaucoup de temps, mais ça s’apprend.

J.-J. Bourdin : Aucun amateurisme de la part du Premier ministre, sanctionné par l’opinion publique ?

M. Pericard : Bien sûr que non. Donc, que ce gouvernement soit resserré est sûrement une très bonne chose…

J.-J. Bourdin : Il sera resserré, apparemment ?

M. Pericard : Oui, je crois que ce que vous dites est tout à fait vraisemblable.

J.-J. Bourdin : D’autant plus vraisemblable, et vous pouvez nous le confirmer, que vous avez rencontré A. Juppé longuement hier ?

M. Pericard : Non, je n’ai pas rencontré A. Juppé longuement hier. Je vais même vous dire toute la vérité : nous avions rendez-vous, il a décommandé. Cette décision et quelques autres de la même nature m’ont fait penser hier qu’il y aurait un remaniement.

J.-J. Bourdin : Vous avez quelques informations sur ce remaniement ?

M. Pericard : Non. Mais ce que je crois c’est qu’on va avoir quelques poids lourds nouveaux et que, d’autre part, on va pouvoir faire rentrer – l’élection présidentielle est derrière nous – un certain nombre de personnalités qui, au lendemain…

J.-J. Bourdin : Des balladuriens ?

M. Pericard : Vous savez que je n’aime pas ce mot. J’ai dit que les balladuriens ont cessé d’exister au soir du premier tour. Mais des gens qui, effectivement, ont soutenu E. Balladur et qui sont des gens parfaitement compétents et qui peuvent donner un peu plus d’épine dorsale à ce nouveau gouvernement qui va en avoir besoin car les épreuves ne vont pas être simples.

J.-J. Bourdin : On sait que le premier rendez-vous, c’est la réforme de la protection sociale. Des mesures importantes vont être annoncées. Reprenons ce que disait E. Balladur ce matin sur France-Inter : « S’il s’agit de combler le trou de la Sécurité sociale en disant à tout le monde : ne vous en faite pas, tout va continuer comme avant, simplement on va faire une imposition de plus, je prends date, on cassera la croissance ; et si on casse la croissance, les déficits ne seront pas réduits, le chômage ne sera pas diminué ». Prié de dire ce qu’il pensait à l’intention prêtée à A. Juppé de légiférer par ordonnance pour réformer la Sécurité sociale, A. Balladur a dit que sa position n’était pas très arrêtée. Ce changement de gouvernement, c’est un peu une réponse à E. Balladur ?

M. Pericard : Si vous voulez. En tout cas, je n’ai pas l’impression qu’on continue à dire ou qu’on veuille dire qu’on peut continuer à dépenser autant qu’on voudra et que les choses s’arrangeront toutes seules. Je ne sais pas s’il y aura des ordonnances ou pas, je crois que ce serait une bonne idée, pour aller assez vite. Je crois savoir que si effectivement M. Balladur – que j’ai vu hier en tête à tête…

J.-J. Bourdin : Il était au courant du remaniement ?

M. Pericard : Non, franchement pas. Nous n’avons pas parlé de cela. L’idée m’a traversé un peu plus tard dans la soirée. Mais E. Balladur reconnaît que légiférer par ordonnance peut être une bonne chose, qui a ses avantages et ses inconvénients.

J.-J. Bourdin : Nouveau gouvernement pour une nouvelle politique ?

M. Pericard : Non, pour une politique qui a bien été redessinée par J. Chirac dans son intervention mais qui n’était peut-être pas entièrement mise en place en raison précisément des insuffisantes que nous avons remarquées tout à l’heure.


RTL : Mercredi 8 novembre 1995

J.-P. Defrain : Que répondez-vous à ceux qui estiment que le remaniement est destiné aux sourds et muets qui n’auraient pas compris le sens de la déclaration présidentielle du 26 octobre ?

M. Pericard : Je ne donne pas du tout cette signification à ce remaniement. Il fallait remanier parce qu’il y avait quelques couacs dans l’ancienne équipe, un peu d’absence de professionnalisme pour certains et sans doute un peu trop de personnes. Donc, A. Juppé a décidé de remanier. C’est même plus qu’un remaniement : c’est un nouveau gouvernement. Il ne s’agit pas d’un changement de cap ni de politique, sinon c’est Juppé qui aurait été changé !

J.-P. Defrain : Lamassoure à la place de Baroin, Perben à la place de Goasguen : est-ce que ça provoque vraiment un électrochoc dans l’opinion publique ?

M. Pericard : Mais est-ce qu’un changement de gouvernement peut provoquer un grand électrochoc ? Je ne le crois pas. Un petit, sans doute. Ça marque une volonté, une méthode, sans doute aussi un sens des priorités différent. Je ne crois pas que ça puisse créer un électrochoc. Les gens, à chaque fois, on dit « c’est décevant parce qu’il y a untel et pas untel ». D’abord, ceux qui le disent sont souvent ceux qui auraient voulu y être. Deuxièmement, la classe politique est-ce qu’elle est. Elle ne peut pas être constamment bouleversée à chaque fois et ne peut pas être bouleversante.

J.-P. Defrain : B. Bosson déclarait que le départ de C. Goasguen et de Mme de Veyrinas était une manière de traiter son équipe qui ne lui plaisait pas, à la limite de l’inacceptable.

M. Pericard : Il se trouve que je viens d’avoir B. Bosson au téléphone : il ne n’a rien dit de tel. En tout cas, il ne me semble pas que ce qu’on appelle les centristes, dont B. Bosson fait partie, aient été maltraités dans ce gouvernement. Les noms qui ont été cités tout à l’heure par M. Juppé montrent qu’il y en a au moins deux qui sont dans des ministères éminents, M. Arthuis et M. Barro. Je ne crois pas qu’il faille mesurer ça de cette façon. Ce qu’il nous faut, ce sont des hommes compétents à des postes d’importance, non savoir s’il y a cinq de ceux-ci ou trois de ceux-là.

J.-P. Defrain : Regrettez-vous l’absence de poids lourds comme Pasqua, Veil, Madelin ou Léotard ?

M. Pericard : Je ne sache pas que M. Pasqua ou Mme Veil aient eu envie d’entrer au gouvernement ! A une époque, ils l’ont déclaré l’un et l’autre. En ce qui concerne M. Madelin, il vient de quitter le gouvernement. Il avait ses raisons. Ses raisons, beaucoup les ont comprises, mais ça ne me paraît pas signifier qu’il devait y retourner cette fois-ci. Je ne sais pas ce qu’est un poids lourd en politique ! Je sais ce qu’est quelqu’un qui réussit, qui travaille.

J.-P. Defrain :  Le gouvernement a-t-il perdu du temps ?

M. Pericard : Vraisemblablement, oui. Il en a perdu un peu, mais on perd toujours un peu de temps quand on démarre. A ceux qui disent « pourquoi ce remaniement maintenant ? », c’est la première fois, oui, et alors ? Que ce soit en plein débat budgétaire, ça n’a aucune conséquence. A. Juppé s’est aperçu qu’il y avait besoin de resserrer certains boulons, de modifier certaines organisations. Au lieu de faire semblant de ne pas voir la vérité, il l’a affrontée avec loyauté vis-à-vis du peuple français. Il en a tiré les conséquences. Il n’y a rien qui me semble de particulièrement répréhensible.

J.-P. Defrain : Où est la cohésion entre M. Lamassoure, ardent défenseur de l’Europe, et F. Borotra qui a bataillé ferme contre Maastricht ?

M. Pericard : F. Boratra est l’un de mes meilleurs amis. Il a voté non à Maastricht, j’ai voté oui. Où était la cohérence ?  Nous avions chacun pris des positions que nous pensions devoir prendre. Je ne pense pas que ça puisse avoir beaucoup d’importance. Le débat sur Maastricht – P. Seguin l’a très bien dit – il est terminé. Le peuple a tranché. Pour les démocrates, les républicains que nous sommes, dès qu’il a tranché, ce qu’il a décidé s’impose à tous.

J.-P. Defrain : La priorité du gouvernement, c’est d’abord la réduction des déficits, puis la lutte contre le chômage ?

M. Pericard : Il me semble que le président de la République l’a bien expliqué : il est amené à cette constatation que les déficits sont la cause du chômage. On ne peut pas dire qu’on s’arrête de lutter contre le chômage. Il est vrai que ce serait sans doute un peu plus aisé si les taux d’intérêt avaient diminué. On pouvait espérer qu’après l’intervention du président de la République ils auraient baissé. Ce n’est pas le cas. La Banque de France est indépendante. Elle n’a pas jugé utile de le faire. Résultat : la consommation n’est pas relancée, les déficits sont ce qu’ils sont. Il faut donc s’attaquer en priorité à eux. Plusieurs l’ont déjà dit avant moi : c’est comme dans une famille, on ne peut pas vivre qu’avec des dettes.

J.-P. Defrain : Combien de temps donnez-vous au gouvernement pour que les premiers signes de sa politique apparaissent ?

M. Pericard : Il y a déjà eu des signes : on a signé le 100 000 contrat CIE aujourd’hui. Le SMIC a été augmenté. Le prêt à taux zéro prend un départ considérable. Je ne pense pas qu’il y ait une échéance, un jour où on se dise : on a des résultats aujourd’hui. Les résultats vont s’échelonner, mais ils seront au rendez-vous.

J.-P. Defrain : Les ordonnances pour la Sécurité sociale, le groupe RPR y est-il favorable ?

M. Pericard : Si le gouvernement a recours aux ordonnances – on en parle beaucoup – ce sera après le débat. Oui, il faut aller vite, il y a urgence, il y a le feu dans la Sécurité sociale. L’urgence, ce sont les ordonnances. Nous savons très bien que si le débat s’engage normalement, l’obstruction sera aussi au rendez-vous et qu’il faudra traîner pendant des semaines. On ne peut pas se permettre cela, de mettre la France sous tension pendant si longtemps. Le gouvernement fera le choix qui lui appartient. C’est son problème. S’il choisit les ordonnances, je ne pense pas que ça provoquera beaucoup de difficultés, en tout cas au sein du groupe RPR.