Articles et interview de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, dans "Démocratie moderne" de novembre 1998, "Horizons politiques" du 23 et "La Croix" du 19 décembre 1998, sur le financement futur des retraites, et sur sa proposition de compléter le système de retraite par répartition par des fonds de pension.

Prononcé le 1er novembre 1998

Intervenant(s) : 

Circonstance : Parution d'un ouvrage de M. Philippe Douste-Blazy intitulé :"Pour sauver nos retraites", décembre 1998

Média : DEMOCRATIE MODERNE - Horizons politiques - La Croix

Texte intégral

Démocratie moderne, novembre 1998

Pour sauver nos retraites

Dès lors que rien n'est décidé maintenant, le retraité de 2008 ne touchera plus que 55 % de son dernier salaire contre 64 % aujourd’hui. Pire encore : lorsque les jeunes diplômés des années 1990 arriveront à l'âge de la retraite, ils ne percevront que 38 % de leur dernier salaire.

Entre 1995 et 2010, la part des plus de 60 ans passera de 18 à 27 % de la population française ; le rapport entre cotisants et retraités de 2,03 à 1,3. La question aujourd'hui est d'abord celle des choix politiques : acceptons-nous d'entrée dans le XXIe siècle en dessous du seuil de pauvreté comme le prédisent les projections pour 2020 ? Acceptons-nous de ne rien faire aujourd'hui et de léguer à nos successeurs de 2020 le soin de gérer une régression sociale ?

Le dossier des retraites a un contenu trop explosif à moyen terme pour que nous en fassions un objet de polémiques politiciennes. Nous devons nous inspirer du pragmatisme de Jacques Barrot qui a su prendre le problème à bras le corps grâce à des mesures courageuses pour assurer l'équilibre de l'assurance vieillesse. Si nous partageons entre tous les Français le souci du progrès social et de la solidarité, alors nous devons être capables de trouver des réponses techniques à ce défi des prochaines décennies. C'est pourquoi nous devons replacer le problème des retraites dans la nouvelle économie mondiale.

Notre objectif de progrès social ne sera possible qu'à la condition de tirer toutes les conséquences de la nouvelle économie-monde. Nous devons jouer de la mondialisation et exploiter toutes ses sources de richesses et de revenus pour affermir, consolider et continuer de faire vivre les principes de notre République, qui aux termes de notre Constitution, est démocratique, laïque et sociale.

Un tabou doit être levé : la retraite par capitalisation existe déjà, mais elle est inégalitaire, réservée aux fonctionnaires ou aux salariés des grandes entreprises ; la gestion par capitalisation est déjà à l’œuvre, notamment dans la trésorerie de l’assurance-vieillesse. Par ailleurs les fonds de pension étrangers et plus précisément anglo-saxons, jouent un rôle certain dans la stabilisation et la dynamisation de l'économie mondiale : la France peut-elle couvrir le risque de perdre l'une des sources de financement des entreprises ? Peut-elle renoncer à l’un des supports d'une épargne longue, pourtant nécessaire à l'investissement et au développement ? Peut-elle continuer d'opposer le capitalisme financier à l’intérêt des salariés, des futurs retraités et des retraités eux-mêmes ?

Les ambitions sociales et économiques des fonds de retraite

L’assurance-vieillesse, durant les années 50, a su trouver les mécanismes pour financer les retraites de tous et même de ceux qui n'avaient pas cotisé. Elle s'est appuyée sur une forte croissance liée à la reconstruction et sur une forte inflation. Aujourd'hui l’inflation n’existe plus ; la répartition n'a plus ce recours pour répondre au déséquilibre démographique. Il convient donc d'enrichir les cotisations vieillesse grâce à la source de profit que constituent les marchés financiers dans une économie où les taux d'intérêt sont supérieurs au taux de croissance.

Pour autant, la répartition n'est pas un système daté et obsolète : elle consacre la solidarité entre les générations.

Fonds de retraite pour les Français : quels mécanismes de gestion imaginer ?

Il est tout aussi nécessaire de s'interroger sur les liens que l'on peut établir entre la branche vieillesse de la sécurité sociale et les fonds de retraite. L'affiliation obligatoire au régime général et au régime complémentaire est la base de la solidarité entre les générations de Français, bien plus que le mode de gestion par répartition. Rendre obligatoire la cotisation à des fonds de retraite apparaît nécessaire : l'universalisation réduit au minimum les risques en les mutualisant au maximum. Les partenaires sociaux et l’État pourraient concevoir leur rôle à l'intérieur et à côté d'institutions privées, intégrées ou reliées aux entreprises, sens que pour autant ne soient remis en cause les principes fondateurs de l’assurance-vieillesse. Au-delà de l’étatisation, d'une gestion en direct par l'État des fonds de retraite agrégés en un fonds de réserve, et de l'intégration dans la sécurité sociale, il est possible d'inventer une gestion décentralisée conforme au paritarisme, à l’universalité de la couverture, une gestion rentable et sûre à long terme.

Les fonds de retraite peuvent être un des éléments de consolidation de l’assurance-vieillesse et surtout un facteur de refonte des rapports salariés-employeurs. La création de fonds de retraite et de conseils de surveillance de ces fonds, conduiraient, au sein des entreprises, à une redistribution du pouvoir entre le facteur capital et le facteur travail, et à une participation accrue dans le gouvernement des entreprises.

Horizons politiques, 23 novembre 1998

Les fonds de pension mettraient fin à la solidarité
Par Paul Loridant, secrétaire général du Mouvement des citoyens, sénateur-maire des Ulis

La conjonction du choc démographique et de la crise économique qui dure depuis plus de 20 ans semble nous conduire objectivement vers ce qui pourrait être une impasse des systèmes de retraite par répartition auxquels la très grande majorité des Français demeure profondément attachée. Ainsi, Martine Aubry a fait part de son attention de créer un fonds de réserve sur lequel l'État affecterait un certain nombre de ressources, notamment de recettes de privatisations et des excédents sociaux, afin de financer les retraites.

Certes, d’ici à 2005-2019, alors que la génération baby-boom prendra sa retraite, le nombre d'inactifs grandira par rapport à celui des actifs et les besoins de financement atteindront des sommets mais ce choc sera temporaire et d'ici 20 à 30 ans le ratio actifs/inactifs retrouvera un nouvel équilibre. Surtout l'idée d'un fonds de réserve, si elle peut se justifier, ne doit pas constituer un exemple destiné à promouvoir les fonds de pension tels qu’ils existent aux États-Unis en matière d'épargne retraite. D'abord parce que des produits d'épargne retraite existent déjà : je pense notamment au plan d’épargne entreprise (PEE) et à l'assurance vie. Ensuite, parce que le mécanisme des fonds de pension mettrait fin à la solidarité entre les générations. Dans l'approche ultra-libérale, la mutualisation des risques est remplacée par l’individualisation de la prise en charge de la couverture retraite par un système de capitalisation volontaire avec la reproduction et même l'approfondissement de toutes les inégalités initiales. Faut-il rappeler ici que 35 millions d'Américains vivent en dessous du seuil de pauvreté : la plupart d'entre eux, souvent âgés, non quasiment plus de couverture sociale et ne bénéficient que d’un strict minimum pour la couverture vieillesse.

De plus, à travers ces mécanismes, les entreprises affectent une partie du salaire brut dans une cagnotte qui échappe aux cotisations sociales. On risque ainsi de réduire drastiquement les ressources des organismes sociaux, telle la sécurité sociale. La logique de rentabilité induite par les fonds de pension tend à favoriser la recherche du profit immédiat sur la logique économique et industrielle. Enfin, une question n'est pas encore tranchée : dans le système envisagé par les partisans des fonds pension, à qui appartiendront les fonds récoltés ? Pour ma part, je pense qu'ils doivent appartenir aux salariés qui doivent conserver un droit de regard sur les choix stratégiques et assurer de manière paritaire la gestion de ces fonds. Faute de quoi, le système ne satisfera que les grands groupes d'assurance et la retraite deviendra un « marché » comme un autre.

Pour des fonds de pension paritaires gérés par des professionnels
Par Philippe Douste-Blazy, président du groupe UDF-Alliance à l’Assemblée nationale

Entre 1995 et 2010, la part des plus de 60 ans passera de 18 à 27 % de la population française : le rapport entre cotisants et retraités de 2,03 à 1,3. Ainsi, dès lors que rien n'est décidé maintenant, le retraité de 2008 ne touchera plus que 55 % de son dernier salaire contre 64 % aujourd’hui. Pire encore : lorsque les jeunes diplômés des années 90 arriveront à l'âge de la retraite, ils ne percevront que 38 % de leur dernier salaire. C'est donc le droit à une retraite digne qui risque d'être remis en cause. Si nous avons le souci du progrès social et de la solidarité, nous devons pouvoir trouver des solutions techniques. Quelles sont les ambitions sociales et économiques des fonds de retraite ? Un tabou, d’abord : la retraite par capitalisation existe déjà mai est réservée aux fonctionnaires ou aux salariés des grandes entreprises. Par ailleurs, les fonds de pension anglo-saxons jouent un rôle important dans la stabilisation et la dynamisation de l'économie mondiale. La France peut-elle renoncer à l’une des sources de financement des entreprises, à l’un des instruments d'épargne longue les plus performants ?

La répartition n'est pas un système obsolète. Elle consacre la solidarité entre les générations. Mais la répartition ne peut, à elle seule, assurer la pérennité du système fondé en 1945. Les fonds de pensions n'ont pas vocation à se substituer à la répartition mais à ajouter un étage supplémentaire à l’assurance-vieillesse. Quelle gestion doit-on imaginer pour les fonds de retraite ? L'affiliation obligatoire constitue la base de la solidarité. Aussi m'apparaît telle totalement nécessaire, d'autant qu'elle réduira les risques en les mutualisant au maximum. Les principes de gestion de l'assurance vieillesse doivent-ils être revus ? Je crois qu'il est possible d'inventer une gestion à long terme conforme au paritarisme. La recherche d'une rentabilité élevée n’est pas incompatible avec des fonds contrôlés par les partenaires sociaux à condition que la gestion soit assurée par des professionnels. Les fonds de retraite peuvent donc être un élément de refonte des relations entre salariés et employeurs à travers la création de conseils d'administration paritaires pour les futurs fonds de retraite.

Il y a aujourd'hui une inégalité fondamentale entre les différentes catégories d’actifs, seuls les salariés du privé étant, pour l’instant, privés de la possibilité de bénéficier de la capitalisation.

L'exemple anglo-saxon et la gestion à la française

Fonds de pension à l’anglo-saxonne
Philippe Auberger, ancien rapporteur général du budget (député RPR de l’Yonne)

Aux États-Unis, 54 millions de salariés sont couverts par les fonds de pension. Les fonds américains possèdent environ 25 % du capital des plus grandes entreprises américaines. Mais ils se sont beaucoup internationalisés : 50 milliards de dollars sont investis chaque année à l’étranger.

Avantages : la transparence et « l’entrisme » - S’ils ne participent pas aux conseils d’administration, les détenteurs de fonds de pension sont très actifs lors des assemblées générales et très exigeants en termes d’information financière. Ils exigent la plus grande transparence et n’hésitent pas à remettre en cause les dirigeants. Il sont, en outre, très attentifs à la protection des actionnaires minoritaires.

Inconvénients : les inégalités et le chômage - Les fonds de pension ont une attitude paradoxale dans la mesure où les rendements financiers qu’ils réclament poussent les entreprises à se séparer d'un certain nombre de salariés, se privant ainsi de cotisants potentiels. En outre, les fonds de pension sont plus favorables aux épargnants les plus aisés, dans la mesure où le montant des cotisations est le plus souvent libre.

Les formes de gestion à la française
Jean-Claude Boulard (député PS de la Sarthe)

Déjà aujourd’hui, 40 % des actifs des grands groupes industriels français sont détenus par les fonds de pension américains.
Cela signifie que l’effort des travailleurs de Renault contribue au financement des retraites des Américains.
Il serait impensable que la France ne se dote pas d’outils qui lui permettraient, à elle aussi, de profiter de la croissance mondiale.

Gestion paritaire : pour assurer l’égalité, les structures devront être de nature paritaire. Mais on peut se demander légitimement qui est plus compétent pour assurer la gestion. Un certain nombre de diplômés éminents des meilleurs écoles ont fait la preuve, ces dernières années, de leur incompétence en perdant des milliards de francs. Au contraire, les organismes paritaires en charge de la gestion des fonds par répartition ont fait preuve de qualité de transparence et de sérieux.

Jacques Barrot, ancien ministre (député UDF de la Haute-Loire)

Gestion par les professionnels. Il faut combiner gestion par les professionnels et contrôle par les partenaires sociaux. Nous pourrions ainsi rendre triplement service aux entreprises françaises en leur faisant mieux comprendre la différence entre l’intérêt social et l’intérêt des actionnaires, en obligeant les dirigeants à se remettre en cause en permanence et en renforçant leurs fonds propres. Les fonds de retraite constitueraient alors pour les partenaires sociaux non pas une menace directe du capitalisme anglo-saxon mais une nouvelle redistribution des pouvoirs au sein des entreprises.

Les syndicats : oui… sauf FO

La CGT vient de rejoindre la même ligne que la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC en se déclarant prête à examiner des fonds de pension dès lors qu’il s’agirait de compléter le système existant. La CGT jugera « sur pièces ». En revanche, FO de Marc Blondel campe sur un refus de principe.

La Croix, 19 décembre 1998

Partagez-vous les analyses alarmistes du commissariat au plan sur le financement des retraites (lire La Croix du 17 décembre) ?

Philippe Douste-Blazy. - L’allongement de l'espérance de vie et la réduction de l'écart entre le nombre des actifs et celui des inactifs va nous contraindre à trouver 300 milliards de francs par an pour équilibrer le système par répartition, d’ici à vingt ans. Sans réforme, il faudrait, entre 2005 et 2015, augmenter de 4,3 points les cotisations des salariés du privé, de 10 points celles des fonctionnaires civils et de 16 points celles des agents des collectivités locales. A l’évidence, c'est inacceptable car la France est déjà le pays de l'Union européenne où les cotisations sociales sont les plus élevées.

Que proposez-vous ?

Le système par répartition ne doit pas être remis en cause, mais être renforcé par un nouvel échelon, celui de l’épargne-retraite, qui permettra à chacun, aidé par l'entreprise et l'État par le biais d’aides fiscales, de mettre de l'argent de côté et de le récupérer le moment venu sous forme de capital ou de rente.

Allez-vous alors soutenir le projet du gouvernement de création d'un fonds de pension ?

N’inversons pas les positions ! Cela fait longtemps que l'opposition actuelle plaide pour des fonds de retraite. Lorsque que j'ai posé une question à Dominique Strauss-Kahn à l’Assemblée sur ce sujet, il m'avait répondu qu'il n'en était pas question. Nous assistons aujourd'hui à une volte-face du gouvernement, je m’en réjouis. En janvier, le groupe UDF défendra une proposition de loi proposons la création de fonds de pension, obligatoires et cogérés par les partenaires sociaux. Une fois encore, nous serons en avance sur le gouvernement.

Les fonds de pension ne risquent-ils pas de créer des inégalités entre salariés ?

Les inégalités, c'est aujourd'hui qu'elles existent ! Inégalités devant l'âge de la retraite (50 ans à la SNCF, 60 ou 65 ans ailleurs), devant la durée de cotisation (37 ans et demi dans la fonction publique, 40 ans dans le privé), devant la certitude d'avoir une retraite et la possibilité de se constituer une épargne-retraite.

L'expérience a montré qu'il est difficile de s'en prendre aux régimes spéciaux.

S’il était normal d'accorder la retraite à 50 ans à des conducteur de locomotives à charbon, dont l'espérance de vie était de 54 ans, on peut légitimement se demander si cela se justifie toujours pour des conducteur de TGV.
La méthode est importante. Il ne s'agit pas dans mon esprit à supprimer un avantage à ceux qui en bénéficient aujourd’hui, mais de le remettre progressivement en cause pour les nouveaux arrivants dans la profession. Si rien n'est fait, nous irons tout droit vers un conflit entre générations.