Texte intégral
O. de Rincquesen : Peut-on entrevoir le bout du tunnel quand on est dans un train qui ne roule pas ?
A. Lamassoure : Je pense qu’après la journée d’aujourd’hui qui est évidemment une journée de fortes manifestations, compte tenu des contacts et des conversations approfondies qui ont eu lieu hier à Matignon, on peut espérer que les choses devraient s’améliorer.
O. de Rincquesen : Pour les cheminots vous avez pratiquement tout lâché : sur le contrat de plan, sur les régimes de retraites ?
A. Lamassoure : Nous avons fait des ouvertures qui sont très importantes puisque le Premier ministre avait constaté la semaine dernière qu’il y avait un vrai problème particulier à la SNCF, le dialogue social ne fonctionnait pas. C’est ce qu’a confirmé le médiateur M. Mattéoli.
Dans ces conditions, comme il y avait un malentendu complet, le Premier ministre a annoncé deux choses : premièrement, sur le contrat de plan qui doit déterminer d’après la loi, tous les quatre ans, les relations entre l’État et la SNCF, ce contrat est gelé et on va le reprendre tranquillement en négociant avec les syndicats.
O. de Rincquesen : Sur les régimes spéciaux ?
A. Lamassoure : Deuxièmement, sur les régimes spéciaux de retraite, de la même manière, la procédure d’examen qui avait été proposée par la commission Le Vert, avec des conversations avec les syndicats, cette procédure est abandonnée en ce qui concerne la SNCF. Ce qui veut dire que, quand on examinera le problème du régime des retraites, on le fera d’emblée avec les représentants des cheminots.
O. de Rincquesen : Les cheminots ont-ils encore un moindre motif pour continuer ce mouvement de grève ?
A. Lamassoure : Mon sentiment est que non, puisque l’origine de ce qui a été la crise à la SNCF a maintenant disparu ; il y a maintenant du grain à moudre comme disent les syndicalistes.
O. de Rincquesen : Êtes-vous prêts à payer les journées de grève pour accélérer un mouvement de reprise ?
A. Lamassoure : Non, c’est un principe de base où à partir du moment où on fait grève on n’est pas payé.
O. de Rincquesen : Sur les régimes de retraite : faut-il comprendre que les 5 millions d’agents de la fonction publique ne sont pas concernés par la réforme des retraites ?
A. Lamassoure : Ça ne veut pas dire que la réforme n’aura pas lieu. Elle n’a pas lieu immédiatement mais elle est nécessaire et sur ce point le Premier ministre dit à de nombreuses reprises qu’il était prêt à toutes les ouvertures et à toutes les conversations et qu’il n’est pas prêt à mentir aux Français. Tous les régimes de retraite en France sont déséquilibrés à cause de l’évolution démographique. Ce sont les actifs d’aujourd’hui qui paient les retraites des retraités d’aujourd’hui. Or comme avec la chute de la natalité nous savons que dans 20 ans il y aura moins d’actifs, c’est maintenant qu’il faut se poser le problème de l’avenir des régimes de retraite. On a réglé le problème des retraites du secteur privé sous le gouvernement Balladur, il faut maintenant examiner les 19 régimes différents de retraite du secteur public. On le fera avec les intéressés, on ne fera rien sans eux.
O. de Rincquesen : Qui supportera l’effort puisqu’on ne le demandera plus aux fonctionnaires en tout cas pas maintenant puisque ça les fâche tant ?
A. Lamassoure : Il faudra un effort comparable pour l’ensemble des Français, c’est ce qu’on appelle la justice sociale, selon des modalités qui seront déterminées directement avec les intéressés.
O. de Rincquesen : Pour ce qui est de la rencontre avec les syndicats sur l’emploi : est-on sûr qu’elle aura lieu la semaine prochaine et ensuite pourquoi n’a-t-elle pas lieu plus vite ?
A. Lamassoure : Elle aura lieu et nous nous en réjouissons car depuis quelque temps la volonté du Gouvernement, telle que nous l’avions exprimée, était de sortir de cette crise par le haut.
Ce qui est un peu frappant dans les conflits sociaux depuis 3 semaines, c’est qu’ils concernent surtout des salariés qui ont la garantie de l’emploi ; qui ont certes des problèmes spécifiques qu’il faut traiter mais qui ont la garantie de l’emploi. Or le problème numéro 1 de la France c’est le chômage et l’exclusion. Nous nous réjouissons de voir que les réunions d’hier ont permis de faire prendre conscience à tous qu’il fallait aussi traiter d’abord ce problème numéro 1. Un certain nombre de syndicats ont proposé une rencontre au niveau du Premier ministre pour évoquer certains sujets ; les syndicats ne sont pas d’accord sur les thèmes – et je reprends votre question « pourquoi ne pas le faire tout de suite ? » - il faut d’abord faire une réunion préparatoire qui aura lieu au niveau du ministre des affaires sociales et le Premier ministre a dit que pour par part, il souhaitait que « ça soit l’occasion de traiter prioritairement le problème du chômage, de l’emploi ». Nous consacrons aujourd’hui 138 milliards de francs à lutter contre le chômage. Comment faire en sorte qu’il y ait là-dedans, moins de dépenses dites passives pour financer l’indemnisation du chômage et plus de dépenses dites actives pour aider les travailleurs à retrouver un emploi.
O. de Rincquesen : Le Gouvernement a-t-il conscience que pour beaucoup de personnes on a atteint les limites du supportable, au moins en région parisienne ?
A. Lamassoure : Bien sûr ! nous en sommes tout à fait conscients. C’est pourquoi on a essayé de développer des transports de substitution, des services postaux de substitution, nous avons aussi donné des instructions aux services fiscaux, nous sommes en relation avec l’Association française des banques, de manière à ce que les entreprises dans leur fonctionnement quotidien soient le moins gênées. Mais il est vrai que plus la grève dure et plus cela est coûteux en difficultés quotidiennes pour les usagers et en chiffres d’affaires pour les entreprises, surtout pour la période de Noël.
O. de Rincquesen : Pourquoi le conseil des ministres n’a-t-il pas autorisé l’autre jour Alain Juppé à engager la responsabilité du Gouvernement ?
A. Lamassoure : Ceci a été fait le jour où le conseil des ministres a adopté le projet de loi d’habilitation qui permettra au Gouvernement de légiférer par ordonnances pour sauver la Sécurité sociale de la banqueroute qui la menaçait à court terme.
O. de Rincquesen : Pensez-vous que l’on va sortir de cette situation ?
A. Lamassoure : Oui et comme je l’ai dit nous souhaitons en sortir par le haut, c’est ce qui a été obtenu en matière universitaire où, non seulement on n’en parle plus aujourd’hui mais le problème est réglé. Les moyens de rattrapage ont été accordés et où le ministre des universités a saisi cette occasion pour mettre en place une structure de préparation d’une réforme de fond de l’université. Il faut à partir de cette crise en tirer les enseignements et essayer de s’attaquer à d’autres problèmes de fond très importants pour notre économie, et notamment le problème du chômage.
O. de Rincquesen : Que répondez-vous à ceux qui vous demandent si A. Lamassoure croit au Père Noël.
R. :Ce n’est pas croire au Père Noël que croire, qu’espérer que la France est capable de se réformer, même si parfois elle le fait dans la douleur.