Texte intégral
Date : 31 août 1995
Source : La Voix du Nord
La Voix du Nord : un secrétariat d’Etat à l’Enseignement scolaire, à quoi ça sert ?
Françoise Hostalier : Il n’y a qu’un seul ministère de l’Education nationale, et le ministre c’est François Bayrou. Cela dit, cette structure est énorme, peut-être la plus grosse du genre au monde… Il y a donc trois secrétaires d’Etat qui épaulent le ministre. Par rapport à mes deux collègues, il est vrai, ma position est un peu particulière : car Jean de Boishue et Elisabeth Dufourcq traitent des thèmes bien repérés, l’enseignement supérieur pour l’un, la recherche pour l’autre. De fait, ils ont une certaine autonomie.
Moi, dans ce dispositif, j’occupe en quelque sorte la place qui revenait à François Bayrou dans le gouvernement précédent : en relation avec lui, je m’occupe de tout ce qui concerne l’école, publique ou privée, de la maternelle au lycée, classes post-bac incluses. Nous partageons les dossiers. Sinon, je me suis gardé quelques dossiers particuliers qui me tiennent à cœur…
Q. : On vous dit en effet très intéressée par les questions de l’alimentation des jeunes, de la violence à l’école, de la prévention de la toxicomanie…
R. : J’ai trois enfants, adolescents, sains, ouverts, ni plus intelligents, ni plus bêtes que d’autres. Et je sais que personne n’est à l’abri de certains de ces dangers.
Q. : Après trois mois de fonction, avez-vous des propositions concrètes, sur la violence, par exemple ?
R. : Pas encore. Trop souvent, les « politiques » font des réponses à chaud, moi, je veux faire quelque chose de réfléchi. Il faut, par exemple, prendre le temps de comprendre, comme le fait dans cette académie le réseau GASPAR, ce qui génère un acte de violence.
Prenons le cas d’un gamin qui arrive en retard à l’école, à cause du bus, il n’est pas responsable, il n’est pas responsable. Il déboule en classe, le prof est un peu énervé, il l’envoie chercher un billet. Le conseiller d’éducation est occupé, cela prend un quart d’heure, le gosse retourne en classe et, à bout, claque la porte et jette son cartable. Le prof le met dehors… Voilà comment une situation a priori banale a dégénéré.
C’est l’accumulation d’une quantité de petits détails tout au long de la journée qui crée les conditions de l’explosion. De même, dans la salle de profs, si les fauteuils sont défoncés, la photocopieuse en panne…
Cela peut engendrer une mauvaise ambiance de travail, les profs sont à cran, comment ne pas craindre que ça dégénère.
Sans compter les vrais problèmes qui se banalisent : des jeunes qui ne communiquent plus que par grossièretés, on n’y fait même plus attention. Finalement, on s’habitue à l’irrespect, à vivre sans norme. On ne peut pas continuer. Un pro sévère, c’est un prof qui aime ses élèves. On doit pouvoir parler de valeurs la tête haute.
Q. : Alors, comment renverser la tendance ?
R. : Je vais réunir une commission chargée de faire des propositions. Ensuite, nous pensons organiser une semaine sans violence à l’école, entre les vacances de février et de Pâques, avec tous les partenaires concernée…
R. : Vous avez raison, au départ je pensais à une journée. Mais les enseignants m’ont dit : « Pour faire un vrai travail sur ce sujet, il faut au moins une semaine d’action et de réflexion ». Je compte que beaucoup de choses viennent des jeunes, spectacles, films, dessins, présentés aux parents… Mais ils ne sont pas les seuls concernés : pourquoi pas, même temps, une semaine sans violence à la télé…
Q. : Et la drogue ?
R. : Là, c’est une année sans drogue qu’il faudrait décider ! La consommation est en constante progression. Celui qui me dirait, « Chez moi, il n’y en a pas », je lui répondrais « Vous avez mal cherché ».
Le gouvernement va prendre des mesures, cela dépasse l’école. Pour notre part, plus un enseignant ne devrait quitter l’IUFM sans connaître les outils à sa disposition pour lutter contre la toxicomanie. Dans les zones, on pourrait sensibiliser les élèves de CM2, avec des cassettes vidéo, comme cela se fait déjà en collège.
Q. : Le sujet est moins grave, mais vous êtes aussi très préoccupée par la manière dont s’alimentent les jeunes…
R. : Je souhaite monter une action nationale sur le petit déjeuner. On fera une expérience, dès cette année, dans le Nord, département pilote. L’idée, c’est d’organiser ce repas à l’école, un samedi matin, en présence des parents, et avec le concours de tous les professionnels : boulangers, industrie laitière…
Autre souci, la restauration scolaire. Là, je vais faire beaucoup de terrain, et m’inviter à manger dans les établissements pour montrer aux parents que la cantine, est bien. Mes enfants y ont toujours été inscrits ; quand on et pressé, on y mange mieux qu’à la maison…
Date : 31 août 1995
Source : Mon quotidien
Mon quotidien : Vous souhaitez que les enfants réapprennent la Marseillaise à l’école. Pourquoi ?
Françoise Hostalier : Quand je suis allée aux Jeux de l’Avenir, à Epinal, j’ai remarqué que les enfants français ne savaient pas se comporter quand on jouait leur hymne national. Ils couraient, ne chantaient pas. Aux Etats-Unis, à l’ouverture des parcs d’attractions, tout le monde chante l’hymne national, la main sur le cœur. Sans tomber dans cet excès, je pense que les enfants doivent savoir qu’ils font partie d’une nation. L’hymne national porte les valeurs de la France. C’est à l’Education nationale de le leur apprendre.
Mon quotidien : Vous envisagez d’autres mesures dans ce sens ?
Françoise Hostalier : Je souhaite que le drapeau français soit installé sur le fronton de chaque école. Actuellement, il n’est posé qu’à l’occasion des cérémonies. Du coup, les enfants se demandent à quoi il sert. Lui aussi porte les valeurs de la France Toujours dans le même sens, je souhaite réécrire la phrase de morale en haut du tableau, dans les classes. Pour vivre ensemble, en société, il faut se souvenir qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire. Il faut respecter des codes.
Date : 6 septembre 1995
Source : Mon quotidien
Mon quotidien : L’entrée en 6e a-t-elle été un cap pour vous ?
Françoise Hostalier : J’étais contente d’entrer en 6e. Je crois que ma mère avait plus peur que moi ! J’ai été surprise car pour la première fois je me trouvais dans une classe mixte. Sinon, mes souvenirs d’entrée en 6e sont liés à mon vélo. Je faisais 6 kilomètres pour aller en classe car il n’y avait pas d’autobus. Je parcourais aussi 16 kilomètres au retour, plus 12 kilomètres à l’heure du déjeuner car il n’y avait pas de cantine. En tout, je faisais 24 kilomètres de vélo par jour pour aller à l’école !
Mon quotidien : Étiez-vous heureuse de commencer l’anglais ? Le parlez-vous couramment aujourd’hui ?
Françoise Hostalier : Oui. Ça me plaisait d’apprendre une langue étrangère. Aujourd’hui, je comprends l’anglais, je le lis et je me fais comprendre. Mais j’aurais aimé le pratiquer d’une manière parfaite.
Mon quotidien : Séchiez-vous les cours ?
Françoise Hostalier : Non. Jamais.
Mon quotidien : Avez-vous triché en classe ?
Françoise Hostalier : Jamais. J’en aurais été tout à fait incapable. Quand on ne comprend pas, ç a ne sert à rien de tricher.
Mon quotidien : Aviez-vous des matières préférées ?
Françoise Hostalier : Oui, les maths et la physique.
Mon quotidien : Une matière détestée ?
Françoise Hostalier : Les dictées. J’étais nulle en orthographe. Je me souviens qu’en 6e mon prof de français disait à ma mère que je faisais des progrès. J’obtenais des 0 alors qu’auparavant il m’arrivait d’avoir moins 20 !
Mon quotidien : Aviez-vous un prof préféré ?
Françoise Hostalier : J’adorais mon prof de français, M. Baillet. Il m’a beaucoup marquée. C’est sûrement un peu grâce à lui que je suis devenue prof.
Mon quotidien : Que faisiez-vous à la récré ?
Françoise Hostalier : Je jouais à la balle au mur. Je jonglais avec deux ou trois balles. Et je jouais aux billes, j’étais très forte aux billes.
Mon quotidien : Quelle musique écoutiez-vous en entrant en 6e ?
Françoise Hostalier : Je n’avais pas d’électrophone. J’écoutais seulement de la musique classique. Sur le vieil électrophone de mes parents.
Date : 26 octobre 1995
Source : Le Figaro
Le Figaro : Quelle est l’ampleur du phénomène de malnutrition chez les élèves ?
Françoise Hostalier : Environ 10 % des enfants seraient ma nourris. Or, déjà, prendre ou ne pas prendre de petit déjeuner le matin n’est pas anodin ; cela a des conséquences immédiates sur l’attention des élèves pendant les cours de la matinée.
Le Figaro : Quelles mesures préconisez-vous pour remédier à cette situation ?
Françoise Hostalier : L’école est simplement le lieu où l’on met au jour un peu plus facilement ce phénomène de malnutrition. Si elle ne peut pas résoudre directement, elle peut pas résoudre directement ce problème, elle peut, cependant, aider à déceler les cas d’enfants mal nourris et, en collaboration avec les collectivités territoriales, chercher des solutions au cas par cas.
La cantine scolaire peut avoir, d’une part, un rôle pédagogique – il s’agit d’apprendre aux enfants à avoir une alimentation équilibrée ; et, d’autre part, fournir aux plus défavorisés au moins un repas de qualité par jour. En moyenne un enfant sur deux déjeune à la cantine. C’est donc un des temps forts de la vie scolaire.
Dès le mois de décembre, je vais engager, dans quatre ou cinq villes du Nord-Pas-de-Calais, une expérience pilote sur le petit déjeuner. Parents et enfants seront conviés à l’école pour un petit déjeuner équilibré au cours duquel il leur sera remis des documents simples sur l’équilibre alimentaire. Cette matinée sera précédée d’une phase de sensibilisation réalisée par les enseignants. Une action similaire sera ensuite menée au niveau national.
Date : novembre 1995
Source : Le Monde de l’éducation
Le Monde de l’éducation : Vous aviez affiché comme priorité de cette rentrée la lutte contre la violence et la toxicomanie ? Où en sont ces dossiers.
Françoise Hostalier : Nous sommes en train de préparer une semaine de réflexion sur la violence à l’école, qui aura lieu du 25 au 30 mars 1996. Nous avons constitué des groupes de travail sur ces sujets et nous avons complété ces deux dossiers par un volet sur la maltraitance, à l’intérieur et à l’extérieur de l’institution. Il faut que l’institution prenne ses responsabilités par rapport à ces problèmes. Nous allons mettre en place de médiateurs internes à l’éducation nationale, auxquels les enseignants pourront s’adresser. Quant à la maltraitance externe, subie par les enfants dans leur famille notamment, il faut que les enseignants sachent mieux quelle attitude adopter face à ces phénomènes. Nous allons donc fortement incite IUFM à prévoir un module « vie scolaire », obligatoire dans les enseignements. Ceux qui existent actuellement sur ces sujets sont facultatifs. Les jeunes enseignants ne sont pas armés pour déceler les signes de la maltraitance chez des enfants qui, de plus en plus souvent, font tout pour dissimuler leur situation. Nous devons aussi préparer les enseignants à prendre leurs responsabilités en cas de découverte d’une situation de maltraitance. Il faut leur expliquer clairement le déroulement d’une procédure. L’institution doit aussi les protéger dans leurs démarches. Lors d’un témoignage, il faut leur expliquer clairement le déroulement d’une procédure. L’institution doit aussi les protéger dans leurs démarches. Lors d’un témoignage, il faut qu’ils parlent au nom de l’institution et non pas en tant que témoins isolés. Enfin, je veux aussi développer la coopération avec des associations dont nous aurons vérifié le sérieux et le rôle social. Au niveau de la violence, de la toxicomanie, des comportements adolescents, nous avons ressenti un besoin de directives claires de la part des enseignants. Ils ont besoin de savoir quoi dire et quand le dire, lorsqu’ils sont face à ces phénomènes. Dès le CM2, la politique de prévention-santé doit aborder les risques extérieurs (drogue, rackets, perversions, diverses, violences). Mais, c’est aux enseignants de tenir le langage adéquat en fonction de leur environnement. Tous les élèves ne sont pas confrontés à tous ces risques.
Le Monde de l’éducation : D’autres aspects de l’environnement des enfants semblent avoir retenu votre attention depuis votre arrivée rue de Grenelle. Quelle peut-être l’action du ministère sur des problèmes tels que la malnutrition par exemple ?
Françoise Hostalier : On estime à près de 10 % le nombre d’enfants qui seraient mal nourris. Et quel enseignant n’a pas constaté qu’à partir de 11 heures du matin il s’adressait aux murs faute d’obtenir l’attention des élèves ? Entre ceux qui viennent de milieu rural et se lèvent tôt pour venir au collège ou au lycée et ceux de certaines banlieues défavorisées qui souffrent de malnutrition, les besoins existent. Aussi, avec l’aide des collectivités locales, des entreprises et des parents, j’aimerais développer l’organisation de petits déjeuners dans tous les établissements scolaires de quatre ou cinq villes du Nord dès décembre, et au niveau national dès janvier. Nous verrons ensuite comment, localement, prolonger ces actions. De plus, commencer la journée par un petit déjeuner en commun crée un sas d’entrée dans l’école ; une activité de transition qui permet aux élèves de laisser à la porte de l’établissement leurs problèmes et leur environnement.
Nous parrainons par ailleurs une action sur la nutrition dans les écoles. Il s’agit d’une étude menée dans le Nord auprès de mille élèves. Lancée il y a trois ans dans les villes de Fleurbaix et Laventie, l’opération, qui vise à intégrer la nutrition dans les programmes actuels, doit se dérouler durant encore deux années et devrait permettre d’observer si l’on peut, par la pédagogie, modifier les pratiques alimentaires des enfants et de leur famille, et au-delà diminuer les risques de certaines maladies. Les programmes pédagogiques réalisés grâce à la collaboration entre enseignants et scientifiques sur cette étude pourraient être diffusés à l’ensemble des enseignants. Enfin, je souhaiterais mettre en place une journée nationale annuelle « Nutrition à l’école ».
Le Monde de l’éducation : À votre arrivée au ministère, vous aviez annoncé qu’une attention particulière serait portée aux problèmes d’orientation…
Françoise Hostalier : Nous en sommes au stade de la réflexion. Un groupe de travail, composé notamment de chefs d’entreprise, réfléchit sur les méthodes les plus efficaces pour faire connaître l’entreprise et les métiers aux élèves. A la rentrée prochaine, nous allons lancer, en collaboration avec La Cinquième, des spots présentant différents métiers. Pour l’heure, le Nouveau Contrat pour l’école prévoit de dispenser de l’information sur l’orientation dès la classe de cinquième. Enfin, j’invite les rectorats et les établissements à faire preuve d’imagination et à faire remonter leurs initiatives afin de constituer une sorte de bourse aux idées.
Le Monde de l’éducation : Lors de l’installation du nouveau gouvernement avait été évoquée l’idée d’un « collège hors les murs » comme voie d’orientation pour les élèves en grande difficulté. Où en est ce projet ?
Françoise Hostalier : Nous faisons remonter des informations concernant les expériences qui marchent. Ce « collège hors les murs » devrait pouvoir fonctionner à la fois pour les élèves en grande difficulté sociale qui ne parviennent pas à s’adapter au milieu scolaire, mais le concept pourrait aussi s’appliquer aux élèves précoces. Pourquoi ne pas imaginer qu’un enfant doué suive un cours adapté là où il développe de grandes capacités, tout en restant dans un cadre scolaire avec des enfants de son âge le reste du temps ?
Le Monde de l’éducation : Ce premier trimestre est marqué par le mécontentement des directeurs d’écoles, inquiets de voir quelque 3 500 écoles victimes de la désaffectation des enseignants pour la fonction de direction. Quelle réponse leur apportez-vous ?
Françoise Hostalier : Un allègement des tâches administratives qui incombent aux directeurs d’école est désormais nécessaire. Il arrive que des services administratifs différents leur demandent trois fois le même formulaire. Mais, étant donné le contexte budgétaire, nous ne pourrons pas satisfaire les demandes d’augmentation d’indemnités liées à la fonction de direction. Une négociation est ouverte à ce sujet.
Le Monde de l’éducation : L’aménagement des rythmes scolaires a de nouveau fait l’actualité au début du mois d’octobre, grâce à la présentation par votre collègue Guy Drut, ministre de la jeunesse et des sports, d’initiatives locales. De quelle manière l’éducation nationale participe-t-elle au débat ?
Françoise Hostalier : Il ne faut tout d’abord pas oublier que les initiatives qui ont été présentées se déroulent dans … l’école et qu’elles sont en œuvre depuis un certain temps pour la plupart d’entre elles. Je suis pour ma part favorable à toutes les expérimentations, dès lors que les communes peuvent assumer et que les enfants sont encadrés les après-midi. La commission Fauroux, chargée notamment de ce dossier, analysera les expérimentations. Sur ce problème des rythmes scolaire, je n’ai pas de philosophie toute faite : à chacun selon ses moyens, son climat, ses traditions.
Le Monde de l’éducation : Cette rentrée n’a apparemment pas donné lieu à des problèmes liés au port du foulard islamique par de jeunes filles. Comment l’expliquez-vous ?
Françoise Hostalier : Il est vrai que pour le moment il y a moins de problèmes que ces deux années précédentes. Il semble que, malheureusement, le contexte des attentats ait calmé les tentatives de certaines jeunes filles. La circulaire de François Bayrou doit être appliquée. Cependant, il faut surtout dialoguer et convaincre. Pour ma part, j’estime qu’il s’agit plus d’un problème d’image de la femme dans la société que d’un problème de religion. Aussi j’estime que l’école laïque, l’école de la République, l’école de l’égalité des chances et de l’intégration doit réaffirmer ses valeurs, celles des droits de l’homme et de la femme. L’instruction civique à l’école y contribue.