Conférence de presse de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur les objectifs de la conférence euro-méditerranéenne de Barcelone et l'évolution du processus de paix israélo-palestinien, Paris le 23 novembre 1995.

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Intervenant(s) : 

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, merci d’être venus. Je comprends que je vous ai fait attendre. Je vous en présente toutes mes excuses. Je viens de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, à laquelle j’ai rendu compte des travaux de Dayton. Cela a été malheureusement un peu plus long que prévu, mais cela a été aussi improvisé en fonction d’un calendrier qui était postérieur à la décision que nous avions prise de vous suggérer de nous réunir.

Je le fais, en réalité, surtout pour vous faciliter la tâche, c’est-à-dire pour vous permettre de préparer vous-mêmes ce que vous ferez avant et pendant Barcelone. Donc, c’est un point de presse qui me semblait utile pour éclairer vos propres travaux.

Je crois que cette conférence de Barcelone est un événement très ambitieux et très important. Je crois que c’est en réalité une grande date, que sans doute, sauf si vous faites de grands efforts, les opinions publiques auront du mal à mesurer comme un grand événement. Mais c’est en réalité, un événement fondateur. C’est en effet la première fois que se trouveront réunis autour de la même table la quasi-totalité des pays du pourtour méditerranéen et l’Union européenne pour parler de l’avenir.

Le conflit israélo-palestinien a rendu cela impossible pendant de longues années. Le poids des Etats-Unis dans la recherche d’une solution à ce conflit a fait qu’en réalité, la Méditerranée est devenue une mer d’influence extérieure. Pour la première fois, les pays méditerranéens se retrouvent ensemble pour parler de l’avenir et pour décider entre eux de ce qu’ils veulent faire. C’est en cela que la conférence de Barcelone est un acte fondateur de quelque chose d’entièrement nouveau. C’est rendu possible parce que le processus de paix israélo-palestinien en est où il en est, même s’il n’est pas achevé et que du coup, les rapports mutuels entre les pays du pourtour méditerranéen. Je ne vais pas ici évoquer les difficultés, par exemple, de la Turquie avec certains de ses voisins, les difficultés au sein du Maghreb, les relations complexes de la Libye avec ses voisins. Donc tout n’est pas terminé, mais déjà les choses sont suffisamment avancées pour que les douze pays dits du sud, bien qu’ils ne soient pas tout du sud, à commencer par la Turquie, et les quinze de l’Union européenne, dont évidemment les quatre pays européens de l’Union, trouvent possible et utile de se retrouver autour de la même table.

Donc, c’est un événement considérable. L’ambition de Barcelone est à la mesure de cet enjeu formidable puisque vous savez qu’en effet, nous avons décidé que cette conférence de Barcelone se tiendrait en trois tables rondes successives qui traiteront des trois grands sujets de l’avenir de la Méditerranée, c’est-à-dire les aspects politiques et de sécurité d’une part, les aspects économiques et de développement d’autre part et les aspects du développement humain enfin.

Voilà pourquoi, encore une fois, je crois que cet événement est fondateur et qu’il faut placer en lui beaucoup d’espoir. Alors, naturellement, il y a un certain décalage entre ce que je décris devant vous qui est un peu idyllique, mais parce que je crois qu’il y a tout cela dans ce qui va se passer et puis ce qu’on fera à Barcelone qui sera le commencement d’une démarche et forcément, ce premier pas sera quant à lui probablement modeste mais il sera décisif. Et je constate que d’ores et déjà, tout le monde est tombé d’accord pour que ce ne soit pas une conférence mais la première d’un processus, pour que ce soit suivi ensuite d’autres conférences à un rythme qui reste à déterminer, probablement tous les deux ans, pour que les groupes de travail soient installés sur l’ensemble des sujets qui auront été évoqués, de sorte qu’entre deux conférences les choses avancent, et pour qu’il y ait un comité de suivi. Il y a encore les discussions sur les modalités pratiques, mais on voit à peu près. Il y avait une discussion, faut-il créer un secrétariat permanent, où faut-il le mettre ? Bon, finalement, tout le monde est tombé d’accord pour faire simple. Un comité de suivi, c’est bien. On en est à cette perspective. Mais cela veut dire qu’il y aura après la conférence du travail fait entre experts et puis une autre conférence à venir dont la période sera fixée et à laquelle ces experts rendront compte. Donc, on engage bien un processus sur les trois sujets.

La France proposera d’ailleurs à cette occasion que la prochaine réunion ait lieu au niveau des chefs d’Etat et qu’elle se tienne dans un des pays du sud.

Sur le fond maintenant, quelques éléments. D’abord en matière de politique et de sécurité, c’est la France, en l’occurrence moi-même qui présenterai le point de vue de l’Union européenne et j’y proposerai l’élaboration d’un pacte pour la Méditerranée afin que nous ayons dans l’idée, probablement en s’inspirant de ce qui a été fait en Europe centrale et orientale, pour l’ensemble de l’Europe, un dispositif permettant par des mesures de confiance appropriée, par des mesures de sécurité, par un code de bonne conduite, que sais-je encore ? Par des actions préventives de la diplomatie, de régler les conflits à venir. Non pas le conflit israélo-palestinien qui, lui, fait l’objet d’un processus de paix autonome, mais des conflits, les tensions et les éléments de désaccord entre les Etats qui pourraient surgir.

Je crois que ce serait un élément très important. De même, dans le domaine économique et financier, nous souhaitons nous poursuivre trois objectifs. D’abord la modernisation des économies du sud. Vous savez que nous proposons à nos partenaires d’accompagner ce mouvement dans le cadre des accords d’association dits de nouvelle génération avec eux. Nous avons déjà l’accord euro-tunisien, nous avons l’accord euro-marocain qui vient d’être mené à bonne fin. Nous avons des négociations avec l’Egypte. Donc, il y a un processus qui est engagé. Ensuite, deuxième objectif, développer les relations entre les pays du sud. Vous savez que ces relations économiques sont, pour l’instant, squelettiques. Ce sont les relations entre nos marchés et les pays du sud de la Méditerranée qui existent mais entre eux, les relations sont très faibles alors qu’il y a beaucoup de sujets sur lesquels ils ont beaucoup de travail à faire en commun, qu’il s’agisse d’énergie, de transport, de télécommunications, etc. et troisièmement, l’Europe exprimera à cette occasion sa disponibilité à aider les pays du sud de la Méditerranée, dans la foulée du Conseil européen de Cannes. Comme vous le savez, la France a obtenu, non sans peine, qu’un montant de 4,7 milliards d’écus sur cinq ans soit affecté sous la forme de dons au décollage des économies du sud, soit un quasi quadruplement de l’effort consenti par l’Union par rapport à la période précédente. Naturellement, tout cela ne réussira que si cela provoque des mouvements de capitaux privés qui seuls sont capables de provoquer vraiment l’émergence de ces économies.

Enfin, nous défendrons pour la troisième table ronde le partenariat social, culturel et humain. Notre ambition est que nous travaillions ensemble à lutter contre les maux communs (le terrorisme, la criminalité, la drogue, l’immigration clandestine) et aussi que nous travaillions ensemble sur une problématique d’émigration à longue durée et que nous travaillions aussi à tout ce qui concerne l’immense domaine de la formation des hommes et des coopérations concrètes qui peuvent être conduites entre le Nord et le Sud à cet égard notamment avec les collectivités territoriales et avec les universités ou les médias.

Tel est le projet ! Je ne veux pas vous donner l’impression que j’exagère dans l’importance de cette rencontre de Barcelone. Je le répète, ma modeste expérience me montre que dans ces rencontres, les choses bougent relativement peu, que la visibilité de tout cela est modeste. Mais je le répète, j’espère que ce sera l’occasion de mettre en route un processus important, qui ne s’arrêtera pas et qui permettra que progressivement nous ouvrions une ère nouvelle pour la Méditerranée. Voilà l’idée, voilà l’ambition et voilà le premier pas que nous essayons d’accomplir ensemble dans ce but.

Voilà Mesdames et Messieurs.


Q. : Peut-il y avoir un rôle pour les pays du Golfe par rapport à cette conférence ?

R. : Oui c’est possible. Tout est concevable et possible mais vous savez que ça n’est pas dans ce cadre-là que s’organiseront les coopérations avec d’autres pays. C’est un exercice méditerranéen et, ceci dit, si par exemple les pays du Golfe veulent contribuer à l’effort commun, c’est possible.

Q. : Cette conférence de Barcelone vient à la suite de la conférence d’Amman qui elle-même a suivi la conférence de Casablanca. Y voyez-vous une complémentarité ou une certaine concurrence entre des deux types de réunion ?

R. : Non. Il n’y a pas de concurrence. Il y a en fait plusieurs exercices qui se juxtaposent et qui peuvent dans le temps présent créer un certain sentiment de confusion, qui mérite un peu principalement, il faut bien le dire, le Moyen Orient, s’étend d’ailleurs à la zone du Golfe. Elle poursuivait comme objectif la création d’une banque, qui est en soi une bonne idée, donc c’est quelque chose de sensiblement différent. Les participants étaient très nombreux, venaient des quatre coins du monde. Tel n’est pas le cas de la conférence méditerranéenne. D’autre part, cette conférence d’Amman n’avait qu’un objet économique. Donc, il y a de nombreuses différences. C’est un exercice très différent de celui de Barcelone, non pas contradictoire, différent : pas la même zone, pas les mêmes partenaires, par les mêmes objectifs, c’est quand même un exercice tout à fait différent et il faut essayer en effet d’y voir clair. Nous avons également la conférence sur l’aide à la Palestine qui se tiendra le 9 décembre à Paris, qui concerne la Palestine spécifiquement. C’est un exercice différent, particulier, original, et puis il y a la conférence de Barcelone. Donc je ne pense pas qu’il y ait contradiction.

Q. : Est-ce que les conférences suivantes s’étendront, ou pourront s’étendre à des pays comme la Libye ou les pays de l’ex-Yougoslavie ?

R. : La non-participation de la Libye tient aux circonstances. Sa participation future ne dépend que de l’application par la Libye des demandes qui lui sont faites depuis très longtemps. La Libye peut retrouver sa place dans la communauté internationale, ça ne dépend que d’elle. Le jour où elle l’aura fait, elle retrouvera sa place dans la communauté internationale et naturellement sa place autour de la table de la Méditerranée, cela va de soi. Pour les pays de l’ex-Yougoslavie, ce n’est pas tout à fait la Méditerranée. Dans ce cas-là on peut aussi concevoir la mer Noire.

Q. : Monsieur le Ministre, quel sera le rôle des Etats-Unis dans la conférence de Barcelone ?

R. : Un rôle de spectateur, Madame. Il faut que vous éclaire un peu sur le point qui a été un objet de débat mais sur lequel l’Union européenne a fini par prendre une décision. Nous étions sollicités par un très grand nombre de pays qui souhaitaient participer, avec des statuts divers, soit comme participant à part entière, soit comme observateur, et vous savez que la diplomatie n’est pas avare d’imagination quand il faut trouver des statuts particuliers qui permettent d’être là sans y être tout à fait, donc beaucoup de pays étaient demandeurs. C’est un hommage rendu à la Méditerranée, qui a été le centre du monde pendant quatre mille ans, et qui a perdu cette fonction il y a probablement trois cents ans. Et la France était très attentive à cette idée simple : les Méditerranéens ont des choses à se dire ensemble. Ils ont du travail à faire ensemble. Ils peuvent constituer ensemble une communauté d’hommes et de femmes et avoir demain un très grand rayonnement. Ils sont sans doute capables d’être porteurs de valeurs communes ; ça ne dépend que d’eux. Mais quand on se retrouve après une si longue absence, on a envie de se retrouver, d’être ensemble, d’être entre soi, et que l’on puisse ensuite avoir des relations cordiales, chaleureuses, amicales avec d’autres, bien sûr. Mais nous étions attentifs à garder à cet exercice sa signification et sa portée et c’est pour cela que l’Union européenne a accepté notre point de vue et a décidé que seuls participeraient à la conférence les pays que j’ai indiqués. Il y aura une tribune diplomatique où tout à chacun pourra envoyer son ambassadeur et assister, en spectateur, à la conférence. Je me permets d’insister sur ce point : quand on crée une instance en Amérique ou dans le Pacifique nord, on ne pense pas un seul instant à admettre l’Union européenne, pas un seul instant. Pourquoi faudrait-il que quand ça se passe en Europe ou en Méditerranée chacun ait le droit d’être là ? Il n’y a pas d’hostilité dans cette démarche, une démarche normale qui n’enlève rien à la cordialité, à la chaleur, à l’amitié des rapports que nous avons avec tous les pays du monde mais, je répète, s’agissant de parler entre Méditerranéens des problèmes de la Méditerranée, je crois que c’est bien de le faire ainsi.

Q. : Pouvez-vous nous dire quelle rencontre bilatérale vous aurez pendant la conférence de Barcelone, en particulier si vous avez l’intention d’y rencontrer votre homologue algérien et si vous vous attendez à ce qu’il y ait aussi une rencontre bilatérale entre le ministre israélien et son homologue syrien, en marge de la conférence de Barcelone ?

R. : Ecoutez Monsieur, je ne peux guère répondre à vos questions. D’abord je ne suis pas maître des rencontres entre deux ministres des Affaires étrangères, donc pour les autres je n’ai pas d’idée, ils feront comme ils le jugeront. Pour ce qui concerne les contacts que je pourrais avec d’autres ministres, je suis naturellement tout à fait ouvert, mais nous n’avons pas encore examiné cette question.

Q. : Quelle interprétation donnez-vous à la présence de la Syrie dans la conférence de Barcelone ? A part le changement de nom et la présence d’Israël, est-ce exactement une réplique du fameux dialogue euro-arabe qui n’a jamais donné grand-chose ? Qu’est-ce qu’il y a de nouveau qui fait que cette rencontre-là, cette démarche-là, qui pourrait donner des résultats meilleurs que le fameux dialogue euro-arabe ?

R. : S’agissant de la participation de tel ou tel pays, je ne peux que me féliciter et me réjouir et insister auprès de vous sur le caractère novateur de Barcelone. Comme je disais d’entrée de jeu, c’est la première fois que se trouveront autour de la même table tant de pays qui ont été, soit en confrontation, et qui d’ailleurs n’ont pas tous terminé de résoudre leurs problèmes et qui pour la première fois seront autour d’une même table ; c’est un événement en effet tout à fait important. Donc la signification que je donne à cela c’est une signification très positive et qui montre le caractère novateur de Barcelone.

Vous me demandiez également ce qu’il y a de nouveau par rapport au dialogue euro-arabe ? Ce qu’il y a de nouveau c’est que les circonstances ont changé, que l’environnement n’est pas le même, que désormais l’ensemble des douze pays du sud de la Méditerranée, et les quinze pays de l’Union européenne sont disponibles, prêts à aller de l’avant. La déclaration commune que nous allons adopter le montrera en évoquant les objectifs que j’ai traités devant vous et donc nous sommes désormais prêts, c’est probablement ça qu’il a de plus neuf, à engager une vraie démarche, un vrai processus. Je me permets d’ajouter que l’Union européenne n’arrive pas les mains vides ; elle arrive avec 4,7 milliards d’écus. C’est quand même une somme honorable. C’est quatre fois plus que précédemment. C’est donc un bond en avant et qui naturellement sera un facteur incitatif au développement de projets, et s’agissant de ces projets mon idée c’est qu’il faudra sans doute des projets nationaux. L’Union européenne est sollicitée pour soutenir tel projet dans tel pays de l’Europe du sud. Mais il faudra aussi qu’il y ait des projets régionaux, intéressant plusieurs pays et ça vaut pour quelques sujets majeurs et qui sont naturellement des facteurs de paix. Il faudra aussi qu’il y ait une certaine sélectivité des sujets choisis. Dans ce genre d’exercice, trop de sélectivité peut nuire et dans la déclaration qui a été préparée beaucoup de sujets sont évoqués mais je souhaite qu’au cours de la conférence et surtout dans sa mise en œuvre, on mette l’accent sur quelques priorités, par exemple la question de l’eau qui est une question commune pour beaucoup de pays du Sud. L’accroissement de la question de la démographie pose très directement la question de l’alimentation et, de ce point de vue, la mise en valeur des terres est une haute priorité pour chacun de ces pays. Cela suppose la valorisation maximum de ressources faibles en eau, comme vous le savez. Il doit être possible non seulement de provoquer l’émergence de quelques grands projets touchant l’eau, mais de faire en sorte qu’ils apparaissent en effet comme les témoins des grandes réalisations nouvelles, de l’ère nouvelle euro-méditerranéenne. Il serait souhaitable que l’utilisation des fonds de l’Union européenne permette de mettre en valeur dans les années qui viennent quelques grandes réalisations euro-méditerranéennes, songeant à l’intérêt qu’il y a à ce que les opinions publiques voient, touchent du doigt en quelque sorte, ce qu’est que le travail en commun.

Q. : Il semble qu’il y ait des réserves sur le projet de communiqué final notamment du côté libanais, du côté syrien, sur l’inclusion de la résolution 425 sur l’évacuation d’Israël du sud Liban et aussi sur le Golan. Est-ce que ces réserves persistent ou ont-elles été levées ?

R. : Ecoutez, il y a en effet des discussions et il y en aura probablement jusqu’au dernier moment sur la rédaction des textes finaux de la conférence de Barcelone. Je vous dirai que, de mon point de vue, il ne faut pas saisir la conférence de Barcelone pour traiter des questions qui sont depuis longtemps sur la table. Il faut regarder devant soi et cela ne veut pas dire qu’on renonce, cela veut dire que ce n’est pas à l’ordre du jour. L’ordre du jour n’est pas de régler le problème israélo-syrien. Ce n’est pas là que cela se traite. Barcelone n’est pas fait pour ramener la paix entre Israël et la Syrie. C’est pour autre chose. Donc, de ce point de vue, moins on cherchera à faire inscrire dans les documents finaux des références à des sujets sur lesquels les positions de chacun sont très connues, mieux on réussira la conférence, c’est-à-dire mieux on lui donnera sa portée novatrice. C’est ça sur quoi je voudrais insister.

Q. : Quelle sera la place du terrorisme dans les discussions à Barcelone ?

R. : J’espère que Barcelone sera l’occasion d’affirmer une position commune sur ce sujet. Ensuite, il faudra travailler ensemble pour voir ce qui peut être fait. Ce sera comme ça sur tous les sujets de la troisième table ronde et je souhaite que ce soit l’occasion d’affirmer clairement les principes auxquels se rattachent et qu’affichent les Etats du pourtour de la Méditerranée. Ce sera déjà un premier pas et ensuite il faudra travailler ensemble.

Q. : Qui décidera de la sélection des projets de coopération ? Qui paiera ?

R. : Pour ce qui concerne les 4 milliards 700 millions d’écus attribués par l’Union européenne, cela relève de la compétence de la Commission. Qui signera le chèque ? C’est la Commission. Qui prendra la décision ? C’est l’Union européenne dans ses instances régulières. Il n’y aura pas de ce point de vue de changement dans l’ordre des choses et dans le fonctionnement des choses.

Q. : Comment faire aboutir concrètement des projets entre des pays qui n’ont pas réglé politiquement leurs conflits ?

R. : Tout dépend de la nature et de la portée de ces conflits mais je vois bien qu’il y a un lien. Je pense aussi que, de temps en temps, l’économie peut précéder la politique et que tel grand projet sur l’eau peut être un formidable facteur de mise en mouvement. Voilà ce que je peux dire en l’état actuel des choses et c’est le souhait en tout cas que j’exprime fortement.

Q. : Ne croyez-vous pas que l’absence de l’Etat de droit dans plusieurs Etats méditerranéens pourrait être un handicap sérieux à la coopération multilatérale que vous envisagez ?

R. : L’un des faits remarquables de la conférence de Barcelone c’est que précisément il y aura une table ronde consacrée aux questions politiques et de sécurité et que nous y évoquerons très précisément ces questions. Ce n’est pas l’un des faits les moins significatifs, c’est au contraire l’un des faits les plus dignes d’être remarqués. La conférence de Barcelone c’est bien entendu une conférence économique pour une part, qui met en œuvre un processus devant déboucher sur de vrais projets concrets dont je voudrais insister sur la portée, la signification à l’égard des opinions publiques. Mais c’est aussi un endroit où l’on va parler du développement humain et des libertés publiques. On va parler par conséquent de la reconnaissance commune de quelques valeurs ; nous allons contribuer, je le répète c’est un premier pas, c’est pour cela qu’il faut faire l’arbitrage entre l’objectif et le cheminement, mais c’est un premier pas vers l’émergence de valeurs méditerranéennes communes. Et je voudrais vous rappeler que la Méditerranée a été l’un des lieux du monde où les grandes valeurs universelles sont nées et ont émergé parfois dans la souffrance mais dans l’Histoire de façon tout à fait remarquable. Pourquoi ça ne serait pas le cas demain ? Ça dépend de nous.

Q. : Vous avez évoqué un pacte pour la stabilité en Méditerranée, inspiré du pacte de stabilité signé à Paris. Mais dans ce pacte, il y avait un but pour les pays qui ont signé, c’est-à-dire d’adhérer à l’Union européenne. Quel est le but pour les pays de la Méditerranée ?

R. : D’abord je ne crois pas qu’on puisse faire le lien que vous avez cru devoir faire entre le précédent de l’OSCE et l’adhésion à l’Union européenne.

D’autre part je viens précisément de contester que nous n’ayons pas les mêmes valeurs. Je crois que je l’ai rappelé, nous avons été les inventeurs il y a de nombreux siècles, de quelques-unes des très grandes valeurs du monde, encore aujourd’hui d’actualité, et qu’il devient très important aujourd’hui de confronter nos idées, nos vues, et de regarder si nous pouvons faire renaître quelque chose de cette histoire très ancienne.

Q. : Le président Chirac a dit à plusieurs reprises que l’Europe ne veut pas se contenter, dans le processus de paix au Proche-Orient, du rôle de bailleur de fonds. Quand vous dites que Barcelone n’a pas pour but de régler le problème syro-israélien ou irano-israélien, ce n’est pas une démission de l’Europe dans ce processus ?

R. : Mais non, pas du tout. Je n’ai pas dit que la France ou l’Europe renonçait à jouer quelque rôle à l’égard du Liban, par exemple. Vous savez bien que la France est très attachée au Liban, à son indépendance, à sa reconstruction, et qu’elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour que le Liban reprenne sa place, toute sa place au Moyen-Orient. Ce que j’ai simplement voulu dire, c’est que ce n’était pas l’objet précis de la conférence de Barcelone et que si nous changions l’objectif de la conférence de Barcelone, nous risquerions de la conduire à l’échec. Ce n’est pas l’objectif de l’exercice, mais cela n’enlève rien à l’importance que la France attache aux épreuves multiples que traverse le Liban et au soin qu’elle prendra à l’aider à s’en sortir.

Q. : Vous avez dit que nous avions les mêmes valeurs. Allez-vous parler de la condition féminine ?

R. : Oui, je suis tout à fait d’avis que toutes ces questions prendront place jour après jour dans le processus de Barcelone. J’ai essayé de tracer des perspectives ambitieuses et en même temps de vous appeler à la prudence, pour la conférence elle-même. C’est le début d’un processus. Les questions qui vont surgir les unes après les autres tout au long de ce processus, qui va prendre certainement des années, seront des questions du type de celles que vous avez évoquées, bien entendu. La place de la femme dans la société, c’est une question très importante et j’espère qu’elle sera évoquée, parmi d’autres, mais qu’elle sera évoquée comme l’une des questions centrales de l’avenir de nos sociétés. Ensuite, ces réflexions en commun, des travaux en commun, des débats, des discussions, pourquoi pas des confrontations permettront de faire progresser les choses.

Q. : Vous avez lié le déblocage de fonds européens à des flux de capitaux privés. Pouvez-vous nous en dire plus ?

R. : Par du tout Monsieur. Les capitaux européens, les 4,7 milliards, sont des dons. S’y ajouteront pour une somme à peu près équivalente les capacités de prêt de la Banque européenne d’investissement. Les projets qui pourront être aidés seront tantôt des projets sur fonds publics, tantôt des projets privés ou des projets mixtes. Toutes les hypothèses et toutes les situations pourront se rencontrer. Ce que j’ai ajouté c’est que le développement économique en Méditerranée supposerait qu’un certain nombre de pays puissent aussi attirer en même temps, sur ces projets mais aussi sur d’autres, des fonds privés. A l’Assemblée nationale l’autre jour, l’un des députés énonçait des chiffres de capitaux privés issus de ces pays et qui se trouvent à l’extérieur, l’idée est tout à fait juste. Il y a un certain nombre de capitaux issus de ces pays, provenant du travail des hommes, et qui vont se placer ailleurs parce qu’ils pensent que c’est plus rentable. Le jour où ces pays auront donné à ces capitaux des conditions plus favorables en terme de sécurité et de stabilité, de rentabilité, reviendront. Ce sera certainement un élément de développement très important pour faire la liaison. Tel est en particulier le cas du Liban, vous le savez bien.