Texte intégral
Lutte ouvrière : 25 août 1995
Quels que soient les responsables et les mobiles des attentats à Paris, une politique criminelle
Les autorités, relayées par la grande presse, montent en épingle la « piste suédoise » qui aurait permis d'identifier l'un des responsables des deux attentats perpétrés, l'un la semaine dernière, aux Champs-Élysées, l'autre un mois plus tôt dans le RER, à la station Saint-Michel. Certes ce n'est pas la débauche de publicité, l'empressement intéressé manifesté par les responsables du maintien de l'ordre français- ministre de l'Intérieur en tête – à annoncer la nouvelle, qui démontrent qu'il s'agit du vrai coupable. Ce ne serait pas la première fois que les autorités ne sachant rien jettent une péripétie de l'enquête en pâture à l'opinion. D'ailleurs il n'a pas fallu attendre bien longtemps que l'on annonce que le suspect avait un alibi, qui faisait qu'il n'était pas possible qu'il soit à Paris comme le prétendait un témoin.
Mais de toute façon, quels que soient les auteurs de ces deux attentats, et quelle que soit la cause qu'ils prétendent défendre, ceux qui les ont perpétrés sont des salauds. Car il faut un mépris sans limite pour les hommes et les peuples pour déposer une bombe destinée à tuer aveuglément dans un transport public à l'heure de pointe ou dans la foule de vacanciers et de badauds qui se promènent en cette saison sur les Champs-Élysées. Seule une stratégie politique criminelle peut avoir pour but de semer la peur parmi ceux qui se rendent dans les lieux publics ou qui prennent simplement les transports en commun pour aller à leur travail.
Qu'il s'agisse d'islamistes, comme semblerait l'indiquer l'enquête, ou encore l'œuvre de barbouzes du régime algérien, hypothèse avancée par certains, il faut se souvenir que c'est leur propre peuple qu'ils méprisent et combattent avant tout, les uns comme les autres. Ils le montrent chaque jour, là-bas, en Algérie. Les uns par des assassinats quasi quotidiens d'hommes qui leur déplaisent et, plus encore, de femmes parce qu'elles sont femmes et n'acceptent pas l'humiliation du voile. Les autres, par une répression qui, pour être étatique, n'en est pas moins féroce, ni moins aveugle.
Leur mépris de leur propre peuple, les auteurs de ces attentats le montrent même en agissant ici, car ils n'ont que faire des conséquences de leurs actes pour toute l'immigration maghrébine en France.
Mais que valent ceux qui prétendent nous défendre ? La présence policière massive et les contrôles ont pu rassurer certains au début et en rassurent quelques-uns encore. Mais l'appel à la délation moyennant prime, les arrestations arbitraires sans aucun rapport avec l'attentat du métro Saint-Michel, de ces portrait-robot tellement vagues qu'ils ressemblent à tout homme d'origine algérienne, tunisienne ou marocaine entre quinze et quarante ans, les charters d'expulsions déjà promis sont des mesures de basse démagogie. Elles sont inutiles pour retrouver les criminels, mais elles rendent plus difficile la vie de tous les travailleurs immigrés et pas seulement eux. Le climat créé alimente des réactions racistes et encourage ceux qui, dans la police, ont la gâchette facile. Et il y en a, comme le rappelle la mort de cet enfant bosniaque, tué par une balle policière, simplement parce que ses parents ne se sont pas arrêtés à un barrage.
Le crime des auteurs de l'attentat sert à la police de prétexte à régler d'autres comptes, qui n'ont rien à voir avec l'attentat, contre les travailleurs immigrés, dans les contrôles quotidiens, comme, bien plus généralement, contre ceux qui sont en infraction : même contre l'automobiliste qui n'est pas en règle pour sa vignette.
Et rappelons-nous que si la guerre civile algérienne a ses contrecoups sanglants et ses victimes, ici, en France, la responsabilité n'en incombe pas seulement aux terroristes islamistes ou aux barbouzes de l'État algérien.
Bien avant que ces gens-là s'avisent d'exporter leur guerre et leur terrorisme ici, nos dirigeants ont mené une sale guerre là-bas, avec du terrorisme à une toute autre échelle, pour refuser au peuple algérien ce droit élémentaire qu'était celui de l'indépendance. C'est de cette guerre-là qu'est sortie la dictature du FLN ; comme c'est de la dictature de l'État FLN qu'est sortie l'opposition islamiste qui prépare une autre dictature, alors, si les poseurs de bombes sont certainement des salauds, il y en a d'autres, plus salauds encore, qui coulent des jours tranquilles aux sommets de l'armée, de la police et de l'État français.
Lutte Ouvrière : 22 septembre 1995
Budget 1996
L'État fouille dans les poches des salariés... Pour remplir celles des plus riches
Le Premier ministre présente sa loi de Finances pour 1996, autrement sauf pour ceux qui auraient cru que Chirac allait vraiment baisser les impôts, alors comme il l'avait dit lors de sa campagne électorale, ou bien qu'il allait vraiment s'opposer au gel des salaires, comme il l'avait également dit d'ailleurs, à y bien regarder, Chirac avait seulement écrit dans son programme que « baisser les impôts, c'est possible » ou bien que les salariés « ne doivent pas être les oubliés de la croissance » Nuance ! Et il paraît que, selon le gouvernement Juppé, baisser les impôts resterait possible, mais seulement dans « un certain temps », bien que le gel des salaires des fonctionnaires serait une expression inexacte, même si l'on vient de décider que ces salaires n'augmenteraient pas.
Mais on peut laisser ces gens-là à leurs arguties, la réalité est plus simple À force de cadeaux de toute sorte au grand patronat, le déficit de l'État s'est creusé et atteint maintenant le niveau record de plus de 300 milliards de francs.
Il suffit de rappeler les « plans de sauvetage » de la sidérurgie sous Barre et Mauroy, les indemnisations à prix d'or versées aux patrons des entreprises endettées et nationalisées sous la « gauche » avant d'être reprivatisées plus tard pour bien moins cher. On peut rappeler aussi les prétendus « plans pour l'emploi » de tous les gouvernements, sans même parler des centaines de cadeaux, aides, dégrèvements fiscaux ou de charges patronales en tout genre. Sous prétexte d'aides à l'emploi », l'État n'a cessé de vider ses propres caisses.
Cela n'a pas fait reculer le chômage, mais cela a permis au grand patronat, alors que le reste de la population s'appauvrissait de maintenir et d'accroître ses profits. Et tel était bien le but réel recherché.
Mais la conséquence est que le déficit des finances publiques représente désormais le premier poste de dépenses de l'État et que, avec les intérêts croissants que l'État verse aux financiers qui lui représentent – au prix fort – ce qu'il leur a donné, on assiste depuis des années à un emballement de la dette de l'État.
Alors, ce qui se produit est bien classique, et était bien prévisible. Comme il n'est pas question de toucher à l'argent distribué au patronat, Juppé demande des efforts et même s'il prétend le contraire ce sera toujours aux même, aux salariés, aux plus défavorisés. Il a montré la couleur d'ailleurs dès cet été en faisant passer de 18,6 % à 20,6 % le taux de TVA, impôt indirect et le plus injuste qui soit, qui frappe proportionnellement bien plus les bas revenus que les gros.
Juppé continue donc sur sa lancée avec le gel des salaires des fonctionnaires, la hausse des prix des carburants, ou bien en parlant maintenant d'une nouvelle augmentation de la CSG. Il a aussi annoncé que l'État fera des économies en ne versant pas l'assurance-chômage la contribution à laquelle il s'était engagé. Si celle-ci se retrouve en déficit, on découvrira certainement, comme pour le « trou » de la Sécurité sociale, qu'il ne peut être comblé que par une augmentation des cotisations des salariés…
Sous la direction de Chirac et Juppé, comme sous celle de ses prédécesseurs, l'État continue de remplir un de ses rôles fondamentaux, celui d'aider à un transfert de fonds permanent, consistant à prendre dans la poche des salariés et des couches les plus défavorisées, pour donner aux plus riches. Il se comporte en auxiliaire des capitalistes, qui aide ceux-ci à faire des profits et à les augmenter ; et lorsque cette politique aboutit à creuser un gouffre dans les finances de l'État, on demande un nouvel effort, et toujours aux mêmes, sous prétexte de ne pas décourager l'investissement, ou d'éviter que les capitaux ne se détournent du pays !
Voilà la bien banale et bien habituelle politique dont nous gratifie le tandem Chirac-Juppé. Du coup, il ne manque déjà pas, dans sa propre majorité, de gens qui flairent ses difficultés probables et prennent déjà la position de recours possibles. De Barre à Madelin, ces gens-là déclarent déjà que Juppé ne va pas assez loin dans la « réforme ». Mais ce qu'ils appellent « réforme » consiste à réduire encore plus ce que l'État dépense pour ses salariés ou pour les services publics en général, afin de disposer de plus d'argent pour aider le profit capitaliste !
Comme on voit, le tout est de s'entendre sur les mots, et de comprendre que les gouvernants quels qu'ils soient les emploient systématiquement pour dire le contraire de ce qu'ils signifient. Aux travailleurs d'être plus simples, et de montrer ce que signifient vraiment pour eux les mots : « se mettre en colère ».
Lutte ouvrière : 20 octobre 1995
Des attentats qui veulent isoler les travailleurs immigrés
Ceux qui décident des attentats tels que celui qui vient de se produire à nouveau dans le RER et les font exécuter par des jeunes ou des moins jeunes, dont ils exploitent le dévouement, en plus d'être des assassins, sont des criminels à plus d'un titre.
Bien sûr, il n'échappe à personne que s'en prendre à un public désarmé allant à son travail, faisant son marché, prenant le train ou se promenant sur une grande avenue, revient à frapper des civils, des enfants, des femmes et des hommes du peuple, et cela de la façon la plus aveugle qui soit.
Ce n'est pas pire, bien sûr, que de bombarder des populations civiles sous prétexte qu'on fait la guerre, mais comme les assassins vivent parmi les victimes et en sont proches, cela a un caractère bien plus odieux.
Pourtant, ceux qui arment le bras des tueurs et les enivrent de haine et de fanatisme sont plus criminels encore à un autre titre.
Ils prétendent lutter pour on ne sait quel idéal, mais en tout cas pour leur peuple.
Ce n'est pas ce qu'ils font ! Bien au contraire ! En répandant le sang de cette façon ils ne suscitent aucune neutralité bienveillante pour leur cause parmi la population et encore moins de la solidarité. Ils pourraient rechercher de la compréhension vis-à-vis de ce pourquoi ils luttent, Mais non !
S'ils agissent ainsi, c'est qu'ils ne cherchent ni solidarité ni la moindre compréhension. Ils n'en veulent pas, ni pour eux, ni pour ceux qui les suivent, ni surtout pour leur peuple.
Ils veulent, au contraire, transformer toute la population d'ici en adversaire de leurs propres partisans. Ils veulent faire haïr leurs propres hommes, les couper de tous. Ils veulent que leurs partisans se sentent rejetés, coupés et ne puissent trouver de salut qu'auprès de leurs dirigeants. C'est une façon d'en faire des parias d'abord, des esclaves ensuite.
Mais ils font pire. Ce ne sont pas que leurs partisans qu'ils veulent isoler. Ils veulent aussi que toute la population maghrébine (y compris et surtout la jeunesse), qui vit ici, soit l'objet de la même méfiance et du même rejet.
Ils veulent provoquer une coupure sanglante. Ils veulent élargir, approfondir celle que le racisme engendre déjà, afin que ceux au nom desquels ils prétendent se battre soient de plus en plus coupés, de plus en plus rejetés.
Ainsi, ils espèrent que la boucle sera bouclée et que de plus en plus de membres de leur communauté n'auront d'autre choix que se jeter dans leurs bras.
S'ils sont des criminels, ce n'est pas seulement à cause des quelques dizaines de victimes qu'ils ont faites depuis le mois de juillet, c'est aussi à cause de ce crime-là, de ce fossé de sang qu'ils cherchent à créer entre l'ensemble de la population et la communauté maghrébine dont ils se servent à son corps défendant et à laquelle ils veulent ne donner d'autre choix que de les suivre.
Ils ne veulent pas convaincre, ils veulent contraindre.
La population maghrébine qui vit ici, qu'elle soit juridiquement française ou non, dans son immense majorité ne les suit pas. Mais les criminels qui frappent dans l'ombre veulent qu'elle ait de moins en moins le choix. Malheureusement, si on laisse faire ils peuvent gagner.
C'est qu'en face, notre gouvernement pratique une politique similaire ou, disons, voisine. Bien sûr, il se donne à bon compte des grands airs en prétendant qu'il va nous défendre contre les assassins de l'ombre ; que, pour notre bien, il faut se prêter au plan Vigipirate ; qu'il faut être nous-mêmes vigilants et qu'il faut- on ne le dit pas mais on le sous-entend - faire notre police nous-mêmes en faisant la chasse aux colis suspects ou aux porteurs de colis quand les porteurs sont « suspects » alors même que les colis peuvent ne pas l'être.
Toutes mesures ou paroles qui contribuent à isoler la population maghrébine, même si nos ministres prétendent ne pas faire d'amalgame.
Les policiers, dont une trop grande partie – même si c'est une faible partie – est ouvertement raciste, son là pour corriger, oh combien, à leur façon les propos démocratiques des ministres.
Parce que si le gouvernement voulait vraiment que le plan Vigipirate ait des chances d'être efficace, il essaierait d'y rallier aussi la population immigrée en général, et maghrébine en particulier, française ou non au lieu de la montrer du doigt.
Comment ? C'est très simple. Il faudrait seulement une autre politique.
Le plan Vigipirate n'a jusqu'ici pas servi à empêcher les attentats. On le voit bien !
Les bombes qui n'ont pas explosé, ne l'ont pas fait uniquement à cause d'un défaut technique. Et la seule bombe qui a été désamorcée avant qu'elle explose l'a été grâce à un postier qui faisait son travail de postier. Le plan Vigipirate, lui, n'a servi qu'à des milliers d'interpellations, de contrôles d'identité, inutiles sur le plan antiterroriste mais dont le résultat essentiel a été l'expulsion d'un certain nombre d'étrangers « en situation irrégulière », comme on dit, c'est-à-dire dont le permis de travail était périmé ou qui n'en avaient pas. Terroristes ceux-là ? Que non ! Les terroristes, les vrais, eux, sont en règle.
C'est-à-dire que le plan Vigipirate a surtout été une menace pour les étrangers et pour la population d'origine étrangère, même de nationalité française, qui se voyait un peu plus souvent contrôlée que les autres et souvent un peu plus brutalement.
Cette population qui est la principale cible du plan Vigipirate, qui est victime de la suspicion du reste de la population, n'est pas du tout rendue solidaire de la lutte contre le terrorisme et surtout de ce plan Vigipirate.
Cela ne peut aboutir qu'à une chose, c'est à la longue, à en rejeter de plus en plus, surtout des jeunes, dans les bras de ceux qui tirent ces ficelles pleines de sang.
Si l'on voulait réellement aider la population maghrébine à se dissocier des terroristes et à s'en défendre, si on voulait aider la population des quartiers pauvres où ils sont peut-être recrutés, il faudrait démontrer à cette population qu'elle n'a rien à craindre du plan Vigipirate, quand bien même elle ne serait pas situation très régulière vis-à-vis de l'immigration.
Si les CRS, l'armée, la police montraient qu'ils ne sont pas là pour cela, s'ils disaient et tenaient parole : « Vous n'avez rien à craindre de nous-mêmes si vos permis de séjour sont périmés, nous ne sommes pas là pour cela. Ce n'est pas ce que nous recherchons. Les terroristes, eux, ont des papiers en règle. Nous recherchons et voulons éviter les bombes dont vous pouvez être aussi victimes. C'est cela notre but ».
Si les ministres, les policiers, affirmaient et faisaient cela, les terroristes auraient plus de mal à survivre parce qu'entre nous, vous savez, le plan Vigipirate ne peut rien faire contre de tels attentats ponctuels qui est l'œuvre de petits groupes.
Au temps où, en France, à Paris, agissaient aussi des femmes et des hommes que les uns appelaient des « résistants », des « patriotes », et que les autres appelaient des « terroristes » ou « la main de l'étranger », il y avait aussi des rafles, des contrôles dans le métro, dans les gares, bien plus encore qu'aujourd'hui, de la part de la police allemande et surtout de la police française.
Les résistants savaient passer au travers. Quand ils avaient quelque chose de dangereux à transporter, des tracts, une arme, une bombe, ceux ou celles qui les portaient n'entraient jamais les premiers dans le métro : ils y étaient précédés par des camarades « en règle » qui ne ressortaient que s'il n'y avait pas de danger et ils ne ressortaient surtout pas s'ils rencontraient des policiers au détour d'un couloir. Et la plupart des arrestations qui eurent lieu alors ne s'effectuèrent pour ainsi dire jamais dans de telles circonstances.
Il faut donc agir autrement qu'avec un simple déploiement de forces policières.
Mais malheureusement, ce n'est pas notre gouvernement qui le fera. Même s'il est appuyé par l'« Union sacrée » politique de l'ensemble des groupes parlementaires, de la majorité ou de l'opposition.
Ceux qui peuvent le faire, ce sont les travailleurs d'ici, toute la population, en ne tombant pas dans le piège que tendent les terroristes et en restant unis avec tous les travailleurs étrangers ou d'origine étrangère, qu'ils soient légalement français ou ne le soient pas, qu'ils aient ou non des permis de travail en règle.
Il faut s'unir avec tous ceux que les terroristes visent à isoler de nous, avec tous ceux qui ne veulent pas préparer une nouvelle dictature réactionnaire, moyenâgeuse et esclavagiste pour les femmes (et pour les hommes) en Algérie.