Texte intégral
Question
L’euphorie qui a accompagné la mise en place de l’euro ne risque-t-elle pas de déboucher sur des lendemains qui déchantent ?
Dominique Strauss-Kahn
Je ne crois pas que l’euro apporte des réponses à tous nos problèmes. Nous nous sommes dotés d’un instrument extrêmement puissant, qui peut nous être utile si nous le manions bien, qui nous servira peu si nous le manions mal. Il ne fait pas disparaître les obstacles, ni les efforts à fournir, mais nous sommes plus forts avec cet instrument que quand nous ne l’avions pas.
Question
Après un départ en fanfare, l’euro a été rattrapé par le dollar. Il semble que, finalement, les investisseurs traditionnels préfèrent le dollar à l’euro…
Dominique Strauss-Kahn
D’abord, le fait que l’euro devienne une monnaie de réserve et que cela nous permette de parler d’égal à égal avec les Etats-Unis ne dépend pas de sa parité. Ce qui compte, c’est que l’euro existe et qu’il représente trois cents millions de consommateurs parmi les plus riches au monde. Ensuite, de toute façon, il faudra du temps pour que l’euro devienne une monnaie de réserve : un an, deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans… Enfin, la parité, c’est beaucoup moins important, pour nous, que cela ne l’a été dans le passé. Dans le passé, la parité du dollar et du franc était très importante parce qu’une bonne partie de notre commerce était libellée en dollars. Aujourd’hui, seuls 10 % du PIB représentent un commerce extérieur à l’Euroland.
Question
Comment éviter le “dumping” fiscal et social entre les pays de la zone euro ?
Dominique Strauss-Kahn
Il faut une sorte de gouvernement économique, qui prenne les décisions collectives et qui évite que tel ou tel fasse des choses complètement à l’écart des autres, en essayant d’attirer les entreprises, de façon un peu déloyale, par exemple. C’est ce que l’Europe a créé, sous l’impulsion de la France, sous le nom de Conseil de l’euro ou d’Euro 11.
Les Allemands, qui président l’Union pour les six mois qui viennent, ont fixé comme l’une des priorités de leur présidence l’harmonisation fiscale et une date, juin 1999, pour que nous ayons fait des progrès considérables en matière d’impôts sur les sociétés comme en matière de fiscalité des revenus de l’épargne. Je pense que ce sera le cas et qu’on arrivera au bout.
Question
Est-il réaliste de prévoir 2,5 % de croissance annuelle pour les trois ans qui viennent en France ?
Dominique Strauss-Kahn
Tous les économistes sont à peu près d’accord sur le fait que dans les années 90, jusqu’en 1998, nous avons été en dessous de ce qu’on appelle notre potentiel de croissance. Donc, il y a une sorte de rattrapage, qui peut se faire plus ou moins vite. S’il se fait vite, nous pouvons atteindre 3 %, comme en 1998, s’il se fait lentement, nous n’en serons qu’à 2,5 %, mais, sur une période relativement longue – trois ou quatre ans -, l’idée que, à tout le moins, l’économie française doit pouvoir avoir 2,5 % de croissance n’est pas vraiment contestée.
Question
Sauf que les économistes nous disent que la conjoncture va être mauvaise, pas seulement en France, mais dans toute l’Europe en 1999 !
Dominique Strauss-Kahn
Il peut y avoir des années meilleures et des années un peu moins bonnes…
Question
Pourquoi l’année 1999 – ou la première moitié de l’année 1999 – ne sera-t-elle pas bonne, alors que vous nous expliquiez, il n’y a pas si longtemps, que l’euro était un formidable bouclier contre les désordres financiers internationaux ?
Dominique Strauss-Kahn
L’euro a été un bouclier, en 1998, puisque nous n’avons perdu que, peut-être, 0,5 ou 0,6 point de croissance à cause de la crise. En 1999, l’Europe restera le pôle de croissance principal dans le monde grâce à l’euro, mais cela ne veut pas dire que la croissance y sera aussi forte qu’elle l’aurait été s’il n’y avait pas de crise en Asie, en Amérique latine ou en Russie. Avec l’euro, nous avons créé un radeau solide ; les monnaies européennes étaient des planches, qui fluctuaient les unes par rapport aux autres et, dès qu’il y avait une vague, cela se disloquait. Le radeau, lui est solide ; mais quand la vague monte, le radeau monte, et quand la vague baisse, le radeau a tendance à baisser.
Question
En 1999, la crise internationale fait qu’on sera plutôt en-dessous de ce qu’on pourrait faire, au moins pour la première moitié de l’année, et, donc, la prévision que je faisais à l’été paraît difficile à réaliser. Nous ne sommes pas sur cette pente-là maintenant. Sans doute le premier trimestre ne sera-t-il pas très bon. Le second, on verra. Et je suis à peu près convaincu, pour le moment, que la deuxième moitié de l’année sera bien meilleure.
Dominique Strauss-Kahn
Il y a trois mois, c’était le dogme du 2,7 %. Maintenant, on passe au dogme du rebond en juin ou en juillet !
- 2,7 % doit reste notre cible. C’est difficile à atteindre, compte tenu de l’importance des réactions des chefs d’entreprise. Des grandes entreprises. Les petites entreprises continuent, elles, à investir et ont le moral qui tient bon, comme les consommateurs, d’ailleurs. Ceux qui ont le moral qui flanche, ce sont les chefs des grandes entreprises, notamment parce qu’ils sont, peut-être, plus exposés à la concurrence internationale.
- Nous avons assisté, au dernier trimestre de 1998 – et nous allons probablement assister encore au premier trimestre de 1999 à un fort mouvement de “déstockage”, c'est-à-dire que les entreprises utilisent leurs stocks plutôt que de passer de nouvelles commandes. Mais quand on arrive en bas des stocks, la commande devient massive si la demande est là. Or, elle a plutôt tendance à être là. La reconstitution des stocks crée un effet de rebond. Si bien qu’en France comme ailleurs, le deuxième semestre sera sans doute bien meilleur que le premier.