Interviews de M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat chargé de la santé et de la Sécurité sociale, à RMC le 1er décembre 1995 et Europe 1 le 7, sur les grèves et manifestations contre le plan Juppé sur la protection sociale et l'installation de la commission Le Vert sur les régimes spéciaux de retraite des fonctionnaires.

Prononcé le 1er décembre 1995

Intervenant(s) : 

Circonstance : Grèves des transports et manifestations à Paris, en province pour le retrait du plan Juppé depuis le 24 novembre 1995-installation de la commission Le Vert le 6 décembre

Média : RMC - Europe 1

Texte intégral

RMC : Vendredi 1er décembre 1995

P. Lapousterle : Le gouvernement envisage-t-il que ce climat puisse durer encore longtemps ?

H. Gaymard : Moi, je crois que nous avons, depuis une semaine, une attitude un peu suicidaire de certains syndicats, dans certains services publics qui, en quelque sorte, jouent à colin-maillard au bord du gouffre.

P. Lapousterle : Carrément ?

H. Gaymard : Je pense.

P. Lapousterle : Le gouvernement n'a pas de responsabilités à votre avis ?

H. Gaymard : Nous avons une réforme importante pour sauvegarder notre protection sociale, nous sommes les premiers à avoir pris le problème dans toute son ampleur, pour avoir un système plus juste, plus efficace et pour sauver notre Sécu, que nous avons créée il y a cinquante ans et à laquelle nous tenons tant. Alors c'est vrai que dans notre pays les gens ont des difficultés. Tout le monde a des difficultés et je crois que cette grève, notamment dans les services publics de transports à Paris et dans la région parisienne, ne prend pas en considération les besoins et la vie quotidienne de tous ces Français qui veulent vivre et travailler.

P. Lapousterle : Vous considérez, dans cette affaire, que tous les torts sont du côté des syndicats, qu'il n'y a aucune raison pour eux de penser que la réforme Juppé n'est pas la meilleure possible ?

H. Gaymard : Il ne s'agit pas de distribuer les bons points ou les mauvais points. Moi, je ne suis pas comme ça. Ce que je constate, c'est que nous avons un pays dans une situation difficile pour bien des raisons et qu'il faut nous retrousser les manches pour préparer l'avenir et préparer l'avenir de nos enfants et je voudrais ajouter que dans le plan de réforme de la Sécurité sociale qu'A. JUPPE a présenté aux Français, il n'y a pas de remise en cause des services publics, il n'y a pas de remise en cause du statut des agents qui travaillent dans ces services publics et qu'il y a un amalgame tout à fait incroyable. Vous dites « effort supplémentaire à la clé », la seule chose qui a été dite s'agissant des agents des services publics, c'est qu'il fallait regarder par le travail d'une commission, la comparaison entre les retraites du secteur privé et du secteur public. C'est un sujet très compliqué, très complexe techniquement et je ne rentrerai pas dans le détail. A. Juppé a installé avant hier la commission Le Vert qui a quatre mois pour travailler, pour rendre ses conclusions avant que le gouvernement prenne ses décisions. Je voudrais terminer en disant que sur cette affaire des retraites, de ce qu'on appelle les régimes spéciaux, ce champ-là n'est pas couvert par les ordonnances, ni par les lois que nous aurons à voter dans les trois mois qui viennent. Il y a un amalgame pour abuser l'opinion publique et je crois qu'il faut quand même rétablir la vérité.

P. Lapousterle : Et quand P. Méhaignerie dit qu'il faudrait que le gouvernement fasse un effort d'information et de dialogue, vous pensez qu'il a raison ?

H. Gaymard : C'est le gouvernement, c'est la majorité, c'est tout le monde. Je regrette, le gouvernement ce n'est pas une question d'effort est naturellement prêt à l'information et au dialogue, c'est ce que nous faisons chaque jour.

P. Lapousterle : Vous conviendrez que ça ne marche pas ?

H. Gaymard : Quand on est dans une société Où les corporatismes s'exacerbent, il faut une information et un dialogue qui soient objectifs sur l'ensemble des sujets qui se posent à la vie quotidienne des Français.

P. Lapousterle : À vous écouter, le gouvernement n'est pas près de reculer dans cette affaire comme le demande la gauche.

H. Gaymard : Oui, mais la gauche est quand même gentille de nous donner des conseils. Quand ils étaient au pouvoir, ils n'ont strictement rien fait en matière de réponse globale pour sauver notre système de protection sociale et ils ont laissé filer les choses. C'est un peu facile, après, de venir donner des conseils quand soi-même, pendant quatorze ans, on n'a rien fait sur ce sujet-là.

P. Lapousterle : Quand P. Mazeaud disait hier qu'il y aurait peut-être un référendum possible, que G. de Robien parlait d'une possible dissolution, est-ce que vous pensez que les Français devront décider dans cette affaire ?

H. Gaymard : On n'en est pas là. Les Français ont des représentants régulièrement élus. Ce n'est pas la première fois, dans notre vie publique, que l'on a les ordonnances pour aller vite dans la réforme. Je constate que la gauche, après 1981, entre 81 et 84. a eu recours à plusieurs dizaines d'ordonnances alors qu'à l'époque, elle avait ainsi une majorité importante à l'Assemblée nationale. C'est une procédure qui est prévue par la Constitution, je ne vois pas pourquoi il faudrait un référendum.

P. Lapousterle : C'est la journée mondiale contre le SIDA aujourd'hui, mais on a le sentiment qu'on en parle moins qu'il y a un an ou deux. Est-ce que ça veut dire qu'en France, la maladie est stabilisée ?

H. Gaymard : On en parle moins pour une raison de conjoncture de politique et sociale qui est liée à ces mouvements sociaux, notamment dans les transports publics. J'entendais sur une autre antenne, ce matin, un journaliste qui disait : « Aujourd'hui, 1er décembre, on devrait parler du SIDA et en fait, on parle surtout du reste » et en tant que secrétaire d'État à la Santé, je veux parler du SIDA parce qu'aujourd'hui est une journée importante, c'est une journée symbolique, de mobilisation mondiale contre cette épidémie.

P. Lapousterle : Qu'est-ce que le gouvernement va faire dans les mois qui viennent dans ce domaine ?

H. Gaymard : Le gouvernement dans les tout prochains jours, avant le 15 décembre, va présenter un programme de lutte contre le SIDA, conformément à l'engagement qu'avait pris le Premier ministre dans son discours de politique générale. Je ne suis pas en mesure, aujourd'hui, de vous dire ce qu'il y aura dans le détail puisque le plan sera annoncé globalement dans une quinzaine de jours. Je crois que les grandes priorités qui sont les nôtres, c'est mobiliser contre cette épidémie avec un partenariat avec les collectivités locales, avec les associations de lutte contre le SIDA qui jouent un rôle très important. Par exemple, je vais aller aujourd'hui à Paris, dans le Marais, déjeuner à la Basiliade qui est un accueil de vie et d'aide convivial pour les personnes atteintes du SIDA. Donc c'est d'abord mobiliser. Ensuite, c'est bien entendu développer la prévention contre cette épidémie et enfin soutenir les malades du SIDA du point de vue de la prise en charge des soins, du traitement des nouvelles maladies, du maintien à domicile et de l'hospitalisation. Je veux dire d'ailleurs que dans la réforme de la Sécurité sociale, il y a une loi très importante qui est prévue mais dont on parle peu, qui est l'assurance-maladie universelle qui fera que tous les Français seront désormais couverts par l'assurance-maladie s'ils sont résidents régulièrement en France, français et étrangers. Ce qui permettra, pour les personnes qui n'ont pas de couverture sociale actuellement, d'être totalement couvertes.

P. Lapousterle : On parle d'un dépistage obligatoire pour les professions médicales, tes femmes enceintes, avant le mariage, etc., est-ce que c'est envisagé ?

H. Gaymard : Cette question n'est pas à l'ordre du jour aujourd'hui.


Europe 1 : Jeudi 7 décembre 1995

D. Souchier : Vous êtes l'homme que le Premier ministre et le Président de la République ont choisi pour s'occuper au gouvernement, auprès de J. Barrot, de la Sécurité sociale. A. Juppé a parlé mais les grèves continuent et il va y avoir aujourd'hui une nouvelle manifestation. Pour que le conflit s'achève, ne vous dites pas qu'il va vraiment falloir trouver et proposer quelque chose de neuf ?

H. Gaymard : Le gouvernement n'a jamais cessé de dialoguer avec l'ensemble des organisations syndicales ou professionnelles. Pour ma part, j'ai toujours été en contact, par exemple avec les syndicats et organisations professionnelles de médecins, je vais les rencontrer, chacune d'entre elles, la semaine prochaine, pour des réunions de travail. Je ne crois pas qu'on puisse dire que le fil ait été coupé. Bien sûr, on ne fait pas tout sous l'œil des caméras et on ne recherche pas toujours un micro.

D. Souchier : Vous et J. Barrot, avez-vous des rendez-vous, dans les prochains jours, avec des dirigeants d'organisations syndicales ?

H. Gaymard : J. Barrot, comme vous le savez, a été chargé par le Premier ministre de relancer le dialogue avec l'ensemble des organisations syndicales, et la semaine prochaine, bien entendu, ces rencontres auront lieu.

D. Souchier : Est-il vraiment inconcevable que ces syndicats soient reçus directement par le Premier ministre comme le souhaite M. Blondel ? Je vous précise que M. Blondel sera l'invité de S. Soumier à 8 heures...

H. Gaymard : Je l'ai croisé dans le studio !

D. Souchier : Il vous écoute, il pourra donc réagir. Pourquoi ne pourrait-il pas être reçu directement par le Premier ministre ?

H. Gaymard : Ce n'est pas inconcevable. Le Premier ministre est le Premier ministre de tous les Français, il rencontre et il voit tout le monde, chaque semaine, à Bordeaux, dans sa ville et dans sa circonscription où il dialogue avec les Français. Il est bien évident que le Premier ministre est à même de rencontrer les dirigeants syndicaux. Mais dans un premier temps c'est J. Barrot et moi-même qui allons la semaine prochaine recevoir et discuter avec les organisations syndicales parce que nous sommes des hommes de dialogue, j'allais dire en permanence, pas seulement la semaine prochaine.

D. Souchier : On peut imaginer que tous les syndicats soient reçus, en même temps à Matignon ?

H. Gaymard : C'est le Premier ministre qui le décidera, mais c'est bien évidemment envisageable.

D. Souchier : Vous ne l'excluez pas ?

H. Gaymard : Pourquoi l'exclure ?

D. Souchier : Vous souhaitez une relance de la concertation et vous savez ce qu'on vous répond : quelle relance dès lors que tout est décidé ?

H. Gaymard : Sur ce sujet et sur les mouvements qui affectent la France d'aujourd'hui, il y a beaucoup de malentendus et beaucoup d'amalgames. La raison principale qui fait que la région parisienne est bloquée est la grève des transports publics. Cette grève, notamment celle de la SNCF, est liée au contrat de plan qui n'est pas du tout en relation avec celui de la réforme de la Sécurité sociale...

D. Souchier : Il est lié aussi aux régimes spéciaux de retraite ?

H. Gaymard : Il y a un volet de la réforme de la protection sociale sur les régimes spéciaux qui consiste à dire : on a des régimes spéciaux très compliqués, les éléments de comparaison avec le régime des salariés n'est pas simple, installons une commission pour regarder le sujet. La réforme des régimes spéciaux n'a pas été pré-décidée. On ne peut pas encore parler de réforme des régimes spéciaux, mais d'une réflexion sur les régimes spéciaux. Je vous rappelle d'ailleurs que cette affaire des régimes spéciaux ne figure ni au menu des ordonnances, ni dans un quelconque projet de loi qui serait discuté l'année prochaine.

D. Souchier : Sur les régimes spéciaux, ne joue-t-on pas sur les mots ? La mission que vous fixez à cette commission, c'est de consolider les régimes spéciaux de retraite sans rallonger la durée de cotisation ?

H. Gaymard : Il y a, sur la question des régimes spéciaux, beaucoup de questions...

D. Souchier : Il y a celle -là ?

H. Gaymard : Oui, mais je voudrais relativiser. On a une médiatisation extrêmement forte sur cette affaire de la durée de cotisation, mais on sait bien qu'il y a bien d'autres sujets, par exemple le problème de la non inclusion des primes dans les cotisations sociales. Je parle un peu « technique » et je m'en excuse auprès des auditeurs. On a, sur les régimes spéciaux, une sorte d'embrouillamini et il faut désembrouiller cet embrouillamini.

Q: Pourrait-on ne pas allonger la durée de cotisation ?

H. Gaymard : La commission Le Vert n'a pas de mandat impératif. Elle est composée de plusieurs experts qui font autorité dans leur domaine dont, d'ailleurs, l'ancien conseiller social de monsieur P. Mauroy ; cette commission est libre, elle a 4 mois pour travailler, mettre les choses à plat et rédiger son Livre blanc. Moi, je ne peux inférer des conclusions de la commission Le Vert, sinon vous me le reprocheriez.

D. Souchier : Que proposez-vous comme sujet de discussion, puisque tout est décidé ?

H. Gaymard : Tout n'est pas décidé ! Le Premier ministre a tracé les grandes lignes de cette réforme. Elle est approuvée par les Français. Les mouvements de rue que l'on constate actuellement ne sont pas liés à cette réforme mais à d'autres sujets et, je dois le dire, à certaines manipulations. Partant de là, nous allons, avec J. Barrot, et nous avons déjà commencé de le faire travailler avec l'ensemble des organisations syndicales, avec l'ensemble des parlementaires, pour mettre en œuvre cette réforme dans le dialogue et dans la concertation.