Interview de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, à RTL le 29 janvier 1999, sur les créations d'emploi en 1998 et les négociations en matière de réduction du temps de travail notamment chez Peugeot SA.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Question
151 000 demandeurs d’emploi en moins en 1998, avec un excellent résultat en décembre. “Baisse historique” avez-vous dit. Est-ce dû, en grande partie, à une conjoncture économique favorables en 98 ?

M. Aubry
Je crois que c’est dû depuis juin 97 en fait, puisque depuis 18 mois le chômage a quasiment baissé en permanence – moins 235 000 chômeurs. Cela est dû à deux choses. A la fois à une croissance forte – plus forte que beaucoup de nos voisins -, et qui a créé plus d’emplois que d’habitude. Croissance, dont je rappelle qu’elle est quand même largement due à une consommation qui a été relancée par les mesures que nous avons prises. Et puis l’ensemble des actions que nous avons menées, puisque sur les 535 000 emplois créés en 18 mois – ce qui n’était pas arrivé en France, jamais -, il y a effectivement des emplois dans le secteur privé et puis il y a les 150 000 Emplois-jeunes et puis le début des emplois créés par la durée du travail. Donc je crois que c’est l’ensemble de ces actions – une croissance forte et l’ensemble des pistes que nous avons engagées – qui permettent, aujourd’hui, ces résultats.

Question
Mais vous attendez-vous à un bon chiffre en janvier, ou êtes-vous plutôt prudente parce que janvier est toujours un mois délicat ?

M. Aubry
Janvier est souvent un mois délicat, mais vous savez, le chômage ne s’apprécie pas au mois le mois. Je n’ai aucune raison de penser aujourd’hui, alors que je l’avais l’année dernière, qu’il y a des risques sur les mois qui viennent. Je crois qu’il faut qu’on arrête dans notre pays, quand ça va bien, de se dire que ça va mal aller. Les Français d‘ailleurs sont, peut-être, beaucoup plus réalistes que les responsables car eux ils disent qu’ils continuent à avoir confiance dans notre pays ; la consommation reste à des excellents niveaux ; et les chefs d’entreprise – de petite taille d’ailleurs – nous disent que leurs carnets de commandes sont bons. Moi je vois un énorme point positif dans ces chiffres du mois de décembre : c’est que, pour la première fois, les adultes voient leur chômage diminuer plus vite que les jeunes. Ça qui signifie que cela reprend dans les secteurs industriels du bâtiment et autre, où nous avions des inquiétudes à l’automne. Donc pour l’instant, nous n’avons aucune raison d’être inquiets sur l’avenir, même s’il peut toujours y avoir une crise financière ou autre, bien évidemment. On n’est jamais à l’abri de ça.

Question
Les prévisions de croissance pour 99 sont tout de même moins bonnes que celles de l’an dernier. Ça n’est pas un élément inquiétant ?

M. Aubry
2,7  au lieu de 5 l’année dernière. Mais vous savez nous avons créé, encore une fois, beaucoup d’emplois. Je crois qu’il faut rappeler que la France est un des rares pays où la population active accroît de manière importante – 240 000 personnes en plus sont arrivés sur le marché du travail cette année ; et malgré ça le chômage a baissé de plus de 150 000. Je rappelle qu’en Allemagne, en Grande-Bretagne, la population active baisse. C’est une chance pour nous cet accroissement de population active. Mais à court terme, il faut pouvoir lui trouver un emploi. Encore une fois, aujourd’hui nous n’avons pas de raison de penser que les craintes que nous avions, avec la crise russe, la crise asiatique, et la crise brésilienne aient des conséquences sur la croissance – même si nous avons eu des craintes en octobre-novembre. Je me réjouis pour ça de ces chiffres de décembre, car ils consolident certains éléments, et notamment des contrats à durée indéterminée, plus nombreux qu’en décembre dernier. Donc un peu moins de précarité. Un peu moins seulement ; il reste du travail à faire.

Question
Mais précisément, vous parliez d’accident imprévisible ou possible. Les économistes qui sont réunis, ce week-end, à Davos, sont assez pessimistes. Ils craignent que la crise financière ait des répercussions sur l’emploi…

M. Aubry
Je ne voudrais pas être désagréable sur les participants à Davos, ils sont en train, aujourd’hui, de faire leur autocritique. Ce sont quand même eux qui, avec le FMI, ont poussé certains pays à tellement restreindre leurs finances publiques qu’ils sont tombés dans une crise très forte. Et ils font leur autocritique si je puis dire – par exemple au Brésil. Alors moi je crois beaucoup aux experts, mais je crois beaucoup à ce que je vois, aussi. C’est-à-dire des carnets de commandes des PME qui, aujourd’hui, sont bons ; un pays qui recommence à prendre confiance, justement parce que le chômage baisse, je pense que les négociations sur la durée du travail, qui ont lieu un peu partout, sont, aussi un autre moyen pour les gens de se rendre compte que ça va mieux ; les Emplois-jeunes qui ont permis à des jeunes de rentrer dans les entreprises. Donc ne boudons pas, encore une fois, notre plaisir ; ne considérons pas quand ça va mieux que ça va obligatoirement aller plus mal demain. Si j’avais des inquiétudes – comme je l’avais en décembre dernier –, je le dirais. Je n’ai pas, aujourd’hui, de raisons objectives d’en avoir.

Question
A propos, la réduction du temps de travail justement : les PME ne voient pas forcément toujours d’un bon œil ces négociations avec les personnels. Quel impact à votre avis sur, là aussi, l’emploi ?

M. Aubry
D’abord, je voudrais dire que, sur l’ensemble des accords qui ont été signés jusqu’à présent, 40 % des accords sont des accords signés par des entreprises de moins de 20 salariés. Donc, en fait, elles sont là les Petites et moyennes entreprises ; elles voient bien, aussi, l’intérêt de réorganiser leur travail. Un seul chiffre peut-être, à dire : il y a actuellement, en France, depuis quelques semaines, 500 salariés dont la durée du travail baisse à 35 heures par jour, et plus de 1 000 emplois, entre 1 000 et 1 200 emplois créés par semaine. C’est comme si on apportait un Toyota, chaque semaine, en France. Rappelez-vous comment nous avons salué Toyota. Eh bien saluons l’effet de cette durée du travail et les créations d’emploi qu’elle entraîne.

Question
Mme Aubry vous avez appris, comme nous, cet après-midi, la décision des syndicats concernant Sochaux et l’entreprise PSA. Ils ont décidé de refuser l’accord des 35 heures. Qu’en tirez-vous comme conclusion ?

M. Aubry
Ecoutez, moi je ne me permets pas d’intervenir dans des négociations. J’ai cru comprendre qu’effectivement, ils avaient demandé à revoir la direction…

Question
La pierre d’achoppement c’est l’annualisation notamment, et puis le samedi, aussi, le rattrapage…

M. Aubry
Oui pour certains. Ecoutez, je pense qu’un accord c’est les efforts réalisés par les uns et par les autres. Et je crois que ce qui est très intéressant dans ce mouvement sur les 35 heures, c’est que tout le monde, finalement, y gagne dans les accords signés. Les entreprises trouvent les moyens de mieux utiliser les équipements ; de mieux aménager le temps de travail ; et les salariés d’avoir de meilleures conditions de vie au travail et de mieux articuler leurs vies familiale et professionnelle. Alors peut-être que l’équilibre n’est pas encore trouvé, mais j’espère que PSA le trouvera, parce que après 25 000 emplois détruits, dans l’automobile – PSA+Renault – ces cinq dernières années, j’espère enfin qu’on va repartir vers des accroissements d’effectifs dans l’automobile. C’est tout l’enjeu de cet accord global qui est signé. Mais encore une fois, il appartient aux partenaires de l’entreprise d’en décider.

Dernière question, et on change là totalement de sujet Mme Aubry : il s’agit de la manifestation qui s’annonce dimanche, à Paris, avec les opposants au Pacte civil de solidarité. Estimez-vous que le Gouvernement pourrait reculer sur le projet, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, si la manifestation réunissait beaucoup de monde, comme cela a été le cas à propos de l’école privée ?

M. Aubry
Ecoutez très franchement non. Je pense qu’il s’agit tout simplement de mettre notre droit en lien avec les faits. Vous savez qu’il existe, en France, aujourd’hui, 4 millions de concubins, qui aujourd’hui n’ont pas les mêmes avantages en matière de fiscalité ou autre, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels. Il faut donc mettre le droit à la hauteur des faits. Moi j’ai déjà dit, très souvent ce que je pensais. La famille n’est pas en cause ; le mariage n’est pas en cause, et heureusement d’ailleurs, car autrement je ne pourrais pas soutenir le Pacs. Je crois tout simplement qu’il s’agit de permettre à des gens qui ont décidé de vivre, selon une certaine forme – et ce n’est pas à la politique de décider comment les gens doivent vivre ou comment ils doivent aimer ; je crois que c’est à nous de leur donner la possibilité de vivre et aimer correctement. Vous savez, quand, aujourd’hui dans un couple qui n’est pas marié, un des deux décède, et que l’autre doit quitter l’appartement, alors qu’on a parfois 20 ans de vie commune, on ajoute de la douleur à la douleur ! Alors si on peut régler ces problèmes, eh bien réglons-les, sans toucher, bien sûr, au mariage, à la famille. Chacun peut avoir ses choix dès lors qu’ils ne portent pas atteinte à nos droits communs. Je crois que le Pacs ne porte pas atteinte à nos droits communs.