Texte intégral
Salariés, actifs ou retraités, précaires ou stagiaires, chômeurs ou exclus, ont vraiment toutes raisons de se faire entendre fort en cette rentrée 1995.
Au stade où nous en sommes, les velléités présidentielles sur la guerre à livrer au chômage, les fractures sociales à éviter, n'ont pas dépassé le stade du discours.
Certes, les contradictions qui prennent de l'ampleur au sein de la majorité et du gouvernement, témoignent de la force avec laquelle continuent de s'exprimer les aspirations et les attentes de choix différents de ceux qui nous écrasent aujourd'hui.
Dès lors, le seul débat qui vaille ne porte pas sur le rythme et l'ampleur des réformes à faire, mais sur le sens des mesures à prendre, sur qui doivent porter les efforts.
C'est d'ailleurs sur ce fond que l'on assiste, depuis plusieurs semaines, à un véritable forcing du patronat pour obtenir encore plus de concessions, d'avantages, de soutiens financiers.
Le côté indécent des nouvelles exigences formulées est souligné par le bilan de quinze ans d'aides financières accordées sous couvert d'aides à l'emploi.
Il faut beaucoup d'audace à l'UIMM pour affirmer, comme elle vient de le faire, que les entreprises assument leur responsabilité dans la lutte contre le chômage.
En réalité, les différentes dispositions accumulées depuis plus de dix ans ont permis aux entreprises de s'accaparer la plus grande partie des richesses produites.
Non seulement elles n'ont pas participé à l'effort pour redresser la situation de l'emploi, mais l'essentiel des sacrifices a été imposé aux salariés.
La masse salariale (cotisations sociales comprises) qui représentait 68 % de la valeur ajoutée des entreprises en 1981, n'en représente plus que 60 % aujourd'hui.
Le président de l'OFCE, Jean-Paul Fitoussi, a reconnu que notre pays est celui où la part des salaires dans le revenu national a le plus baissé dans les quinze dernières années.
La quasi-totalité des prélèvements supplémentaires a pesé sur les salaires (CSG ou TVA) tandis que diminuait la fiscalité pour les entreprises (impôt sur les sociétés, taxe professionnelle), en quinze ans, la part relative des cotisations des salariés, dans l'ensemble des cotisations prélevées à l'entreprise, a augmenté de 50 %, alors que la contribution patronale baissait de 15 %. Voilà qu'aujourd'hui, le ministère des Finances constate des entrées fiscales des entreprises encore inférieures aux prévisions. Cela signifierait-il qu'au-delà des largesses dont elles bénéficient, les entreprises rajoutent de la rétention ?
Les profits sont les grands gagnants et atteignent aujourd'hui le niveau record de 32 % de la valeur ajoutée. Le bas de laine des entreprises, notamment les plus grandes, est supérieur aux investissements réalisés et, malgré cela, le chômage reste supérieur à la plupart des pays industrialisés, le chômage de longue durée augmente, et précarité, temps partiel occupent l'essentiel du champ de création d'emplois. N'en déplaise à M. Kessler, vice-président du CNPF, la réalité est bien celle-là. Plus on donne d’argent aux entreprises, plus l'économie va mal et plus se détériorent les conditions d’emploi.
Cette appréciation générale cache évidemment des diversités. La majorité des entreprises individuelles, petites entreprises industrielles ou industries de main d'œuvre, continuent de rencontrer des difficultés, étranglées qu'elles sont par les banques et les directives draconiennes des grands groupes donneurs d'ordre, véritables maîtres du marché, qui se comportent maintenant en prédateurs à l'égard des petites entreprises.
Voilà pourquoi nous disons que les réformes nécessaires doivent résolument tourner le dos à ces choix et à ces orientations, et battre en brèche les prétentions des grands de l'industrie et de la finance qui exigent, à l'instar de l'UIMM, une réduction drastique des dépenses publiques, encore plus de flexibilité, plus de liberté pour supprimer des emplois et de l'argent, toujours plus d'argent pour les centres de formation du patronat et les contrats d'apprentissage
C'est en regard de ces enjeux là que le gouvernement engage sa crédibilité.
Tout est bon pour justifier les mesures agressives contre les salariés. Après le choc pétrolier, la maîtrise de l'inflation, la guerre du Golfe, le franc fort, ce sont aujourd'hui les critères de convergences de Maastricht qui servent de points d'appui à cette exigence d'austérité au travers des déficits publics.
Il faut aussi parler clair à ce sujet.
Situés à 5 % du produit intérieur brut, les déficits publics, dans leur ensemble, sont certes élevés, importants, mais n'ont rien de véritablement catastrophique. En réalité, la charge la plus lourde relève du coût de financement de ces déficits, c'est-à-dire de l'intérêt versé pour les titres d'emprunt d'état. Près de 300 milliards sont versés chaque année par les administrations publiques, soit les deux tiers du déficit total.
Où sont donc les privilégiés, les profiteurs et les budgétivores ?
Contrairement aux allégations de M. Madelin, la part des dépenses publiques dans l'ensemble des richesses produites n'a pratiquement pas varié depuis 1984 (environ 10 %).
Pour toutes ces raisons, il n'est pas question d'accepté une nouvelle cure d'austérité la France souffre d'une insuffisance de consommation et d'un gâchis de richesses.
IL FAUT Y METTRE UN TERME.
Nous appelons donc tous les salariés du secteur public, nationalisé, privé, tous les actifs et tous les retraités, précaires, chômeurs à se dresser contre des exigences qui, continueraient d'enfoncer irrémédiablement la société Française dans un gouffre. Nous les appelons à se faire entendre et à exprimer eux aussi et avec extermination leurs exigences.
Le gouvernement veut ouvrir les grands dossiers. Non seulement nous voulons que l'on nous entende, mais nous ferons tout pour que les salariés se fassent entendre !
C'est vrai à propos des privatisations puisque la mise en œuvre des projets annoncés constitue une véritable marche forcée vers la dilapidation du patrimoine national qui ne peut, en aucun cas, constituer une réponse sérieuse au problème du déficit qui prive le gouvernement de leviers, décisifs pour imprimer un cours différent dans l'évolution économique. Les sombres visées sur France Télécoms ou EDF/GDF par exemple, ne peuvent que susciter des ripostes massives du personnel.
La CGT fera tout pour qu'elles soient le plus large et le plus unitaire possible.
C'est vrai pour le pouvoir d'achat, l'emploi, la protection sociale qui sont solidairement au cœur des préoccupations des salariés. Nous l'avons dit, le pays a besoin d'un souffle d'air pur pour relancer la consommation
L'augmentation du SMIC a été un coup d'épée dans l'eau puisque largement absorbée par le relèvement de la TVA et l'augmentation de la CSG. Dans chaque entreprise, secteur ou branche, le problème des salaires doit venir sur le devant de la scène, et les intéressés doivent poser avec force leurs revendications.
Dans la fonction publique, les fonctionnaires ont de nombreux défis à relever, et d'abord celui de ne pas se laisser livrer à la vindicte publique parce qu'ils ont un emploi, un traitement, une retraite.
Ils n'ont ni à culpabiliser en regard de ce qu'ils sont, ni à rougir de ce qu'ils font. Ils ont, au contraire, à exiger haut et fort que leur pouvoir d'achat soit sauvegardé, ce qui n'est pas le cas avec les mesures prévues par l'accord salarial 93/95. D'ailleurs, la part dans le budget des rémunérations des fonctionnaires est en constante régression depuis 1982. Ils ont à exiger une autre politique de l'emploi que celle qui consiste à multiplier les CES, les non titulaires ou les emplois à temps partiel.
D'une façon générale d'ailleurs, il faut dire avec plus de netteté que le développement des emplois à temps partiel imposé constitue une forme perverse de réduction de la durée du travail entièrement supportée par le salarié. Elle va être de plus en plus utilisée par les employeurs pour rendre plus difficile la mise en œuvre de mesures de réduction de la durée du travail sans perte de salaire au service des créations d'emplois.
Nous souhaitons que toutes les forces syndicales de la fonction publique se retrouvent ensemble, comme l'ont proposé nos fédérations CGT, pour parler avec la même fermeté au gouvernement et pour appeler ensemble les personnels à se faire entendre.
Concernant l'emploi, il est aujourd'hui essentiel de poser avec beaucoup plus de force le problème de l'utilisation de l'argent public, de la transparence dans la connaissance de l'utilisation de l'argent.
À persister dans une démarche de cadeaux « sans retour », le gouvernement doit s'attendre à des réactions fortes, car il ne fera croire à personne qu'il est ignorant des conséquences perverses de cette politique.
Nous proposons de stopper les plans sociaux, de définir des conditions nouvelles pour soutenir les PME ou les industries de main d'œuvre et d'impulser un véritable débat pour engager, enfin, une vraie réduction de la durée du travail.
Le patronat fait de la mousse sur l'augmentation récente des créations d'emplois, en oubliant de dire que, pour l'essentiel, ce sont des emplois précaires, CDD, temps partiel ou intérim. On ne redressera pas la situation en jouant de la panoplie variée des ersatz d'emplois qui, de plus, aggravent la situation de la protection sociale.
En ce domaine, les interrogations deviennent lourdes, le gouvernement agite beaucoup le déficit, et la présentation qui en est faite vise à culpabiliser les assurés sociaux, les salariés, les retraités, les chômeurs.
Mais, que représentent vraiment les 56 milliards annoncés pour 94 et les 62 milliards prévus pour 1995 lorsque l'on sait que les dettes de l'État envers la protection sociale, ajoutées à celles des employeurs, représentent près de 36 milliards, et que 19 milliards relèvent de la compensation par le régime général au bénéfice d'autres régimes ?
Il y a vraiment besoin d'un débat VÉRITÉ sur les causes des difficultés, les chiffres, les solutions possibles.
Pour sa part, la CGT considère que toute augmentation de la participation des salariés pour augmenter les recettes n'est ni envisageable, ni admissible. Ils ont déjà trop supporté.
Il est plus que temps de faire contribuer les revenus financiers et les revenus du capital au financement de la protection sociale, et il est possible d'y parvenir sans porter atteinte ni à la compétitivité, ni à la rentabilité des entreprises.
Quant à la CSG, nous y sommes opposés et nous le restons pour deux raisons essentielles :
1. Il s'agit bien du cheval de Troie ouvrant la voie de la fiscalisation du financement de la Sécurité sociale.
2. Cet impôt est, de plus, un véritable « pâté d'alouette » pénalisant lourdement les salariés et retraités, et donnant l'illusion d'une participation du capital.
Nous sommes donc contre l'extension de l'assiette, mais si le gouvernement persiste à vouloir l'augmenter, nous exigeons que seule soit augmentée la part touchant les revenus du capital.
Tous ces dossiers nécessitent évidemment une mobilisation des salariés et des initiatives syndicales favorisant le rassemblement et le rapprochement des organisations.
Non seulement la CGT est disponible pour cela, mais nous sommes décidés à tout faire pour favoriser le développement d'initiatives unitaires. Plus grandissent les enjeux, plus s'affirme la responsabilité du syndicalisme.
Divisé, éparpillé, affaibli, le syndicalisme n'a pas la capacité de peser avec la force nécessaire. Le patronat le sait, le gouvernement aussi. La recherche, la construction d'initiatives unitaires va, plus que jamais, guider les initiatives de la CGT. La CFDT a annoncé seule une initiative pour le 6 octobre. Nous en prenons acte, mais ce n'est ni la fin de l'histoire, même pas la fin de l'année, et nous allons donc tout faire pour que, très vite, syndicats, associations, mutuelles puissent se retrouver dans une initiative d'ensemble à la dimension des grands enjeux d'aujourd'hui, et notamment celui de la protection sociale.
D'ailleurs, la perspective de notre 45ème Congrès constitue un élément stimulant pour persévérer sur le chemin de l'unité.
En effet, nous entendons redoubler d'efforts pour organiser une multitude de débats sur le lieu de travail, avec nos syndiqués et ouverts en direction des salariés. Ce souci d'avancée démocratique, de progrès dans le débat, en prolongement de tout le dispositif déjà lancé, doit aider à faire venir en bonne place des questions aussi décisives que celles :
– du besoin d'un syndicalisme fort, car jamais le patronat n'aurait dû parvenir à un tel recul dans le partage de la valeur ajoutée au détriment des salariés, s'il n'avait pu profiter de la faiblesse d'un syndicalisme divisé ;
– du besoin d'un syndicalisme plus fort parce que moins divisé, donc plus attrayant, plus motivant pour les salariés, et notamment pour les jeunes.
Les notions de solidarité et d'unité comme conditions d'un bon rapport de forces gardent bien toute leur valeur, dans tous les générations et notamment dans la Jeunesse qui ne se scandalise pas du pluralisme syndical mais qui ne comprend pas et n'accepte pas la division.
Nous sommes convaincus que la perspective d'un syndicalisme travaillant plus systématiquement en convergence, conduisant ensemble les débats avec les salariés, pour avancer, pour dégager du débat démocratique des objectifs rassembleurs, bref d'un syndicalisme rassemblé dans des formes sauvegardant l'identité et la personnalité de chacun, peut susciter un formidable élan parmi les salariés de ce pays.
En tout cas, l'heure ne nous semble ni à l'hésitation, au doute, encore moins au repli sur soi. L'avenir appartient forcément à ceux qui sauront susciter dynamisme et confiance.
Il serait vraiment grave que le syndicalisme, incapable de dépasser ses divisions, replié sur ses bastions, soit absent de cette perspective-là.