Interview de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, à RTL le 20 janvier 1999, sur l'avenir de la politique énergétique française à la suite de la décision par l'Allemagne d'abandonner le nucléaire, sur la difficulté à créer une industrie européenne de l'aéronautique et sur l'utilisation de la retraite anticipée compensée par l'embauche de jeunes salariés dans l'industrie automobile.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


O. Mazerolle :
Vous avez vu l’accueil réservé par les employés de La Hague à D. Cohn-Bendit. Vous les comprenez ?

C. Pierret :
« Je comprends qu’ils veulent défendre leur outil de travail. Je pense qu’il faut parfois manifester clairement. Peut-être est-ce que cela peut être suivi d’un vrai dialogue ».

O. Mazerolle :
Vous avez aimé que l’autre jour D. Voynet ne cache pas sa satisfaction face à la décision prise par les Allemands ?

C. Pierret :
« La décision prise par l’Allemagne peut avoir des conséquences graves sur l’économie, sur l’énergie, sur la politique énergétique française et puis sur l’emploi aussi. Je pense qu’au-delà de la satisfaction qu’elle a manifestée de voir les convergences qui existent entre ce que pensent les Verts allemands et ce que pensent les Verts français, il y a maintenant des réalités économiques auxquelles on doit s’attaquer, elle et moi ».

O. Mazerolle :
On voit apparaître une idée selon laquelle il pourrait exister une sorte d’Internationale verte qui contredirait les intérêts et les choix énergétiques industriels de la France ?

C. Pierret :
« Non, il y a une politique énergétique française et elle est définie et arbitrée par le Premier ministre. On a eu deux importantes réunions l’année dernière, au mois de février et au mois de décembre, qui a recadré les termes d’une vraie politique énergétique pour les 15, 20, 30 ans qui viennent. Cette politique est équilibrée. Bien sûr elle repose majoritairement – c’est une évidence – sur le nucléaire : 80% de l’électricité primaire produite en France est produite par le nucléaire. C’est une technologie formidable, forte, qui place la France en leader mondial. Ensuite il y a des énergies renouvelables et je veux les développer et D. Voynet veut les développer. Le Gouvernement est très attaché à ce que ces énergies renouvelables – le solaire, la biomasse, le photovoltaïque, la voiture électrique etc. - prennent une place beaucoup plus importante dans le paysage énergétique. Il y a les énergies fossiles – le pétrole, le gaz. Ce dernier ayant aussi un grand intérêt dans la cogénération ».

O. Mazerolle :
Mais peut-on continuer dans le nucléaire sans l’Allemagne ? On dit maintenant que l’usine de La Hague ne va servir à rien.

C. Pierret :
« On ne continue pas sans l’Allemagne. Par exemple Siemens, il y a deux jours, vient de réaffirmer son intérêt pour le réacteur du futur, le PR, que cette entreprise travaille avec Framatome. C’est très important que dans la phase actuelle, un industriel allemand dise : nous, nous voulons continuer les recherches et le développement de ce réacteur ».

O. Mazerolle :
Vous croyez que vos déclarations comparées à celles de D. Voynet, c’est compréhensible pour l’opinion publique ? Il n’y a pas une cohésion gouvernementale en cause ?

C. Pierret :
« Il y a une politique énergétique, c’est le Premier ministre qui la définit ».

O. Mazerolle :
Et les autres, c’est du pipeau ?

C. Pierret :
« Non, pas du tout. Je crois qu’il est très important que D. Voynet – qui a par exemple pu assister avec nous, parce que nous en sommes profondément d’accord – ait pu marquer cette politique énergétique de son sceau particulier. Par exemple, dans le domaine d’une énergie plus ouverte à la discussion, plus démocratique, plus transparente, le fait que nous ayons pu bâtir autour de L. Jospin, il y a quelques jours, cette construction d’approche beaucoup moins, comment dirais-je, bétonnée ; d’une politique énergétique qui, dans le passé, a pu prendre des aspects un peu trop univoques. Mais, aujourd’hui, avec ; par exemple, la création – et nous travaillons à cela avec D. Voynet, tous les deux, en ce moment – d’une autorité indépendante sur la transparence dans le domaine nucléaire et dans le domaine énergétique est une bonne idée. Et les apports des Verts à la politique énergétique sont des apports positifs ».

O. Mazerolle :
Avec les Allemands, où en est-on à l’heure actuelle ? On discute d’ores et déjà avec eux des indemnités ou on espère encore que le contrat pourra être appliqué tel qu’il est ?

C. Pierret :
« Il y a deux choses. Il y a des contrats entre la Cogema et les électriciens privés allemands, il y a des traités internationaux – ou des textes qui ont valeur de traité – de 1989 et 1990. La combinaison des deux crée en fait, je crois, les conditions pour que le groupe de travail que nous avons créé à Potsdam lors de la réunion des chefs d’État et de Gouvernement puisse trouver une solution de compromis. Mais ce que doit faire et ce que fait le gouvernement français est de défendre l’intérêt économique et l’intérêt des salariés des entreprises du secteur énergétique et en particulier de la Cogema ».

O. Mazerolle :
D. Voynet y compris ?

C. Pierret :
« Bien entendu Il n’y a qu’une politique ».

O. Mazerolle :
L’industrie européenne aéronautique et de défense : cette fois-ci ce sont les Anglais qui se marient ensemble. British Aerospace et GEC ont laissé sur le carreau Thomson. Alors que va faire l’orphelin ?

C. Pierret :
« Toute la politique aéronautique européenne reposait sur l’idée et doit toujours reposer sur l’idée, d’un équilibre entre les industriels anglais, allemands, français – auxquels sont joints les Italiens, les Suédois et les Espagnols – et équilibre entre les pays – l’un ne doit pas dominer l’autre. Nous avons progressé depuis notamment une déclaration commune des chefs de gouvernement en décembre 1997, nous avons progressé pas à pas accompagnant les industriels pour construire une société européenne d’aviation ».

O. Mazerolle :
C’est mal parti, dites-moi !

C. Pierret :
« Alors, aujourd’hui, les industriels font la stratégie qu’ils veulent mais aujourd’hui le fait qu’on réunisse l’électronique professionnelle et de défense anglaise avec l’aéronautique anglaise - BAE et GEC Marconi – crée une condition qui rend, c’est vrai, beaucoup plus difficile le fait de faire converger les efforts européens ».

O. Mazerolle :
Alors qu’est-ce qu’on va faire, nous ? On va marier Thomson avec Matra et Aérospatiale ?

C. Pierret :
«Il y a de bonnes réponses françaises stratégiques : Aérospatiale se marie avec Matra Hautes technologies et ces deux là vont posséder, aujourd’hui, presque 50% de Dassault. Par ailleurs, un pôle électronique de défense et de l’électronique professionnelle s’est constitué l’année dernière avec Alcatel et Thomson-CSF ».

O. Mazerolle :
Alors qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont se marier entre eux ?

C. Pierret :
« Il y a une stratégie pas à pas qui fait que nous constituons deux pôles en France ».

O. Mazerolle :
C’est-à-dire ?

C. Pierret :
« Ce n’est pas aujourd’hui que nous allons faire cela. Mais pour l’instant nous négocions avec les Européens. Je suis demain à Madrid pour regarder comment la nouvelle situation créée va quand même permettre aux Européens de faire face aux Américains car c’est cela l’enjeu. L’aéronautique américaine doit trouver en face d’elle une aéronautique européenne unie et forte ».

O. Mazerolle :
L’industrie automobile française : Renault et PSA vont ils pouvoir permettre le départ le départ à la retraite anticipée de 30 000 à 40 000 salariés avec l’aide de l’État contre l’embauche d’environ un tiers de jeunes par rapport au nombre de départs ?

C. Pierret :
« M. Aubry et moi-même nous avons dit plusieurs points essentiels et c’est en train de se réaliser. Un, assez des plans sociaux à répétition. On ne peut pas accepter que tous les ans, au mois de mars, avril, on ait plusieurs milliers de licenciements et de traitements. Deux, le plan Juppé d’il y a trois ans, qui consistait à faire un abonnement au FNE – très coûteux pour l’État – n’est pas une bonne solution. Trois, il faut lier le problème de la pyramide des âges des entreprises automobiles françaises – l’âge moyen est nettement supérieur à l’âge moyen japonais, allemand, etc, et des concurrents – il faut donc lier cette question de modification de la structure des collaborateurs et de la main-d’œuvre dans ces entreprises à celle de la réduction et de l’aménagement du temps de travail, à celle de l’embauche des jeunes et à celle de la qualification des jeunes. En ce moment, les partenaires sociaux de ces entreprises sont en train de discuter dans ce sens. Donc le Gouvernement ne peut que se réjouir que la question soit enfin abordée d’une manière globale et positive ».

O. Mazerolle :
Et l’État apportera son écot ?

C. Pierret :
« L’état apportera son écot mais ce qui est très intéressant, c’est que dans ce qui se dessine, qui n’est pas encore complètement bouclé et qui doit être conforme aux intérêts des uns et des autres, comme aux règles européennes – il faut faire très attention à cela pour ne pas faire un plan sectoriel qui serait condamné par Bruxelles – dans ce qui se dessine et qui est très positif aux yeux du Gouvernement, la participation gouvernementale est plus faible en termes budgétaires qu’elles ne l’aurait été si on avait fait le système Juppé. Et cela est très positif ».

O. Mazerolle :
Et c’est pour quand ?

C. Pierret :
« Je pense qu’on va aboutir très rapidement ».

O. Mazerolle :
C’est-à-dire ?

C. Pierret :
« Les partenaires sociaux le décideront ».

O. Mazerolle :
Un petit mois ?

C. Pierret :
« Peut-être plus vite ».