Texte intégral
Depuis dix-huit mois, la majorité plurielle a fait la preuve de sa capacité à réorienter progressivement les politiques de notre pays. La confiance manifestée par l'opinion publique en est le résultat. Elle en est aussi la condition. Or, cette confiance tient non seulement à l'adresse du premier ministre, à la cohérence de l'équipe gouvernementale, mais aussi à sa pluralité.
Pourquoi donc s'étonner quand une ministre exprime son inquiétude à l'idée que, désespérés, des hommes mettent en danger leurs vies pour demander à vivre chez nous ? Au nom de quels principes un ou une ministre, au sein d'un gouvernement pluriel, devrait-il (elle) « fermer sa gueule »?
Au nom de la solidarité gouvernementale ? Elle est indispensable, indéniablement. Et elle s'impose à tous sur la base des engagements pris collectivement. Les Verts n'y ont pas dérogé et leurs voix n'ont jamais fait défaut, lors des votes décisifs, à l'Assemblée nationale. Au nom du réalisme politique ? Mais le réalisme n'est-il pas de dire aujourd'hui quelques vérités simples : la République, par une circulaire, a incité des milliers de personnes en situation irrégulière à faire une demande de régularisation dans les préfectures. Elle a fait monter chez eux l'espoir d'une vie enfin tranquille dans le pays où ils avaient choisi de résider. Des dizaines de milliers d'entre eux ont été régularisés. C'est une belle et grande avancée et, que je sache, il n'en est résulté aucun désordre économique ou social.
D'autres sont renvoyés à la clandestinité, aux trafiquants de forces de travail, aux marchands de sommeil et de faux papiers.
Certains se voient refuser le bénéfice de la loi Chevènement qui leur accorde le droit au séjour, du fait même d'avoir demandé à bénéficier de la circulaire. Le réalisme, aujourd'hui, est de faire face au problème, non plus avec des principes, mais avec des solutions. Personne ne propose l'ouverture généralisée des frontières ou la régularisation, de tous les sans-papiers. Il ne s'agit ici que de régulariser, par générosité ou par simple réalisme, celles et ceux qui ont déposé une demande en préfecture.
Au nom de la loi du plus fort ? Les rapports de force, ils existent, en politique comme ailleurs. Et je les prends en compte. Mais je crois dur comme fer, même si l'objectif semble marquer le pas en période préélectorale qu'un des enjeux de la majorité plurielle, c'est de dessiner les contours, dans le travail en commun, la confrontation des points de vue, la ré-interrogation de choix anciens, d'une nouvelle culture politique.
Notre gouvernement a su le faire pour sortir de la négociation calamiteuse de l'AMI (Accord multilatéral sur l'investissement), assumer son histoire en Nouvelle-Calédonie comme sur le Chemin des Dames, bâtir les contrats territoriaux d'exploitation – préfiguration de l'agriculture de demain –, inventer les emplois-jeunes, réduire le temps de travail...
Sur d'autres sujets : les sans-papiers, la place de l'automobile, la chasse, les différentes formes de cohabitation, les toxicomanies, le temps libre, les mentalités bougent. Il est important que les politiques publiques n'en restent pas à une vision figée des évolutions culturelles et sociales. Et ce n'est pas être arrogant ou donneur de leçons que de dire que les Verts ont une sensibilité particulière, culturelle, générationnelle, sur ces sujets. Elle enrichit toute la gauche plurielle.
Au nom d'une « certaine idée de l’État » ? Mais je revendique, moi, au contraire, de parler en conscience, même si cela est parfois difficile, quand j'estime que c'est mon devoir. Si je suis un jour entrée en politique, c'était pour dénoncer des situations qui me révoltaient. Je devrais, après tant d'années d'engagements, y renoncer ? Les ministres seraient-ils les seuls dans ce pays à ne pas devoir rendre compte à leur propre conscience ?
Donc je parle et, pis encore, il m'arrive de me reprocher d'être muette et de ne pas savoir apporter de réponses suffisantes à toutes les situations. La pluralité ne doit pas être vécue comme un handicap mais comme un atout. Nos concitoyens savent que nos sociétés sont entrées dans une phase de mutation : la gestion des affaires publiques devient forcément complexe. Toute décision doit prendre en compte des logiques parfois contradictoires : des individus et du collectif, du marché et de l’État, du consommateur, du citoyen et du contribuable, de l'enracinement et de la mobilité. Un vrai consensus se nourrit donc inévitablement de débats, pas d'arguments d'autorité ou de postures convenues. La majorité plurielle, ce n'est pas le plus petit dénominateur commun, ce ne sont pas les concessions lâchées ici ou là, ce n'est pas la moyenne des positions de départ : c'est l'enrichissement des points de vue et la recherche de solutions nouvelles. Ainsi, la pluralité n'est pas seulement une simple donnée de l'équation de départ : elle permet d'être plus inventif, d'aller plus loin.
C'est pourquoi les questions auxquelles nous sommes affrontés aujourd'hui appellent une méthode dynamique d'élaboration concertée au sein de la majorité : l'avenir des systèmes de retraite, l'équilibre de l'assurance-maladie, la future loi-balai sur les 35 heures, le soutien au tiers-secteur d'économie solidaire, la diversification énergétique, la fiscalité des pollutions, la politique des transports, la parité hommes femmes – pour ne citer que ceux-là –, tous ces sujets méritent l'installation d'un cadre de discussion entre socialistes, Verts et communistes.
Mais un simple face-à-face entre partis politiques ne suffit pas à prendre en compte la diversité de notre société. C'est quand le gouvernement sait associer à sa réflexion et à ses décisions les acteurs de notre société qu'il est le mieux à même de répondre à ses aspirations et de s'inscrire dans une dynamique. Le processus de réduction concertée du temps de travail illustre la pertinence de cette démarche. C'est, au contraire, quand il a voulu aller trop vite et faire cavalier seul – même avec la meilleure volonté du monde – qu'il s'est heurté à des refus, des empêchements, des résistances et s'est retrouvé enfermé dans une guerre statique de positions.
Je souhaite donc qu'au déplaisir d’être morigéné – ou de morigéner – quand une parole divergente s'exprime se substitue le plaisir d'une convivialité fondée sur des débats plus sereins. Ainsi trouverons-nous la capacité de nous installer dans la durée et de préparer ensemble les échéances qui nous attendent.
Ce n'est pas être arrogant ou donneur de leçons que de dire que les Verts ont une sensibilité particulière sur divers sujets. Elle enrichit toute la gauche plurielle.