Interviews de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée nationale et député-maire de Nantes, dans "Le Figaro" le 15 octobre 1998 et "Ouest-France" le 9 novembre, sur ses projets pour la ville de Nantes, ses activités de maire et de président de groupe parlementaire, et la limitation du cumul des mandats.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat sur le Pacte civil de solidarité (PACS) à l'Assemblée nationale le 4 novembre 1998

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro - Ouest France

Texte intégral

LE FIGARO - 15 octobre 1998.

LE FIGARO. - Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent votre double casquette ?

Jean-Marc AYRAULT. - Je n'ai pas deux casquettes. Je suis socialiste, tout le monde le sait. En 1995, j'ai clairement fait campagne en faveur de Lionel Jospin à l'élection présidentielle. Mais je ne suis pas sectaire : je suis le maire de tous les Nantais. Un maire est là pour répondre aux préoccupations de ses administrés et pour représenter sa ville. Vous noterez au passage que c'est moi qui ai fait restaurer la statue de Louis XVI...

LE FIGARO. - Comme maire, quels sont vos projets ?

- Il est difficile d'évoquer l'avenir de Nantes sans évoquer parallèlement celui de Saint-Nazaire, qui constitue son ouverture sur l'Atlantique. Les deux villes regroupent au total quelque 800 000 habitants. Le développement de cet ensemble constitue évidemment une priorité. Pour ce qui concerne Nantes proprement dite, ma politique vise notamment à y développer la circulation, on particulier dans le centre ville. Le tramway contribue : puissamment à l'irriguer (Nantes est la première ville de France pour le kilométrage de lignes de tramway). Cela peut permettre d'y attirer des enseignes de qualité.

Il convient aussi de promouvoir le rôle européen de l'agglomération. A ce propos, je souhaite la création, en partenariat avec Rennes, d'un aéroport du Grand Ouest, qui serait situé à une demi-heure de chacune des deux villes.

LE FIGARO. - On vous sait attaché à la vie associative, à la culture...

- La qualité de la vie représente effectivement une carte à jouer. Cela vaut pour l'environnement comme pour le développement des activités culturelles. A cet égard, Nantes est une ville très ouverte, qu'il s'agisse de la musique, des arts plastiques, etc.

LE FIGARO. - Quel jugement portez vous sur votre opposition ?

- Ses divisions ne la servent pas. Et la manière dont, elle fait porter le chapeau de ses échecs à Elisabeth Hubert n'est pas très élégante.


OUEST-FRANCE - Lundi 9 novembre 1998.

Q - La présidence du groupe parlementaire socialiste de l'Assemblée nationale – que vous devez à Lionel Jospin –, ce n'est pas vraiment un cadeau, non ?

Ce n'est pas toujours simple. Quand on me l'a proposée, j'ai hésité 24 heures... Vous savez, on n'est pas président de groupe pendant des années. Gaston Defferre a du l'être deux ou trois ans... C'est une épreuve et je prends des coups. Jean Poperen aimait à citer Pouchkine : « les coups brisent le verre et trempent l'acier... » Alors je progresse, je progresse...

Q - Qu'en dit le Premier ministre ?

Ce qui est sûr, c'est que je suis écouté du Premier ministre quand je donne la sensibilité des parlementaires qui sont souvent le reflet des inquiétudes de la population. Mon expérience de maire de Nantes l'intéresse également [...]

Q - Le premier débat sur le Pacs, le 6 octobre, a été commenté par la presse – durement – comme un loupé. Comment l'avez-vous vécu ? Et que vous a dit Lionel Jospin ?

Un jour, j'écrirai l'histoire du Pacs. Je la connais bien. Lionel Jospin ne m'a fait aucun reproche sur un dossier qu'il connaît bien lui aussi. Ce qui s'est passé relève de manoeuvres internes. Lorsqu'on m'attaque, il faut aussi se demander qui est visé ? Je ne suis pas dupe. Les articles de Libération sont trop marqués, trop connotés. Sachons prendre un peu de recul...

Q - Vous avez mis en cause vos collègues députés absents. L'affaire du Pacs n'offre-t-elle pas aux adversaires du cumul des mandats, dont vous êtes, une opportunité de faire avancer les choses?

L'affaire du Pacs n'est pas la conséquence du cumul des mandats, mais des méthodes de travail internes à l'Assemblée, notamment depuis la suppression du système de vote par clés. Loin de moi l'idée de préconiser le retour au vote par clés. En revanche, je crois à la nécessité de revoir notre façon de travailler. Et je ne parle pas là seulement du groupe socialiste [...] Cela dit, bien sûr qu'il faut limiter le cumul des mandats ! Pour autant, je ne veux pas voir demain un Parlement formé uniquement d'énarques. Pour être réussi, le non cumul suppose que nous franchissions une nouvelle étape de la décentralisation. J'appelle de mes voeux une nouvelle grande loi Defferre. Je suis Jacobin pour ce qui touche aux fonctions régaliennes de l'État, mais l’État sera d'autant plus fort et moderne qu'il saura rompre avec sa culture trop centralisatrice. Nous, les élus, avons besoin de déconcentration et de décentralisation. C'est en ce sens que je suis un Jacobin décentralisateur

Q - Cette seconde loi Defferre donnerait, bien sûr, de nouvelles compétences aux régions et à l'intercommunalité ? On disait le projet sur l'intercommunalité imminent, et pourtant il se fait attendre ?

Il y a un projet de loi Chevènement sur le développement de l'intercommunalité – et notamment la taxe professionnelle d'agglomération – qui a été adopté en conseil des ministres. Il y a égale ment la loi Voynet sur l'aménagement du territoire, la loi Zuccarelli sur les aides économiques. On en débattra l'année prochaine. Cela vient un peu tard à mon gré, d'autant que j'aurais aimé quelque chose de plus fort qui s'inscrive dans un meilleur équilibre entre le pouvoir central et le pouvoir décentralisé. Mais soyons clair, je ne veux pas non plus d'un retour aux provinces ou aux féodalités !

Q - Revenons à Nantes. Depuis vos nouvelles responsabilités, on vous y voit moins. Non ?

Ce n'est pas mon sentiment. Je continue d'aller dans les quartiers, de voir et de recevoir les Nantais. Je suis très attaché à ce contact individuel et cela va s'accentuer avec les carrefours des citoyens.

L'exigence de proximité, je le sais, est forte. Un maire de grande ville doit être en permanence au croisement de la gestion du territoire et de la gestion des populations. Depuis quelque temps, j'ai consacré beaucoup de temps aux questions d'avenir, à la préparation du futur contrat de plan État-région, État-agglomération, État-ville. Bien sûr, j'ai autour de moi une équipe de qualité, qui travaille bien, et sur laquelle je peux m'appuyer en déléguant beaucoup et plus que par le passé. Mais je vais au contact direct. J'en ai besoin. Et cela ne se sait pas toujours.

Q - Le groupe socialiste – vous êtes à Paris du mardi matin au jeudi soir voire au vendredi –, les grands dossiers d'avenir, le contact avec les gens... Dans une existence humaine, on arrive à faire tout ça ?

J'ai peu de loisirs, c'est évident. Mais j'ai fait un choix et ce que je fais me passionne.

Q - Depuis combien de temps êtes-vous allé au cinéma ?

Peu de temps. Avec ma femme, je suis allé voir « il faut sauver le soldat Ryan », « Place Vendôme ». Et si ce soir je ne termine pas trop tard, j'aimerais aller voir « La vie est belle ». Il est important d'avoir une vie comme les autres. Ce week-end (mais c'est rare), je suis allé en Bretagne, avec mon épouse. Le temps était extraordinaire. Je tiens beaucoup à ces respirations. Mais c'est vrai, mon emploi du temps est très lourd.

Q - Sur le cumul, toujours : ministre et maire, est-ce conciliable ?

Le Premier ministre a tranché puisqu'il a demandé à ceux de ses ministres qui étaient maires de se consacrer entièrement à leurs fonctions ministérielles. Le temps est révolu où l'on était ministre d'abord pour défendre sa ville ou son département. Du ministre on attend des arbitrages impartiaux. Et le désir de proximité des citoyens fait que le ministre est aujourd'hui perçu différemment...

Q - Mais si on vous le proposait ?

La question, pour moi, ne se pose pas car je privilégie Nantes.

Quand même, si Lionel Jospin vous le proposait, dans six mois, dans un an, à la faveur d'un remaniement. Que diriez-vous ?

Q - Mon projet, c'est d'aider cette ville et de contribuer à ce qu'elle réussisse. Que Nantes avance. Mon choix est clair : c'est Nantes que je privilégie...