Interviews de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, dans "Le Républicain lorrain" du 18 et à RTL le 20 novembre 1998, sur le passage à l'Euro, les relations entre le gouvernement et le MEDEF et sur les négociations avec les partenaires sociaux sur la réduction du temps de travail ou sur l'ARPE.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Le Républicain lorrain - RTL

Texte intégral

LE REPUBLICAIN LORRAIN : Mercredi 18 novembre 1998

R.L. - « Vous avez exprimé lors de la naissance du MEDEF (ex-CNPF) votre volonté de placer l'entrepreneur au coeur de la société et d'avoir des relations de partenariat avec l'Etat. Comment est-ce possible ? »

E.-A.Seillière : « En Grande-Bretagne, en Espagne et Italie où je me suis rendu récemment, les autorités politiques et administratives ont compris, avec la mise en place de l'euro, que la réussite de l'entrepreneur et de l'entreprise était absolument fondamentale pour l'avenir de leur pays. On a réussi à  créer dans ces pays un climat de coopération et de compréhension entre les entrepreneurs et les décideurs si bien qu'ils s'appuient les uns sur les autres. Je souhaiterai que la transformation du CNPF en MEDEF soit l'occasion d'ouvrir une ère nouvelle. Nous avons un vrai désir de dialogue et de compréhension avec non seulement les décideurs mais aussi l'opinion afin de combler notre très grand retard. »

R.L. : - « Certaines PMI éprouvent des difficultés à  recruter du personnel qualifié. Quelle mutation notre société devrait-elle opérer afin de mieux assurer les besoins et la compétitivité des entreprises ? »

E.-A.Seillière : « Il faut penser à  un nouveau paritarisme, celui de l'éducation et de la formation. Les partenaires sociaux qui sont l'émanation de l'entreprise ont vocation à  s'y intéresser afin que les jeunes de notre pays soient préparés à  entrer dans l'entreprise et à  y développer leurs compétences. Quand il y a inadéquation entre formation et besoins des entreprises, on voit des entreprises, malgré le chômage des jeunes, qui ne trouvent pas du personnel qualifié et vice et versa des chômeurs auxquels les entreprises ne proposent pas des postes correspondant à  leur formation. Il faut donc associer de très près les formateurs et les entrepreneurs pour résoudre cette inadéquation et développer une formation permanente mettant les compétences des uns au service des besoins des autres. »

R.L.- « A J-45 de l'Euro, les entreprises françaises sont-elles bien armées pour affronter la concurrence ?»

E.-A. Seillière : « En France, les entrepreneurs ont un certain nombre de handicaps à  surmonter vis à  vis de beaucoup de leurs voisins avec lesquels la concurrence va s'élargir du fait de la monnaie commune. On s'est intéressé aux aspects de souveraineté et de techniques monétaires de l'euro. Mais on a tout à  fait sous-estimé la dimension du nouvel espace économique global qui va se mettre en place très rapidement et qui sera probablement élargi à  Quinze. Cette novation va entraîner une comparaison très vive entre les différents espaces économiques juxtaposés en termes de capacité d'accueil et de développement des entreprises. Si l'on ne met pas la société française à  la moyenne européenne-on n'en demande pas plus pour l'instant l'attractivité de notre espace économique ne sera pas suffisante pour que l'on puisse y développer notre produit national brut. Je ne crois pas beaucoup aux délocalisations brutales d'entreprises car les coûts et les ruptures entraînés par la fermeture ne sont pas suffisamment intenses pour les provoquer. Mais les créations et les développements d'entreprises se feront alors loin de chez nous. »

R.L.- « Faut-il prendre des mesures d'harmonisation ? »

E.A. Seillière : « Certains pays européens concurrents qui estiment avoir des avantages ne sont pas prêts à  une harmonisation. Nous avons dénoncé ce problème au moment de la mise en place des 35 heures. Nous avons jugé en effet que les 35 heures qui entraînent un surcoût à  la charge exclusive des entreprises françaises étaient en contradiction avec la mise en place de l'euro très bénéfique au demeurant à  moyen terme pour l'Europe dont les entrepreneurs français comptent bien profiter. »


RTL - vendredi 20 novembre 1998

M. Aubry vous invite à  négocier avec les syndicats, pour qu'il y ait un moindre recours aux contrats à  durée déterminée ou aux contrats par intérim, pour lutter contre la précarité de l'emploi. Vous allez le faire ?

« Le contrat à  durée déterminée, c'est comme ça qu'on a créé, en effet, dans notre pays, depuis un an, un très grand nombre d'emplois. Il y a 300 000 emplois qui ont été créés par les entreprises, depuis un an, grâce à  l'expansion, beaucoup en CDD. Pourquoi ? D'abord parce que les entreprises -  c'est la forme moderne de la compétition - ont besoin de souplesse, de flexibilité, de s'adapter en permanence à  leurs commandes, et que le contrat à  durée déterminée leur permet de faire leur travail. C'est comme ça. Deuxièmement, parce que les règles du licenciement sont devenues si lourdes, si chères, si complexes, si longues à  mettre en oeuvre, si judiciaires dans leurs conséquences, on a réussi, en effet, à  décourager les entrepreneurs, à  faire des contrats à  durée indéterminée. C'est comme ça ! Et puis, les 35 heures -  dont on ne sait pas du tout comment elles devront ou pourront s'appliquer - empêchent actuellement les entrepreneurs de recruter à  durée indéterminée, parce qu'on ne sait pas. L'incertitude est là . C'est comme ça ! On a créé des emplois en CDD ; « ça marche », comme dit T. Blair. C'est bien dommage aujourd'hui, que le Gouvernement intervienne pour dire : là , peut-être, on va réussir à  détraquer des choses. »

Les entreprises ont peut-être intérêt à  cette flexibilité, mais les salariés, quand même, voudraient bien de temps en temps, avoir quelques certitudes. Et quand une entreprise est rentable, pourquoi ne pas faire des CDI ?

« Je crois que les gens qui nous dirigent, ont en vue le régime de fonction publique, qui est en effet tout à  fait intéressant, puisqu'on y a des emplois à  vie. Ils aspirent donc à  des emplois à  vie pour tous, bien entendu. Et moi je peux vous dire que dans la vie moderne - la vie de la réalité, de la compétition européenne dans laquelle on nous met -  l'emploi à  vie, à  la fonction publique, dans l'entreprise, ce n'est pas toujours possible. C'est également comme ça. C'est la réalité, le réalisme. Nous, le Mouvement des entreprises en France … »

Et quand il y a rentabilité ?

« nous avons à  rappeler les gens, à  la réalité du monde dans lequel nous sommes. Bien entendu, on peut rêver de tout ; mais les 35 heures, on les flanque aux entreprises on ne les met pas dans la fonction publique. Les fonds de pension, là , on ne les donne pas à  l'entreprise. Et l'emploi à  vie, on veut nous l'imposer dans les entreprises où ça ne marche pas. Donc je dis, moi, les entrepreneurs, nous disons : regardez la réalité et faites-en sorte que ça marche. D'ailleurs, quand je vais en Angleterre -  je suis allé voir M. Blair et son gouvernement - j'entends : « motivation », « appui», « réussite », « sympathie », « encouragement», « soyons au service des entreprises ». Et qu'est-ce que j'entends ici : « Taxations », « sanctions », « pénalisations », « serrons la vis », « haussons le ton », « menaçons », « répression des abus », « contrôles» ! Deux univers. Les entrepreneurs de France veulent rappeler l'opinion française à  la réalité de la vie économique. »

Mais, vous dites cela à  Mme Aubry, à  M. Strauss-Kahn, à  M. Jospin ?

« Je dis ça surtout à  l'opinion. Parce qu'en réalité, c'est les Français qui ont à  choisir entre une économie qui marche, qui tourne, et qui recrute dans la réalité, et les aspirations politiques, bien légitimes, bien entendu, quand on veut les exprimer, mais illégitimes quand on veut les imposer ou détruire la réalité. »

Vous n'avez pas de contact avec les membres du Gouvernement pour leur expliquer ça ?

« Nous avons des contacts, bien entendu. Le Mouvement des entreprises de France a des contacts les meilleurs possibles, avec le Gouvernement, ça va de soi.»

Les meilleurs, vraiment ?

« M. Jollès a vu Mme Aubry sur tous ces sujets, avant-hier. Le dialogue est constant. Mais ce n'est pas pour autant... Vous savez, nous pouvons leur expliquer, nous ne pouvons pas comprendre pour eux.»

Mais il y a quand même beaucoup de Français qui disent ; tout de même, les patrons, il leur arrive... enfin, les entreprises, il leur arrive de gagner beaucoup d'argent ! Comment -  je reprends ma question - ne peut-on pas avoir des contrats à  durée indéterminée ?

« On est encore dans une société qui estime que, tant qu'une entreprise gagne de l'argent, c'est anormal ; et qu'il faut immédiatement en trouver la contrepartie, sous toutes formes de raidissement, dans tous les domaines. Gagner de l'argent pour une entreprise, c'est sa fonction ; c'est comme ça qu'elle réussit ; c'est comme ça qu'elle investit. Et d'ailleurs, dans le programme socialiste de la Convention de l'entreprise, la notion d'investissement est complètement absente ; on a l'impression, en effet, que, quand on est socialiste, on n'a pas compris que la machine, l'investissement, la réussite de l'entreprise, c'est quelque chose qui demande de l'argent, et donc qu'on en gagne ! C'est tout à  fait normal. »

Mais justement, cette Convention nationale, qui doit avoir lieu ce week-end, demande au Gouvernement, de prendre des dispositions encore plus rigoureuses que celles qu'il a adoptées. Par exemple :  sur les CDD, il veut aller plus loin ; sur le licenciement, alors que Mme Aubry a retardé l'adoption d'une loi sur le licenciement, le PS voudrait le rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement.

« Si le Parti socialiste veut faire rater la France, dans l'Europe qui se met en place -  et qu'a voulu justement M. Jospin, qui a voulu qu'on fasse l'euro - c'est son affaire. Mais nous, le Mouvement des entreprises de France, nous devons mettre en garde les Français. Il y a une manière de faire, en Europe, aujourd'hui, à  laquelle nous devons souscrire. Nous ne pouvons pas rêver ! Et bien entendu, les rivalités politiques entre X et Y, peuvent amener toute sorte d'excès dans les propositions. Mais si par malheur on les appliquait, je préfère vous dire que ce serait fini de l'expansion française, et probablement un peu de déclin ; ce que nous ne pouvons pas accepter, nous, les entrepreneurs. »

X et Y, ce n'est pas une affaire de chromosomes... Vous désignez qui, là ?

« Vous savez, moi je ne suis pas un expert en politique, le Medef ne fait pas de politique, et donc je ne peux pas me mêler de ces affaires-là . Mais il est évident qu'il y a des rivalités de personnes, de tendances, qui amènent les gens, dans les partis politiques à  quelquefois dire n'importe quoi. Soyons francs, nous le savons bien, nous, les entrepreneurs. »

L'Arpe : vous voulez relancer de système qui consiste à  permettre à  ceux qui ont cotisé 40 ans, de partir à  la retraite anticipée, contre l'embauche d'un jeune, mais vous ne voulez pas de l'aide du Gouvernement. Pourquoi ?

« C'est une affaire de partenaires sociaux. Vous savez, ça existe le paritarisme, et nous souhaiterions que le jeu devienne clair, et que le Gouvernement ne se mêle pas des affaires des syndicats et des entrepreneurs quand ils traitent d'une question. L'Arpe est très souhaité par les syndicats ; un certain nombre d'entreprises trouvent que c'est un régime, en effet, favorable, qui leur permet de rajeunir leurs cadres. Et donc nous avons, en effet, au Medef dit : engageons la négociation sur ce sujet. Le Gouvernement veut s'en mêler en disant : écoutez, j'ai une petite prime. Nous lui disons : gardez votre prime pour ce que vous voudrez, mais ne vous mêlez pas de nos affaires ; nous allons régler ça entre nous. »

Mais qui va financer ?

« Nous allons financer ça sur les ressources de l'Unedic. C'est un système paritaire, dans lequel il y a des prélèvements et des recettes, des dépenses. A nous les partenaires sociaux de régler … »

Mais il n'y pas assez d'argent.

« S'il n'y a pas assez d'argent, on arrêtera. C'est comme ça. Vous ne voulez pas trouver de l'argent toujours ! Et si le Gouvernement en, propose, où le trouvera-t-il ? Bien entendu sur les prélèvements qu'il fera sur les entreprises et les salariés. Ne rêvons pas M. Mazerolle ! Il n'y pas une ressource dont on peut tirer et évoquer partout les éléments sans cesse, pour favoriser n'importe quoi. Nous, les entrepreneurs, nous voulons gérer les choses dans le cadre de nos responsabilités. »

Vous pourriez, par exemple, proposer une diminution du montant de la retraite, dans le cadre de l'Arpe ?

« Quand les partenaires sociaux seront confrontés à  une difficulté de financement, ils en tireront ensemble les conséquences. Si le Gouvernement veut reprendre à  sa charge les retraites dans les entreprises et financer l'Arpe, c'est son affaire. Mais, tant que c'est un système que nous gérons ensemble, nous le gérerons dans nos responsabilités, entre nous, en demandant au Gouvernement de ne pas s'en mêler. »