Texte intégral
RTL : vendredi 18 décembre 1998
Q - La condamnation des hommes politiques est unanime, mais pouvait-on laisser un dictateur comme S. Hussein agir à sa guise ?
« Il est clair - ce qui a été parfaitement dit, hier, par le Président de la République et le Premier ministre - que S. Hussein est le premier responsable du malheur qui s'abat à nouveau sur son peuple par son refus obstiné d'accomplir pleinement les obligations internationales qu'il avait souscrites. Dans le même temps, comment accepter qu'un pays comme les Etats-Unis puissent s'ériger en super-gendarme et imposer, en quelque sorte, la loi du plus fort ? On attend au contraire, d'une grande puissance comme les Etats-Unis, qu'elle donne l'exemple du respect du droit et non pas qu'elle le viole par un acte de force. Or nous sommes en présence d'un acte unilatéral, accompli par le gouvernement américain, sans accord du Conseil de sécurité. Et, mépris suprême - vous l'avez observé-, c'est en pleine réunion du Conseil de sécurité, chargé précisément d'examiner le rapport des inspecteurs de l'Onu en Irak, que l'opération a été engagée. Du même coup, on a trompé et humilié le secrétaire général des Nations unies, K. Annan qui, sur ce sujet, avait accompli, je crois, une oeuvre importante de pacification. Mais, par ailleurs, ce qu'il faut dire, c'est que cet acte accompli était totalement disproportionné. »
Q - B. Clinton dit qu'il s'agit d'une guerre de prévention, parce que si on laisse faire S. Hussein, il va de nouveau utiliser ses armes. Vous ne croyez pas à cette analyse ?
« J'ai lu attentivement le discours du Président Clinton. L'ensemble des arguments qu'il invoque ne tient pas. Il invoque d'abord les intérêts américains. Les intérêts américains ne doivent plus, comme à l'époque des interventions d'après-guerre, justifier une opération unilatérale. Par ailleurs, les armes nucléaires irakiennes ont été détruites, et au passage, observons que beaucoup plus de missiles ont été détruits en période de paix grâce à l'action des inspecteurs de l'Onu et le contrôle de l'association internationale, que par la guerre du Golfe. Et sur 130 sites contrôlés, seuls trois semblaient faire problème. Tout le monde le dit, y compris Israël : l'Irak n'a plus les moyens de menacer ses voisins. »
Q - Vous croyez que les Etats-Unis veulent à tout prix montrer qu'ils sont les gendarmes du monde ?
« On croyait ce type de comportement disparu pour longtemps. Malheureusement, on ne peut pas ne pas constater qu'il y a comme une sorte de logique punitive qui habite la superpuissance américaine, et qui la conduit à accomplir un acte, par ailleurs sans portée pratique autre que, malheureusement, la destruction des vies humaines. Et ce qui a été décidé par le Président Clinton est en quelque sorte, par rapport à la situation irakienne, un saut dans l'inconnu. On voit mal quels effets concrets, je le répète, autres que des destructions de personnes et de bâtiments civils, les Américains obtiendront. Et on a envie de dire, ce matin, au Président Clinton : cessez vite, cessez au plus vite, ces frappes absurdes et inhumaines ! »
Q - Du côté officiel français, il y a désapprobation, mais prudente. L. Jospin dit : c'était inévitable mais pas nécessaire. J. Chirac dit : S. Hussein est le premier responsable, mais ces frappes ne résoudront rien. Vous souhaiteriez une condamnation plus ferme du Gouvernement français et du Président de la République ?
« Je crois que chacun comprend, au-delà des mots, le sentiment profond du Président de la République et du Premier ministre. Et sur ce point, il y a comme un accord national pour constater que cet acte accompli par les Etats-Unis n'est d'aucune manière justifié et justifiable. Et plus grave encore sont les conséquences que cette action va avoir sur l'ordre international. J'en vois au moins trois. Premièrement : c'est un accroc à la sécurité collective des Nations unies. C'est tout de même une belle construction d'après-guerre pour préserver la paix ! Deuxièmement : il y a eu, en raison de la participation britannique à cette opération, un accroc à l'Union européenne, alors même que, voici quelques jours, avec les Anglais, nous établissions un projet de défense européenne commune. Et, de ce point de vue, on peut se poser des questions sur la future politique commune. Et je plains par avance le pauvre "Monsieur Politique extérieure commune" qui serait déchiré entre les uns et les autres. Nous avons des progrès à faire. Et comme disait l'autre : l'union est un combat et en particulier l'Union européenne. Si nous voulons la construire, il nous faudra bien éclaircir un certain nombre de divergences. Troisième point, qui est assez inquiétant, c'est la dérive de l'Otan. Naguère, on savait ce que c'était. Mais aujourd'hui, on a le sentiment que progressivement, l'Otan devient une construction juridique et militaire au service non pas des pays membres mais d'une nouvelle politique impériale. Et cela, on ne peut pas l'accepter. »
Q - Il y a une autre considération qui est dans tous les esprits, c'est de savoir si B. Clinton a agi pour des motifs personnels. S. July résume ce sentiment dans Libération en commençant son éditorial par cette phrase : « C'est la fellation la plus meurtrière de l'Histoire.
« J'ai lu l'article de S. July qui est excellent. Mais sur ce point, je ne suis pas d'accord avec lui. Je crois que ce qui anime le gouvernement américain, c'est la volonté en tant que superpuissance de punir, encore une fois par la loi du plus fort, l'Irak. D'ailleurs, cela fait des mois et des mois qu'ils souhaitent entreprendre cette action. Et jusqu'à présent, les Nations unies ... »
Q - Mais c'est un homme que vous soutenez ! Vous n'êtes pas déçu de le voir prendre ces décisions ?
« Non, il faut bien distinguer les choses. Sur le plan de l'action que mènent contre lui les ultra-conservateurs pour le déstabiliser, au mépris de la violation de sa propre vie privée, je l'ai soutenu. Je considère que c'est un homme intelligent et de valeur. Je continuerai à le soutenir dans le combat qu'il mène contre l'arbitraire qu'il pourchasse aux Etats-Unis. Raison de plus, vis-à -vis de quelqu'un pour lequel on a une estime, une considération, pour réclamer de lui que, sur le plan du droit international, il soit exemplaire lui-même. Et je crois que le Président Clinton ne se fait aucune illusion. Les ultra-conservateurs ne désarmeront pas et le combat contre lui, je crois, reprend dès aujourd'hui. »
LE PARISIEN : 21 décembre 1998
Q - La frappe américaine était-elle justifiée ?
Jack Lang. Non. C'était une action policière. Le président américain est un homme courageux mais, ce qui était en cause, c'était la logique punitive de son pays : celle d'une superpuissance ; celle de l'expression déplorable de « l'imperium américain ». Les Etats-Unis se croient tout permis, y compris d'agir en interaction avec le droit international.
Q - Bill Clinton en voie de destitution ?
Autant je suis sévère sur l'action militaire conduite par les Etats-Unis contre l'Irak, autant j'estime que l'on devrait être solidaire face à la meute des sectaires qui s'acharne contre Clinton depuis son élection. Là, c'est un procès politique. Depuis 1993, ses adversaires cherchent par tous les moyens à le déstabiliser. Et quand les élus se transforment en tribunal politique, cela change la nature même du système présidentiel.
Q - Selon vous, c'est une mascarade ?
Oui. Cela ne sert pas la démocratie américaine, fondée sur la séparation des pouvoirs. Ce mélange vie privée vie publique, où l'on ne sait plus où est la vraie frontière, rappelle d'abord certains régimes totalitaires. Ensuite, l'action du judiciaire, par le biais du procureur Starr, et celle du législatif, par les ultras du Parti républicain, déstabilise de façon malsaine les institutions.