Texte intégral
RTL : jeudi 18 avril 1996
J.-J. Bourdin : Il y a le mécénat culturel, mais de plus en plus d'entreprises se tournent maintenant vers le mécénat social.
X. Emmanuelli : Pas assez à mon goût, et je crois qu'il faut développer cette forme de mécénat. Pour le moment on connaissait le mécénat culturel, le mécénat sportif, je crois qu'il faut développer le mécénat humanitaire.
J.-J. Bourdin : Pour inciter les gens à aller au salon Humagora, que leur diriez-vous ?
X. Emmanuelli : Je leur dirais qu'il y a les associations qui se présentent. Et c'est l'un des rares moments, l'un des rares endroits où les associations peuvent avoir une tribune, peuvent montrer leurs actions. Elles le présentent sous forme de projets, leur identité. Elles incitent de la sorte les entreprises à les soutenir.
J.-J. Bourdin : Que pensez-vous de propositions du rapport sur l'immigration clandestine relatives aux restrictions de soins ?
X. Emmanuelli : D'abord, je voudrais vous dire que c'est une proposition parlementaire, ce n'est pas la position du Gouvernement. Je ne peux pas être favorable à une telle proposition. Pourquoi ? Parce que c'est contraire à notre éthique, c'est contraire à l'éthique médicale. Je pense que quand les gens sont malades, quels qu'ils soient, quelle que soit leur situation, il faut les soigner. On discute après, mais on les soigne d'abord.
J.-J. Bourdin : Cette proposition vous paraît inacceptable ?
X. Emmanuelli : Oui. Et je pense qu'elle ne sera pas retenue. Ce n'est pas l'optique du Gouvernement.
J.-J. Bourdin : Ce sont quand même des députés de la majorité qui l'ont présenté et soutenu.
X. Emmanuelli : Oui. Ils ont fait des propositions, ils ont interrogé des gens. Mais le Gouvernement n'est pas dans cette optique. Je pense qu'on a une tradition humaniste, les gens malades, quel que soit leur statut, je vous le répète, doivent être soignés. Et puis, s'ils sont contrevenants, on discute après.
J.-J. Bourdin : En avez-vous parlé avec A. JUPPE ou même le président de la République ?
X. Emmanuelli : Non, pas encore. Mais je vous rappelle la phrase de Pasteur : « Je ne connais ni ton nom ni ta religion ni ta race, mais dis-moi seulement quelle est ta souffrance ». C'est ça l'optique. Et depuis le XIXe siècle, on reste là-dessus.
Le Monde : 19 avril 1996
Le Monde : Faut-il, selon vous, modifier les lois Pasqua ?
X. Emmanuelli : À force de faire la répression, on finit par désigner l'ensemble des étrangers y compris ceux qui sont en situation régulière. Le danger est alors grand, comme vient de le rappeler la commission des droits de l'homme de l'ONU, de verser dans le racisme (Le Monde du 16 avril). Bien sûr, il faut combattre l'immigration clandestine, le travail clandestin. Mais surtout il convient de remettre en perspective le problème de l'immigration et de le traiter en amont. On doit prendre en considération, ainsi que l'a récemment souligné le président de la République en Afrique, les difficultés économiques des pays pauvres et aider à leur développement. Ce n'est pas de gaieté de cœur qu'un jeune Africain quitte sa famille, son village, et, s'il le fait, c'est qu'il existe en France un marché du travail clandestin, contre lequel il faut évidemment lutter.
Mais on doit éviter tout amalgame, sous peine de renier tout ce qui fait notre pays et de tomber dans une psychose irrationnelle. Nous vivons dans un monde de plus en plus ouvert à la communication, à la circulation des idées et des personnes, et il n'est pas question de mettre des barbelés autour des pays. En outre, plus on s'oriente vers la répression, plus on crée de l'exclusion.
Le Monde : Que pensez-vous des restrictions de l'aide médicale aux étrangers en situation irrégulière préconisées par la commission parlementaire ?
X. Emmanuelli : Aucun médecin sérieux ne peut prendre ça au sérieux. Je rappellerai simplement la doctrine de Pasteur : « Je ne te demande pas qui tu es, ni d'où tu viens, je te demande quelle est ta souffrance. » C'est toute notre tradition, toute notre éthique : quand quelqu'un est malade, on le soigne, un point, c'est tout. C'est ce que mon père, médecin, m'a inculqué et c'est ce que j'ai enseigné à mon fils, médecin. Ensuite, quand la personne est guérie, ensuite seulement, on se préoccupe de sa situation administrative. Il n'y a rien à dire de plus.