Texte intégral
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Ce colloque sur l'euro arrive à point nommé et je tiens à féliciter de cette excellente initiative les organisateurs de cette journée, les parlementaires, députés et sénateurs, députés européens, du RPR comme de l'UDF et du Mouvement pour la France, au premier rang desquels Maurice Schumann, et nos amis Jacques Myard, Georges Berthu Christine Boutin et Jean-Jacques Guillet.
Ce colloque arrive à point nommé, disais-je, parce qu'à trois mois, presque jour pour jour, de son lancement, tout débat en France sur le sujet reste interdit. La classe politique française, tout comme l’essentiel des élites économiques et des médias, s'est prise d'adoration pour l'euro, à l'instar du peuple hébreu pour le veau d'or pendant sa longue errance vers la Terre Promise.
Et quiconque ose douter des vertus de l'idole est instantanément suspecté, c'est le moins que l'on puisse dire, de contester le but même de la route, la Terre Promise, l'Europe en la circonstance.
Je salue donc les forts nombreux iconoclastes qui ont répondu à votre invitation, parce qu'ils ont bien compris, eux, qu'on ne saurait confondre la fin et les moyens, la foi et le dogme. Et vous avez bien eu raison de commencer cette journée en étudiant les risques que l'euro fait courir à l'Europe elle-même. J'y reviendrai pour ma part à la fin de ce propos tant il m'apparaît comme à vous que la monnaie qui est en train de se dessiner est de bien mauvais aloi pour l'idée européenne elle-même.
J'aimerais cependant commencer par le risque qui me semble le plus immédiat et qui, s'il s'avérait, condamnerait sans doute à brève échéance la monnaie unique. Je veux parler du risque pour l'économie, et pour dire les choses sans détours, du risque pour l'emploi. On sait maintenant en effet que l'emploi sera au siècle prochain, le bien le plus âprement disputé entre les nations du Monde entier. La mondialisation des échanges, la déterritorialisation des entreprises qu'elle provoque, c'est-à-dire le fait que les intérêts des nations et ceux des entreprises, longtemps liés, divergent de plus en plus, l'accélération technologique, voilà autant de phénomènes qui agissent sur l'emploi et sur lesquels nous avons peu de prise. Nous devons donc nous y adapter ou disparaître.
Tel est bien l'enjeu du projet européen, sa raison d'être en quelque sorte. L'union de l'Europe, dans laquelle le Général de Gaulle voyait " le rêve des sages et l'ambition des puissants " est, nul n'en doute, pas plus ici qu'ailleurs, le prolongement naturel de notre histoire nationale, comme elle l'est pour chacune des vieilles nations qui après s'être beaucoup battu entre elles, après avoir beaucoup essaimé de par le Monde, se rendent maintenant compte que leur destin individuel dépend d'abord de leur capacité à se rassembler.
Ceci, nous le croyons, nous les gaullistes, aussi fort que les autres ! Voilà pourquoi il serait temps que cesse cette nouvelle Inquisition qui cloue au pilori celui qui émet le moindre doute, alors que l'on devrait savoir dans ce pays, qui s'honore de l'être, que le doute est le fondement même de la démarche cartésienne.
Et si le doute était permis de longue date en ce qui concerne les effets de l'Euro sur l'emploi, le moins que l'on puisse dire est qu'il n'est pas dissipé à quelques semaines de la décision. Dans le Monde d'hier, M. lzraélewicz, qui anime je crois, votre table ronde de cet après-midi, parle même de "brouillard le plus total". Il s'efforce d'ailleurs de le dissiper avec talent.
Euro fort ou faible ? Stable ou fluctuant ? A ces deux questions fondamentales, nous avons laissé à la seule Banque Centrale Européenne le soin de répondre. Par le Traité de Maastricht, nous lui avons accordé la souveraineté pour la teneur de cette monnaie, ce qui n'était déjà pas rien, et, à Amsterdam, nous lui avons concédé, de surcroît, la souveraineté en matière de change, que le Traité de Maastricht avait conservé aux gouvernements, dans un louable souci d'équilibre.
Ainsi, pour la première fois dans l'Histoire, des nations sont-elles en train de se départir définitivement de l'essentiel de leur souveraineté monétaire et par conséquent, économique, au profit d'un organe indépendant, souverain, détaché de toute élection comme de tout contrôle. Dans un pays aussi achevé que les États-Unis d'Amérique, la Banque Fédérale a moins de pouvoirs que n'en aura, dès sa naissance, la Banque Européenne. On se rappelle ainsi que c'est Nixon qui décida en 1971 de rompre la parité entre le dollar et l'or, et non le Président de la Réserve Fédérale.
Voilà donc ainsi, non pas un risque de plus, mais une certitude. La Banque Centrale Européenne sera la première instance supranationale dotée de la souveraineté. C'est un peu comme si l'ensemble des pays du monde décidaient d'abandonner à l'ONU leur indépendance diplomatique et militaire.
Car autant l'indépendance de la Banque se conçoit au sein d'un ensemble politique, c'est-à-dire aujourd'hui démocratique, autant elle s'apparente, l'Europe étant ce qu'elle est, à une nouvelle forme de dictature, au sens strict du terme, à l'échelle européenne. Et cette dictature-là, contrairement à celle des marchés de capitaux, qui s'impose à nous, nous l'aurons installée nous mêmes !
Est-elle cependant capable d'améliorer la situation de l'emploi en Europe, cette sacro-sainte Banque ? Nul ne le pense vraiment. D'abord parce que cela ne fait pas partie des objectifs qui lui sont dévolus. Nous en serons réduits à compter sur le bon cœur des gouverneurs.
Ensuite, parce que la recherche de la crédibilité de l'euro aux yeux des marchés internationaux l'emportera sur toute autre considération. Et on ne voit pas comment il serait possible, cela m'apparaît d'ailleurs comme une lapalissade, de fonder cette crédibilité sur autre chose que l'étalon monétaire actuel de l'Europe, c'est-à-dire le Mark. Voilà pourquoi l'euro sera nécessairement fort, et ce au moins jusqu'à ce que l'identité de la nouvelle monnaie soit définitivement établie sur les marchés internationaux de devises. Fort, c'est-à-dire cher. Le risque n'est pas tant pour nos échanges avec le reste du Monde, qui ne représentent encore que moins de 10 % de la production européenne. Ils en seront cependant affectés.
Non, le danger le plus explosif que recèle une monnaie surévaluée concerne la localisation des activités, tant la monnaie entre tout autant, sinon davantage, que le coût du travail dans la décision de produire ici plutôt qu'ailleurs.
La cherté de la monnaie affecte la compétitivité d'un site de production comme disent les Allemands, bien davantage que les salaires et les charges sociales, car elle affecte la totalité du coût de production et non seulement celui du travail. Si l'on considère que le coût du travail - salaires et charges - représente en moyenne la moitié du coût de production total, on s'aperçoit aisément que le coût de la monnaie affecte deux fois plus la compétitivité que celui du seul travail. Deux fois plus !
Nous avons ainsi déjà payé d'un bon million de chômeurs la course effrénée à la monnaie unique. Avec l'Euro cher, nous allons nous condamner, en toute hypothèse, non pas à réduire les exportations de ce qui est produit en Europe, mais à réduire cette production elle-même !
Il y a d'ailleurs quelque schizophrénie à se féliciter d'une reprise en Europe qui doit tout à la hausse du dollar, et de se préparer dans le même temps à créer une monnaie qui va annuler les effets bénéfiques de cette hausse, voire, probablement, renvoyer le dollar à la baisse !
L'Europe va ainsi se retrouver dans la situation d'un assoiffé qui déciderait de lui-même d'augmenter indéfiniment le prix de l'eau. Les analystes les mieux disposés à l'égard de la construction européenne prévoient ainsi un effet récessif sur les économies européennes, du moins pendant toute la période de transition. Et les nations, ne pouvant plus compenser cette baisse d'activité par la politique de change, ni par la politique budgétaire, pacte de stabilité oblige, elles n'auront d'autre choix que de réduire l'emploi ou les salaires, voire les deux ensemble.
C'est ce à quoi se prépare, avec une certaine cohérence dans l'erreur, le gouvernement de Lionel Jospin avec les 35 heures. Il serait peut-être temps de lui expliquer que la déesse Euro exigera qu'on lui sacrifie toujours davantage d'emplois et qu'il a donc tort de s'arrêter en si bon chemin.
Je sais que beaucoup ne partagent pas ce point de vue et attendent de l'euro le remède à tous les maux, le chômage en premier lieu. Souhaitons qu'ils aient raison, puisqu'après tout ce sont eux qui sont à la manœuvre. Mais s'ils ont tort, le problème est qu'ils n'ont pas prévu de solution de rechange ; le 2 mai 1998, nous brûlons nos vaisseaux, autant dire notre indépendance. Le voilà, le fatal engrenage ! La crédibilité de la monnaie exigeait l'indépendance de la Banque ; l'indépendance de la Banque se prouvait par le fait qu'il n'y avait plus de retour en arrière possible ; cela imposait que les politiques, versatiles par nature, n'aient plus jamais leur mot à dire ; ce qui commandait donc que les peuples, qui sont eux aussi changeants, soient ad vitam æternam sevrés du droit de s'exprimer en la matière. Et voilà pourquoi votre fille est muette.
Seuls ont encore le droit de voter les Danois, puisqu'ils se sont volontairement exclus du processus.