Interview de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans "La Lettre de la fondation Jean-Jaurès" de janvier-février 1999, sur le renouvellement de la Convention de Lomé et l'évolution du dialogue entre l'Europe et les pays ACP.

Prononcé le 1er janvier 1999

Intervenant(s) : 
  • Charles Josselin - Ministre délégué à la coopération et à la francophonie

Média : La Lettre de la fondation Jean Jaurès

Texte intégral

 

Question :
Que peuvent proposer la France et ses partenaires européens pour renforcer la part des pays ACP dans les échanges mondiaux ?

Charles Josselin :
L’OMC considère qu’un pays doit accorder les mêmes avantages commerciaux à des ensembles de pays qui ont le même niveau de développement. Aujourd’hui, l’Union européenne accorde à tous les pays les moins avancés, ACP ou non, les mêmes préférences commerciales, qui sont d’ailleurs les plus avantageuses au monde. Mais il faut trouver une solution ambitieuse pour tous les pays ACP et pas seulement les PMA. Dans le cadre du mandat que les partenaires européens proposent aux pays ACP en vue du renouvellement de la Convention de Lomé, l’UE a proposé de favoriser l’intégration régionale au sein du groupe ACP tout en restaurant un lien fort entre commerce et développement. Une libéralisation des échanges interviendrait ainsi à la suite d’une période de transition suffisante entre l’Union Européenne et des sous-régions ACP. Elle serait progressive et accompagnée par l’Union.

Question :
Que faire pour que les pays ACP cessent d’être essentiellement des pourvoyeurs de matières premières ?

Charles Josselin :
Les dispositions préférentielles de la Convention de Lomé n’ont pas toujours convaincu. Elles n’ont pas permis aux pays ACP de gagner des parts de marché en Europe. Elles n’ont pas permis non plus de réduire suffisamment la dépendance des États ACP à l’égard des matières premières. Ce constat nous a conduit à proposer la modification du régime préférentiel accordé aux pays ACP. Il ne nous a pas, pour autant, conduit à abandonner les mécanismes d’appui aux secteurs d’exportation des produits de base des pays ACP. Nous considérons en effet que les fluctuations des termes de l’échange restent trop importantes pour envisager la suppression totale des mécanismes existants comme le STABEX ou le SYSMIN ou les protocoles produits. Nous avons préconisé l’adaptation de ces mécanismes, pour qu’ils puissent répondre à l’impact à court terme de la baisse des prix des matières premières sur les recettes d’exportation des pays ACP. La diversification des économies ACP constitue également un objectif à poursuivre dans le cadre de la relation entre l’UE et les pays ACP. Ainsi, le mandat proposé par les Européens aux ACP prévoit notamment de renforcer les instruments de promotion des activités du secteur privé.

Question :
Comment empêcher nos partenaires européens de se détourner de leurs engagements envers l’Afrique où la démocratie est dans la tourmente ?

Charles Josselin :
Lorsque j’ai pris mes fonctions, il y a dix-huit mois, la pérennité de la Convention de Lomé était remise en cause par certains gouvernements ou experts européens. Les discussions autour du très utile « Livre vert » de la Commission avaient donné la mesure des interrogations de certains de nos partenaires sur la pertinence d’une relation spécifique.
Le gouvernement auquel j’appartiens a milité en faveur du renouvellement de la Convention de Lomé. Le Parlement européen a adopté la même approche, en publiant en particulier les rapports Martens et Rocard.
Mais ce sont aussi en Europe des associations, des ONG, des chercheurs qui se sont mobilisés. Ce qui a convaincu nos partenaires européens, c’est la volonté d’inscrire dans le partenariat UE-ACP une dimension politique renforcée (respect des droits de l’Homme, État de droit, bonne gestion des affaires publiques…) et élargie à des thèmes nouveaux, tels que la démocratie et la prévention des conflits. Les ACP ne s’opposent pas dans ce contexte à la conditionnalité politique, mais exigent une transparence sur les critères d’application. La procédure dite de l’article 366 bis, introduite lors de la révision à mi-parcours de la quatrième Convention, et qui permet sur la base d’un dialogue préalable obligatoire avec les ACP de suspendre ou de reprendre notre coopération nous offre une piste prometteuse.