Interviews de M. Gilles de Robien, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, à RTL le 23 avril 1996 et RMC le 25, notamment sur la politique de la ville et le choix d'Amiens comme cas d'étude de l'aide aux quartiers défavorisés, et sur l'instauration des zones franches.

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Circonstance : Déplacement de M. Chirac dans la Somme les 24 et 25 avril 1996, à Amiens le 24.

Média : RTL - RMC

Texte intégral

RTL : mardi 23 avril 1996

J.-P. Defrain : J. Chirac se rend chez vous, demain, à Amiens avec le dossier de la politique de la ville. Qu'attendez-vous de cette visite ?

G. de Robien : C'est une marque d'estime, et c'est un grand honneur de recevoir le président de la République pendant trois jours. Ensuite, c'est un encouragement formidable à la politique de la ville que nous menons. J. Chirac aurait pu venir pour la politique sur l'urbanisme, pour la politique de développement universitaire. Il vient pour la politique de la ville et la politique sociale dans des quartiers sensibles. J'attends du président de la République, d'abord qu'il nous confirme que concernant le système de zone franche, le Gouvernement va encourager le Parlement à le voter le plus vite possible. S'il faut une session extraordinaire au début de juillet, le sujet le mérite. De la part du président de la République, je crois qu'il souhaite avant tout que ce soit un voyage de proximité. Ce ne sera pas un voyage avec de grands discours, des déclarations, des diatribes ; pas d'idéologie, mais une démarche de proximité, d'écoute, et de grande simplicité.

J.-P. Defrain : Comment expliquez-vous qu'Amiens ait été choisi comme cas d'étude de l'aide aux quartiers défavorisés ?

G. de Robien : Pas spécialement parce que nous avons beaucoup de quartiers défavorisés. Je vous disais que J. Chirac aurait pu venir sur beaucoup d'autres politiques que nous menons dans d'autres domaines. À Amiens, depuis des années, nous avons mené une politique sociale vers les quartiers sensibles, qui d'une certaine façon, montre ses limites. Nous sommes à la limite de l'assistance. On voit que la cause des difficultés dans les quartiers, c'est toujours l'emploi. À travers le pacte de relance de la ville, on a des moyens de mettre de l'activité économique, de créer des emplois dans ces quartiers. Enfin, on soigne le mal par ses racines.

J.-P. Defrain : En 1993, vous aviez demandé un plan Marshall. Est-ce que le pacte de relance pour la ville est à la hauteur des problèmes et du défi ?

G. de Robien : Dans la plupart de ses décisions oui ! Je fais une petite réserve dans le domaine du logement social. Mais, mis à part cela, l'affaire des zones franches dans les villes cela consiste à passer d'un système d'assistance à une offre de chance en matière d'emploi pour les personnes. Dans le plan Marshall que j'avais imaginé, qui a largement été repris par J.-C. Gaudin, il y avait ces zones de développement économique qui ont très bien réussi à l'échelon de sites industriels de reconversion, à Dunkerque ou dans le Midi. Si cela a marché à l'échelon de toute une ville, cela peut très bien marcher à l'échelon d'un quartier. Nous voulons recréer dans des quartiers la vie normale, avec de véritables chances à travers des commerces, des bureaux, des petites entreprises qui sont encouragées face à la défiscalisation. C'est une véritable chance de retrouver un emploi, c'est-à-dire de la dignité.

J.-P. Defrain : Le quartier Nord d'Amiens correspond aux exigences du plan de J.-C. Gaudin ?

G. de Robien : Il remplit les critères. Dans ce quartier, il y a beaucoup de chômage, beaucoup de jeunes. Le revenu fiscal par habitant est extrêmement faible. On a donc besoin d'un supplément de chances pour avoir l'égalité des chances.

J.-P. Defrain : Y aura-t-il un point sur lequel vous insisterez plus particulièrement, jeudi, lors du conseil municipal, et auquel assistera le président de la République ?

G. de Robien : J'essayerai de démontrer au président de la République que l'on ne peut pas réussir un tel pari, un tel défi, s'il n'y a pas un environnement adéquat et un état d'esprit qui se créent dans la ville à travers la démocratie locale. On ne peut pas simplement déclarer que la zone est défiscalisée, attendre et voir venir. S'il n'y a pas tout Je monde associatif, les acteurs culturels, les acteurs sportifs, les élus, les comités de quartier, cela ne marchera pas. Mais s'ils estiment que c'est la chance, pour les années à venir, de faire de ce quartier la chance du développement économique, et peut-être de la plus haute technologie pour Amiens, on peut faire de ce quartier un pôle de développement extraordinaire qui tirera toute la ville et l'agglomération d'Amiens vers le haut, et vers des métiers de haute qualification.

J.-P. Defrain : La majorité s'est divisée lors de la présentation du rapport sur l'immigration clandestine. Ce matin, A. Juppé, répondant à une de vos questions, a dit que ce rapport était un élément de réflexion, qu'il ne fallait pas légiférer sur ce sujet dans la passion. Êtes-vous satisfait de cette réponse ?

G. de Robien : Tout à fait. Une commission d'enquête ou une mission d'information est un rapport. Dans ce rapport, il y a à boire et à manger. Beaucoup de mes collègues ont reconnu la qualité de ce rapport. Mais sur la totalité des propositions qui ont été faites, il y en a qui sont inacceptables. Ce document de travail on peut le mettre sous le coude et ne plus en parler. Je souhaite qu'il soit une source de réflexion supplémentaire. Mais, en tout état de cause, il faut premièrement déjà appliquer les textes qui existent. L'action du Gouvernement est tout à fait remarquable à ce sujet, ayant en même temps une attitude de fermeté, et une attitude de grande humanité. Sans faire beaucoup de bruit, on fait vraiment ce qu'il faut pour limiter l'immigration clandestine.

J.-P. Defrain : Monsieur Juppé souhaite simplement amender ou compléter la législation actuelle.

G. de Robien : Il faut simplement amender et compléter, certainement pas faire un très grand texte. Il vaut mieux agir que légiférer.

J.-P. Defrain : A. Juppé réunira, demain à Matignon, les leaders de la majorité, lors d'un déjeuner. L'apaisement entre chiraquiens et balladuriens est sur la bonne voie ?

G. de Robien : Déjà depuis longtemps. C'est une démarche qui prospère doucement, sans brusquer quiconque. Il faut toujours un peu de temps pour apaiser les tensions. Le déjeuner de la majorité est une sorte d'aboutissement très symbolique ; non pas de réconciliation entre chiraquiens et balladuriens – c'est une affaire dépassée – mais une manifestation d'unité de la majorité autour du chef du Gouvernement, et autour du président de la République, et tout simplement pour essayer de mettre en activité la meilleure politique possible en écoutant tout le monde. C'est la reconnaissance de la nouvelle UDF qui est reconnue comme une des deux grandes composantes de la majorité. Elle est invitée à égalité avec le RPR.


RMC : jeudi 25 avril 1996

P. Lapousterle : Que représente pour votre ville la visite de J. Chirac pendant deux jours ?

G. de Robien : Une grande reconnaissance et une grande joie. On a pu le constater avec des milliers de personnes qui attendaient J. Chirac hier. Je crois surtout que c'est une attente réciproque. Le président de la République attend de voir comment une ville transforme le pacte de relance voulu par le Premier ministre et J.-C. Gaudin en réalisation sur place. Et aussi, la ville attend du président de la République une attention particulière car vous savez cette ville est dans une région sinistrée.

P. Lapousterle : Au dîner, hier soir, avec J. Chirac, les parlementaires de la région ont exprimé leurs inquiétudes. Comment a-t-il répondu ?

G. de Robien : Les parlementaires, quel que soit leur bord, ont démontré avec des exemples précis qu'il n'y a pas simplement les grands sinistres qui tombent sur certaines régions, comme la crise sidérurgique en Lorraine ou la crise navale, mais que des régions comme la Picardie, au fil des ans, non seulement parce que c'est une terre qui a été largement envahie par les guerres successives, pouvait, peu à peu, perdre des emplois, fermer des usines, et être aussi sinistrée que d'autres. J. Chirac a été frappé par cette description. Il a répondu qu'il fallait augmenter certainement, d'une part, et poursuivre, la politique de décentralisation commencée dans les années 82-83. Cette décentralisation n'était pas parfaite, il fallait l'améliorer et aussi déconcentrer les pouvoirs de l'État en province et dans les régions. Deuxième chose : J. Chirac reconnaît qu'il y a une telle disparité entre les régions que cela suppose, le plus vite possible, une redistribution des moyens. Il a cité un exemple : quand il était élu à la fois de la Corrèze et de Paris, il voyait que la Corrèze, peu à peu, s'appauvrissait, alors que Paris s'enrichissait, et donc il a gardé cette idée très forte qu'il faut une péréquation entre les régions riches et les régions moins riches.

P. Lapousterle : Au programme, aujourd'hui, les zones franches dont votre ville est bénéficiaire. On entend beaucoup dire en ce moment que l'incitation fiscale ne vaincra pas la peur de l'insécurité, à savoir que les entreprises ne viendront pas si elles n'ont pas des garanties de sécurité.

G. de Robien : Je prends le pari que pour Amiens ça va marcher.

P. Lapousterle : Et ailleurs ?

G. de Robien : Comme les maires sont tous des gens consciencieux, ils vont faire en sorte que ça marche. Pourquoi ? parce qu'il ne suffit pas dire, en effet, que dans tel quartier c'est la zone franche, qu'il n'y aura plus de charges sociales ni d'impôts sur les sociétés pendant cinq ans. Si on dit ça et si on se croise les bras, ça ne marchera pas. Si par contre on crée des conditions d'accueil, à tout point de vue – sécurité, animation, vie culturelle, sportive – et que l'aspect même physique du quartier s'améliore, je suis sûr que ça marchera. Dans ma ville, il y avait un petit centre commercial qui ne marchait plus : on a délocalisé un poste de police municipal. Non seulement ce centre commercial remarche, mais il s'est agrandi. Je crois que ce qu'on a fait à cet échelon, on peut le faire à l'échelon de tout un quartier.

P. Lapousterle : Les ordonnances de la Sécurité sociale ont été adoptées hier en Conseil des ministres. On entend les critiques de l'opposition, c'est normal, mais aussi dans votre formation des réserves. M. Bosson, président de la composante du groupe centriste de l'UDF, votre formation, a dit hier que « ces ordonnances étaient centralisatrices avec un caractère comptable ». Il demande des modifications. Demandez-vous cela à l'UDF ?

G. de Robien : Oui probablement, lors de la loi de ratification, on va demander des modifications. Je ne voudrais pas qu'il reste l'idée que les ordonnances sont mauvaises. Il n'y a pas, aujourd'hui, de combat d'arrière-garde au sein du groupe UDF sur les ordonnances. Mais il me semble qu'il était urgent d'agir. Si on n'avait pas agi le plus vite possible, on se trouverait avec une protection sociale menacée. Or personne ne veut faire disparaître la Sécurité sociale et il fallait donc le faire. Certaines ordonnances apparaissent comme trop centralisatrices. Exemple : pour la réforme de la carte hospitalière, il y a une agence régionale qui est montée. Qui va diriger cette agence régionale ? Quelqu'un qui sera nommé par le Conseil des ministres. Est-ce que l'administration centrale ne va pas prendre plus de poids que l'administration déconcentrée, à savoir les préfets ? C'est une vraie question. Je l'ai posée au Premier ministre : il a répondu qu'il prendrait le plus grand soin dans la nomination des directeurs d'agence. Mis à part quelques ajustements de ce type, ne partons pas dans l'idée qu'il y a restriction de soins. Nous allons rechercher une maîtrise médicalisée à travers ces ordonnances, ça veut dire optimisation des soins, et non pas rationnement.

P. Lapousterle : Ça vous inquiète que les médecins, qui sont votre électorat, en partie au moins, s'opposent à ces ordonnances, presque tous ?

G. de Robien : Je ne dirais pas les médecins mais des médecins, des spécialistes. Et encore, quand on voit les spécialistes et les médecins défiler, hier, dans les rues de Paris, certains se demandaient pourquoi. Ça montre que c'est un combat d'arrière-garde. Quand on les interroge individuellement, ils savent qu'aujourd'hui, pour sauver la protection sociale, il faut faire la chasse au gaspi. On va donc leur demander des méthodes nouvelles, on va leur demander de s'équiper d'informatique, mettre en place une carte de santé individuelle. Plutôt que de leur compliquer la vie, ça va certainement, une fois l'habitude prise, au contraire leur simplifier l'exercice de leur profession.

P. Lapousterle : Parce que les médecins ne sont pas assez intelligents pour savoir ce qui complique leur vie et ce qui la simplifie ?

G. de Robien : Oui, mais comme ils ont beaucoup de travail, ils paraient au plus pressé qui était de soigner leurs malades. Maintenant, ils vont et soigner leurs malades et s'organiser, avec des méthodes modernes. Comme les entreprises qui gagnent des points de productivité, les médecins vont gagner des points de confort dans l'exercice de leur profession.

P. Lapousterle : Vous étiez au déjeuner de Matignon hier. A. Madelin n'était pas là, or il représente 33 % de l'UDF depuis le Congrès de Lyon. Trouvez-vous normal qu'une formation comme l'UDF n'invite pas, chez A. Juppé, qui l'aurait invité, quelqu'un qui a fait 33 % ?

G. de Robien : Sans vouloir réduire le score d'A. Madelin, c'était 30 % tout juste, mais c'était un score. 30 %, ça représente en effet quelque chose. A. Madelin doit d'abord se situer par rapport à l'UDF. Aujourd'hui, après le conseil national de l'UDF où il a été battu, je ne sais pas où est A. Madelin. Qu'il dise clairement, comme avant les élections à l'UDF, s'il est toujours à l'UDF et s'il est toujours au PR. Il se place aujourd'hui dans une minorité. Le Premier ministre invite l'UDF et, notamment, la majorité de l'UDF : c'est F. Léotard, le président, qui doit faire la délégation à Matignon et il a invité l'équipe dirigeante de l'UDF. Il est normal, si on est un bon démocrate – et Madelin en est un, et je souhaite qu'il reste et au PR et à l'UDF, il est normal qu'il accepte que cette majorité exécutive au sein de l'UDF, prenne les commandes et commence à agir pour la réorganisation et la démocratisation de l'UDF.

P. Lapousterle : N. Sarkozy propose une réforme fiscale en demandant une baisse du taux de TVA. Il dit que c'est absolument urgent de réformer la fiscalité en France et qu'il faut baisser l'impôt sur le revenu. Est-ce une bonne idée et peut-on le faire ?

G. de Robien : C'est une idée qui plaît toujours et il faut baisser les impôts en France. Le niveau atteint par les prélèvements obligatoires, en France, n'est pas maximum mais excessif. Je crois que le climat, aujourd'hui, notamment la solidité du franc, la baisse des taux d'intérêt, créent justement le climat tout à fait favorable à une baisse des prélèvements obligatoires. Cette baisse aurait un effet levier sur l'économie et sur la croissance. Et si cette croissance repartait d'autant plus qu'il y a une baisse d'impôts à l'horizon, alors il y aurait des recettes nouvelles pour le budget de l'État et nous arriverions avec moins de difficultés à équilibrer les recettes et les dépenses dans le budget de 1997. Je suis favorable à une baisse des prélèvements dès et pour le budget 1997.