Texte intégral
RMC : Mercredi 4 juin 1997
P. LAPOUSTERLE : Est-ce que, d’une façon ou d’une autre, vous avez, le soir du deuxième tour des élections, considéré que la chute de la majorité était, pour vous, M. Blondel, issue de votre combat politique et syndical avec A. Juppé Premier ministre ?
M. BLONDEL : Non, parce que d’ailleurs avec M. Juppé, je n’ai jamais eu un combat politique, j’ai eu un combat syndical. Son orientation économique ne m’agréait pas. Et en plus, il a fait cette réforme de la Sécurité sociale qui reste, d’ailleurs, semble-t-il, chez les Français, un élément important de leur comportement. Je pense que c’est le résultat, pour une partie effectivement, de cette façon de faire. Ceci étant, ce n’est pas M. Juppé en tant que tel qui m’intéressait, c’était une orientation économique. Ça veut dire que c’est la fin d’un Gouvernement et j’espère d’une orientation qui va maintenant être révisée.
P. LAPOUSTERLE : Vous connaissez M. Jospin ?
M. BLONDEL : Oui, je connais M. Jospin depuis longtemps.
P. LAPOUSTERLE : Et alors, quel est votre sentiment lorsque vous le voyiez arriver à Matignon hier ?
M. BLONDEL : J’ai suivi un peu M. Jospin dans la campagne présidentielle et dans cette dernière campagne. Je le connais et je sais comment la mécanique marche. Je pense qu’il y a la dimension d’un homme d’État et que c’est un homme sérieux et précis. Cela veut donc dire qu’à mon avis, on peut s’attendre à une volonté de bien faire, et surtout avec une certaine pugnacité. Ça ce n’est pas mal.
P. LAPOUSTERLE : Vous lui avez écrit une lettre pour demander à le voir. Dans quel état d’esprit s’il vous recevait, iriez-vous dans son bureau ?
M. BLONDEL : Je vais essayer d’être un interlocuteur le plus correct qui soit. C’est-à-dire que je vais venir porteur de revendications. Et comme il a ouvert, dans sa campagne, la notion de dialogue, je vais lui dire que le dialogue ne suffit pas, il faut qu’il y ait un dialogue avec les résultats, il faut que ce soit des négociations C’est ça ma volonté. Je vais vous expliquer pourquoi j’ai envoyé une lettre : j’ai envoyé une lettre parce que j’ai écouté – comment dirais-je – mes rivaux ou mes concurrents syndicaux, j’ai écouté les uns qui disent : « il faut le faire, il faut faire tout de suite, rapidement, donner des orientations très précises. »
P.LA POUSTERLE : L. Viannet ?
M. BLONDEL : Oui, mais ça c’est pour aider les communistes à rentrer au Gouvernement. Moi je n’ai pas ce problème-là. J’ai les mains tout à fait libres. Je fais du syndicalisme indépendant ; ce n’est pas moi qui choisit les ministres, c’est M. Jospin. Qu’ils se débrouillent on verra bien. Je ferai avec ce qu’il donne. Ceux qui comprendront ce que nous réclamons, tant mieux, ceux qui ne comprendront pas, eh bien je me battrai. Ça fait partie de la règle du jeu. Et puis il y a d’autres qui ont peut-être des choses à se faire pardonner, du fait de leur comportement avec le Gouvernement précédent. Moi je n’ai pas ce genre de chose à faire.
P. LAPOUSTERLE : A qui pensez-vous ?
M. BLONDEL : Par exemple à la CFDT, mais enfin…
P. LAPOUSTERLE : Mme Notat donc ?
M. BLONDEL : Peut-être plus à Mme Notat qu’à la CFDT.
P. LAPOUSTERLE : Effectivement il y a probablement une divergence. Mme Notat a dit hier « qu’elle demandait que le Premier ministre prenne son temps avant de prendre des décisions. »
M. BLONDEL : Justement, je ne suis ni d’accord avec le côté précipité, le côté tactique de l’un, ni d’accord avec « prenons notre temps » de l’autre. Il y a deux choses qui vont se passer dans les quelques jours qui viennent : premièrement le G7, c’est-à-dire la réunion, le Sommet mondial, des pays les plus riches au monde. Et deuxièmement, Amsterdam, pour la modification de la Conférence intergouvernementale concernant l’Europe. Or c’est là qu’on va discuter notamment les possibilités, oui ou non, d’être plus nuancés, de prendre des distances avec les convergences économiques etc. Je sais très bien, si M. Jospin rentre dans la même démarche que M. Juppé, concernant les convergentes économiques, c’est réglé d’avance. Il n’aura pas de marge. Et nous n’obtiendrons pas satisfaction à nos revendications, même partiellement. Donc je dis : M. Jospin, excusez-moi, on vient de vous nommer ce matin, cet après-midi ; moi, je vous fais une lettre et je vous demande un entretien. Car c’est ça l’objet de la lettre. C’est une lettre que j’ai ici, qui fait deux pages et demie, qui est longue, où je mets tous mes soucis. Mais à la fin, je dis : « je souhaite que nous ayons rapidement une conversation » parce que je veux lui dire que, par exemple, la contre-réforme Juppé, il faut tout remettre à plat, vite fait, pour des raisons qui sont des raisons financières. M. Juppé disait 17 milliards de déficit : en fait, nous en sommes déjà à plus de 45 milliards pour cette année. Ce qui veut donc dire que la ligne de 60 et quelques milliards que nous avons à la CDC, va être dépassée, et qu’il va falloir un débat à l’Assemblée. Alors je veux d’ores et déjà lui dire : attention parallèlement, regardez, il y a 71 % des Français qui considèrent que la réforme de la Sécu est une mauvaise réforme et que c’est leur souci. Et puis je veux me permettre de lui dire : je crois que si les gens ont voté pour vous, Monsieur, si les gens ont voté pour les socialistes, c’est justement parce qu’ils étaient, y compris mécontents sur la Sécurité sociale. Je veux lui dire tout ça, pour qu’il l’intègre, et après on verra ce qu’il décidera de faire. Sinon, on va en rester là, d’une manière quasi attentiste, si c’est la volonté de Mme Notat, ou alors on va immédiatement dire : le Smic à tant. Ça a quelque chose de disgracieux ça. Si le Gouvernement entendait faire une augmentation du Smic assez spectaculaire, un petit peu, en disant : vous avez bien voté je vous remercie… Ce n’est pas sérieux ! Moi je pense qu’il faut que nous regardions ensemble comment on peut faire une évolution des salaires qui soit une évolution constante d’amélioration. J’aime mieux ça qu’un cinéma en disant : tenez, on vous a payé, et puis maintenant vous n’avez plus qu’à vous taire ! Ce n’est pas du tout mon…
P. LAPOUSTERLE : Mais quelle est votre position, ce matin, sur le Smic, dont on sait que le PC demande une augmentation de 8 %, c’est-à-dire à peu près 500 francs par mois, et dont il considère que c’est absolument indispensable pour marquer la volonté de changement ?
M. BLONDEL : C’est ça, c’est l’interprétation que je viens de donner. Moi, ce n’est pas pour marquer la volonté de changement. Pardonnez-moi, j’ai entendu 1 500 francs, j’ai entendu, il n’y a pas tellement longtemps, qu’on réclamait 7 500 francs, paraît-il, à la CGT, au niveau du Smic. Il est à 6 000 francs et on rabat. C’est le Carreau du Temple, ce n’est pas sérieux ! On rabat et on dit : 500 ! Il faut remettre les choses en place. Quand Mr Juppé a augmenté le Smic, il l’a augmenté de 4 %, ça faisait 240 francs, je sais compter quand même. À partir de ce moment-là, c’est clair. Moi je ne veux pas, d’ailleurs, me fixer, pour être clair, de revalorisation du Smic, d’autant que je sais qu’il va y avoir des problèmes énormes avec les exonérations de cotisations maintenant, ça fait des effets de seuils. Et d’ores et déjà, il y a des patrons – ceux de l’habillement et du textile – qui disent : « Attention, ne remettez pas en cause les exonérations, sinon on licencie ! » Vous avez si on passe de la loi de Robien à ce genre de choses, on voit un peu les conséquences que ça peut avoir. Alors il faut qu’on discute de tout ça avec le Premier ministre, il faut lui dire tout ça lui dire : écoutez, on est pour une revalorisation du Smic. Une conférence sur les salaires : qu’est-ce qu’il va décider ? Il peut décider du Smic, des minima sociaux – le RMI, l’allocation spéciale pour les chômeurs qui n’ont plus rien, etc. -, il peut discuter pour ses propres salariés. Mais il ne peut pas discuter pour les patrons, ou alors on va discuter comme ça, 5 % d’augmentation pour tous les salaires, partout, ou 10 % d’augmentation ?
P. LAPOUSTERLE : Prenons les choses dans l’ordre : d’abord, il y a une chose urgente, c’est Vilvorde et Peugeot. Peugeot qui a annoncé 2816 suppressions d’emplois.
M. BLONDEL : Oui, ça, permettez-moi de vous dire que Calvet c’est vraiment, c’est un homme qui – c’est le moins que pusse dire -, ne pardonne rien à personne. Il a bien gardé, pendant toute la campagne électorale, son annonce, et juste le lendemain, symboliquement, il fait tomber le truc. Je trouve ça un petit peu « pisse-froid ».
P. LAPOUSTERLE : Qu’allez-vous faire sur ces deux points ?
M. BLONDEL : Que ce soit Peugeot ou Renault, je conteste les licenciements par principe et par définition. Deuxièmement, si on ne peut pas, si on arrive pas à faire lâcher les patrons, on va essayer de concilier au maximum pour faire partir les gens dans de meilleures conditions. Et troisièmement, compte tenu que maintenant, les plans sociaux, c’est une façon de gérer les effectifs, on aurait pu espérer qu’il y aurait eu des embauches derrière, ce qui n’est pas le cas.
P. LAPOUSTERLE : Sur la Conférence nationale sur les salaires, le temps de travail, quelles sont vos demandes à vous, quand vous serez invité comme les autres syndicalistes à la table avec les syndicats patronaux et les représentants de l’État ?
M. BLONDEL : Je reprends rapidement ce que j’ai dit tout à l’heure : il y a ce que le Premier ministre peut faire. Nous ne sommes pas en 1936, nous ne sommes pas en 1968, il n’y a pas une grève interprofessionnelle. Et pour trouver une solution à une grève interprofessionnelle, généralement, il y a un accord global des salaires et, en général, interprofessionnel. C’est quelque chose de rarissime en France. Nous n’en sommes pas là. Ça veut donc dire qu’il va aller sur son champ de compétences. Et je vous dis : c’est les fonctionnaires, c’est les minimas sociaux, c’est le Smic. Par contre, nous allons lui demander comment il peut nous aider à contraindre les employeurs à négocier avec nous sur les salaires réels. C’est-à-dire que nous allons dire : est-ce que le Code du travail, qui prévoit la négociation une fois par an en matière salariale, est-ce que vous voulez, M. le Premier ministre, faire que vos services interviennent pour que ça se fasse ? C’est absolument indispensable. Or en plus, nous avons moult arguments. Je vais vous en donner un, je n’aime pas donner beaucoup de chiffres, mais celui-là me semble intéressant, je vais un peu le vulgariser, c’est pour ça que je le dis : la part des salaires dans la valeur ajoutée est passée de 64 % en 1970 à 59 %. Après être montée, elle est redescendue, elle n’a jamais été aussi basse depuis 25 ans. Je dis bien la part des salaires dans la valeur ajoutée. Inversement, au niveau des bénéfices, au niveau des résultats des entreprises, eh bien il y a 67 % d’argent qui ne sont pas réinvestis. Ça prouve que les entreprises, maintenant, font des placements financiers. Ça prouve qu’elles peuvent discuter les salaires.
P. LAPOUSTERLE : Le 10 juin la CGT-CFDT appellent à un mouvement : pas pour la fonction publique ?
M. BLONDEL : C’est très difficile à dire en quelques mots. C’est une manifestation, une action lancée par la Confédération européenne des syndicats qui devait avoir lieu le 28 mai, que nous n’avons pas fait dans la rue, parce que c’était la campagne électorale, pour ne pas être récupérés. La CFDT a jugé utile de la renvoyer au 10 juin ; je lui avais dit d’être prudente. Il se trouve qu’il y a eu les élections, les changements. La CFDT ne pensait peut-être pas aux changements. A la vérité pas beaucoup de monde n’y pensait. Ceci étant, maintenant, ça peut prendre un tour différent. Qui vous dit que le 10, il ne va pas y avoir à la fois ceux qui vont vouloir en quelque sorte lutter pour l’emploi au niveau européen, et en même temps ceux qui pourraient, d’ores et déjà, mettre la partie de bras de fer avec le nouveau Gouvernement ? Moi, je ne veux pas jouer à ce petit jeu. Je l’ai dit : je suis d’accord pour l’unité quand le slogan et quand l’objectif est clair. Ça n’est pas le cas, eh bien nous n’irons pas.
Les Échos : 4 juin 1997
LES ÉCHOS : Vous avez combattu la politique d’Alain Juppé, vous ne regrettez donc pas son départ.
M. BLONDEL : Je n’étais pas d’accord avec sa politique et nos rapports personnels, au moins publics, n’étaient pas bons. Alain Juppé ne s’est pas rendu compte qu’avec la réforme de la Sécurité sociale il était en train de bouleverser d’une manière durable les rapports sociaux dans ce pays. À preuve, les patrons envisagent aujourd’hui de quitter les conseils d’administration des caisses d’allocations familiales. Le terme de démocratie sociale est peut-être fort, mais c’est bien cela qui est en jeu.
LES ÉCHOS : Pensez-vous que la gauche peut revenir sur le plan Juppé ?
M. BLONDEL : Je vais le demander. Je viens d’envoyer une lettre à Lionel Jospin pour solliciter un entretien, car je ne veux pas adopter le comportement de Louis Viannet ou de Nicole Notat. Le Premier ministre est un homme pressé et précis. Il est donc indispensable que nous ayons une discussion pour qu’il annonce le vademecum des relations avec les syndicats.
LES ÉCHOS : Vous récusez l’attitude de la CGT et de la CFDT. Mais on est frappé de la proximité entre vos revendications et des propositions de la plate-forme de la gauche. Qu’il s’agisse de la durée du travail ou des salaires, vous avez une philosophie assez voisine…
M. BLONDEL : Keynésienne, effectivement. C’est une philosophie que je partage avec le Premier ministre. Il y a des années que je me définis comme un keynésien raisonnable. Tous les observateurs s’aperçoivent bien que Viannet est en train de donner un coup de main au PC pour que les communistes obtiennent des ministères. Quant à Nicole Notat, elle conseille au gouvernement de ne pas se presser. Moi, je dis au contraire qu’il ne faut pas traîner, car le vote a montré une aspiration à une politique différente. Il y a deux rendez-vous très importants en juin, le G7 et la Conférence intergouvernementale. Le gouvernement doit donc entamer sans délai des consultations des forces vives, parmi lesquelles les syndicats.
LES ÉCHOS : Il est prévu une conférence sur les salaires, le temps de travail et l’emploi. Souhaitez-vous qu’elle se réunisse avant les vacances ?
M. BLONDEL : Oui, avant l’été. Mais il ne faut pas se leurrer. La conférence sur les salaires du privé qui relèvent des négociations avec les patrons. Ce n’est que dans des cas exceptionnels, en 1936, en 1968, qu’il y a eu des discussions interprofessionnelles dont les conclusions se sont imposées à tous. Nous sommes loin d’être dans cette situation. En revanche, le Premier ministre au pouvoir sur le SMIC, les minima sociaux et les rémunérations de fonctionnaires.
LES ÉCHOS : Êtes-vous partisan d’un coup de pouce sur le SMIC ?
M. BLONDEL : Oui, mais nous ne pouvons pas ignorer les difficultés induites car il sert aujourd’hui de référence pour toute une série d’exonérations de cotisations sociales. Ce qui m’importe avant tout, c’est que le gouvernement appelle à une relance des négociations sur les minimas sociaux dans les branches. Je veux une politique salariale durable. Il ne faudrait pas l’augmentation du SMIC apparaisse comme le remerciement des électeurs. Ce serait la pire des choses.
LES ÉCHOS : Qu’attendez-vous du gouvernement pour les fonctionnaires ?
M. BLONDEL : D’abord qu’il rassure les fonctionnaires en leur disant qu’il ne partage pas le point de vue des libéraux sur les réductions d’effectifs. Plus la fracture sociale est importante, plus nous avons besoin de services sociaux et par conséquent de fonctionnaires.
LES ÉCHOS : Demandez-vous une réouverture immédiate des négociations ?
M. BLONDEL : Il faut d’abord que le gouvernement se donne des marges de manœuvre budgétaires.
LES ÉCHOS : Des marges de manœuvre par rapport aux critères de convergence ?
M. BLONDEL : Oui. Il faudra ensuite liquider le contentieux avec les fonctionnaires. Mais je n’appelle pas à la grève pour demain.
LES ÉCHOS : Vous vous sentez manifestement plus en phase avec ce gouvernement-ci qu’avec le précédent sur la façon dont il aborde la réduction du temps de travail. La suppression de la loi Robien ne vous gênera pas beaucoup.
M. BLONDEL : Il faut que le gouvernement prenne vite des décisions parce que nous sommes entrés dans une mécanique destructrice des négociations sociales. Les patrons ont pris l’habitude de exonérations et vont mettre en avant les emplois pour réclamer le maintien de la loi Robien.
LES ÉCHOS : Quelle est la bonne méthode pour réduire le temps de travail ?
M. BLONDEL : La bonne méthode est de décider une réduction substantielle par une loi et dire que l’application se fera par négociation, de façon différente selon le secteur d’activité.
LES ÉCHOS : À quoi serviront des négociations s’il y a une date-butoir dans trois ans pour les 35 heures ?
M. BLONDEL : C’est pourquoi je proposerai qu’on fixe des rendez-vous périodiques pour faire le point sur l’état d’avancement des négociations, sinon tous les secteurs auront de bonnes raisons d’attendre le dernier moment pour réduire le temps de travail.
LES ÉCHOS : Sur le dossier France Télécom, qu’est-ce que vous conseillerez au gouvernement Jospin ?
M. BLONDEL : Je suis partisan que France Télécom reste un service public. Certes, des engagements européens ont été pris sur lesquels il est difficile de revenir. Mais il faut trouver le moyen de donner à tous les Français l’information selon les moyens les plus modernes. C’est la notion égalitaire de la devise républicaine.
LES ÉCHOS : Croyez-vous que le gouvernement Jospin soit en mesure de respecter les promesses du candidat sur 700 000 embauches de jeunes, pour moitié dans le privé ?
M. BLONDEL : C’est évidemment une question : comment le Premier ministre va-t-il obtenir la confiance des employeurs ? Déjà les entreprises n’investissaient pas beaucoup du temps de M. Juppé.
LES ÉCHOS : Et dans le public ?
M. BLONDEL : C’est beaucoup plus facile, mais le gouvernement doit veiller à ce que les emplois créés correspondant à de vrais besoins et à ne pas porter atteinte au statut de la fonction publique.
LES ÉCHOS : De tous les propos, il ressort nettement l’impression que vous cherchez aujourd’hui à occuper la place de partenaire privilégié qu’occupait la CFDT jusqu’alors.
M. BLONDEL : Nos revendications demeurent les mêmes. Je suis prêt à être un interlocuteur, mais pas un interlocuteur privilégié, et à discuter.
L’Est Républicain : Jeudi 5 juin 1997
L’EST RÉPUBLICAIN : Qu’attendez-vous du nouveau gouvernement ?
M. BLONDEL : Le résultat des élections législatives est à la fois une sanction vis-à-vis d’orientations économiques et sociales qui ont accru la fracture sociale et une exigence par rapport aux questions essentielles : le chômage, les inégalités, le pouvoir d’achat, la protection sociale. Il faut aussi que les parents aient la conviction que leurs enfants n’auront pas une situation inférieure à la leur.
Dans ces conditions, nous attendons du gouvernement que, globalement, il accorde au social la place qui doit lui revenir dans une société démocratique et républicaine.
Cela implique que les pouvoirs publics sachent se faire respecter des puissances économiques et financières, qu’ils ne soient pas, sous couvert d’orthodoxie, des agents du marché.
L’EST RÉPUBLICAIN : Quelles sont les premières mesures à prendre sur le SMIC et sur les 35 heures ?
M. BLONDEL : La question des salaires est prioritaire au plan social, économique et psychologique.
Il s’agit de relancer la consommation et d’aborder les caisses de Sécurité sociale.
Le gouvernement à la main sur le SMIC, les minimas sociaux, les fonctionnaires et le secteur public. Il doit donner un signe significatif qui n’apparaisse pas comme un remerciement ponctuel aux électeurs mais comme un mouvement qui se met en place.
Dans le privé, il faut que le patronat s’exprime et accepte les négociations. Le gouvernement peut déjà demander aux services du ministre du Travail de s’assurer que l’obligation annuelle de négocier est bien respectée.
Sur la réduction de la durée du travail, il faut aussi enclencher le mouvement par une loi et l’ouverture de négociations.
Il faut enfin que le gouvernement accepte de rediscuter la réforme Juppé sur la Sécu.
France 2 : Mardi 10 juin 1997
G. LECLERC : Première grande manifestation sous le gouvernement Jospin aujourd’hui, à l’appel de la Confédération européenne des syndicats. Toutes les organisations défileront dans Paris, toutes sauf FO. Est-ce, pour vous, une façon de vous distinguer ? Les mauvaises langues diraient : de reprendre la place d’interlocuteur privilégié du Gouvernement ?
M. BLONDEL : Le problème est beaucoup plus simple que cela. Vous l’avez dit vous-même : première manifestation après l’installation du gouvernement Jospin. Cela répond à quoi ? C’est le 28 mai, que nous avons décidé – y compris FO – au sein de la Confédération européenne des syndicats, de faire une manifestation dans l’ensemble de l’Europe pour peser sur l’emploi et pour peser sur ce que certains appellent l’Europe sociale. Nous n’avons pas manifesté dans la rue le 28, parce qu’il y avait les élections et que nous ne voulions pas être récupérés, au nom de l’indépendance syndicale. Une organisation syndicale, adhérente de la CES – la CFDT pour ne pas la citer – a dit : nous referons quelque chose le 10 juin. J’ai fait remarquer que le 10 juin, ce serait après les élections et qu’à partir de ce moment-là, cela prendrait un autre caractère. Et aujourd’hui, on ne va manifester à Paris mais on ne va pas manifester à Vienne, on ne va pas manifester à Rome, on ne va pas manifester à Madrid. On ne va manifester qu’à Paris. Si encore, le Sommet avait lieu à Paris, pourquoi pas ? Cela signifierait quelque chose. Donc, pour moi, cela veut dire que c’est un anachronisme : ou c’est trop tôt, ou c’est trop tard. D’autant plus que j’écoute, comme tout le monde, et je vois à la fois que le Président de la République – qui nous a reçus le 28 mai – nous a dit qu’il soutiendrait nos positions à la CSG, c’est-à-dire au moment du débat à Amsterdam et que j’entends lus ou moins dire que Monsieur Strauss-Kahn a réussi justement à faire valoir que l’on tienne compte de la situation de l’emploi dans les appréciations pour le pacte de stabilité.
G. LECLERC : Vous soutenez D. Strauss-Kahn, il a raison ?
M. BLONDEL : Plus que ça ! Moi, je suis contre le pacte de stabilité. Selon moi, le pacte de stabilité, ça limite la liberté. La souveraineté française notamment, parce que les conditions sont les suivantes : nous allons maintenant avoir des impôts et nous allons avoir des cotisations sociales, financement de la Sécurité sociale, identiques au niveau de l’Europe. Alors, je me pose la question de savoir si on doit voter à gauche ou à droite dans un pays, pour que cela ait un effet sur le Gouvernement ! C’est ça, le pacte de stabilité. Donc, moi je suis hostile au pacte de stabilité. Mais comme Monsieur Strauss-Kahn dit : dans le pacte de stabilité, il faut qu’il y ait les critères d’emploi, etc., je pense que c’est une bonne démarche. Et je soutiens Monsieur Strauss-Kahn là-dessus.
G. LECLERC : L’AFP annonce que vous serez reçu jeudi par Monsieur Jospin. Quel message allez-vous lui faire passer ?
M. BLONDEL : L’agence AFP a été un peu abusée mais ce n’est pas de sa faute – ça s’est modifié hier après-midi. Nous serons reçus demain à 15 h 45.
G. LECLERC : Vous serez les premiers.
M. BLONDEL : Nous serons les premiers parce que j’ai été le premier à écrire, c’est aussi simple que cela.
G. LECLERC : Qu’est-ce que vous allez dire à L. Jospin ?
M. BLONDEL : Qu’il y a beaucoup d’attentes. Je suis satisfait qu’il nous reçoive avant le Sommet d’Amsterdam, je suis satisfait qu’il nous reçoive qu’il nous reçoive avant sa déclaration du 19 à l’Assemblée. Je vais lui dire : il me semble que si les gens ont voté de cette façon et si vous êtes au pouvoir, c’est notamment parce qu’ils sont insatisfaits sur les problèmes de Sécurité sociale – il y a eu un sondage qui indique que 71 % des Français contestent encore la réforme Juppé. Donc, Il faut remettre sur le chantier la Sécurité sociale, sinon elle va disparaître et nous allons avoir un régime a minima. Et moi, je veux une Sécurité sociale égalitaire et solidaire. Donc, je vais essayer de profiter de l’intérêt de mon interlocuteur pour faire passer cette idée. Ensuite, on va parler des salaires et de cette fameuse Conférence. On va parler du Smic…
G. LECLERC : Est-ce qu’il faut une augmentation forte, comme le réclament la CGT et Monsieur R. Hue, ou est-ce que vous pensez, comme d’autres, que compte tenu de l’état des entreprises…
M. BLONDEL : Je ne pense pas comme les uns et comme les autres, j’essaye de penser individuellement. À mon avis, ça n’est pas le problème. Je suis pour une augmentation substantielle, bien entendu. Ceci étant, il faut que cela mette en route l’augmentation des salaires pour l’ensemble des salariés, y compris que ceux qui sont à 10 % ou 20 % au-dessus du Smic, ce qui n’est quand même pas phénoménal. Et puis, je crois qu’il faut arrêter de donner des chiffres. Le Smic est de l’ordre de 6 000 francs. M. Juppé l’avait augmenté de 4 %, cela faisait 240 francs. Il faut resituer les revendications, qui ont commencé à 1 500 francs et dont on dit maintenant qu’elles seraient de 500 francs. Cela voudrait dire qu’il faut ramener cela à une dimension tout à fait normale. Or, il y a maintenant un problème sur le Smic, c’est que cela sert de base pour l’exonération de certaines cotisations sociales. Il ne faudrait pas qu’en augmentant le Smic, on limite le financement de la Sécurité sociale, sinon on se retrouverait dans nos difficultés premières. Donc, je crois qu’il faut discuter des salaires. Je le rappelle, je suis keynésien raisonnable. Je ne crois pas qu’en augmentant les salaires de 20 % d’un seul coup, cela soit durable. L’expérience a toujours montré que c’était remis en cause. Je suis pour une augmentation continue et progressive. C’est ce qu’il faut essayer d’obtenir, notamment des employeurs. Parce que le Smic, c’est une décision prise par le Gouvernement mais cela ne s’applique qu’à une partie des salariés, et il faut savoir comment vont se comporter les employeurs dans ce nouveau contexte politique.
G. LECLERC : Il y a un autre thème : La réduction du temps de travail. Et là, N. Notat a mis en garde très clairement contre une réduction à 35 heures sans perte de salaires. Elle dit que cela ne créera aucun emploi.
M. BLONDEL : Je suis très ennuyé quand on me fait commenter les positions de Madame Notat parce qu’après, on dit que je suis goujat, etc., et que je lui parle mal. Mais ce n’est pas de ma faute, moi je la prends pour le secrétaire général de la CFDT, j’oublie son sexe – et je suis plutôt galant avec les dames d’ailleurs. Ceci étant, soyons très clairs : je crois qu’elle affirme une contre-vérité. C’est vrai que, de 40 à 39 heures, cela n’a pas eu un effet extraordinaire – ente 17 000 à 30 000 emplois. C’est les chiffres du Plan. C’est la raison pour laquelle, si l’on voulait faire une réduction de la durée du travail, il faudrait la faire substantielle et si possible assez rapide si l’on veut un effet d’échelle. Sinon, effectivement…
G. LECLERC : Et en maintenant les salaires ?
M. BLONDEL : En maintenant les salaires… Sinon, effectivement, avec les gains de productivité, il est clair que les patrons peuvent éviter d’embaucher.
G. LECLERC : Une réduction forte, mais en maintenant les salaires ?
M. BLONDEL : Non, ce n’est pas une réduction forte, c’est une réduction qu’il faudrait faire le plus rapidement possible dans le temps pour que cela ait un effet. Mais il ne faut pas croire à cet effet exclusif pour lutter contre le chômage.
G. LECLERC : Renault-Vilvorde : est-ce qu’on peut encore empêcher la fermeture, ou faut-il s’orienter vers un aménagement ?
M. BLONDEL : Je ne connais qu’un truc : si on veut empêcher la fermeture de Vilvorde, il faut en donner l’ordre à Monsieur Schweitzer et j’ai le sentiment que si on donne l’ordre à Monsieur Schweitzer, il va passer voir le Gouvernement et il va lui dire : donnez-moi des sous en contrepartie. Ceci étant, ce qu’il faut à Vilvorde, c’est qu’il n’y ait aucun chômeur. Voilà l’objectif qu’il faut se fixer : aucun chômeur ! C’est, à mon avis, la réaction syndicale la plus nette et la plus saine.
RTL : Mardi 10 juin 1997
J.-M. LEFÈBVRE : Vous êtes absents de Paris lorsque l’Europe pour l’emploi défile : près de 70 000 personnes. Vous ne regrettez pas ?
M. BLONDEL : Pas du tout. Je ne regrette rien, pour la simple et bonne raison que cette manifestation m’apparaît quelque peu anachronique. Ou elle vient trop tôt, ou elle vient trop tard. Vous savez qu’initialement c’était une manifestation que nous avions prévue pour le 28 mai et qui devait avoir lieu dans l’ensemble de l’Europe, pas simplement en France. Et là, il y avait une signification, une connotation européenne. Le 28 mai puisque nous étions entre les deux tours, nous sommes allés, les organisations adhérentes à la CES, avec le secrétaire général de la CES, voir le Président de la République qui a d’ailleurs, en conclusion de notre entretien, fait une lettre au Premier ministre néerlandais, où il déclarait soutenir la position de la Confédération européenne des syndicats. Alors après, faire une manifestation le 10 juin m’apparaît complètement anachronique dans la mesure où nous avons un nouveau Gouvernement, et que celui-ci n’a pas annoncé – pardonnez-moi la liberté d’expression – la couleur là-dessus. Il semblerait même qu’il y ait des nuances entre le Président de la République et le Gouvernement. Moi, je vois, demain, le Premier ministre et je ferai savoir ce que nous pensons de la situation européenne. Je dois vous dire au passage que je suis beaucoup plus réservé sur tout ce que j’entends en ce qui concerne le pacte de stabilité. Aujourd’hui, c’était confus. Voilà ce que je peux dire, et d’ailleurs je crois que le commentaire a été fait : il y avait à la fois l’emploi pour l’Europe. C’est-à-dire qu’il y a 18 000 chômeurs en Europe – et c’est, bien entendu, de trop – et il y avait en même temps une notion d’Europe sociale, et puis il y avait aussi les revendications nationales. Moi, je me vois mal me retrouver avec Viannet qui semblait qui semblait être contre la réforme Juppé, Notat qui était pour la réforme, je me voyais mal. Le mot d’ordre n’était pas clair et, pour moi, il n’éclairera pas les choses. On verra. Moi, vous savez, j’ai fait plusieurs fois l’unité, je suis prêt à le refaire. Il faut au moins un slogan, au moins pour l’opinion publique, que l’on sache ce que nous réclamons.
J.-M. LEFÈBVRE : Les méchantes langues disent que vous souhaiteriez être l’interlocuteur privilégié de L. Jospin, c’est ce qui expliquerait votre absence aujourd’hui ?
M. BLONDEL : Permettez-moi de vous dire que je ne serai l’interlocuteur privilégié de personne. Je demande à être l’interlocuteur, je ne sais pas ce que cela veut dire d’être l’interlocuteur privilégié. Cela veut dire celui qui accepte ce que dit le Gouvernement ? C’est clair, avec le nouveau Gouvernement, il n‘y aura ni d’hostilité, ni de vassalité. C’est clair, nous ne serons pas serviles et nous ne serons pas hostiles. On va demander, demain, déposer nos revendications, confirmer et expliquer et attendre la réponse le 19. Je pense que c’est dans l’ordre des choses. Je crois d’ailleurs qu’il ne faut pas mélanger le genre entre le syndicat et le parti politique quel qu’il soit, et surtout quand ceux-ci sont au pouvoir. Alors, c’est très clair, il n’y aura pas du tout de relations qui seraient des relations privilégiées.
J.-M. LEFÈBVRE : La nomination d’un expert indépendant pour Vilvorde ?
M. BLONDEL : Je suis un peu comme les camarades qui ont quitté l’assemblée générale, on comprend bien : l’expert indépendant pourrait condamner la décision d M. Schweitzer ? Ce serait quand même terrible pour M. Schweitzer. Cela voudrait dire qu’il gère mal sa boutique. J’ai l’impression que l’on repousse la confirmation, d’échéance en échéance. C’est peut-être le seul point qui m’eût fait regretter de ne pas être dans la manifestation. Parce que, là, effectivement, les gars de Vilvorde ; il faut qu’ils se battent. Ce qu’il faut c’est qu’il n’y ait aucun type au chômage. Il faut trouver les moyens.
J.-M. LEFÈBVRE : Vous évoquiez vos réserves sur le pacte de stabilité, pourquoi ?
M. BLONDEL : Parce que peut-être qu’on n’a pas dit aux gens ce que cela voulait dire, ce que cela signifiait le pacte de stabilité. Mais si j’en crois les ministres des Finances réunis, le pacte de stabilité c’est pour maintenir en dessous de 3% de manière permanente le déficit budgétaire, et pour ce faire on va avoir la même forme de protection sociale et le même système de financement, et le même système de financement des impôts. Cela veut dire qu’on est en train de retirer aux États nationaux, je dirais, une orientation fondamentale. Pourquoi voter après dans les États nationaux si tout le monde doit faire la même politique en matière d’impôts et la même politique en matière de prélèvements sociaux ?
J.-M. LEFÈBVRE : C’est cela que vous allez dire, demain, à L. Jospin ?
M. BLONDEL : Bien sûr, je vais expliquer à L. Jospin que la France ne se donnera plus aucune latitude, et surtout je vais lui dire : vous allez vous dessaisir au nom de qui, au niveau européen ? Il n’y en a pas. Alors je crois que c’est quelque chose de particulièrement dangereux. Alors on va lui expliquer cela.
Le Parisien : 10 juin 1997
LE PARISIEN : On ne vous verra pas aujourd’hui à la manifestation pour l’emploi en Europe, pourquoi ?
M. BLONDEL : Tout simplement parce que les objectifs de cette manifestation, à cette date, ne sont plus clairs. La journée européenne dans les quinze pays de l’Union a eu lieu le 28 mai, sauf en France où, pour cause d’élections, nous nous sommes symboliquement rendus à l’Élysée. Quand il nous a reçus –la Confédération européenne des syndicats, la CFDT, la CFTC, et FO -, le président de la République nous a d’ailleurs indiqué qu’il soutenait nos revendications.
LE PARISIEN : Mais d’une manière plus générale, entendez-vous laisser au gouvernement le temps de s’installer ou, au contraire, êtes-vous partisan d’accroître sans délai la pression sociale ?
M. BLONDEL : Un syndicat indépendant comme FO juge un gouvernement sur ses actes. Maintenant, il est clair que le temps presse pour que les promesses soient tenues. Les travailleurs attendent des résultats positifs sur l’emploi, le niveau de vie, l’avenir des jeunes. Nous avons réaffirmé nos revendications au nouveau Premier ministre, nous allons voir comment elles sont prises en considération. Mais je pense que cela va aller vite, compte tenu de l’urgence sur plusieurs dossiers dont l’Europe, les salaires et la protection sociale.
LE PARISIEN : Vous êtes déjà en contact avec plusieurs ministres, pensez-vous que les engagements symboliquement pris durant la campagne sur Renault-Vilvorde, France télécom, la monnaie unique… seront tenus ?
M. BLONDEL : Je sens poindre des hésitations sur plusieurs de ces dossiers. Tout le problème pour le gouvernement Jospin est de savoir s’il va se faire respecter face aux marchés ou si, au contraire, il se coule progressivement dans le moule du bon gestionnaire respectueux des dogmes économiques. Si tel était le cas, nous serions alors face à un problème sérieux de démocratie, avec, à nouveau, une fracture entre les discours de campagne et la réalité de l’action.
LE PARISIEN : Précisément, quelle serait votre réaction si le gouvernement Jospin se contentait, en fait, de suivre la politique économique et sociale de ses prédécesseurs ?
M. BLONDEL : Dans ce cas, nous n’hésiterions pas à marquer notre désaccord et à en informer largement les salariés.
LE PARISIEN : Vous vous apprêtez à rencontrer le Premier ministre, quelles sont les priorités que vous lui exposerez ?
M. BLONDEL : Salaires, emploi et Sécurité sociale sont nos priorités La part des salaires ne faisant que décroître dans l’économie, il faut, d’abord, réamorcer une progression des salaires et des minimas sociaux afin de soutenir la consommation. Il faut également que l’État investisse dans l’urbanisation et l’aménagement du territoire. Il faut, ensuite que l’on aborde sérieusement la durée du travail. Enfin, il faut que nous rediscutions de la Sécurité sociale mise à mal par le plan Juppé. Un plan qui connaît un double échec : 100 milliards de déficit en deux ans au lieu de la limitation à 17 milliards promise et la porte ouverte aux compagnies d’assurances qui, au nom de la concurrence, piaffent d’impatience. Nous allons donc voir si dans le mot « socialisme » il y a toujours « social ».
LE PARISIEN : On prête à FO le souhait de vouloir récupérer sa place d’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, un rôle tenu depuis peu par la CFDT. Qu’en pensez-vous ?
M. BLONDEL : Autant nous revendiquons d’être des interlocuteurs, autant nous ne revendiquons pas d’être un interlocuteur privilégié, ce qui collerait mal avec l’indépendance syndicale.
L’Evènement du Jeudi : 19 juin 1997
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : La droite au pouvoir, vous l’avez souvent menacée d’un grand mouvement social. Est-ce différent avec la gauche ?
M. BLONDEL : La situation est la même. C’est la façon dont les gens la ressentent qui est un peu moins vive. L’élection est un exutoire. Mais voter pour le changement n’est pas suffisant. Nous ne connaissons pas une crise conjoncturelle, comme le montre l’évolution du chômage. Nous avons à affronter une transformation de la société et ce n’est pas un vote qui, en soi, y fera grand-chose. Nous n’obtiendrons de changements du gouvernement que si ce dernier subit une pression sociale forte. Ce à quoi je m’emploie.
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Vous laissez du temps au gouvernement ?
M. BLONDEL : Le gouvernement a jusqu’à septembre pour tenter d’inspirer confiance. Il ne connaît pas d’état de grâce, car les législatives ne sont pas la présidentielle. Il ne faut pas, cependant, qu’il s’y trompe. Lionel Jospin doit prendre, vite, plusieurs dispositions pour « taper dans le dur ». Il ne suffit pas d’augmenter le Smic ; il faut une action cohérente qui passe par la relance de l’activité, l’augmentation de salaires et la réduction du temps de travail.
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : L’augmentation du Smic a des effets pervers…
M. BLONDEL : Ce serait une erreur d’accorder une revalorisation du Smic qui soit perçue comme un remerciement à l’électorat. Une augmentation démesurée risquerait d’être reprise par l’inflation ou par les exonérations qu’offre aux patrons le système de seuils. Pour éviter cet effet destructeur, il faudra de négociations branche par branche, de sorte que les salaires évoluent partout et qu’on revoie les exonérations de charges. Ce sera l’un des pièges que devra éviter la conférence salariale de septembre. Mais, pour éviter d’y tomber, il serait bon d’envisager, de toute manière, une hausse du Smic de 400 F à 500 F. C’est loin d’être impossible.
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Mais le gouvernement, aujourd’hui, n’a plus le pouvoir d’action sur les salaires dont il pouvait se prévaloir autrefois.
M. BLONDEL : Nous ne sommes effectivement pas en 1936 ou en 1968, où des mesures identiques pour tout le monde avaient été arrêtés. Le gouvernement a cependant le pouvoir d’intervenir sur le Smic, sur les minima sociaux – l’allocation spéciale de solidarité a perdu 30 % d’allocataires par les révisions du barème – et sur le traitement des fonctionnaires. On se souvient que l’année 1996 a été « séchée ». Il faudra donc rattraper cette année blanche, ce qui signifie une augmentation de l’ordre de 2,4 %, et renforcer l’effort insuffisant consenti en 1997. Enfin, sur les salaires réels des entreprises, le gouvernement ne peut qu’inciter – mais ce n’est pas rien – à la négociation sur les salaires minimaux par branches. Sans être sûr du résultat. Mais si l’on ne fait rien pour le pouvoir d’achat, la relance n’aura aucune efficacité.
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Et les créations d’emplois promises par les socialistes, vous y croyez ?
M. BLONDEL : Je suis méfiant qu’en aux créations d’emplois non productifs. On se focalise, à tort, sur le salariat de proximité et de service. De vrais emplois seront créés si des fonds sont mobilisés pour bâtir des hôpitaux de l’an 2000, casser les HLM et reconstruire, créé une industrie du désamiantage, etc. Cette relance-là a un sens dans le secteur public à travers des contrats de cinq ans sous prétexte que les entreprises manquent de gens formés et qu’il faut donc les préparer, je n’y crois guère. L’entreprise citoyenne n’existe pas. Les patrons embauchent lorsqu’ils en ont besoin.
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Il y avait une certaine animosité entre Alain Juppé et vous. Est-ce que…
M. BLONDEL : Je vous arrête. Nos rapports personnels n’étaient pas ce l’on en a dit. Nous avons même eu des échanges très forts. Comme lorsqu’il m’a expliqué, un jour, que ses parents, âgés de 84 et 85 ans, avaient eu de problèmes avec de agriculteurs qui avaient fait déverser des melons devant chez eux. Je lui ai parlé de ma mère qui, chaque fois qu’elle me voit dans le journal, a peur pour moi. Dans notre famille, si votre nom est dans le journal, c’est que vous avez commis des bêtises. On s’est dit qu’il fallait protéger ses parents. Il fut même un temps où je prévenais ma mère lorsque je passais à la télévision, pour qu’elle ne s’inquiète pas et qu’elle ne l’apprenne pas d’autres…
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Mais vos rapports avec Juppé ont quand même été très tendus…
M. BLONDEL : Ils se sont durcis le 15 novembre 1995 à la suite de la déclaration de réforme de la Sécurité sociale concoctée en catimini. Le Premier ministre n’avait pas mesuré les conséquences, dont l’une était de mettre par terre toute une tradition du syndicalisme Français. C’est le côté co-gestionnaire du mouvement syndical qui était attaqué. Mais notre désaccord allait bien au-delà. On ne nous écoutait pas sur l’orientation économique. Chirac, qui avait fait campagne sur le développement de la France, s’est converti pendant l’été à la pensée unique, aux critères de Maastricht. Il n’y avait plus de concertation. La rigidité de Juppé a fait des dégâts…
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Les demandes de FO et les promesses du PS étaient voisines. Est-ce que ça va durer avec les socialistes au gouvernement ?
M. BLONDEL : « Voisines », c’est le bon terme. La question, maintenant, est des savoir si Jospin tiendra ses promesses. L’emploi constitue le problème le plus important. Les gens pensent que c’est une conséquence de l’orientation économique actuelle, inspirée par la pensée unique. Si le gouvernement n’en change pas. S’il ne fait pas ce qu’il a dit, il subira la même sanction que le précédent. Si le gouvernement n’est pas capable de remédier de façon durable au chômage, la confiance ne durera pas.
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Après vos premiers contacts avec lui, croyez-vous que le voisinage va se poursuivre ?
M. BLONDEL : J‘ai commencé par lui envoyer une lettre. Le matin, il était nommé Premier ministre ; l’après-midi, il recevait ma prose. Je l’ai fait parce que Louis Viannet « Faisait le diable » pour s’assurer qu’il y aurait des ministres communistes à des postes intéressants. Quant à Nicole Notat, elle semblait engagée dans une forme de cohabitation avec Alain Juppé…
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Vous vous posez en interlocuteur privilégié du nouveau pouvoir.
M. BLONDEL : Interlocuteur privilégié, cela a quelque chose de péjoratif. Comme si l’on était plus souple que les autres, plus ouvert aux attentes du pouvoir, plus coopératif. À l’époque, on l’a dit de M. Bergeron, puis, plus récemment de Mme Notat. Ce n’est pas ce que je recherche. Je l’ai dit à Jospin : « Je veux être seulement un interlocuteur ». En clair, que le gouvernement écoute ce que nous disons.
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Croyez-vous le gouvernement pourra mettre en œuvre les 35 heures payées 39 ?
M. BLONDEL : Il le fera, mais avec du temps. Est-ce si important ? Si l’on veut le maximum d’effet pour l’emploi, il faudra faire les 35 heures tout de suite. Mais est-ce que ça serait supportable et, surtout durable ? On ira plutôt vers une modification progressive de la durée légale du travail, et les 35 heures à terme. L’application sera l’objet de négociation entre les partenaires sociaux. Mais il y aura moins d’amélioration pour l’emploi, parce que les entreprises vont digérer la mesure en faisant des gains de productivité.
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Est-ce qu’aujourd’hui les patrons sont pour vous de bons interlocuteurs ?
M. BLONDEL : Jean Gandois, avec ses initiatives personnelles, leur fait un peu peur. Ils sont méchants et, du coup, il y a un problème de fiabilité dans les négociations.
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Le gouvernement doit-il vite revenir sur la réforme de la Sécurité sociale ?
M. BLONDEL : Cela marquerait sa volonté de la sauver. L’égalité des citoyens se traduit par des instruments concrets, les services publics et la Sécurité sociale. Il faut l’égalité de tous, riches ou pauvres, devant la maladie et même la mort. Et la solidarité, sur le plan du financement. Le gouvernement doit d’abord chiffrer les besoins. J’ai appris qu’il fallait trouver 75 milliards de trésorerie pour la Sécurité sociale. En deux ans, le déficit atteindrait de 80 à 100 milliards en 1996 et l’équilibre en 1997. Je demande que l’on mette tout à plat, que l’on redonne de l’autonomie au système que l’on dote le ministère de la Santé d’un vrai budget. Il faut reprendre toute la réforme de zéro et, surtout, ne pas remettre en cause la prescription du médecin, qui est l’élément de base. Voilà ce que j’attends du gouvernement.
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Et s’il ne le faisait pas ?
M. BLONDEL : Il s’inscrirait lui aussi dans la mécanique de destruction de la Sécurité sociale, s’enfermerait dans la logique comptable et ouvrirait la porte aux assurances privées.
L’ÉVÉNEMENT DU JEUDI : De combien de temps, selon vous, dispose le gouvernement pour réaliser ses promesses ?
M. BLONDEL : Nous en discuterons à la conférence salariale, qui se tiendra vraisemblablement en septembre, je vous ferai une pirouette à la Mitterrand : il faut gérer le temps. Jospin doit savoir ce qu’il doit faire et quand. Juin n’est pas la période habituelle des manifestations sociales. Sauf provocation. J’y songe quand je vois, par exemple, Jacques Calvet annoncer tout à coup près de 3 000 suppressions d’emplois. Souvenez-vous du septembre noir qu’a vécu Balladur, quand plusieurs grandes entreprises ont lancé en même temps des vagues de licenciements. Il faut faire attention à cela.
Europe 1 : Mardi 24 juin 1997
J.-P. ELKABBACH : Vous qui adorez aller à Matignon, est-ce que vous rencontrez déjà L. Jospin plus souvent que vous rencontriez A. Juppé ?
M. BLONDEL : Disons que j’ai des contacts avec M. Jospin, et avec son conseiller social ?
J.-P. ELKABBACH : Plus fréquents, déjà ?
M. BLONDEL : Écoutez, avec M. Juppé, c’est arrivé à un point où il était difficile que nous nous rencontrions.
J.-P. ELKABBACH : Trois semaines après l’arrivée, l’installation du nouveau Gouvernement, vous le trouvez dans sa politique, frileux, téméraire, prudent, audacieux ?
M. BLONDEL : Compte tenu des circonstances, je trouve que ce n’est pas mal. M. Jospin avait promis du dialogue, il a initié le dialogue. Je crois qu’il a même pris la précaution de laisser des zones d’ombres, ce qui va alimenter ce dernier. Mon rôle, c’est d’essayer de faire que le dialogue continue, c’est-à-dire qu’il y ait des résultats. Alors on ne peut pas lui reprocher d’aller trop vite ou de ne pas être prêt, dans la limite où ce n’est pas lui qui a annoncé la dissolution. Il l’a en principe subie, même s’il y a eu une conclusion heureuse. Alors il faut lui laisser le temps quand même de mettre en place les choses, et de discuter. Je trouve qu’il fait ce qu’il faut, sans plus, c’est bien.
J.-P. ELKABBACH : C’est extraordinaire ; ce matin vous êtes à la fois câlin, conciliant…
M. BLONDEL : Non, non, vous vous méprenez. Je parle de forme.
J.-P. ELKABBACH : Patient…
M. BLONDEL : Patient parce qu’on ne peut pas faire autrement. Moi, c’est clair, la position générale, ce n’est ni d’hostilité, ni de servilité au Gouvernement, quel que soit ce gouvernement.
J.-P. ELKABBACH : Avec le gouvernement d’A. Juppé, vous aviez annoncé la couleur tout de suite. « Servilité » sans doute pas, mais l’hostilité plutôt, non ?
M. BLONDEL : Non, pas du tout, pas du tout ! Vous vous méprenez. Au contraire, j’avais fait l’objet dans mon organisation, de quelques réflexions en disant : comment se fait-il que tu donnes l’impression que les revendications sont abandonnées. Eh bien, non ! C’était vrai pour M. Juppé, c’est vrai pour M. Jospin. J’avais indiqué au nom de l’organisation qu’elles étaient les revendications, avant les élections, après la dissolution. Elles sont là, j’ai envoyé la lettre à M. Jospin, et j’ai peut-être provoqué le dialogue. Et maintenant, on va suivre les dossiers.
J.-P. ELKABBACH : Vous voyez, même les zones d’ombre que vous reconnaissez vous les trouvez positives.
M. BLONDEL : Attendez, je n’ai pas dit ça pour l’instant. Je n’ai pas dit que les zones d’ombre…Il me semble même que le fait de dire qu’il entame le dialogue mais que celui-ci, il est… En fait il prend des précautions, il y a des zones d’ombre, là il y a une légère condamnation quand même. Ce n’est pas la lecture qu’on veut donner à mes propos.
J.-P. ELKABBACH : C’est moi qui vais maintenant vous reprocher le mot « condamnation ».
M. BLONDEL : Enfin appréciation de…
J.-P. ELKABBACH : Voyons le fond des choses maintenant.
M. BLONDEL : Allons-y, c’est peut-être plus important que la forme.
J.-P. ELKABBACH : La querelle à propos du plafonnement des allocations familiales : le Gouvernement est en train de nuancer, de corriger, de préciser. Mais il y a un principe. Vous êtes d’accord ou pas ? Et est-ce que vous comprenez les manifestations qui vont avoir lieu tout à l’heure ?
M. BLONDEL : Soyons clairs : le problème de conditionner aux ressources est une position qui a été d’abord initiée une première fois par le gouvernement précédent, qui est repris maintenant par M. Jospin, et qui n’est pas dans l’état d’esprit des organisations syndicales. Nous sommes à peu près tous hostiles à ça. Nous sommes hostiles à plafonner, étant entendu qu’on sait que le plafond risque de varier. Et puis je vais dire, peut-être anticiper un peu : ça pourrait donner une mauvaise habitude aussi pour la sécurité sociale, et l’assurance-maladie. On pourrait peut-être, le cas échéant, se poser des questions. C’est un sujet qui vient rapidement dans la conversation. Donc pour l’assurance-maladie aussi…
J.-P. ELKABBACH : Donc s’il fait un test, les allocations sont…
M. BLONDEL : Maintenant, est-ce qu’on ne peut pas obtenir le même effet en regardant ça du côté de l’imposition ? En donnant de allocations familiales qui soient identiques à tout le monde, quels que soient les revenus. Mais au niveau de l’imposition, eh bien changer les choses, et d’une certaine façon affecter un impôt différencié.
J.-P. ELKABBACH : Les familles avaient déjà dit non.
M. BLONDEL : D’une manière générale, écoutez, quand on remet en cause quelque chose, les gens qui en bénéficient sont mécontents.
J.-P. ELKABBACH : Mais encore une fois il y a une manifestation ce matin, Trouvez-vous normal que les associations fassent aussi défiler les enfants ?
M. BLONDEL : Ils prennent leurs responsabilités. Moi, je respecte le droit de manifestation parce que je l’utilise. Si on veut jouer en baladant les enfants, bon…Vous savez, les manifestations changent beaucoup, y compris les manifestations syndicales. Parfois, on a des orchestres dans les manifestations, ça veut dire que ça fait un peu folklore. Je ne suis pas sûr que ça soit d’ailleurs un bien.
J.-P. ELKABBACH : Sur le fond vous ne voulez pas répondre : les allocations familiales ont été faites pour encourager la natalité après la guerre non ?
M. BLONDEL : Vous êtes sûr ? Est-ce que vous êtes sûr ? Est-ce que les allocations familiales, ça vient après la guerre ? Je ne pense pas, ça vient avant. Je ne me souviens pas parce que je n’étais pas né, mais 1938 ça existait. C’est d’origine patronale les allocations familiales. Et je vous rappelle que ça été repris dans la notion « travail-famille-patrie ». Et en sortant de la guerre effectivement, on a transformé les choses.
J.-P. ELKABBACH : Je préférerai retenir ça que ce qui s’était passé sous Vichy, mais enfin…
M. BLONDEL : Bien sûr, bien sûr. On ne va pas… sur cette querelle-là, pas avec moi. Ai-je le droit de dire que je suis fils et neveu de déporté ? Je peux peut-être ? bon !
J.-P. ELKABBACH : Est-ce que ça encourage la natalité ?
M. BLONDEL : Est-ce que ça encourage la natalité ? Ce n’est pas si sûr que ça. En tous cas, les résultats ne sont pas très bons, puisqu’on ne fait pas une moyenne de deux enfants en France.
J.-P. ELKABBACH : Voilà de quoi alimenter la discussion qui va avoir lieu tout à l’heure avec S. Attal. Demain le Conseil des ministres va confirmer l’annonce faite aux syndicats par M. Aubry : le Smic c’est plus de 4 % ; et elle a ajouté « que la politique salariale ne se limite pas à la seule revalorisation du Smic ». Mais plus 4 %, ça vous va ?
M. BLONDEL : Non. Pour une fois je vais chiffrer. Généralement, il ne faut pas chiffrer sur le Smic nous ne voulions pas que le Smic soit l’élément moteur des salaires, et un élément régulateur. Nous avions demandé entre 6 et 7. Et je vais vous dire : je trouve d’une certaine façon, et ce n’est pas contradictoire, que 4 c’est peut-être un peu trop. Il eût fallu faire 3 et 3 ; c’est-à-dire non pas donner l’impression de remercier les gens d’avoir voté comme ils ont voté, mais dire : on va faire une politique keynesienne de salaire, en le faisant progresser régulièrement. D’abord 3 et puis ensuite en septembre, on aurait un faire un complément.
J.-P. ELKABBACH : C’est 4 qui a été choisi.
M. BLONDEL : C’est parce que ça donne l’effet de dire : voilà, merci, vous avez bien voté.
J.-P. ELKABBACH : Mais quand vous défendez…
M. BLONDEL : Moi je défends le salaire, je défends la progression lente et progressive du salaire.
J.-P. ELKABBACH : Mais dans ce cas, est-ce que vous ne préférez pas les travailleurs-employés aux travailleurs qui n’ont pas d’emploi, c’est-à-dire au chômage ? Est-ce que vous ne jouez pas plus le salaire que le chômage ?
M. BLONDEL : Mais qui vous dit que ce que l’on ne donne pas en matière de salaire… Les patrons qui sont pleins d’argent, là en ce moment, on le sait, on connaît…
J.-P. ELKABBACH : Ça y est.
M. BLONDEL : Oui, oui, 110 à 120 % d’autofinancement, quand même, les entreprises. Est-ce qu’elles donnent de l’argent pour les chômeurs ? Non. Alors c’est bien clair, c’est bien les employeurs qui paient. Ça veut dire qu’on remettrait dans la circulation de l’argent, ça veut dire que c’est des cotisations pour l’Unedic. D’une certaine façon, ça peut être réaffecté au chômage si on veut. Et je suis aussi demandeur de l’augmentation de l’allocation spéciale de solidarité qui n’a pas été relevée depuis 1994. Je pense qu’en matière salariale, on ne s’en sortira pas exclusivement sur le Smic, ce n’est pas vrai, ça va toucher deux millions à 200 000 personnes, ce n’est pas suffisant ! Il faut que les patrons acceptent de négocier les salaires dans toutes les branches de l’activité. C’est d’ailleurs ma demande que je vais récidiver, auprès non seulement de Mme Aubry, mais aussi du Premier ministre, pour qu’au mois de septembre, on tienne compte de cette revendication.
J.-P. ELKABBACH : Quand on demande autant à l’État, ne finit-on pas par se demander comment on va payer ? Qui va payer ?
M. BLONDEL : Là, encore une fois, il faut remettre les choses au point : quand on augmente le Smic, ce n’est pas l’État, ce sont les patrons qui paient. Quand je demande qu’il y ait une négociation de salaire avec les employeurs, c’est les patrons qui vont payer, si on arrive à trouver une solution. Je ne demande pas tout venant de l’État, au contraire. Je suis étonné, légèrement surpris de ne pas entendre M. Gandois qui, en 1995, avait crié : nous allons nous réapproprier le dialogue social ; et qui a l’air de se comporter comme s’il se faisait condamner : or on ne l’entend pas parler. Il ne dit rien. N’est-ce pas le moment, s’il veut échapper à cet État tentaculaire, de dire : on va négocier avec les syndicats ? Pourquoi ne l’a-t-il pas fait avant ?
J.-P. ELKABBACH : Il y a les 35 heures payées 39…
M. BLONDEL : Attendez : on en est pas aux 35 heures ! On est en train d’attaquer les 35 heures avant qu’elles soient faites.
J.-P. ELKABBACH : N’accroît-on pas le coût du travail horaire ? Est-ce qu’on n’handicape pas les entreprises alors qu’elles sont dans une époque de concurrence mondiale ?
M. BLONDEL : Tenez, je vais m’amuser, là ! 250 000 caissières : avec qui sont-elles en concurrence ? Elles gagnent en moyenne 3 100 francs par mois : est-ce qu’on ne peut pas les augmenter ? Est-ce que ça va mettre en l’air quoi que ce soit que d’augmenter les caissières ? Ce ne va pas mettre en l’ait la concurrence mondiale.
J.-P. ELKABBACH : Mais vous ne vous demandez jamais qui paie ! Sinon, on multiplie les déficits.
M. BLONDEL : Là, vous mélangez tout. Soyons très clairs : en matière de salaires, il y a des salaires qui ont des effets sur l’exportation, je veux bien vous croire, mais ce n’est pas la totalité des salaires du pays, ce n’est pas des salaires du pays. Il y a donc des endroits où on peut augmenter sans que cela ait de conséquences sur le commerce.
J.-P. ELKABBACH : Superphénix, on l’arrête ou pas ?
M. BLONDEL : Ma fédération de la chimie est contre. Elle dit qu’en 2006, on sera obligé de demander de la technologie aux Chinois.
J.-P. ELKABBACH : J. Delors disait qu’on peut ouvrir le capital de France Télécom.
M. BLONDEL : Le problème est de savoir si ça reste ou pas un service public.
J.-P. ELKABBACH : S’il reste un service public ?
M. BLONDEL : Si ça reste un service public, c’est tout autre chose, bien entendu.
J.-P. ELKABBACH : Air France privatisé ?
M. BLONDEL : Là, c’est…
J.-P. ELKABBACH : C’est dur de dire oui ou non ?
M. BLONDEL : Non, c’est déjà réglé mais, moi, je suis contre, je suis contre la privatisation.