Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la réforme de la PAC dans le cadre de l'agenda 2000, la loi d'orientation agricole et la politique de la qualité des produits , Paris le 3 décembre 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée générale de la Confédération Française de la Coopération agricole (CFCA) à Paris le 3 décembre 1998

Texte intégral


Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Comme vous avez bien voulu l'indiquer, Monsieur le Président, je m'exprime pour la première fois depuis ma nomination au ministère de l'Agriculture et de la Pêche devant une assemblée générale d'organisation professionnelle agricole.

Je me réjouis que cela se fasse avec la Confédération française de la coopération agricole. En effet, les principes humanistes qui président au mouvement coopératif et mutualiste, principes de solidarité, de primauté de l'homme sur le capital, de démocratie sont des principes que je partage et que j'ai la volonté de mettre en oeuvre dans le cadre des responsabilités que j'exerce aujourd'hui.

La coopération agricole est un outil essentiel pour le monde agricole et recouvre la quasi-totalité des domaines de mon département ministériel puisque les coopératives sont présentes en amont de l'agriculture, dans la production agricole et dans la transformation et la distribution. Les quelques chiffres que vous avez rappelés au début de votre intervention, Monsieur le Président, sont là pour le confirmer. Ainsi votre présence dans le secteur agricole et agroalimentaire signifie que nous aurons de nombreuses occasions de travailler ensemble.

Pour répondre à vos préoccupations, je souhaite aborder plusieurs points au cours de mon intervention :

- l'agenda 2000, dont vous savez que l'issue sera déterminante pour nos agriculteurs pour le début du troisième millénaire ;
- le projet de la loi d'orientation agricole ;
- la politique de la qualité ;
- et enfin la défense du mutualisme et de la coopération.

Au sujet de la négociation européenne, comme vous le savez, M. le Président, Mesdames, Messieurs, celle-ci entre effectivement dans une phase décisive, puisque les quinze se situent désormais clairement dans la perspective d'un accord sur l'ensemble de l'agenda 2000 sous présidence allemande au premier semestre 1999.

J'ai déjà rencontré à plusieurs reprises en tête-à-tête ou à l'occasion des conseils européens et cette semaine encore à Postdam, lors du sommet franco-allemand, mon homologue allemand M. Karl-Heinz FUNKE. Nous avons tous deux la volonté de conclure rapidement, ce qui sera favorisé par de larges convergences entre nos deux gouvernements. Ainsi, nous nous plaçons clairement dans le cadre de l'impulsion donnée aux relations bilatérales. Cela a été confirmé lors du dernier sommet bilatéral par le Président de la République, le Premier ministre et le Chancelier allemand.

Nous sommes en particulier d'accord pour estimer que des réformes sont nécessaires notamment dans les secteurs comme les céréales ou la viande bovine, où des excédents sont déjà prévisibles, mais que ces réformes doivent intégrer la contrainte budgétaire qui s'impose à tous les états-membres. C'est là une donnée fondamentale de la négociation, que je souhaite aborder à travers chaque organisation commune de marché, plutôt que de mettre en péril l'avenir même de la PAC, c'est une donnée que je répète et rabâche inlassablement : si nous ne veillons pas à intégrer la contrainte budgétaire dans la renégociation de la PAC elle-même, alors nous bâtirions une réforme coûteuse... et sans financement. Et alors, ce besoin de financement entraînerait derechef la solution du cofinancement que nous refusons tous.

Ainsi, dans le secteur laitier, le réalisme recommande de renoncer à une réforme dont l'utilité est contestable et le coût disproportionné. Nos amis allemands ne sont pas insensibles à cela, comme d'ailleurs dans le secteur de la viande bovine pour lequel la baisse des prix ne sauraient être déconnectée du problème budgétaire, dès lors que le niveau de la compensation, en particulier pour l'élevage allaitant, est une question centrale. Chaque état-membre devra faire un effort pour aboutir à un accord, indispensable pour l'agenda 2000, les fonds structurels, le chèque britannique, les modalités de financement de l'Union sont sur la table. La PAC ne peut échapper à ces négociations. En plein accord avec le Président de la République nous sommes prêts à consentir des efforts, s'ils ne pèsent pas exclusivement sur les agriculteurs et s'ils s'accompagnent d'une modernisation en vue de la négociation de l'organisation mondiale du commerce. J'ai aussi trouvé chez mon collègue allemand, un écho à notre volonté de réformer la politique agricole commune en profondeur par la prise en compte de la multifonctionnalité de l'agriculture.

La Commission parle elle aussi d'une plurifonctionnalité de l'agriculture. La PAC est à un tournant. Pendant quarante ans, elle s'est fondée sur une ligne quasi exclusive de production et de productivisme qui a sûrement rendu l'agriculture européenne extrêmement prospère, exportatrice, mais qui a en même temps entraîné une désertification rurale considérable et une certaine dégradation de l'environnement qui pose des problèmes de plus en plus sérieux. La réforme de la PAC doit être l'occasion de réorienter les aides dans le sens de la reconnaissance de la plurifonctionnalité de l'agriculteur, de ses autres tâches économiques, au premier rang desquelles je place évidemment l'EMPLOI mais aussi les fonctions sociales, environnementales ou l'aménagement du territoire. Donc, tout ce qui ira dans ce sens, par le biais du plafonnement et de la modulation des aides aura notre soutien. Nous demandons d'aller le plus loin possible sur cette voie. C'est un projet politique affirmé par notre loi d'orientation et sur lequel nous pourrons, je crois, nous retrouver.

S'agissant de cette loi d'orientation, vous vous interrogez tout d'abord sur la rigidité accrue du contrôle des structures.

Je ferai à ce sujet deux remarques :

La première est qu'on ne peut pas ne pas chercher à freiner le processus extrêmement rapide et violent de concentration des exploitations : le seul jeu des forces économiques et les évolutions démographiques nous conduisait, vous le savez très bien, à n'avoir plus à l'horizon 2015/2020 que 200 000 exploitations agricoles. Puisque, ensemble, nous sommes d'accord pour reconnaître qu'en terme d'emplois, qu'en terme d'occupation du territoire, qu'en terme économique mais aussi culturel, une telle raréfaction de la population active agricole représenterait un appauvrissement irréversible pour notre pays, nous devons prendre des mesures favorisant l'installation et le renouvellement des générations.

Tel est le sens du volet structurel inséré dans le projet actuel de la loi d'orientation. J'ajoute qu'il ne s'agit pas là  d'une grande nouveauté.

Du statut du fermage à  la politique des structures proprement dite, la politique agricole française a toujours comporté des mesures de politique relative aux structures.

Ce que la loi vise, et c'est ma deuxième remarque, ce n'est pas, reconnaissez-le, de rigidifier mais plutôt d'apporter plus de transparence par plus d'informations dans les arbitrages, les prises de décisions et les attributions d'autorisation.

Reconnaître que le contrôle des structures ne doit pas s'appliquer uniquement aux formes individuelles mais aussi aux formes sociétaires d'exploitations, ne relève pas à mes yeux de la rigidité ; c'est tout simplement l'équité.

Vous regrettez ensuite, Monsieur le Président, l'absence de modernisation fiscale. Nous avons commencé à travailler sur ce volet au sein du Conseil supérieur d'orientation. J'attends avec beaucoup d'intérêt les observations que vous voudrez bien me faire en ce domaine, et je prends dès maintenant des dispositions pour que le rapport prévu par la loi d'orientation pour la modernisation de la fiscalité agricole, soit rédigé et examiné dans les délais impartis à la condition bien entendu que le Sénat confirme cette commande.

A propos du Contrat Territorial d'Exploitation, vous parlez d'ambiguïté. Cela m'étonne un peu ; en effet on ne peut pas vouloir orienter l'agriculture, construire un dispositif d'accompagnement sans admettre qu'il s'agit d'abord et avant tout d'initier, avec les agriculteurs eux-mêmes, une démarche et non pas de leur imposer un dispositif clef en main et sans consultation préalable.

Au point où nous en sommes, l'exercice de préfiguration se poursuit dans plus de 80 départements et ceci durera jusqu'au 20 janvier. C'est-à-dire au-delà de la première lecture au Sénat.

Nous sommes bien en face d'une méthode de participation et de consultation très décentralisée et dans laquelle vos structures sont largement impliquées. Ne me demandez pas de vous livrer, aujourd'hui, les conclusions d'une opération en train de se dérouler. En revanche, dès que la première lecture aura lieu au Sénat, dès que la synthèse de cette préfiguration sera élaborée, je serai en mesure de faire des propositions d'élaboration du dispositif de mise en place du C.T.E à court et moyen terme. Mais quand je dis « du » C.T.E., je devrais plutôt dire « des » C.T.E. puisque telle est bien ma vue des choses : il y aura dans ce cadre simple et souple une grande diversité de contrats correspondant à une grande diversité de situations locales, de problématiques et d'objectifs.

Ceci fera l'objet d'un décret et vous serez consulté, je m'y engage.

Cela dit, le lien entre le C.T.E., contrat individuel entre l'agriculteur et les pouvoirs publics, et les démarches collectives, ne pose pas de problème de principe.

De la même façon, la prise en compte du marché solvable par le C.T.E. est bien dans l'esprit de la loi d'orientation.

Je sais l'engagement qui est celui des coopératives dans la réflexion sur le contenu des C.T.E. Je vous en donne acte et je compte sur vous pour que cette démarche mobilise les agriculteurs, dans un souci d'innovation pour des réponses appropriées aux attentes de tous nos concitoyens. Comme vous, je considère que ce contrat a bien pour objectif d'inciter l'exploitant agricole à prendre en compte dans son projet global d'exploitation les trois fonctions : économique, environnementale et sociale de l'agriculture.

C'est la raison pour laquelle il convient de décliner dans les C.T.E. types, deux volets distincts d'une part un volet économique et social, d'autre part un volet environnement et territorial. Ceci afin de ne rien oublier et de ne pas faire prévaloir une seule approche. En ayant toujours à l'esprit que l'agriculture est d'abord un producteur.

Dans le cadre de la négociation européenne agricole, un secteur où l'agriculture me paraît devoir augmenter son impact dans les années à venir est celui de la production de matières premières renouvelables venant se substituer à des matières premières fossiles, permettant ainsi de développer des produits plus respectueux de l'environnement, et d'offrir de nouveaux débouchés aux produits agricoles.

Un rapport que mon prédécesseur, M. LE PENSEC avait demandé à M. DEMARESCAUX, directeur général de Rhône-Poulenc, m'a été remis hier soir.

Ce rapport dégage clairement les domaines où les produits issus de l'agriculture pourraient jouer un rôle significatif : tensioactifs et les produits de détergence d'origine végétale, acides aminés, bio lubrifiants. Il confirme le rôle que peuvent jouer les biocarburants dans la diminution de la pollution aérienne dans les grandes agglomérations.

Il est nécessaire à cet égard que la réforme de la politique agricole intègre ces développements et donne aux agriculteurs et aux industriels la sécurité et le coup de pouce nécessaire pour un développement de ces débouchés pour l'agriculture, où la coopération agricole doit pouvoir trouver sa place.

La qualité des produits, comme vous le notez, Monsieur le Président, est un élément de plus en présent dans les politiques agricoles et les politiques alimentaires.

Ce souci de la qualité se manifeste à plusieurs niveaux :

Celui des entreprises et celui des organisations qui prennent la responsabilité de mettre en oeuvre ces politiques. Celles-ci doivent faire preuve de rigueur et d'ouverture aux attentes des consommateurs.

En ce domaine, les entreprises ont d'autant plus intérêt à coordonner leurs moyens et leurs efforts que la qualité se décline au niveau d'une filière de production dans laquelle chaque acteur, à son niveau, doit prendre des engagements et les respecter. C'est pourquoi, la notion de contrat est à la base de toute démarche de qualité.

La coopération agricole s'est clairement engagée dans ces politiques. Elle a activement contribué à développer les signes de qualité et les appellations d'origine. L'engagement de votre président, M. Joseph BALLE, à la présidence de la commission nationale des labels et des certifications, depuis maintenant un an, en est la démonstration.

La qualité constitue aussi un volet important du projet de loi d'orientation agricole. Il s'agit d'améliorer encore la lisibilité et la cohérence de notre dispositif des signes de qualité et d'origine et d'encadrer strictement les mentions valorisantes que sont le terme fermier, le terme montagne et les noms géographiques. Les débats à l'Assemblée nationale ont montré leur importance pour l'avenir des secteurs agricole et alimentaire.

Je tiens tout particulièrement à saluer la démarche Agriconfiance initiée en 1992 par votre confédération qui a permis à mettre en place un système d'assurance qualité « sur mesure » pour l'amont agricole. Cette démarche qui anticipait sur les préoccupations actuelles, est exemplaire. Elle est aujourd'hui pleinement opérationnelle et son approfondissement est en cours pour prendre en compte les aspects environnementaux.

Ainsi par des engagements de votre confédération dans les démarches qualité, vos entreprises sont bien positionnées pour maîtriser les exigences actuelles en matière de traçabilité et pour assumer leurs responsabilités en tant qu'opérateurs économiques.

Concernant les problèmes d'environnement et plus particulièrement de la taxe générale sur les activités polluantes, je comprends votre position qui est de mettre en place une organisation incitative faisant appel à la responsabilité de la profession agricole et de chaque agriculteur plutôt qu'une taxation systématique des intrants. Je suis, autant vous le dire directement, plutôt sur cette ligne. Mais nous aurons à en débattre dans les temps qui viennent.

En effet, ce qui est essentiel pour la protection de l'environnement, ce sont les modalités d'utilisation de l'eau, des fertilisants et des phytosanitaires plus que les volumes mis en oeuvre.

La profession agricole préconise le renforcement des actions de conseil plutôt que la taxation systématique. Je partage cette position qui est pédagogique, enrichissante pour la formation des hommes et donc porteur d'avenir, d'autant plus que je sais que votre confédération est déjà mobilisée sur ces thèmes depuis plusieurs années à travers la démarche Agriconfiance.

Avec son statut particulier lié aux principes coopératifs mutualistes, la coopération agricole assume une fonction économique indéniable, au stade de la collecte, du stockage et de la commercialisation des productions agricoles. Cette fonction est remplie avec sérieux et dynamisme. Elle est fondamentale et le restera à l'avenir.

Cette fonction doit être menée avec l'objectif permanent de défense collective des agriculteurs. Cette défense collective passe aujourd'hui dans plusieurs secteurs par une maîtrise de la production, c'est le cas du porc. Or je constate, et je ne suis pas le seul à le faire, qu'en matière de maîtrise, certaines entreprises coopératives ne donnent pas l'exemple. En incitant aujourd'hui certains agriculteurs à s'installer dans ce secteur ou en montrant une réticence forte aux mesures de réduction de production, ces coopératives jouent contre leur camp puisqu'à terme elles jouent contre leurs adhérents.

Dans la transformation des produits, la coopération occupe une place importante mais difficile à évaluer du fait de la filialisation souvent pratiquée de ces activités.

Cette filialisation n'est pas critiquable; elle a même été encouragée et facilitée par les pouvoirs publics qui, en 1990, ont présenté au Parlement un projet comportant des dispositions en ce sens qui sont incluses dans la loi du 3 janvier 1991.

Ces dispositions, vous le savez bien, visent à faciliter la mise en oeuvre de ces activités de transformation ou de commercialisation pour lesquelles les contraintes inhérentes au statut de la coopération constituent un handicap.

Ces dispositions ont un effet positif. Cependant elles peuvent exercer une influence négative notamment lorsque de telles filiales connaissent des difficultés.

Ainsi, lorsqu'une coopérative exerce une activité de collecte et de commercialisation des produits agricoles, elle peut à juste titre s'engager dans la transformation et pour ce faire, filialiser cette nouvelle activité. Elle a même souvent avantage à s'associer avec un opérateur privé. Mais la tentation est grande de passer la main lorsqu'il faut faire un effort financier pour redresser la situation financière de la filiale ou développer les investissements industriels et commerciaux.

Le secteur de la transformation des fruits et légumes ou encore du lait, ont connu de telles situations, d'autant plus regrettables que les coopératives de base avaient connu un bon développement et qu'elles étaient citées comme exemples.

Je me permets d'évoquer ces dossiers parce que je suis convaincu du rôle spécifique de la coopération auquel doit correspondre un devoir moral pour les adhérents et les dirigeants de faire, dans toute la mesure de leur possible, les efforts nécessaires pour maintenir et développer leurs outils industriels et commerciaux, surtout lorsque ceux-ci ont fait l'objet d'importantes aides pour leurs investissements.

En rappelant ces principes, Monsieur le Président, je souhaite réaffirmer mon attachement au maintien et au développement spécifique de la voie coopérative.

Ainsi le Conseil Supérieur d'Orientation de la coopération agricole dont la création est inscrite dans le projet de loi d'orientation sera un lieu de dialogue, mais également une instance qui aura pour tâche de rappeler la voie spécifique de la coopération et d'étudier les conditions de sa mise en oeuvre aux différents stades de la production agroalimentaire.

Dans cette future instance, comme dans vos activités multiples et quotidiennes, je vous encourage, dans le respect des principes qui animent votre mouvement, de faire la démonstration que les objectifs économiques et ceux de la solidarité ne sont pas contradictoires.