Interview de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, à RTL le 20 décembre 1998 et parue dans "Le Monde" du 22, sur les projets du Gouvernement, notamment le plan de maîtrise des dépenses de santé, la revalorisation des minima sociaux, l'autorisation administrative de licenciement et le financement des régimes de retraite.

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Texte intégral


Question
« Le Conseil constitutionnel vient d'annuler deux articles du projet de loi de financement de la Sécurité sociale concernant le système de sanction collective des médecins. Est-ce un revers pour Martine Aubry ?

Louis Viannet
Oui, mais je crois qu'il ne faut pas en rester à la surface des choses. Ce qui vient de se passer montre que la réponse aux problèmes soulevés par la protection sociale est encore à trouver. Pour le moment, on est dans encore dans le prolongement du plan Juppé ; on est encore dans la mise en place d'une maîtrise comptable des dépenses de santé qui ne prend pas en compte les besoins.

Question
Vous ne voyez aucune différence entre le plan Juppé et le plan Aubry ?

Louis Viannet
C'est un système de rationnement des soins.

Question
Mais vous étiez plus actifs contre le premier que contre le second...

Louis Viannet
On n'avait pas le choix. Lorsque le plan Juppé est tombé, il n'y a rien eu à discuter. Le premier ministre a tout fait pour l'imposer.  Je note d'ailleurs que pour pouvoir le faire passer plus facilement, il avait modifié les conseils d'administration des caisses !

Question
Lionel Jospin a annoncé une revalorisation de 3% des minima sociaux, et notamment du RMI. Pensez-vous que cela soit suffisant ?

Louis Viannet
Je considère que les mesures qui ont été prises par le gouvernement pour les chômeurs, à savoir le relèvement des minimas sociaux avec effet rétroactif, ne sont pas négligeables. C'est d'autant moins négligeable que l' an dernier, sous la pression de la lutte des chômeurs, le gouvernement a dégagé 1 milliard de francs. Or cette fois, les mesures annoncées représentent 2,5 milliards de francs, c'est à dire plus du double. C'est la preuve que les chômeurs ont raison de se faire entendre.

Question
Jugez-vous, comme le communiste Alain Bocquet, que le premier ministre est, cependant, un peu sourd au attentes du pays ?

Louis Viannet
Écoutez : je viens de vous dire que je ne crachais pas dans la soupe ! Mais en même temps, je maintiens qu'il faut aller plus loin et que ce n'est pas suffisant. Sur les autres questions, je suis bien obligé de dire que je n'ai pas entendu d'annonce, de la part du premier ministre, susceptibles de dynamiser la confiance.

Question
Ce que fait le gouvernement ne va pas, globalement, dans le bon sens ?

Louis Viannet
Je n'ai pas l'habitude de faire tomber le couperet d'une façon cartésienne, en disant : ça, c'est blanc ; ça, c'est noir. Ce que je considère, c'est que l'année 1999 risque bel et bien d'être l'année de tous les dangers. Il risque d'y avoir convergence entre les difficultés économiques beaucoup plus fortes que tout ce qu'on a pu connaître depuis la mise en place du gouvernement Jospin et puis la mise en débat de dossiers lourds.

Question
Reprochez-vous au gouvernement d'avoir abandonné l'idée de rétablir l'autorisation administrative de licenciement ?

Louis Viannet
Nous ne demandons pas le rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement. Nous considérons qu'elle avait, en son temps, apporté la preuve de son insuffisance. Il faut regarder d'autres droits pour les syndicats, pour les comités d'entreprise, pour les salariés eux-mêmes. Il faut que soient explorées sérieusement toutes les possibilités avant que l'on en arrive à des suppressions d'emploi, des licenciements ou des fermetures d'entreprise. C'est un peu le lot commun, maintenant, de dire, aussi bien côté gouvernemental que côté patronal : « Nous avons une priorité, c'est l'emploi, » Mais au même moment, on parle restructurations - et Cacharel annonce la fermeture de son usine de Nîmes ; on évoque la nécessité de constituer un pôle des industries de défense électronique français - et Thomson-CSF annonce quatre mille suppressions d'emplois dont trois mille en France...

Question
Vous voulez donc un dispositif encore plus contraignant que l'autorisation administrative...

Louis Viannet
Oui, avec des possibilités plus grandes pour les comités d'entreprise, pour les syndicats. On peut imaginer beaucoup de choses, y compris un droit de veto des comités d'entreprise, enclenchant un processus de recherche d'autres solutions que celles présentées par les directions.

Question
Pour faire face aux très difficiles problèmes de financement que le système de retraite va connaître dans les prochaines années, le gouvernement envisage de créer des fonds de pension « à la française ». Approuvez-vous ce projet ?

Louis Viannet
Avant de parler de notre conception, il faut rétablir quelques vérités. Il y a des chiffres qui circulent actuellement dans la presse sur l'avenir du système de retraite, mais nous ne sommes pas en présence d'une campagne d'information, mais d'une campagne d'affolement.

Question
Vous parlez des chiffres publiés par le Commissariat général du plan ?

Louis Viannet
Absolument. Ces chiffres résultent d'hypothèse partisanes. Par exemple, on nous dit qu'il faudra 280 milliards de francs pour les retraites des fonctionnaires en 2040. Mais, vous connaissez, vous, beaucoup d'experts qui sont capables de faire des prévisions en 2040 ? Il y a actuellement des discussions sur la validité des prévisions pour le budget 1999 et on veut essayer de nous faire avaler des perspectives pour 2040, sans savoir ce que sera ou ce qu'aura été la politique de l'emploi.

Question
Mais les fonds d'épargne à la française, vous refuser d'en débattre ?

Louis Viannet
Si le gouvernement essaye de jouer à cache-cache avec le vocabulaire pour arriver à nous faire avaler des fonds de pensions qu'il aurait réussi à baptiser d'une autre façon, il trouvera la CGT en face de lui. Mais s'il s'agit de fonds d'épargne que l'on entend pas utiliser pour venir perturber le système des retraites par répartition,on peut en discuter. »