Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front National, à RMC le 27 mars 1996, sur la stratégie du FN de faire battre les candidats de la majorité aux élections partielles, la politique gouvernementale, l'immigration et la maladie de la "vache folle".

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Média : RMC

Texte intégral

P. Lapousterle : Pourquoi avez-vous pris la décision J.-M. Le Pen de demander à vos électeurs de préférer les candidats socialistes aux candidats de la majorité parlementaire ?

J.-M. Le Pen : Nous demandons d'assurer la défaite des candidats de la majorité, responsables des catastrophes politiques, économiques et sociales de notre temps. Nous demandons que soit sanctionné un pouvoir qui, chaque jour davantage, trahit les engagements électoraux qu'il a pris. Nous voyons aujourd'hui non pas la croissance et non pas la résolution du problème du chômage mais, au contraire, l'aggravation des impôts, l'aggravation du chômage et nous disons qu'il faut sanctionner cet échec politique d'une part. D'autre part, le Front national a été mis au ban de la société politique par la majorité UDF-RPR et nous sommes persécutés dans toute une série de domaines sur le plan politique, sur le plan du financement des partis ; nous sommes persécutés sur le plan judiciaire, fiscal. La presse nationale est elle-même persécutée, on tente de la ruiner. Cela, nous n'en voulons plus. Les électeurs n'en peuvent plus.

P. Lapousterle : Qu'est-ce qui s'est passé pour que votre attitude ait changé alors qu'a priori, nous n'observons pas de changement du pouvoir envers vous ?

J.-M. Le Pen : Parce que nous sommes des gens raisonnables et nous avons attendu un an pour voir ce qui se passerait quand la majorité aurait à la fois le président de la République, l'Assemblée nationale, tous les pouvoirs, quand elle ne se prétendrait plus gênée par la cohabitation et nous nous sommes aperçus que cela allait de mal en pis. Et nous voulons donner un coup d'arrêt à cette politique désastreuse qui se révèle chaque jour. Le Président J. Chirac est devenu un Européen fanatique alors qu'il laissait entendre qu'il était très réservé et que les droits de la France le seraient aussi. Eh bien, ceci n'est pas vrai. Nous allons vers la monnaie unique et bien que l'Europe ait fait la démonstration de sa perversité, on continue dans cette voie-là.

P. Lapousterle : Déclarez-vous la guerre à la majorité ?

J.-M. Le Pen : Il y a longtemps que la majorité nous a déclaré la guerre. Il y a longtemps qu'elle nous attaque. Et quand J.-F. Mancel vient s'indigner que nous votions pour des candidats socialistes et communistes, dois-je rappeler qu'aux élections législatives dernières, le RPR et l'UDF faisaient appeler à voter pour les candidats communistes pour battre les candidats du Front national qui étaient en mesure de représenter notre parti au Parlement ? Je rappelle qu'avec 4,5 millions d'électeurs, nous n'avons pas un seul député.

P. Lapousterle : J.-F. Mancel disait que vous aviez prospéré sous la gauche et qu'au fond, vous désiriez que la gauche revienne au pouvoir : est-ce vrai ?

J.-M. Le Pen : C'est encore une des légendes des politologues. Nous avons apporté la preuve depuis un an, à toutes les élections partielles, bien que nous soyons sous le Gouvernement d'un président de la République et d'une majorité de droite, que nous progressions alors qu'elle s'écroulait. Et je rappelle tout de même que ceci s'est déroulé aussi pendant les deux ans où E. Balladur était au pouvoir.

P. Lapousterle : Où vous situez-vous, J.-M. Le Pen ? On vous a entendu des années dire que vos ennemis étaient les communistes et les socialistes. Alors où êtes-vous en ce moment ?

J.-M. Le Pen : Ce n'est pas parce que le bourreau exécute l'assassin qu'on a de la sympathie pour le bourreau. Simplement, justice est faite.

P. Lapousterle : Quels sont, en ce moment, vos ennemis politiques ?

J.-M. Le Pen : Ce sont tous les ennemis de la France, de la nation. Ce sont tous ceux qui, dans le fond, sont d'accord, souvent en sous-main, pour mener la politique que nous subissons actuellement.

P. Lapousterle : Et vous diriez, J.-M. Le Pen, qu'en 1998, vous voulez que la majorité actuelle soit battue ?

J.-M. Le Pen : Tout à fait. Je ne verrai d'ailleurs aucune différence. À ceci près que quand la gauche fait une politique détestable, elle la fait avec les voix de ses électeurs, tandis que lorsque c'est le RPR et l'UDF qui font la même politique, ils la font avec les voix de gens qui désirent exactement le contraire.

P. Lapousterle : Quelle est votre objectif ? Voulez-vous que la droite parlementaire ouvre des négociations avec vous ?

J.-M. Le Pen : Je veux que justice soit rendue : je veux que le Front national ait la place démocratique qui est la sienne, que ses électeurs ne soient pas bafoués, ne soient pas traités comme des citoyens à demi-part. Ce combat que nous menons, c'est un combat pour la dignité de nos concitoyens et pour l'équilibre politique du pays. La démocratie, c'est la reconnaissance qu'il existe dans le pays des sensibilités différentes, et en tenir compte. N'en pas tenir compte, c'est se conduire de manière anti-démocratique.

P. Lapousterle : Vous demandez une réforme de la loi électorale ?

J.-M. Le Pen : Entre autres, mais pas seulement cela. Nous demandons un changement d'axe politique. Nous marquons par cette décision qu'à nos yeux, la droite et la gauche font la même politique, aussi détestable l'une que l'autre.

P. Lapousterle : Qu'est-ce qui serait un geste du pouvoir actuel qui ferait que vous déclareriez l'armistice ?

J.-M. Le Pen : Il est trop tôt encore pour dire cela. Il faut que la majorité souffre et surtout il faut que les députés de la majorité vivent dans la perspective de leur échec écrasant en 1998.

P. Lapousterle : Lorsque la majorité actuelle dit que vous ne gagnez pas, en ce moment, en pourcentage de voix ...

J.-M. Le Pen : Mais ce n'est pas vrai ! Toutes les élections partielles le démontrent ! Au contraire, nous gagnons deux à trois points dans toutes les élections partielles.

P. Lapousterle : Vous voulez que la majorité perde les élections de 1998 ?

J.-M. Le Pen : Oui et bien écoutez, je vous l'ai déjà dit quatre fois. Alors je crois que cela me paraît clair.

P. Lapousterle : Est-ce que vous n'êtes pas satisfait que le ministère de l'Intérieur ait pris les récentes décisions qu'il a prises pour les immigrés clandestins ?

J.-M. Le Pen : Tout cela, c'est de la mise en scène. Cela me rappelle le charter des Maliens de C. Pasqua, 101 Maliens comme 101 Dalmatiens, n'est-ce pas. Cela fait image peut-être mais cela ne change pas le fait qu'il y a, dans notre pays, des millions d'immigrés ou d'immigrés récents, dont la naturalisation a fait des Français de pacotille mais ces millions d'étrangers pèsent sur notre économie et pèsent sur notre pays d'une manière écrasante. Comme je l'ai souvent dit, l'immigration dont – je le répète pour la millième fois – je tiens grief aux politiciens français, est une des causes principales de la situation de notre pays.

P. Lapousterle : La « vache folle » ? Le Gouvernement britannique vient de décider de sacrifier une partie de son cheptel, alors ?

J.-M. Le Pen : Il a fait une chose que n'aurait probablement pas fait le Gouvernement français, même s'il a donné depuis deux jours des ordres dans cette direction. La maladie de la « vache folle », c'est vrai qu'en France elle n'a frappé qu'à la tête : ce sont nos vaches sacrées, les vaches sacrées qui nous gouvernent, qui ont contracté la maladie. En dehors de cela, il s'agit d'une maladie gravissime. C'est une affaire aussi grave que le SIDA et comme au moment du SIDA, il n'y a eu qu'un seul mouvement qui a tiré la sonnette d'alarme. En 1990, permettez-moi de vous lire la fin du discours de mon collègue Martinez du 11 septembre 1990 à Strasbourg : « Voilà, Monsieur le Président, mes chers collègues, ce que le rapport Scott-Hopkins ne révèle pas pour protéger les intérêts de son pays, mettant ainsi en danger nos consommateurs. Il y a un risque de zoonose. La maladie peut sauter de la vache à l'être humain. Les mesures préventives doivent être prises pour éviter l'extension du foyer infectieux depuis la Grande-Bretagne jusqu'à l'ensemble de l'Europe sans frontières.

P. Lapousterle : Il y a des experts qui n'ont pas établi cela...

J.-M. Le Pen : Pour le SIDA, c'était la même chose. Il y avait des gens qui venaient nous assurer qu'il y avait strictement aucun risque. Il y a toujours des experts pour justifier des positions gouvernementales. Ce que je constate, c'est qu'à peu près dans tous les problèmes, c'est le Front national qui dit la vérité longtemps à l'avance car gouverner, c'est prévoir et il démontre qu'il est le seul à prévoir et donc le seul à être capable de gouverner.

P. Lapousterle : Vous êtes en guerre ce matin. Bonne journée !

J.-M. Le Pen : Je ne suis pas en guerre, je ne suis pas en guerre mais la politique c'est un combat.