Texte intégral
France 3 : Dimanche 5 mai 1996
C. Matausch : On n'a pas senti de triomphalisme aujourd'hui. Le bilan n'est pas si satisfait que cela ?
J. Toubon : Nous n'avons pas tellement la religion des anniversaires. Pour les Français la vie ne comporte pas ce genre d'anniversaire. Il faut faire attention à ne pas faire de choses artificielles. Nous avons simplement voulu marquer une étape. Cette étape comporte des points très positifs. On a indiscutablement changé les choses en ce qui concerne la manière d'appréhender la gestion des affaires publiques. Elle est plus sérieuse. Nous assainissons les finances publiques, c'est indispensable. Nous avons engagé des réformes très importantes : la défense nationale, la Sécurité sociale, la justice. Dans le monde, la place de la France est renforcée par les initiatives de J. Chirac. Mais en même temps, il est clair que le programme du septennat, c'est-à-dire la cohésion nationale, la lutte pour l'emploi, contre la pauvreté, vis-à-vis de tout cela il y aura encore beaucoup de chemin à faire. Ce qu'a dit le mouvement gaulliste c'est que nous avons pris la bonne direction, on a confiance, on sait que, ce que fait J. Chirac et son Gouvernement c'est dans notre ligne. C'est-à-dire que nous sommes un mouvement populaire, mais en même temps nous avons une ambition pour la France. J. Chirac a de l'ambition et du courage, et en même temps il est généreux, il est proche, il est disponible. Donc avec cette confiance allons-y ! D'abord, première étape, les législatives 98. Ça c'est la majorité parlementaire. Et ensuite, c'est la fin du septennat.
C. Matausch : A. Juppé s'est imposé ce soir comme le chef de l'union. Mais vous n'êtes pas sûr que ce sera lui qui conduira la bataille ?
J. Toubon : Dans l'état actuel des choses, le Premier ministre est fait pour diriger le Gouvernement jusqu'aux législatives. Je ne vois pas de raison pour qu'A. Juppé ne soit pas le chef du Gouvernement pour les législatives, et que donc, il soit le chef naturel de la majorité, c'est-à-dire de l'alliance du RPR et de l'UDF.
C. Matausch : Les législatives : les sondages disent que le FN risque de jouer une nouvelle fois les arbitres. Que pouvez-vous faire ? Durcir le ton sur l'immigration ?
J. Toubon : Non, les sondages disent que le FN accueillera de nouveau un score important. Et que si sa volonté est de faire élire une majorité de gauche, il en a les moyens. Mais c'est de la responsabilité du FN. Est-ce que, pour le FN, il vaut mieux une majorité parlementaire socialiste et communiste ? Voilà la question qui lui est posée. Pour ce qui nous concerne, nous conduisons notre politique, notamment une politique qui tend à réduire toute une série de tensions dans la société française, dont le FN se nourrit dans sa propagande. Donc, il est vrai qu'il ne peut pas être très heureux de nos réussites, car nos réussites c'est régler les problèmes des Français sur lesquels le FN essaye de bâtir sa propagande.
RMC : Jeudi 9 mai 1996
RMC : Merci d'être là ce matin parce que vous vous êtes couché tard, vous étiez au match.
J. Toubon : Oui, j'étais parmi les supporters du PSG. Souvent, je vais les soutenir dans leur match. Je crois que c'est un grand événement pour eux mais aussi pour le football français. D'une part parce que ce n'est pas si fréquent et que c'est un club de la capitale. Et l'on reproche souvent à la capitale de ne pas avoir un grand club de football.
RMC : On en vient à la politique, M. Toubon. M. Jospin, à l'occasion de l'anniversaire de l'élection de J. Chirac, affirme que la fracture sociale s'est accrue. Le Parti socialiste parle, lui, de grande désillusion.
J. Toubon : Je trouve que M. Jospin fait un peu une erreur d'optique. La fracture sociale a été creusée par tout ce qui s'est fait depuis quinze ans, c'est-à-dire sous la responsabilité des amis de M. Jospin. Et J. Chirac a été le premier, il y a trois ans, à diagnostiquer que c'était là le principal problème de la France.
RMC : Mais diagnostiquer n'est pas soigner !
J. Toubon : Pendant sa campagne électorale, J. Chirac a proposé une politique pour réduire cette fracture sociale et a commencé depuis un an à agir pour permettre de réduire cette fracture sociale. Et d'abord revenir – ce que nous faisons depuis un an et que nous allons continuer à faire – à une gestion sérieuse des affaires publiques et en particulier des finances publiques. Première phase : nous avons réduit les déficits à la fois en réduisant les dépenses et en augmentant les impôts. Deuxième phase : nous allons maintenant réduire les dépenses publiques encore plus. Et la troisième phase, à partir de 1997, ce sera celle de la réduction des prélèvements. Je crois qu'il y a un véritable changement de culture. Jusque-là, on avait toujours repoussé devant nous, avec des faux-fuyants, des faux-semblants, à causes des échéances électorales, les difficultés et, notamment, les déficits et les dérapages financiers. Aujourd'hui, on les prend à bras-le-corps. Je crois que l'essentiel – que naturellement M. Jospin a du mal à reconnaître – c'est que la présidence de la République a totalement changé de style et que nous avons un Président appuyé par un Gouvernement qui est à la fois plein d'ambition, de courage et en même temps très généreux, très disponible. Je crois que c'est la présidence de l'an 2000 !
RMC : Quand vous entendez les instituts de sondage dire que 60 % des Français trouvent le bilan de J. Chirac négatif ?
J. Toubon : Mais cela ne m'étonne absolument pas puisque l'année 1995 a été une année de difficultés et il ne fait aucun doute que les Français, pour le moment, ont le sentiment qu'ils ont fait des sacrifices et qu'ils n'en ont pas encore le bénéfice. Cela va venir. La preuve : depuis le mois de janvier, nous avons les plus bas taux d'intérêts à court terme en Europe, les plus bas depuis 25 ans ! C'est à partir de taux à 3,5 % que l'on peut relancer l'économie !
RMC : Et les plus hauts taux de chômage !
J. Toubon : Non ! Nous n'avons pas les plus hauts taux de chômage d'abord. Les deux sont concomitants au sens où c'est à partir de la baisse des taux d'intérêts que nous allons pouvoir recréer activité et emploi. C'est la même chose ! Quand on réduit les dépenses publiques, quand on réduit les prélèvements, on aboutit à une relance de l'activité qui elle-même crée de l'emploi. C'est pour cela que nous préparons le budget de 1997.
RMC : Vous n'avez pas peur de ce budget de 1997 ? Car la potion va être amère.
J. Toubon : M. Lapousterle, c'est exactement ce que je vous ai dit tout à l'heure. Il y a deux manières de faire. On sait qu'il y a des déficits ; on sait que la dette publique a été multipliée par trois depuis moins de dix ans ; on sait que la part des prélèvements est à 45 % ; on sait que dans le produit national, il y a 55 % de dépenses publiques. On sait tout cela, on sait que cela ne va pas. Qu'est-ce qu'on fait ? Si on est socialiste, comme avant, on dit qu'il y a les élections en 1998 alors on peut rien faire parce que cela va faire trop mal. Si on est avec J. Chirac, avec A. Juppé, un gouvernement pour résoudre les problèmes des Français et en particulier relancer un mécanisme de promotion sociale et de cohésion sociale qui a été interrompu, à ce moment-là, on prend les problèmes à bras-le-corps et on se dit : il faut qu'on fasse des économies très importantes pour pouvoir demain diminuer les impôts et les prélèvements sociaux, et c'est à quoi nous sommes engagés. Je crois que c'est une philosophie tout à fait différente : on a remplacé le cynisme et les faux-semblants par l'exigence morale et le courage.
RMC : La majorité pourra rester majoritaire en 1998 M. Toubon ?
J. Toubon : Oui parce que je pense que les Français vont se rendre compte que c'est avec cette majorité et le gouvernement qu'elle appuie, que l'on pourra effectivement résoudre ces problèmes, remettre sur pied nos finances publiques – budgétaires et sociales – et premièrement s'engager résolument sur l'Europe et, deuxièmement, revenir à cette cohésion sociale qui est encore une fois l'objectif majeur du septennat de J. Chirac.
RMC : On va parler au Garde des Sceaux que vous êtes, M. Toubon. S. Dassault est sous l'objet, apparemment, d'un mandat d'arrêt international. C'est un grand nom de l'industrie française.
J. Toubon : Je n'ai aucune information, à l'heure où je vous parle, sur cette nouvelle qui a été donnée par la radio belge. Je vais me renseigner dans la journée.
RMC : Et vous avez ouvert une information judiciaire, M. Toubon, contre trois journaux, à cause de soupçons exprimés dans ces journaux sur le comportement de certains juges à Nice. Mais on ne connaît toujours pas la vérité sur cette affaire : lors pourquoi avoir ouvert une information sur ces journaux ?
J. Toubon : Les choses sont très simples : depuis plusieurs années, il y a un litige qui oppose deux parents divorcés. Dans ce litige les uns et les autres se sont renvoyés de très graves accusations, en particulier concernant la petite fille issue de ce couple. Dans cette procédure, il y a eu, à un moment, une campagne de presse qui s'est développée pour indiquer que les magistrats du tribunal de Nice ne faisaient pas leur travail, et que même – d'une certaine façon – ils protégeaient des agissements répréhensibles, on a même parlé de pédophilie, une campagne s'est développée. Quand je suis arrivé à la Chancellerie, j'ai dit : « Je voudrais en avoir le cœur net. Que s'est-il passé ? ». Le procureur de la République de Nice a ouvert, à ma demande, une nouvelle enquête préliminaire. On a repris l'enquête préliminaire. Elle a été conclue il y a quelques jours. Elle a dit : « Non, il n'y a dans cette affaire rien que de très normal. Il n'y a pas d'autres faits que ceux qui ont déjà été jugés par la justice ». Dans ces conditions, et à la demande des magistrats du tribunal de Nice, j'ai décidé d'engager des poursuites pour diffamation contre les journaux qui ont écrit que la magistrature niçoise n'avait pas fait son travail et même avait protégé des agissements punis par le Code pénal. C'est mon rôle. La justice, contrairement à ce que certains disent, n'est pas du tout au-dessus de toute critique. Mais en même temps, la justice ne doit pas être traitée comme souvent on veut la traiter, c'est-à-dire qu'on ne doit pas la rendre sur la place publique et on ne doit pas jeter le discrédit, notamment sur les magistrats, sans aucun fondement.
RMC : Il y avait des témoignages.
J. Toubon : Dans un sens et dans un autres. Les enquêtes et les procédures judiciaires – c'est là-dessus que nous nous fondons – n'ont pas abouti à ce que les journaux disent.
Maintenant, il y a une procédure pour diffamation. Ce sera au tribunal de juger lui-même si ce qui a été dit par les journaux était fondé – auquel cas ils ne seront pas condamnés pour diffamation – ou si, au contraire, ce n'était pas fondé. La loi sur la presse de 1881 est extrêmement protectrice pour les journaux, donc pour ceux qui, éventuellement, à travers les journaux, peuvent diffamer. Je crois que c'est une loi de liberté. Il faut l'utiliser. Elle n'autorise pas à dire et à écrire n'importe quoi. La justice n'est pas au-dessus de toute critique, mais il faut aussi la respecter, parce que chacun à notre tour nous pouvons avoir besoin d'une justice incontestable et incontestée.
Le Figaro : 14 mai 1996
Opinion et intérêt général
La démocratie représentative ne se résume pas à la démocratie, d'opinion, sondagière et médiatique.
Dans le langage des œnologues, 1995 ne paraît pas, à première vue, pouvoir être considérée comme « une grande année » par les sondages.
Le candidat qui ne pouvait pas être élu est aujourd'hui président de la République ; un mouvement social inédit a surgi hors de toute attente et sans que nul ne décèle par avance ni ses ressorts profonds ni ses enjeux immédiats. Voilà deux témoignages qui pourraient sceller ce qu'on appellerait l'échec des sondages.
En vérité, cela n'est qu'apparence. Les sondages ont apporté ce qu'ils pouvaient apporter et révélé ce qu'ils avaient à révéler, ni plus ni moins ! C'est l'utilisation qui en a été faite, les interprétations qui en ont été données qui, plus encore que d'habitude, ont péché par manque d'objectivité et de lucidité. Les informations livrées par les études d'opinion n'ont pas été simplement commentées et appréciées, elles ont été sollicitées manipulées et instrumentalisées.
Une telle expérience incite plus que jamais à rechercher le bon usage des sondages…
Commanditaires, auteurs, commentateurs et utilisateurs de sondages doivent être conscients de leur responsabilité et se soumettre à une déontologie exigeante et sans faille.
Un élément parmi d'autres
Les responsables publics doivent faire preuve du plus grand sang-froid. Les sondages doivent être pris pour ce qu'ils sont : un instrument de mesure et d'évaluation, quelquefois prédictif, mais le plus souvent purement descriptif. Et surtout, les sondages ne sont qu'un élément parmi d'autres de la décision politique. La démocratie représentative ne se résume pas à la démocratie d'opinion, sondagière et médiatique. L'action politique répond à d'autres motivations que la tyrannie de la « majorité d'opinions favorables ».
Est-ce trop demander que d'admettre que l'intérêt général, l'intérêt national, les convictions, la morale peuvent utilement et légitimement servir de guide aux acteurs politiques ? Même lorsque l'action qui en découle ne recueille qu'une « minorité d'opinions favorables ».
Finalement, j'appliquerai volontiers au bon usage des sondages la pensée de Benjamin Constant selon laquelle « l'assentiment de la majorité ne suffit nullement dans tous les cas pour légitimer ses actes »… et vice versa.