Interviews de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale et secrétaire général de Force démocrate, dans "Valeurs actuelles" le 9 janvier 1999, "Le Journal du dimanche" le 24 et "Le Figaro" le 27, sur l'engagement européen de l'UDF, la recherche d'un projet européen de l'union de l'opposition et l'éventualité en cas d'échec d'une liste autonome de l'UDF aux élections européennes de juin 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro - Le Journal du Dimanche - Valeurs actuelles

Texte intégral

VALEURS ACTUELLES : 9 JANVIER 1999

Valeurs Actuelles :
Que pensez-vous de la décision de Charles Pasqua de présenter sa liste aux élections européennes ?

PH. DOUSTE-BLAZY :
Je respecte Charles Pasqua comme je respecte ceux qui partagent sa vision des choses. Mais je dois dire que rien ne me paraît plus archaïque ni plus contraire aux intérêts de la France que le discours anti-européen sur lequel il a décidé de faire campagne. Ma génération est née avec l’Europe, elle ne peut s’identifier à des combats qui appartiennent au passé.

Valeurs Actuelles :
Face à cette nouvelle donne, comment doit réagir l’opposition ?

PH. DOUSTE-BLAZY :
Cette nouvelle candidature, qui s’annonce franchement anti-européenne, a le mérite de mettre de côté les querelles politiques franco-françaises et d’ouvrir un débat de fond. Pour être entendue des Français, l’opposition doit plus que jamais être porteuse d’un projet européen constructif, positif et volontaire. A l’heure où l’euro, enfin devenu réalité, met l’Europe au cœur de la réorganisation économique mondiale, à l’heure où le dollar se voit contester la suprématie qui était la sienne depuis cinquante ans, à l’heure où il apparaît avec éclat que notre continent est le vrai vainqueur de l’après-guerre froide, les pro-européens de l’UDF, de DL ou du RPR auraient grand tort de laisser à la gauche le monopole de l’espérance européenne. Nous ne devons pas mettre notre drapeau dans notre poche mais au contraire affirmer avec plus de netteté encore notre volonté d’aller en Europe vers plus de fédéralisme et plus d’union.

Valeurs Actuelles :
Philippe Séguin, qui ambitionne de conduire la liste de l’Alliance, est-il le mieux placé pour tenir ce discours ?

PH. DOUSTE-BLAZY :
C’est à lui qu’il appartient de répondre. Veut-il l’union fédérative des Etats et le recours à la majorité qualifiée ? Veut-il une Europe de la défense et une politique étrangère commune ? Est-il prêt, enfin, à siéger à Strasbourg avec les parlementaires européens de l’UDF ou de la CDU au sein du groupe PPE ?

Valeurs Actuelles :
Vous n’êtes donc pas de ceux qui estiment que Philippe Séguin est disqualifié par le fait qu’il a appelé à voter non en 1992…

PH. DOUSTE-BLAZY :
Ce qui nous disqualifierait tous, ce serait de ramener le débat européen à nos querelles de personnes ! Le passé est le passé. A l’UDF, nous ne faisons de procès d’intention à personne. Nous posons simplement des questions à Philippe Séguin, et nous attendons qu’il y réponde.

Valeurs Actuelles :
Votre ami Jean-Louis Bourlanges affirme, lui, que l’UDF doit aller aux élections du 13 juin sous ses propres couleurs…

PH. DOUSTE-BLAZY :
Il a raison de souligner qu’une famille comme la nôtre qui s’est constituée autour de l’idée européenne, qui s’est battue pour cette idée, ne saurait se contenter, sous peine de trahir sa vocation, d’un engagement tiède ou timoré. En matière européenne, c’est l’UDF qui doit fixer le cap de l’opposition. Devrons-nous constituer notre propre liste ? Tout dépendra des réponses que le RPR apportera à nos exigences de fond. François Bayrou proposera une stratégie. Nous déciderons collectivement.

JOURNAL DU DIMANCHE : 24 JANVIER 1999

Pascal Amaudric
Que répond l’UDF à l’ultimatum du RPR ?

Philippe Douste-Blazy
L’Alliance doit reposer avant tout sur le respect mutuel des partenaires. Dans la mesure où l’on souhaite l’union, il faut qu’un projet soit défini en commun, que les hommes et les femmes qui composeront la liste européenne, que celle ou celui qui la conduira soient choisis en commun. Dès lors que ces règles essentielles de respect mutuel sont établies, il est toujours possible de dialoguer et de travailler ensemble.

Pascal Amaudric
Mais le RPR tente aussi de vous diviser ?

Philippe Douste-Blazy
L’UDF est aujourd’hui la seule formation politique française qui n’est pas divisée sur la question européenne. C’est un gage de sérénité. L’Europe est la plus forte de nos ambitions politiques, car elle est avant tout une ambition collective.
Comment nous diviserions-nous sur ce qui fait le cœur de nos convictions ?

Pascal Amaudric
Quels sont les avantages d’une liste UDF autonome ?

Philippe Douste-Blazy
Il ne faut pas faire de cette élection un enjeu de politique intérieure. Ce que nous voulons avant tout, c’est que les électeurs de l’opposition profondément attachés à la construction européenne – et ils sont nombreux – aient envie d’aller voter en juin. On attend de l’UDF qu’elle apporte à l’opposition la force de son enthousiasme européen.

Pascal Amaudric
Le fera-t-elle mieux par une liste autonome ?

Philippe Douste-Blazy
L’important est que l’UDF continue à être la famille politique qui fait avancer l’Europe. Nous avons été de tous les combats européens. Nous sommes les héritiers des signataires du traité de Rome et des maîtres d’œuvre de la monnaie unique. Toutes les avancées concrètes de la construction européenne depuis cinquante ans peuvent être mises au compte de ceux qui se sont reconnus dans la tradition politique qu’incarne maintenant l’UDF. Ces propositions dont l’Histoire prouve aujourd’hui la pertinence, certains les ont pourtant souvent qualifiées d’irréalistes ou de hasardeuses.

Pascal Amaudric
Le RPR soupçonne une liste européenne UDF d’annoncer une candidature Bayrou à l’élection présidentielle…

Philippe Douste-Blazy
Nous en sommes aux européennes, je regrette ces soupçons.

Pascal Amaudric
Une telle liste détermine-t-elle l’existence durable d’un centre autonome ?

Philippe Douste-Blazy
L’existence d’une famille politique ne dépend que d’une chose : la cohérence de ses convictions. Pour nous, il y a deux lignes de partage essentielles. D’une part la volonté de construire l’Europe politique, l’Europe de la défense et de la politique étrangère communes qui ne nous laisse plus impuissants devant les massacres de Bosnie ou du Kosovo, l’Europe de la recherche scientifique, etc. De l’autre, le refus de toute compromission avec l’extrême droite. C’est parce que nous sommes nombreux à nous retrouver autour de ces convictions que la question de l’existence politique du centre ne se pose pas en termes électoraux.

Pascal Amaudric
Votre liste mettrait-elle en péril l’Alliance ?

Philippe Douste-Blazy
Nous sommes dans l’opposition, nous travaillons pour construire et proposer aux Français un projet alternatif au socialisme. Nous sommes les alliés naturels de nos partenaires, à laquelle nous apportons notre complémentarité. Rien ne serait pire que l’uniformité. Pour être forte, l’opposition doit rassembler le plus largement possible autour d’elle.

Pascal Amaudric
En fait, tout n’est-il pas déjà joué ?

Philippe Douste-Blazy
Les choses ne seront jouées que le soir des résultats de ces élections européennes, le 13 juin. Le 7 février, nos militants voteront sur nos propositions, participant ainsi à nos choix stratégiques.

Pascal Amaudric
N’auriez-vous pu éviter qu’une liste UDF soit perçue comme une opposition à Jacques Chirac ?

Philippe Douste-Blazy
Ne faites pas du Président de la République un simple leader politique. Il est avant tout le président de tous les Français. De plus, Jacques Chirac a fait le choix de l’Europe à chacune des grandes avancées de la construction européenne. Il s’est engagé sans ambiguïté et non sans courage politique en faveur du traité de Maastricht, il a négocié le traité d’Amsterdam et il a défendu le principe de l’approfondissement des institutions européennes avant l’élargissement de l’Union aux pays d’Europe centrale.

Pascal Amaudric
C’est pourtant l’Elysée qui a précipité le coup d’envoi de la liste Séguin ?

Philippe Douste-Blazy
Je ne sais pas où vous avez vu, lu ou entendu cela.

Pascal Amaudric
Jospin théorise beaucoup mieux que vous la « richesse » des divisions sur l’Europe de sa majorité plurielle !

Philippe Douste-Blazy
J’attends de voir si la théorisation de la gauche plurielle résistera encore longtemps à une campagne qui s’annonce déjà haute en couleur, avec la concurrence quasi officielle entre le premier secrétaire du PS et celui du PC, sans oublier les ambitions affichées par les Verts dont la tête de liste paraît irriter profondément certains leaders politiques, ministres du gouvernement Jospin. Les élections européennes feront apparaître au grand jour les divisions d’une gauche plurielle dont nous sommes quotidiennement témoins à l’Assemblée.

Pascal Amaudric
Quels seraient les thèmes porteurs d’une campagne UDF ?

Philippe Douste-Blazy
Ce ne sont pas les thèmes européens de campagne qui manqueront à l’UDF, quelle que soit la forme que prendra son engagement politique dans la campagne.


LE FIGARO : 27 janvier 1999

Anne FULDA :
Etes-vous favorable à la proposition de José Rossi de consulter les députés de l’opposition sur le principe d’une liste unique ?

Philippe DOUSTE-BLAZY :
Si cette proposition de José Rossi convient au groupe RPR et si elle convient aussi et surtout aux trois présidents de parti qui ont en charge le choix et la composition des listes, il n’y a aucune raison que cette réunion de l’intergroupe n’ait pas lieu.

Anne FULDA :
Et vous, êtes-vous favorable à une liste d’union conduite par Philippe Séguin ?

Philippe DOUSTE-BLAZY :
Personnellement, je n’attends qu’une seule chose de ces élections. Que l’on parle de l’Europe, encore de l’Europe et toujours de l’Europe. Je pense donc que le choix d’un responsable politique européen pour conduire une liste serait dans la logique des listes que nous avons déjà constituées dans le passé avec nos partenaires de l’opposition.

Anne FULDA :
C’est donc, plutôt que Philippe Séguin, l’européen Michel Barnier qui a votre faveur ?

Philippe DOUSTE-BLAZY :
 Le responsable qui mènera la liste doit être en accord avec nos convictions européennes.

Anne FULDA :
Tout n’est pas perdu pour une liste d’union, alors ?

Philippe DOUSTE-BLAZY :
Nous devons étudier les conditions pour constituer une liste commune, définir, dans un esprit de respect mutuel, un projet en commun et choisir des hommes et des femmes ensemble. L’UDF et ses convictions doivent apparaître clairement dans ce projet par des propositions indiscutablement européennes. Première proposition : après Maastricht et Amsterdam, l’Union européenne doit définir son modèle institutionnel : la communauté de nations. Je propose qu’un nouveau traité fixe les droits et devoirs de la citoyenneté européenne dans une grande charte politique qui doit être négociée et écrite en commun par les gouvernements. Imaginez la puissance de cet acte politique si, le même jour, les peuples de l’Union se prononçaient démocratiquement sur la fondation de cette Europe politique. Deuxième proposition : nous devons repenser le budget de l’Union pour qu’il devienne un instrument économique. Il faut maintenant créer l’Europe de la matière grise. Troisième proposition : nous devons définir nos intérêts de défense commune et construire une action diplomatique européenne : il faut que l’Union européenne assure à parité avec l’Otan la prévention et la gestion des crises ainsi que la défense principale de l’Europe.
Force de proposition
C’est à l’échelle de l’Union européenne que la France renforcera sa souveraineté militaire. C’est sur ce programme que nous devons réfléchir à la stratégie à adopter. S’organiser ne veut cependant pas dire s’uniformiser et tout égaliser. Il faut s’affirmer comme porteurs d’un projet alternatif au socialisme mais il faut en finir avec les plate-formes communes où plus personne ne se reconnaît. Nos identités respectives, qui sont loin d’être contradictoires, sont parfaitement complémentaires.

Anne FULDA :
L’opposition peut cependant s’unir. Par exemple, elle soutient la proposition de loi que vous déposez demain afin de créer les plans de prévoyance retraite…

– Je pense que l’opposition doit être avant tout une force de proposition si elle veut retrouver la confiance des Français. Aujourd’hui, il existe des inégalités importantes devant la retraite. Inégalité concernant l’âge de départ, le nombre d’annuités ; inégalité face à la garantie des pensions des retraités ou face à la possibilité de capitaliser. La situation démographique est par ailleurs très préoccupantes. Cela aura des conséquences collectives – il faudra trouver 300 milliards de francs, en 2020, ce qui est effrayant ! – mais aussi individuelles. Aujourd’hui, un salarié qui perçoit 14 000 francs brut par mois touche, quand il part à la retraite, 67 % de son dernier salaire. Si rien n’est fait, il ne touchera plus que 50 % de son salaire en 2008. Face à ce contexte, il est impossible d’augmenter encore les cotisations. Il faut donc compléter le système actuel pour le sauvegarder. Nos voisins européens l’on fait. Mais nous, en France, nous perdons un temps extraordinaire. Si le gouvernement attend encore, on va à la catastrophe !

Anne FULDA :
Lionel Jospin a annoncé qu’il traiterait ce dossier à la fin de l’année.

Philippe DOUSTE-BLAZY :
Mais il y a urgence ! Ce sujet économique et social concerne non seulement nos retraités mais aussi les entreprises françaises dont les actions sont, de plus en plus, détenues par les retraités américains. Usinor est déjà à 60 % sous contrôle de fonds de pension anglo-saxons et Saint-Gobain à 40 % ! Il faut donc créer, le plus vite possible, un troisième échelon de capitalisation sans remettre en cause le système de répartition.