Texte intégral
Olivier Mazerolle : Bonjour Denis Kessler.
Denis Kessler : Bonjour.
Olivier Mazerolle : Alors les Français sont optimistes, leur moral est au plus haut depuis 1987, dit l'Insee. Ça ne donne pas raison à Lionel Jospin qui pense que le volontarisme relance l'économie ?
Denis Kessler : Alors nous sommes très heureux que les consommateurs soient heureux. Pourquoi voudriez-vous que l'on se plaigne de ce sentiment positif des consommateurs ? Dans le même temps, il faut remarquer que les entrepreneurs, eux, ont un moral qui s'est plutôt dégradé…
Olivier Mazerolle : ... Oui, mais pourquoi ?
Denis Kessler : Tout simplement parce qu'ils sont confrontés à la réalité des échanges internationaux, de la crise qui affecte l'Asie et une partie de l'Amérique. Ils sont confrontés au ralentissement de l'activité en Europe et notamment en France, et c'est la raison pour laquelle les entrepreneurs n'ont pas le moral aussi élevé que les consommateurs.
Olivier Mazerolle : Mais alors est-ce que ce n'est pas psychologique quand même, de leur part. Parce que, tout de même, même l'OCDE dit: « mais, finalement la reprise en France repose sur des bases saines ».
Denis Kessler : Oui, encore une fois il faut se réjouir que l'économie aille bien. Je veux dire, en aucun cas les entrepreneurs pourraient tirer satisfaction d'une dégradation de la situation économique. Ceci dit, force est de constater que la croissance s'érode depuis plusieurs mois, depuis plusieurs trimestres. C’est une érosion, et l'OCDE d'ailleurs le constate puisque, officiellement ou officieusement, l'OCDE considère que la croissance en 1999 devrait être plus proche de 2 % que des 3 % qu'on nous avait annoncés il y a quelques mois.
Olivier Mazerolle : Enfin, tout de même, si on écoutait le CNPF qui est devenu le MEDEF, depuis 18 mois, c'était un peu « Apocalypse now » et finalement ça marche quand même ?
Denis Kessler : Écoutez, ce qui marche à l'heure actuelle c'est la consommation. Ce qui marche moins bien, c'est l'investissement. On note, de-ci de-là, également des problèmes de restockage, ce qui signifie qu'il y a des problèmes et puis surtout les exportations ne sont pas aussi brillantes que l'année dernière. Or, c'est les exportations qui ont tiré la croissance pendant deux ans. Mais encore une fois, nous constatons que la situation économique n'est pas mauvaise et ce n'est pas un ralentissement, c'est une érosion progressive de la croissance. Si c'était durable, ça poserait évidemment des problèmes sur le marché du travail et aussi pour les finances publiques.
Olivier Mazerolle : Vous croyez, vous, ou pas du tout, que le pari de Dominique Strauss-Kahn, à savoir qu'une croissance minimum de 2,5 % sur les trois ou quatre prochaines années, et chaque année en France, c'est possible ?
Denis Kessler : Nous le souhaiterions encore une fois. Plus la croissance est élevée, plus les entrepreneurs ont confiance.
Olivier Mazerolle : Et vous croyez que c'est possible avec le mélange de politique qu'il a adopté ?
Denis Kessler : Nous sommes attentifs à plusieurs choses. D'abord, les dépenses publiques prévues au cours des trois prochaines années croissent beaucoup trop rapidement. 135 milliards de francs de dépenses publiques dans les trois ans d'après le plan qui a été présenté par le ministre de l'économie ! C'est infiniment trop par rapport à d'autres pays qui, au contraire, font des efforts de réduction de la dépense publique et de la dépense sociale. Deuxième chose, le moindre ralentissement remettra de nouveau à l'ordre du jour des déficits sociaux, que ce soient ceux de la Cnam ou des déficits publics. Puis troisième chose, le moindre ralentissement de la croissance pourrait se traduire par une remontée du chômage avec tous les effets désastreux, notamment sur le moral des Français.
Olivier Mazerolle : Alors justement, le chômage. On s'aperçoit qu'il a baissé considérablement depuis maintenant 18 mois. Vous pensez que désormais on est complètement sur les rails de la réduction du chômage ou que c'est encore bien périlleux ?
Denis Kessler : Écoutez, d'abord il ne faudrait pas se réduire au chômage, il faudrait surtout promouvoir l'emploi et l'emploi durable, l'emploi qui vient des entreprises. Or, la réduction du chômage, qui est bienvenue, est pour le moment marginale par rapport aux 2 900 000 demandeurs d'emplois. Donc ...
Olivier Mazerolle : ... on ne peut pas rayer ça d'un coup non plus ?
Denis Kessler : ... donc on a eu une inflexion, mais comparez la situation française à la situation hollandaise par, la Hollande est arrivée à réduire par deux le taux de chômage. Ils ont un taux de chômage qui est inférieur à 6 % alors que nous avons simplement, à la marge, réussi à réduire le chômage et j'ajoute, principalement, par la création d'emplois-jeunes publics. C'est-à-dire que c'est les contribuables qui ont contribué à la réduction du chômage. Donc, ce que nous espérons, nous, c'est une réduction durable du chômage qui passera par fa croissance. Et la voie n'est pas la réduction du temps de travail, la voie c'est davantage d'investissements, c'est davantage d'innovation, c'est davantage d'exportation, c'est davantage de créations d'entreprises. C’est la voie que nous avons choisie et c'est celle qui, je crois, devrait conduire à avoir dans quelques années un chômage infiniment inférieur à celui qui existe.
Olivier Mazerolle : Alors la deuxième loi sur les 35 heures va être en préparation bientôt. Quand Martine Aubry dit dans LIBÉRATION que beaucoup des accords de branche respectent l'esprit de cette loi, ça vous indique que la discussion va être engagée sur des bases saines ?
Denis Kessler : Ce que nous espérons, c'est que tous les accords qui ont été signés dans les branches et dans les entreprises seront intégralement respectés par la seconde loi. On ne peut pas nous dire :
« Écoutez, allez-y, négociez des accords », ce que nous faisons, et de dire après: ces accords sont invalidés par une loi qui serait votée en fin d'année et qui reviendrait sur des dispositions qui ont été arrêtées par les partenaires sociaux. C'est essentiel que la signature des partenaires sociaux représentatifs, que ce soit les organisations syndicales de salariés, que ce soit les organisations d'employeurs, soit respectée par la loi à la fin de l'année parce qu'autrement vous voyez bien que ce serait un coup d'arrêt à toute négociation.
Olivier Mazerolle : Sans ça que se passerait-il si, par exemple, la seconde loi contredisait certains accords de branche sur, par exemple, le recours aux heures supplémentaires ?
Denis Kessler : Ceci ne pourrait donner lieu qu'à un conflit. Vous comprenez bien que ce serait nier la réalité et la représentativité des partenaires sociaux.
Olivier Mazerolle : Un conflit de quelle nature ?
Denis Kessler : Écoutez, comment pouvez-vous imaginer que dans les années qui suivent nous ayons un climat serein au dialogue ? À l'heure actuelle, le Gouvernement dit : « regardez la loi ne crée pas beaucoup d'emplois mais en tout cas elle crée du dialogue ». Il ne faudrait pas qu'après avoir créé peu d'emplois, elle arrête le dialogue en niant les accords qui ont été signés par les partenaires sociaux. Donc, nous disons clairement, nous souhaitons le respect intégral de tous les accords qui ont été signés dans les entreprises et dans les branches, nous souhaitons aussi que des réponses, comment dire, tout à fait claires soient apportées à toutes les questions en suspens, que ce soit le Smic, que ce soit le volume des heures complémentaires, que ce soit la rémunération, que ce soit le forfait cadre. Bref, toutes les questions qui restent en suspens.
Olivier Mazerolle : Autre débat actuellement en cours entre Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry. Dominique Strauss-Kahn semble pencher pour une réduction de l'impôt sur le revenu, Martine Aubry, elle, pense qu'il vaut mieux réduire les charges patronales sur les bas salaires. Alors, vous êtes où, vous, dans ce débat ?
Denis Kessler : Alors, je vais vous surprendre monsieur Mazerolle, nous demandons les deux. C'est-à-dire nous souhaitons, bien entendu, un allégement des charges sur l'ensemble. Des salaires. Ça, c'est une mesure structurelle qui ira dans le sens du développement d'emplois et de la croissance. Nous avons proposé une franchise de charges sur l'ensemble des salaires lors de notre Congrès de Strasbourg, c'est une hypothèse simple et nous souhaitons qu'elle soit envisagée par le Gouvernement. Dans le même temps, il faut reconnaître qu'à l'heure actuelle l'impôt sur le revenu, et notamment les taux d'impôt marginaux, dissuadent beaucoup de gens à s'installer en France ou de continuer à produire en France. C'est la raison pour laquelle que je crois qu'il faut envisager simultanément baisse des charges, baisse des impôts.
Olivier Mazerolle : Le projet de couverture de maladie universelle. Les assurances privées vont s'intégrer de façon à s'engager de façon dynamique dans ce projet ?
Denis Kessler : Nous avons fait une proposition qui pour le moment n'a pas été retenue dans son intégralité par le Gouvernement. Nous avons dit oui, il faut assurer aux 150 000 Français qui n'ont pas de couverture de base une couverture maladie. Nous avons dit oui, nous sommes prêts à contribuer volontairement à la couverture complémentaire des plus démunis, des gens qui sont aux alentours du RMI. Nous souhaitons que ceci soit confié à ce que l'on appelle les organismes complémentaires, les mutuelles, les assureurs, les associations de prévoyance. C'est ce qu'on appelle le scénario partenariat. Nous regrettons que pour le moment le Gouvernement ait choisi une autre voie.
Olivier Mazerolle : Si vous vous engagez pour les exclus, ça veut dire que les assurances privées vont demander ensuite à pouvoir entrer en concurrence, avec la Sécurité sociale ?
Denis Kessler : Nous n'en sommes pas là monsieur Mazerolle.
Olivier Mazerolle : Non pas encore ? Vous avez bien ça à l'esprit quand même ?
Denis Kessler : On nous a souvent fait le reproche que nous n'étions pas capables de traiter les problèmes de la société tels que les exclus. Nous apportons au travers de ce qu'on appelle la couverture maladie universelle, la preuve que les assureurs peuvent contribuer à la réduction des difficultés de la précarité et de l'exclusion.
Olivier Mazerolle : Merci Denis Kessler.