Texte intégral
France Inter : mercredi 3 avril 1996
A. Ardisson : Vous n'avez plus le droit d'appeler votre parti Radical, le tribunal exige que vous changiez de nom. Il a donné raison à vos frères ennemis les radicaux valoisiens qui sont actuellement dans la majorité, et qui, d'une certaine façon, s'estiment les seules héritiers du parti d'E. Herriot. Qu'allez-vous faire ?
J.-M. Baylet : Au quatrième procès, effectivement, alors que par trois fois la justice nous a donné raison, cette fois-ci, en appel, on nous a demandé non de supprimer l'appellation Radical mais de préciser. Je m'explique : Radical reste Radical, quoi de plus normal. Le débat sur la légitimité du radicalisme et sur l'héritage d'E. Herriot n'a pas lieu d'être. C'est pour cela que nous avons décidé de ne pas aller en Cassation. La politique se fait sur le terrain. Incontestablement, le radicalisme, dans toute son histoire, a toujours été à gauche. Nul ne l'ignore et je crois que cette question est tranchée. Nous sommes bien les héritiers du radicalisme historique et la légitimité est chez nous. Reste le nom : le jugement prononcé par la cour d'appel ne nous interdit pas de nous appeler Radical et nous continuerons à nous appeler Radical. Il demande de préciser, pour qu'il n'y ait pas confusion avec les Valoisiens, qui sont à droite. S'il s'agit de dire que nous sommes de gauche, cela ne nous pose aucun problème car nous en sommes fiers. Radical restera Radical et vraisemblablement Radical de gauche.
A. Ardisson : On ne revient pas à l'ex-MRG ?
J.-M. Baylet : Nous avons six mois pour décider et pour trouver la terminologie exacte. Je crois que tout cela est un non-événement. Il y a des choses plus importantes.
A. Ardisson : Dans son dernier livre, J.-P. Chevènement raconte, une anecdote : il y a une vingtaine d'années, il se trouvait à Bonn en même temps que R. Fabre, qui présidait alors votre mouvement ; c'était en pleine vague d'attentats de la fraction Armée rouge. L'entourage de W. Brandt ne voulait pas recevoir R. Fabre car l'appellation Radical de gauche sonnait à leurs oreilles comme « dangereux terroristes ». Chevènement a dû leur expliquer que R. Fabre était un paisible pharmacien. Quand vous êtes à l'étranger, comment vous présentez-vous politiquement ?
J.-M. Baylet : Hier soir, J.-P. Chevènement, à Bercy m'a raconté cette anecdote. Prendre R. Fabre pour un dangereux terroriste c'est aller vite en besogne. Mais c'est aussi la démonstration que, pour l'opinion publique, y compris internationale, le radicalisme, le courant radical de gauche, c'est bien nous et nul autre. Donc je me présente comme président de Radical et ne pose jamais de problème. On sait qui nous sommes et je dirais même que le seul courant radical de la vie politique française qui soit connu, c'est le nôtre. Les Valoisiens sont désormais une officine de M. Chirac et peu représentatifs.
A. Ardisson : Vous avez souligné votre appartenance à la gauche en participant, hier, à la grande rencontre de Bercy organisée par le PC.
J.-M. Baylet : Nous étions bien, c'était chaleureux, il y a tellement longtemps que nous nous étions vus, en tout cas en public et tous ensemble. Cette soirée est-elle un succès ou pas ? C'est la question que pose la presse ce matin. Je pense que nous avons, hier soir, avancé en renouant la concertation, en constatant nos convergences. En tout cas, sur l'objectif, finalement nous sommes tous d'accord : il faut changer. Ce n'est pas le changement pour le changement. Nous ne voulons pas, cette fois, décevoir. Fatalement, dans le débat, des divergences sont apparues ; nous sommes loin d'être les mêmes sinon nous serions dans les mêmes partis. Il est vrai que dans sa diversité, cette gauche plurielle était vraiment très large. Vous dire qu'entre Krivine et moi-même, il n'est pas toujours aisé de distinguer les convergences ? C'est un fait que je reconnais volontiers. Vous dire que sur certains sujets nous étions divergents les uns et les autres, c'est vrai, notamment sur l'Europe et la monnaie unique.
A. Ardisson : Qu'est-ce qui fait que vous vous sentez quand même plus ou moins de la même famille malgré vos divergences ?
J.-M. Baylet : Ce qui nous rapproche, c'est que nous sommes dans un camp qui est la gauche et qu'en face de nous, il y a la droite qui gouverne d'une manière qui ne satisfait pas les Français. C'était éclatant, hier soir. Moi, je trouve qu'il est plutôt heureux que cette gauche soit plurielle, que face à la pensée quasi monolithique de la droite, il y ait au contraire une diversité de propositions et d'analyse. L'histoire du courant socialiste, du courant radical, du courant communiste, sont des histoires différentes mais nous en débattons calmement. Nous ne disons pas que, depuis hier soir, tout est changé, que nous sommes de nouveau en harmonie et que l'union est faite. D'ailleurs, cela a été dit clairement. Nous n'en sommes pas encore au moment où nous pourrons dire si, oui ou non, il y aura union et comment nous aborderons les prochaines élections et, si les Français décidaient qu'elles sont favorables pour nous, comment nous gouvernerons. Nous disons quand même qu'après quinze ans de disputes familiales, car la gauche est quand même une grande famille, après quinze années passées à nous ignorer et plutôt à nous critiquer, hier un grand pas a été franchi.
A. Ardisson : Qu'est-ce que c'est qu'être de gauche en 1996 ? Quel est le critère à partir du moment où le marxisme-léninisme n'est plus une référence de proximité ?
J.-M. Baylet : Les radicaux ne se sont jamais référés au marxisme-léninisme et la chute de communismes et de régimes qui se référaient à cette idéologie, prouve que ce n'est pas cela la véritable gauche et en particulier quand on voit tout ce qui s'est passé quant au respect des droits de l'homme. Être de gauche, c'est d'abord combattre la majorité actuelle, cette droite conservatrice. C'est refuser l'ultra-libéralisme et c'est avoir une conception de la société différente de celle d'aujourd'hui et en particulier, c'est donner à l'homme la priorité sur l'économie. Quand on voit ce qui se passe, ces jours-ci et ce qui s'est dit au sommet du G7, en particulier, je crois que ce sont des éléments forts, des valeurs d'actualité.
A. Ardisson : Hier, vous êtes quand même tous convenus de ne pas recommencer les erreurs de l'union à marche forcée de 1981 ? Qu'est-ce que cela peut donner, ces rencontres, par rapport aux élections de 1998 ?
J.-M. Baylet : L'histoire ne se réécrit jamais. 1981, la gauche a été portée au pouvoir dans l'union par une formidable espérance. Nous avons été confrontés à de grandes difficultés. Nous n'avons pas réussi sur tout mais reconnaissons que c'est une période aussi où beaucoup de choses se sont faites et sur un certain nombre de thèmes importants, le bilan est positif. Je n'accepte pas non plus que parce que nous avons échoué sur certains points, on rejette tout globalement. Cette fois-ci les choses se présentent de manière différente. A partir du moment, je le répète, où nous sommes dans le camp, nous avons des choses à nous dire et nous avons à confronter nos idées. Où est-ce que cela nous mènera, il est trop tôt pour le dire mais le constat d'une volonté de changement, d'une volonté de battre la droite, c'est déjà quand même un événement politique.
A. Ardisson : Vous êtes président de Radical, un des partis de la coalition de gauche. Un tribunal a décidé que vous deviez changer de nom, M. Kouchner, sur cette antenne, a proposé que ce soit Changement Radical. Vous avez une suggestion ?
J.-M. Baylet : J'ai surtout six mois. Nous sommes en train d'y travailler et d'y réfléchir. Ce qui est sûr, c'est que Radical restera, d'abord parce que nul ne conteste que le radicalisme est de gauche et que les radicaux de gauche, c'est nous ; ensuite parce que nous sommes les représentants de ce courant historique. Je n'ai pas voulu me pourvoir en cassation parce que ces affaires-là ne se traitent pas devant les tribunaux, nous avons mieux à faire. Radical doit être précisé, nous verrons de quelle manière.
A. Ardisson : A propos, B. Tapie, est toujours membre de votre mouvement ?
J.-M. Baylet : B. Tapie est toujours membre de notre mouvement.
A. Ardisson : Actif ?
J.-M. Baylet : Actif peut-être sur le terrain, il a en ce moment d'autres soucis et il est vrai que nous ne le voyons pas beaucoup et même pas du tout aux réunions des instances.
A. Ardisson : A. Juppé a jugé hier que les bombardements israéliens contre les civils au Liban étaient inadmissibles, je le cite. A gauche, on ne semble pas vouloir condamner ou même critiquer Israël. Quelle est la position de Radical ce matin ?
J.-M. Baylet : La position de Radical, maintes fois répétée, est que la priorité doit être donnée à la paix et qu'il faut soutenir dans les deux camps et dans tous les pays, dans cette zone, toutes celles et tous ceux qui luttent pour la paix, qui prône la paix et qui œuvrent pour la paix.
A. Ardisson : Est-ce que M. Peres, en ce moment, œuvre pour la paix ?
J.-M. Baylet : M. Peres se défend. Le Hezbollah, depuis des mois, pour ne pas dire des années, bombarde Israël, les attentats-suicide sont l'œuvre des mêmes terroristes et les pays qui les soutiennent sont toujours les mêmes. Il faut, pour faire la paix, être deux, et je pense que – et c'est clair d'ailleurs dans ce qu'a répondu Israël à la proposition du secrétariat d'État américain – Israël est prêt à s'arrêter à condition qu'on lui donne un minimum de garanties.
A. Ardisson : Est-ce que c'est lutter contre le Hezbollah que de frapper les régions chrétiennes par exemple, comme ça a été le cas, hier, et de mettre 300 000 personnes sur les routes ?
J.-M. Baylet : Hélas, tout conflit génère des excès. Bien sûr que je regrette et même je condamne. Mais Israël depuis maintenant 40 ans se défend, veut vivre en paix. Il faut réellement créer les conditions de la paix. Depuis quelques mois, un certain nombre de pays que sont l'Iran, la Syrie et même l'Irak, recommencent tout de même à sérieusement mettre en danger les fragiles équilibres qui avaient été trouvés là-bas.
A. Ardisson : Vous trouvez que M. de Charette a été bien traité en Israël ? Certains parlent de petite humiliation subie par le ministre français des Affaires étrangères ?
J.-M. Baylet : Personnellement je trouve que c'est un bien mauvais départ pour la nouvelle politique arabe de M. J. Chirac.
C'est-à-dire qu'effectivement, M. de Charette a été reçu uniquement par courtoisie mais ceux qui, une fois de plus, pèsent là-bas et peuvent avoir une action déterminante, ce sont les Américains.
A. Ardisson : Est-ce que ce matin vous utiliseriez les mêmes mots que M. Juppé ? Vous jugez inadmissibles les bombardements israéliens au Liban ?
J.-M. Baylet : A partir du moment où il y a des morts, surtout des morts civils et de plus des enfants, je le regrette et je ne puis l'approuver. Mais je répète que lorsqu'un conflit démarre, il y a hélas toujours des pertes de vies humaines et c'est très regrettable. N'oublions pas qu'en Israël, il y a eu aussi récemment un certain nombre d'attentats-suicide dans lesquels il y a eu des enfants, des femmes et des innocents tués.
A. Ardisson : Une commission d'enquête parlementaire sur l'immigration clandestine a présenté, hier soir, un rapport, et préconisé de renforcer les lois Pasqua contre l'immigration clandestine. Quelle est votre réaction ce matin sur ce rapport parlementaire très controversé ?
J.-M. Baylet : Je pense que ce n'est pas un bon moyen que d'aborder le difficile et douloureux sujet de l'immigration. Parce que la manière qui a été prise, une fois de plus, comme c'était déjà largement le cas pour les lois Pasqua, est une manière purement répressive et que le fond du problème n'est pas là. De plus, et c'est la grande tradition du courant radical, je suis pour le respect de la personne humaine et la dignité, et lorsque je vois que l'on va limiter l'accès aux soins, que l'on veut relever les empreintes digitales, que celles et ceux qui hébergeront des immigrés devront être fichés, tout cela a certains relents que je condamne.
A. Ardisson : Que faire alors ? Parce que la population française a largement dit et redit qu'il fallait mettre un terme à l'immigration clandestine et je dirais même que les immigrés en situation régulière le demandent.
J.-M. Baylet : Incontestablement, il y a un certain nombre de mesures à prendre et nous n'avons pas, en quelques minutes, le temps de traiter tous les problèmes de l'immigration clandestine. Je crois que les solutions doivent d'abord être cherchées avec les pays d'origine, qu'ensuite il faut traiter le problème des banlieues et qu'enfin, il faut regarder les raisons de cette immigration clandestine. Car aujourd'hui, à vouloir comme ça montrer du doigt l'étranger comme maux de tous nos malheurs, il est vrai que nous faisons le boulevard de M. Le Pen.
A. Ardisson : A gauche, vous êtes membre de la coalition de gauche, vous avez dit un jour que votre formation serait celle qui serait la force de proposition de gauche. Quelle est votre principale proposition aujourd'hui ?
J.-M. Baylet : J'ai effectivement dit cela et nous sommes en train de beaucoup y travailler puisque, pas plus tard que mercredi dernier, devant le bureau national de radical, nous avons adopté notre plate-forme européenne et en matière de santé, qui a été préparée bien naturellement par B. Kouchner. Nous sommes en train d'œuvrer sur un certain nombre d'autres thèmes. Si j'avais deux propositions à faire, je dirais – au-delà de l'emploi qui est tout naturellement, mais je pense de droite comme de gauche, la priorité des priorités – que les radicaux s'engagent sur les valeurs républicaines. C'est donc notre lutte contre le Front national, contre l'exclusion, contre le racisme, nous venons d'en parler. Les radicaux s'engagent sur la construction européenne. Aujourd'hui, l'Europe est très décriée et nous voulons que l'Europe se construise, nous voulons la monnaie unique, nous voulons donner une espérance à ces millions de jeunes qui, je l'espère, auront la chance de vivre dans d'autres conditions que celles de la génération actuelle.
Interview de RMC non disponible