Texte intégral
Paris, Porte Maillot
Claude Cambus, secrétaire général de la CFE-CGC ; Marie-Jeanne Vidaillet, secrétaire national ; Solange Morgenstern, délégué national ; Simone Vaidy-Cuenot, délégué national
En guise de préambule, Claude Cambus laisse la parole à l’alpiniste française Chantal Mauduit pour qui « vaincre des sommets himalayens est un mode de vie » ; c’est également un « rêve d’enfant » et « un défi permanent qui permet aux femmes de mettre en valeur leurs spécificités ». En définitive, « les femmes, en montagne comme au sein d’une entreprise, doivent ouvrir des voies ».
Encadré - « Depuis les états généraux de l’encadrement, en 1980, nous n’avons eu de cesse d’être en phase avec notre temps. La parité homme/femme dans l’entreprise, à côté du problème de l’emploi, est un défi majeur à l’aube du XXIe siècle. » Claude Cambus
J’ouvre ce colloque en tant que secrétaire général de la Confédération française de l’encadrement CGC, mais aussi en tant que défenseur convaincu de l’égalité professionnelle. Le titre de notre manifestation, « Les femmes, le pouvoir et l’entreprise », définit parfaitement notre champ d’analyse et de débat. Nous parlerons du travail et de l’égalité professionnelle dans l’accès aux fonctions dirigeantes et stratégiques des entreprises et des services.
Un débat historique
Le travail des femmes remonte à la nuit des temps et renvoie à une répartition des tâches au sein de la cellule de base de la société. Ce travail est également lié à la condition économique et sociale des femmes. En effet, si les femmes, avant 1900, participeraient largement aux activités agricoles, les femmes de condition aisée vivaient paisiblement grâce à leurs domestiques.
La vie des femmes de condition modeste n’a pas été bouleversée par l’essor du salariat. Ces dernières, peu instruites, ne pouvaient occuper que des emplois faiblement qualifiés. À cet égard, les études longues et « sérieuses » ont longtemps été réservées aux garçons. De fait, d’un point de vue culturel ou légal, la société ne s’intéressait pas à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Au-delà de l’allégement des tâches domestiques, les faits les plus nouveaux de la seconde moitié du XXe siècle sont sans doute l’élévation générale du niveau d’instruction, l’apparition de travaux salariés moins pénibles physiquement et le développement de la consommation et de l’accession à la propriété. Ces mutations ont en outre rendu nécessaire un deuxième revenu, y compris pour les classes moyennes. Le travail salarié des femmes a probablement été un des moteurs du mouvement féministe des années 60. Ce mouvement, parallèlement aux thèmes de la liberté du corps et de la maternité, a mis en débat les rapports de dépendance économique ou juridique. Dans cette logique, la question « féminine » a été élargie à l’ensemble des interrogations de la société : famille, entreprise, travail, politique, religion…
Les femmes et le travail : l’expérience de la confédération française de l’encadrement CGC
Un champ d’analyse ouvert
À l’heure actuelle, la question des femmes est trop souvent abordée d’une manière globale. Parler des femmes revient généralement à analyser le cas des femmes seules, mères au foyer et responsables de la totalité du revenu économique. Aussi débattre du thème des femmes cadres pourrait paraître étrange.
Les manifestations organisées par la CFE-CGC
De récentes initiatives visent à lutter contre cette situation. Ainsi, en octobre dernier, un colloque international a-t-il été organisé à Nice. Son thème était la « participation des femmes à la prise de décision ». Des spécialistes venus de toute l’Europe ont participé à cette manifestation placée sous le haut patronage d’Anne-Marie Couderc, ministre délégué à l’emploi et à l’égalité professionnelle, et soutenue par la Commission européenne. Un premier constat a été établi à cette occasion : en France, les jeunes femmes représentent 50 % des étudiants tandis que les femmes représentent 30 % de l’encadrement et seulement 5 % des cadres dirigeants. Trois études ont alimenté les discussions intervenues lors de ce colloque :
- un « Dossier de l’avenir » (n° 59), publié par la CFE-CGC, a dressé l’état des lieux des relations entre les femmes et le travail ;
- une étude qualitative, menée auprès de femmes cadres et syndiquées, a été conduite en France, en Allemagne, au Danemark, en Espagne et en Italie ;
- une enquête quantitative, réalisée par l’IFOP, a permis d’évaluer l’importance accordée pas les femmes aux points soulevés par l’étude internationale.
Globalement, 85 % des femmes cadres estiment que leur réussite passe par un équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale. Deux femmes sur trois sont prêtes à renoncer à certaines responsabilités professionnelles afin de privilégier la vie privée. Interrogées sur les facteurs les plus gênants dans l’exercice des responsabilités, les femmes citent le stress et les charges de travail. Enfin, le manque de disponibilité est considéré comme l’obstacle le plus important à l’accès aux postes de responsabilité.
Par ailleurs, lors du colloque de Nice, Madame Jacobsen a indiqué qu’il n’y a pratiquement pas de femmes PDG en Norvège et que les femmes ne représentent qu’environ 5 % des cadres dirigeants ! Si, dans les pays scandinaves, les quotas ont permis d’atteindre la parité en politique, l’égalité professionnelle n’est donc pas assurée en Europe. Voilà un défi majeur pour l’Union européenne !
À la suite de ce colloque, une phase de travail interne a été amorcée afin de donner la parole aux femmes de la CFE-CGC. Des groupes de créativité ont été mis en place et animés par Jacqueline Laufer, sociologue, qui nous a beaucoup aidé dans cette démarche. Les premières réflexions sont de deux ordres :
- les comportements et les freins culturels : la définition de la place de la femme dans l’entreprise, dans une logique de ressources humaines, s’inscrit dans ce cadre tout comme la question des quotas ;
- la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale : certaines propositions des groupes de travail renvoient aux moyens de faciliter cet équilibre. Le thème de la garde des enfants est un exemple parmi d’autres.
Le colloque d’aujourd’hui correspond à la troisième phase du processus engagé au sein de la CFE-CGC. Quatre tables-rondes sont organisées. Anne-Marie Couderc, ministre délégué à l’emploi, et Marc Vilbenoît, président de la CFE-CGC, clôtureront cette manifestation. Pour conclure, je voudrais remercier les intervenants, les partenaires de cette journée – l’ANDCP, l’ISICA, La Vie et l’agence Éolienne –, Marie-Jeanne Vidaillet, Jean-Luc Cazettes ainsi que les services de la Confédération impliqués dans la préparation des manifestations.
Les tables-rondes sont animées par Françoise Roy, journaliste.
L’entreprise au masculin-féminin : existe-t-il des valeurs féminines ? (Première table-ronde)
Colette Cousinié, ingénieur, direction industrielle de l’Aérospatiale, militante CFE-CGC ; Claudine Delalande, directrice générale d’Interdeco, vice-présidente Europe d’Hachette Filipacchi HFGA ; Philippe Gabilliet, comité des dirigeants commerciaux de France ; Yolaine de Linares, direction générale de la prospective, L’Oréal ; Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au CEVIPOF
Claudine Delalande : Mon entreprise fait partie d’un groupe qui gère douze magazines féminins en France, dont « Elle », « Parents », « Top Famille »… Des titres sont un observatoire irremplaçable. Outre la commercialisation de publicités, Interdeco réalise des études de marketing et de prospective. Nous travaillons surtout sur « l’avance socioculturelle », étant entendu que nos titres touchent une Française sur deux âgées de moins de 50 ans et cadre, c’est-à-dire huit millions de femmes.
Les femmes sont majoritaires au sein d’Interdeco comme dans beaucoup d’autres entreprises de communication. En outre, elles représentent 70 % des cadres. Cet environnement constitue, lui aussi, un observatoire privilégié qui confirme les principales conclusions de nos études.
Notre dernière enquête est intitulée « Femme 2000 ». Il s’agit d’un baromètre qualitatif portant sur les aspirations des femmes à l’aube du prochain millénaire. Une expertise croisée a été mise en œuvre. Les analyses ont été conduites par six instituts. Dans le même temps, vingt groupes de travail ont permis de confronter les opinions des experts et les points de vue des femmes. Les populations interrogées à l’occasion de cette enquête sont privilégiées : accès à l’éducation, nombreux diplômes… À ce propos, François Giroud a coutume de dire que nous pourrons parler d’égalité entre les femmes et les hommes lorsque des postes importants seront occupés par des femmes incompétentes ! Cinq tendances principales ont été mises en valeur par cette enquête :
- le projet de vie. La réussite professionnelle n’est pas un modèle déterminant. Le travail n’est plus le seul facteur de l’identité sociale même s’il demeure important ;
- la maîtrise et l’autonomie. Les femmes savent mettre en œuvre une gestion plus autonome et plus simple en s’appuyant sur leurs propres ressources et en refusant les modèles autoritaires. La création d’entreprises par les femmes s’inscrit dans cette logique ;
- la flexibilité et l’adaptabilité. Les femmes progressent parce qu’elles recherchent l’adaptabilité et font preuve d’une certaine souplesse. Leur capacité de négociation est indéniable ;
- l’action de proximité. Ce genre d’actions est plus important que les grands idéaux ou les belles idéologies. Les femmes connaissent les réalités du terrain. En outre, elles sont intuitives ;
- l’idée d’équilibre. Ce point est essentiel. La solution idéale serait un tiers de temps pour la vie professionnelle, un tiers pour la famille et les autres (les réseaux par exemple) et un dernier tiers de temps pour soi.
Il est frappant de constater que ces concepts ne sont pas féminins. Il existe une vraie concordance entre les qualités généralement attribuées aux femmes et les valeurs les plus actuelles. Je note, pour conclure, que les experts ont pour leur part insisté sur les tendances régressives : nombre de femmes en situation précaire, risque du retour à la maison… À ce titre, les médias devraient davantage mettre en avant la « positivité » et une réelle vigilance.
Françoise Roy : Janine Mossuz-Lavau, vous prétendez que « les femmes ne sont pas des hommes comme les autres », n’est-ce pas ?
Janine Mossuz-Lavau : Vous reprenez le titre d’un ouvrage que j’ai écrit avec Anne de Kervasdoué et qui vient d’être publié aux éditions Odile Jacob. Cet ouvrage est issu d’une enquête réalisée en France. À l’heure actuelle, il semble que les femmes expriment deux revendications principales : l’égalité, dans le travail notamment, et le maintien des différences qui les séparent des hommes !
Ces différences sont de nature diverse. Premièrement, les femmes manient la parole de l’intime, du personnel et n’obtiennent pas ce genre de discours de la part des hommes. Deuxièmement, les femmes s’estiment plus « fortes » que les hommes et pensent avoir davantage les pieds sur terre. À ce titre, elles doivent trouver des solutions à tous les problèmes, qu’ils soient domestiques, éducatifs ou professionnels. Une autre différence revendiquée par les femmes est primordiale : le choix entre le travail et le foyer est refusé. En effet, toutes les femmes souhaitent aujourd’hui travailler et avoir, dans le même temps, une vie privée. Je rejoins sur ce point l’opinion exprimé par Claudine Delalande. Les différences existent également dans le domaine de la sexualité : cette dernière est lié à un sentiment pour les femmes alors que les hommes semblent privilégier une logique de désir. Enfin, sur le plan politique, il est étonnant de comparer les résultats des enquêtes. Interrogés, les hommes mentionnent immédiatement les partis, les institutions… En revanche, les femmes insistent sur les personnes et leurs problèmes.
En ce qui concerne le travail, les femmes se plaignent d’une manière générale des inégalités existantes. Bien évidemment, ces inégalités peuvent être relatives aux salaires. Reste que les femmes ont aussi le sentiment qu’elles doivent faire plus leurs preuves que les hommes. Elles déplorent un manque de considération. Les personnes interrogées citent la notion de « plafond de verre ». Ainsi, dans les professions médicales, les épreuves liées à l’internat sont anonymes alors que l’agrégation s’apparente à une cooptation. Les femmes sont autant reçues que les hommes dans le premier cas et non dans le second…
Je voudrais également aborder les perspectives d’avenir. La situation actuelle semble correspondre à un point de tension : elle ne peut qu’évoluer. Nous sommes en fait à la croisée des chemins. Deux scénarios me paraissent possibles. Le premier est celui de l’alignement sur le modèle masculin. Les femmes pourraient s’orienter vers le « tout professionnel », en organisant leur vie autour de leur travail et en intégrant les valeurs de la compétition. Une figure emblématique de cette poste d’évolution pourrait être Margaret Thatcher. Le second scénario est inverse : les femmes investiraient les sphères masculines en leur imprimant leurs propres marques et en diffusant leurs valeurs. La vie privée serait alors mieux prise en charge.
Les données issues de l’enquête que j’ai réalisée montrent que le second scénario est le plus probable. Les jeunes femmes accordent par exemple beaucoup d’importance à la maternité et ne sont pas prêtes à brader leur vie privée. De même, notre société exprime un réel besoin de parole, comme le prouve le nombre sans cesse croissant de psychanalystes, de psychologues et de psychothérapeutes ou d’émissions télévisuelles qui donnent la parole aux anonymes. Or ce sont les femmes qui détiennent pour le moment la parole. Enfin, les femmes ont déjà changé les règles du jeu des métiers dans lesquels elles sont largement présentes. L’évolution de la sphère médicale est à cet égard typique. De même, le suicide lié aux conditions de travail touche moins les femmes que les hommes. Reste à prendre en compte la demande de la société en termes de réduction générale de temps de travail. Une telle évolution permettrait aux hommes de mettre en œuvre un réel investissement dans la vie privée.
Yolaine de Linares : Depuis toujours, L’Oréal s’est efforcée de scruter les évolutions comportementales et socioculturelles, de rester toujours très à l’écoute de son environnement, bref d’être fidèle à l’un de ses crédos « Saisir ce qui commence ».
En 1991, notre président-directeur général, Monsieur Owen-Jones ; a décidé de créer une cellule de prospective qui lui est directement rattachée et dirigée par l’un de nos vice-présidents, Monsieur Robert Salmon. Un des objectifs de cette équipe est de détecter les signaux faibles porteurs des tendances, des mutations, voire des ruptures de demain. Cette démarche a été formalisée à travers sept veilles circonstanciées, parmi lesquelles s’inscrit la veille sociétale. Dans cette optique, nous avons mené une réflexion prospective sur le thème de la femme.
Pour un groupe comme le nôtre, le positionnement de la femme dans la société constitue sans aucun doute un enjeu clé pour l’avenir : nos produits s’adressent avant tout à des femmes, et nos effectifs sont majoritairement féminins. Aussi avons-nous souvent coutume de dire que « nous vivons en grande partie pour des femmes, par des femmes et avec des femmes ».
Dans l’entreprise, il convient de prendre en compte cette dimension féminine et de s’efforcer de ne pas traiter le problème de la femme avec des schémas mentaux exclusivement masculins. Derrière les obstacles culturels de l’accession des femmes au pouvoir, il existe souvent un réel problème de temps et d’espace. Sans nul doute, y a-t-il un véritable conflit entre les rythmes de l’entreprise – qui est davantage un monde d’hommes – et le temps des femmes, surtout pour les cadres. Leur problématique ne se pose plus en termes de troc : réussite professionnelle contre échec de la vie personnelle. Polyvalente, la femme gère plusieurs temps et endosse des identités multiples. Par cette flexibilité, elle semble donc paradoxalement mieux armée pour affronter un environnement incertain, et apparaît en outre comme un vecteur de changement dans une société en quête d’un nouvel équilibre.
Dans cette optique, nous avons mené un certain nombre d’initiatives, parmi lesquelles :
- un atelier de réflexion prospective animée par deux de nos vice-présidents autour du thème « La femme de l’an 2000 », qui réunissait une équipe transdisciplinaire composée de scientifiques, directeurs marketing et patrons d’affaires, ainsi que des personnalités extérieures ;
- une étude sur la place de la femme dans l’entreprise et dans la société, menée en collaboration avec un cabinet extérieur. Plusieurs groupes de travail externes furent formés et associés à cette réflexion. Un certain nombre d’enseignements sociologiques furent dégagés de leurs conclusions ;
- une note stratégique sur les enjeux issus de la conférence mondiale des femmes à Pékin à laquelle Monsieur Robert Salmon avait assisté ;
- en externe, des journées de réflexion regroupant experts et personnalités sur le thème du repositionnement de la femme dans la société de demain : aux États-Unis, dans le cadre du réseau Global business network, et en France, avec le Club entreprises et prospective ;
- en interne, des conférences portant sur la créativité et le leadership où il a été notamment défini des styles de leadership masculins et féminins ;
- enfin, un dîner-débat, intitulé « Allons-nous vers une féminisation des mœurs ? » regroupant des vice-présidents de notre groupe autour de journalistes, écrivains, chercheurs et hommes d’entreprise.
On voit bien que le thème de la femme constitue avant tout un enjeu de société qui ne peut être abordé qu’à travers une réflexion collective. C’est d’ailleurs tout le mérite d’une journée comme celle que vous avez organisée aujourd’hui.
François Roy : Passons la parole à un homme pour examiner les conséquences de la féminisation de certains métiers.
Philippe Gabilliet : Je suis parmi vous en tant que porte-parole de la Fédération des dirigeants commerciaux de France. Pourquoi parler aujourd’hui du commerce ? Cet univers regroupe 2.4 millions de personnes, c’est-à-dire 10 % de la population active. Les vendeurs sont au nombre de 800 000 ; les femmes représentent en moyenne 20 % de cet ensemble. Ce chiffre doit être manié avec prudence. En effet, les femmes ne représentent que 3,5 % des forces commerciales des 300 premières entreprises françaises, mais 80 % du personnel de l’ensemble du commerce de détail.
Ce paysage est en train de changer. Les jeunes femmes sont de plus en plus nombreuses dans le monde de la vente. Il est vrai que 40 % des diplômés des écoles de commerce sont des jeunes filles. Reste qu’il faut être pragmatique. Dès lors, une question s’impose d’elle-même : les femmes représentent-elles une valeur ajoutée dans le processus de vente ? La réponse à cette question est grevée par divers préjugés. Interviennent tout d’abord des résistances culturelles qui sont liées à l’histoire. La place de la femme dans l’univers commercial est très particulière du fait de la sédentarité. Depuis le Moyen-âge, la femme est, en effet, l’acteur central du commerce bourgeois. Nous connaissons tous la figure de la patronne de magasin, épouse du marchand. Depuis 1945, les femmes ont gagné le combat de l’itinérance. De plus, elles ont combattu la masculinité en investissant des bastions de produits traditionnellement vendus par des hommes (automobile, pièces détachées industrielles…).
Bien évidemment, certains stéréotypes, négatifs ou positifs, demeurent. Certains estiment par exemple que les femmes ne sont pas faites pour exercer des activités commerciales parce qu’elles sont trop émotives ou pas assez disponibles. Le point de vue inverse existe. Affirmer que les femmes sont plus efficaces que les hommes sont d’ailleurs presqu’une mode ! En fait, le problème n’est pas posé de la bonne façon. L’important est, en effet, de savoir dans quel type de métier commercial et dans quel type de système la femme peut apporter une valeur ajoutée.
La notion de système est cruciale. Ainsi une commerciale est-elle favorisée si sa clientèle est féminine. Cela est vrai en France, mais pas dans les pays d’Europe de l’Est où la majorité des acheteurs de centrales d’achat sont des femmes, peu habituées à parler à des interlocutrices… Nous sommes dans l’obligation de prendre en compte la féminité, en tant que telle, dans le processus commercial qui est à la fois rationnel et affectif. Par ailleurs, nous constatons que les femmes entretiennent un rapport plus fécond aux procédures de travail que les hommes. Nous le constatons, mais nous sommes incapables de l’expliquer. Ainsi, lorsqu’une force de vente est informatisée, les femmes réagissent-elles plus vite que les hommes.
Finalement, la féminité, si elle n’est ni un atout ni un handicap dans le processus commercial, est une donnée signifiante. Être une femme constitue par exemple un désavantage dans certains métiers commerciaux comme la vente de vins et de spiritueux. En revanche, être une femme est un atout dans la vente d’automobiles (un institut féminin de vente automobile est implanté dans l’Ouest de la France et forme chaque année une centaine de jeunes filles à ce type de vente). De fait, il convient de prendre en compte l’image de la femme dans l’esprit de l’acheteur !
Pour conclure, je rappellerai que Gaston Berger, en 1954, avait défini la polarité Mars/Vénus, présente dans tout être humain. La vente est traditionnellement un monde relevant de Mars et fondé sur une logique de domination. Progressivement, la négociation, le conseil et la dimension affective prennent de plus en plus de place. En d’autres termes, les vendeurs doivent vite retrouver la part de féminité qui est en eux.
Colette Cousinié : À mon sens, le point le plus important de cette table-ronde est la notion d’équilibre. Sur le plan professionnel, j’ai lutté contre les bastions puisque j’ai été la première femme à être autorisée à passer le baccalauréat « techniques mathématiques » (l’équivalent de la série E) dans l’académie de Toulouse. Globalement, la notion d’équilibre suppose une bonne organisation si la femme exerce différentes activités (profession, famille, vie associative…). À cet égard, il est indispensable de s’appuyer sur des réseaux. Par ailleurs, si les femmes ingénieurs sont aujourd’hui plus nombreuses que lorsque j’ai débuté ma carrière, elles restent rares dans les postes de direction. En outre, leurs salaires sont en moyenne inférieurs de 5 % aux salaires des hommes. Beaucoup reste donc à faire !
Il me semble normal de tendre vers un équilibre entre les hommes et les femmes. Les qualités et les spécificités des hommes sont utiles dans tous les métiers tout comme les particularités des femmes. Le principal défi des femmes est peut-être de conserver leur féminité et d’être positives. Les éternelles lamentations sur le « monde des hommes » sont vaines.
De la salle : En tant que médecin du travail, je constate que les situations de précarité sont souvent liées à la féminité (travail intérimaire par exemple). Dans le même temps, les femmes qui travaillent à 80 % se portent beaucoup mieux que la moyenne. Par ailleurs, certaines études qualifient le management à la française de « féminin » en opposition au management anglo-saxon masculin et agressif.
Claudine Delalande : Ce point est intéressant. Je pense que le management féminin privilégie le facteur humain. Les rapports à la productivité et à la gestion du temps sont par exemple différents. La notion du temps de travail est très importante si l’on examine la dynamique de changement.
Janine Mossuz-Lavau : En ce qui concerne l’éducation, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un vrai changement qui doit toucher les manuels scolaires comme les façons d’enseigner ou les personnels de l’éducation nationale. Les jeunes filles sont encore trop souvent orientées vers les filières littéraires.
Seulement 6 % des députés sont des femmes ! Néanmoins, elles ont une influence sur le travail législatif. N’oublions pas que les textes sur le harcèlement sexuel ou le délit d’entrave en matière d’IVG ont été proposés par des femmes.
Témoignages - En marge du colloque, bon nombre de femmes cadres ont voulu témoigner auprès de la CFE-CGC d’expériences personnelles. En voici quelques extraits.
« Être cadre où avoir un enfant, il faut choisir !
J’étais chef de publicité dans une revue professionnelle à Paris. Après sept ans d’ancienneté, à trente-huit ans, j’ai choisi d’avoir un enfant, sachant qu’à chaque fois qu’était évoquée la question de la maternité, au bureau, le gérant parlait de cette éventualité comme d’une « catastrophe ».
Dès le début de ma grossesse, j’ai reçu une première lettre recommandée m’incitant au départ. Puis, à l’occasion d’une absence d’une semaine pour amniocentèse, j’ai été remplacée par un jeune en CDD. Prenant cette absence comme prétexte, dans une seconde lettre recommandée, le gérant me sommait de partir prétendant que j’avais émis cette possibilité en cas de problème de santé, alors que j’étais en pleine forme et avais même proposé, pour la durée de mon congé de maternité, de m’équiper d’une nouvelle ligne téléphonique et d’un fax à domicile pour assurer le suivi des gros clients !
Ces lettres étaient des mises en garde générales, faisant référence à l’équilibre financier de la société, au chiffre d’affaires… Le dialogue avec le gérant est devenu inexistant, il ne me convoquait plus aux réunions de travail ou d’objectifs. C’était le début d’une totale ségrégation. Dès lors, la multiplication de prétendus reproches indirects m’a touchée moralement, ce qui a justifié, de la part de mon médecin, un départ en congé maternité anticipé de trois semaines.
Pendant le congé maternité, j’ai continué à recevoir des lettres recommandées, des doubles de notes internes mentionnant que les salariés de la société devaient se montrer solidaires pour améliorer la productivité. J’ai compris qu’il s’agissait pour la direction de laisser des traces écrites pour justifier, plus tard, mon licenciement économique. Dans le même temps, la comptabilité ne respectait pas la convention collective en matière de rémunération pendant le congé : le premier mois, mon salaire a été divisé par deux. La seule explication que j’ai pu obtenir de la comptable : « on m’a dit de faire comme ça ».
À mon retour, j’ai été accueillie de manière glaciale, mon bureau entièrement vidé de ses dossiers. Pendant quinze jours, j’ai été confinée dans mon bureau, sans que personne ne m’adresse la parole, sans qu’on me donne quoi que ce soit à faire. Aucun des autres salariés n’a osé réagir, par peur de sanctions.
Le gérant a enfin contacté un de nos plus gros clients pour obtenir de lui une lettre de plainte à mon égard : moins d’un mois après mon retour de congé de maternité, j’ai été accusée de l’avoir « délaissé ». La lettre émanait du PDG avec qui je n’avais jamais été en contact. Mon seul interlocuteur, son chef de publicité, m’a avoué plus tard être impuissant face à cette démarche. Il m’a été interdit d’appeler le client en question pour obtenir des explications.
Puis vint la convocation pour entretien préalable à licenciement, pour lequel j’ai pu me faire assister par une personne habilitée par l’inspection du travail. J’y ai été qualifiée de « nuisible », de « danger » pour la société ! Un mois et une semaine après mon congé maternité, à mon arrivée, la comptable m’a signifié mon exclusion de la société. Je n’ai pu que signer un document « sous réserve ».
Mon sentiment ? Lorsqu’un patron a décidé de vous licencier, rien ne peut l’en empêcher. Si les prud’hommes ont pu obtenir les indemnités légales en ma faveur, ils n’ont pas reconnu le licenciement abusif. Aujourd’hui, je suis psychologiquement atteinte et déstabilisée quant à mes compétences professionnelles. Je suis actuellement en CDD, mais la confiance n’y est plus.
J’ai maintenant la conviction que la loi qui devrait protéger les femmes enceintes est totalement inefficace. Je ne me sens plus juridiquement protégée.
Propos recueillis par la CFE-CGC, février 1997.
Quelles perspectives de carrière pour les femmes ? - Gestion des ressources humaines et égalité des chances (Deuxième table-ronde)
Bénédicte Bertin, sociologue au CNRS, co-animatrice de l’Observatoire des dirigeants.
Jacqueline Laufer, professeur au groupe HEC ; Solange Morgenstern, directeur du partenariat UAP, membre du bureau de l’AGIRC, déléguée nationale de la CFE-CGC ; Caroline Page-Relo, responsable du développement et du recrutement, Helwett-Packard France ; Anne-Marie Pasquet-Paoli, expert France du réseau européen « Vie familiale et travail » ; Christian Rousseau, directeur associé CPM Search.
Solange Morgenstern : Je fais partie d’une génération qui a été dans l’obligation de se battre pour s’imposer. Je crois d’ailleurs que les jeunes femmes contemporaines vont en bénéficier. Il faut donc être optimiste : nous avons travaillé pour l’avenir. Cependant, les jeunes femmes n’ont peut-être pas la même envie d’y arriver que nous-mêmes si elles doivent, à tous les instants, prouver qu’elles sont à la hauteur. La situation est identique pour les hommes, ce qui est nouveau.
Je voudrais revenir sur les données chiffrées produites par l’INSEE ou l’AGIRC. En 1996, les femmes représentent 49,3 % de la population active occupée. La hausse est de 10 % par rapport à 1980, mais toutes les tranches d’âge ne sont pas dans la même situation. Le chiffre relatif aux 15-24 ans est ainsi en baisse de 30 % du fait de l’allongement de la durée des études. Les femmes travaillent plus tard que les hommes, ont des carrières plus courtes et représentent 44 % de la population active au-delà de 60 ans. Le taux de chômage des femmes est, quant à lui, de 14,2 % contre 10,4 % pour les hommes. Me même écart est constaté dans les emplois précaires.
En ce qui concerne les salaires, les données AGIRC montrent que l’écart est en moyenne de 20 % ! En 1970, les femmes représentaient 11,47 % de la population AGIRC. Ce chiffre est aujourd’hui de 27 %. Dans la sphère privée, le nombre de femmes a été multiplié par six en 25 ans tandis que le nombre d’hommes ne faisait que doubler. Le taux de chômage des femmes cadres est de 10,7 % alors qu’il est de 6,5 % pour les hommes. Les données AGIRC montrent également qu’un nombre très important de cadres n’atteint pas le plafond de la Sécurité sociale. À l’heure actuelle, 18,8 % de femmes considérées comme « cadres » n’atteignent pas ce plafond ! 10 % des hommes sont dans le même cas. Enfin, d’une manière générale, les femmes cadres sont plus diplômées que les hommes.
Globalement, l’efficacité des femmes cadres est reconnue. En revanche, la situation actuelle n’est pas satisfaisante en termes de responsabilité. Les femmes sont appréciées et les responsables font appel à elles pour leur demander des conseils. Dans le même temps, les postes à responsabilité restent extrêmement rares. Certains estiment que « les femmes n’ont pas envie de ces postes » et qu’elles souhaitent rentrer à la maison le soir… À ce propos, je crois que les choses changent parce que les hommes commencent à être déçus par le travail. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes cadres refusent de travailler tous les soirs jusqu’à 20 ou 21 heures. Cette mutation est très importante. En effet, les femmes peuvent apporter au monde masculin du travail d’autres idées : rester au bureau jusqu’à 20 heures ne signifie pas qu’on y travaille ! Il faut en fait mesurer le vrai temps de travail. En définitive, les femmes peuvent apporter la conscience de l’égalité par l’exemple. À terme, aboutir à l’égalité sera alors naturellement possible.
L’enquête réalisée par la CFE-CGC a mis en avant les attentes des femmes syndiquées. Les femmes doivent diffuser au sein de l’entreprise une autre culture. Les militantes ont souligné l’importance d’un changement de culture de l’entreprise. Dans cette logique, le rôle de la formation initiale comme professionnelle, est essentiel. Nous devons obtenir des entreprises qu’elles mettent en œuvre une formation portant sur l’égalité et la spécificité de chacun. Lorsque je parle de cette nécessité à l’intérieur de mon entreprise, tout le monde est d’accord. Reste que cet impératif est vite oublié dès que la conversation se termine… L’idéal serait, en définitive, d’obtenir des stages permettant d’expliquer aux uns et aux autres l’intérêt de la cohabitation intelligente à tous les niveaux. En outre, il existe des outils législatifs comme le rapport sur l’égalité hommes-femmes présenté aux comités d’entreprise. Personne ne se sert de ce document annuel ! Pourtant, il serait facile, à partir des chiffres communiqués, de se fixer des objectifs précis en termes de parité. En tout état de cause, le principe des objectifs chiffrés me semble plus pertinent que la logique des quotas. C’est du moins ainsi que seront formées et travailleront les militantes de la CFE-CGC au sein des entreprises.
Encadré - « Il n’y aura pas de progrès tant que les hommes seront promus en fonction des diplômes et, surtout, du temps passé dans l’entreprise et non pas en fonction de ce qu’ils font réellement. » Bénédicte Bertin-Mourot
Bénédicte Bertin-Mourot : J’ai créé, avec Michel Bauer, l’Observatoire des dirigeants afin d’analyser les sphères dirigeantes des grandes entreprises. Inutile de vous préciser que les femmes sont rares au sommet des hiérarchies même si les études disponibles sur le sujet sont peu fréquentes. Obtenir des informations sur les 300 ou 400 plus hautes responsables est toujours difficile alors que toutes les entreprises connaissent parfaitement les salariés qui occupent les niveaux 1, 2, 3…
Nous avons tout d’abord étudié les « numéro 1 ». Aucune entreprise parmi les 200 plus grandes entreprises françaises n’est aujourd’hui dirigée par une femme. Seule une femme avait passé ce seuil entre 1985 et 1996, pour occuper son poste pendant deux ans. Cette situation est pour le moins défavorable dans la mesure où le sommet des entreprises reflète l’état des autres niveaux hiérarchiques. Les chiffres sont les mêmes en Grande-Bretagne et en Allemagne.
Nous avons également analysé la composition des conseils d’administrations. Les entreprises du CAC 40 regroupent 377 administrateurs ; les femmes ne représentent que 4 % de cet ensemble. De plus, une femme sur quatre est un administrateur salarié, c’est-à-dire dépourvu du droit de vote. Enfin, 66 % des femmes sont des héritières qui siègent au conseil d’administration d’une entreprise familiale. Les cent premières capitalisations boursières comptent, quant à elles, 1 015 administrateurs. Le nombre de femmes est toujours de 4 %. En outre, les femmes ne cumulent pas les présences dans les conseils d’administration.
Nous avons également étudié le guide des états-majors qui paraît annuellement et qui renvoie au rapport d’activité des 200 plus grandes entreprises françaises. Dans cet ensemble, l’équipe dirigeante de 99 entreprises ne compte aucune femme ! La tendance est la même, voire encore plus défavorable, pour les entreprises publiques. Les 101 autres entreprises regroupent 2 071 dirigeants. Les femmes sont présentes à hauteur de 6 %. Cependant, 62 % de ce total renvoie à un poste bien particulier : directrice de la communication.
Enfin, nous avons examiné plus attentivement le cas de dix très grandes entreprises entre 1990 et 1995. Les dirigeants sont au nombre de 3 029. Les femmes représentent 3 % de ce total, étant entendu qu’il n’y a aucune femme au niveau zéro, 0,09 % au niveau 1 (c’est-à-dire trois femmes) et 0,3 % au niveau 2 (le secteur finances-gestion représente la moitié de ce pourcentage). Les femmes sont donc concentrées aux niveaux les plus bas, 3 ou 4. Dans le même temps, les femmes cadres dirigeants sont en moyenne plus jeunes que leurs homologues masculins et plus souvent diplômées de l’université. En outre, elles ont, la plupart du temps, fait carrière à l’extérieur de l’entreprise ; elles peuvent être membres d’un grand corps ou issues de cabinets ministériels. De plus, les carrières mobiles sont plus fréquentes chez les femmes.
En guise de conclusion, il convient de noter que ces différentes analyses contiennent des éléments de permanence. Ainsi rencontrons-nous de moins en moins de femmes au fur et à mesure que nous montons dans les niveaux hiérarchiques. Les entreprises publiques ne donnent pas l’exemple. L’âge des femmes dirigeantes tend à prouver que certaines évolutions sont amorcées. Enfin, les femmes ne souhaitent guère devenir des « bêtes à concours ». En termes d’interprétation, je pense que les choses n’évolueront pas dans les grandes entreprises tant que nous n’évaluerons pas les personnes en fonction de ce qu’elles font et non plus en fonction du diplôme. De même, il convient de revoir notre appréciation du temps de travail et de présence au bureau.
Encadré - « Il ne faut pas faire de l’égalité pour l’égalité, mais voir aussi ce que la parité peut apporter comme plus dans le business, c’est le sens de notre programme qui est, en fait, un véritable effort culturel. » Caroline Page-Relo
Christian Rousseau : Quelle est la pratique du « chasseur de têtes » que je suis devenu il y a dix ans ? Je suis profondément optimiste. En effet, j’ai l’impression que le paysage évolue aussi radicalement que rapidement. Je pense en fait que nous sommes prêts du but. Comme le disait Michelet, l’attente est d’autant plus insupportable que nous sommes en vue de l’objectif.
En termes de premier niveau, les femmes sont largement acceptées dans les entreprises. De plus, les femmes cadres passent en deuxième niveau assez facilement. Bien évidemment, elles sont rares au sommet des hiérarchies. À mon sens, il n’existe pas de problème de principe entre les hommes et les femmes.
Mes interlocuteurs ne sont pas hostiles lorsque je leur indique que le « meilleur homme » pour tel poste est une femme ! En dix ans, j’ai connu un seul cas où une entreprise ne voulait pas recruter de femmes. Reste une question importante : les chefs d’entreprise peuvent penser que telle femme correspondra à tel poste, mais s’interrogent sur sa progression dans la hiérarchie.
En tout état de cause, le recrutement est comparable à la promotion individuelle : nous ne sommes pas obligés de prendre telle personne pour tel poste. Dans le même temps, une promotion n’est pas une récompense. Dans cette logique, il est bon que les femmes se déclarent : affirmer que l’on privilégie la vie professionnelle n’est pas une faute ! Cela est d’autant plus nécessaire que les femmes des dirigeants sont généralement des femmes au foyer. Il faut donc lutter contre des schémas mentaux dominants. De fait, les femmes doivent préciser leur projet de vie. Bien évidemment, monter dans la hiérarchie ne dépend pas uniquement d’une telle déclaration.
Globalement, il existe deux types d’entreprises. La première catégorie est celle des entreprises où l’appréciation individuelle des performances est pratiquée intensivement. Les femmes progressent plus facilement dans ces entreprises. En effet, dans la seconde catégorie, les responsables ont tendance à examiner le nombre d’heures au travail. Or, ce critère ne favorise pas les femmes cadres.
Un autre point intéressant est la non-existence des « super-nanas ». Même une personne très bien organisée connaît des difficultés. À ce titre, mettre en avant sa propre organisation est un préalable primordial. Par ailleurs, les femmes doivent prendre en compte la disponibilité et les déménagements. Les dirigeants sont des personnes qui ont vécu différentes expériences (étranger, province…). Dans la grande majorité des cas, les femmes ne se permettent pas de déménager pour faire carrière. De fait, lorsqu’un poste en province est concerné, nous somme plus ou moins obligés de rechercher un homme. Reste qu’il existe aussi un marché du travail en province. En tout état de cause, les DRH ont tendance à prendre en compte les couples de cadres. Étant donné que les femmes conçoivent de plus en plus leur vie au travail, une masse croissante d’hommes est indisponible pour déménager.
Enfin, les dirigeants ont pour habitude de regarder les situations des autres pays développés. Sur le plan économique, la France est généralement comparée à l’Allemagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Outre-Manche, les femmes suivent toujours des études sexuées qui sont, dans l’ensemble, moins performantes que les études réservées aux hommes. En Allemagne, la figure de la femme au foyer est privilégiée dans la bonne bourgeoisie. Aux États-Unis, je considère que la situation actuelle renvoie à une guerre des sexes. En définitive, la France doit développer son propre modèle. Les DRH ont un rôle important à jouer dans ce domaine.
Je voudrais conclure en abordant rapidement le thème du pouvoir. Dans les statistiques, le pouvoir est un pouvoir strictement hiérarchique. Or, il existe plusieurs formes de pouvoir. À cet égard, les femmes doivent avoir le pouvoir de gérer leur temps, ce qui est essentiel. Dans ce domaine, la France, où les réunions qui commencent à 18 heures sont très fréquentes, n’est pas dans une situation très favorable. Il est d’ailleurs frappant de constater que les directrices de la communication sont incapables de gérer leur emploi du temps. Le choix est peut-être entre un poste dans lequel la femme est experte (sa propre organisation prévaudra alors) et la voie hiérarchique pure où l’ambition correspond à une dépendance aux modèles traditionnels.
Claudine Becq-Vinci, gynécologue, adjoint au maire de Verdun : Les femmes désirent un équilibre entre le travail et la famille. Je pense d’ailleurs que les hommes devraient faire de même ! Sur le plan politique, les hommes représentent 95 % des députés. La parité serait obtenue vers l’an 2300 si le rythme d’évolution restait le même… C’est pourquoi la question des quotas a été évoquée. Cette solution n’est pas intellectuellement satisfaisante, mais ne pourrait-elle pas faire évoluer les mentalités ? Les quotas sont-ils les « actions volontaristes » mises en avant par le sondage CFE-CGC ?
Solange Morgenstern : Les actions volontaristes renvoient à la formation des hommes. Nous retrouverons sinon la guerre des sexes. En tout état de cause, il ne faut pas oublier que le travail des femmes ne date que de 1945 si l’on considère les activités dirigeantes. Représenter un quart de l’encadrement après 50 ans « d’existence » n’est pas négligeable. Je suis convaincue que cinquante autres années ne seront pas nécessaires pour que les femmes représentent la moitié de l’encadrement. Il est évident par exemple que les hommes contemporains sont influencés par les femmes même s’ils ne s’en rendent pas compte. Reste à les former.
La politique n’intervient que dans un deuxième temps. Je suis très réservé face à la notion de quotas ? Devrons-nous forcer des femmes à entamer une carrière politique ? Je note à ce propos que le traitement réservé à Madame Corinne Lepage par les parlementaires masculins est une véritable honte. De plus, il faut démontrer tous les jours que l’on est capable de tenir tel poste. Je pense que vos interlocuteurs vous répéteraient sans cesse que vous devez votre poste au système des quotas si un tel système était instauré. En fait, nous devons expliquer aux hommes que les femmes prennent des places et non leurs places.
De la salle : Quoi qu’il en soit, présenter tel nombre de femmes aux élections législatives ne signifie pas que toutes seront élues. Aujourd’hui, les décisions sont prises par les hommes au sein des partis politiques.
De la salle : Je ne suis pas d’accord avec Christian Rousseau lorsqu’il affirme que les femmes qui souhaitent obtenir tel poste doivent « se déclarer ». Par ailleurs, je considère que les conditions de travail des femmes se sont dégradées au cours des dernières années. Comment faire pour que l’homme s’investisse dans sa vie privée ?
Solange Morgenstern : J’ai trois fils et je crois que nous ne devons pas oublier un point : les jeunes femmes vont faire changer les hommes ! Bien évidemment, les enfants de ces couples seront habitués à vivre une certaine égalité. En outre, ils n’auront pas le même équilibre vie de famille-vie professionnelle que nous.
Marie Fabry (ISICA) : Pourquoi ne pas créer un congé légal obligatoire de paternité ?
Françoise Roy : Christian Rousseau, quelle est la proportion des femmes dans les salariés recrutés par vos cabinets ?
Christian Rousseau : Il est clair que nous avons placé plus d’hommes que de femmes ; il est vrai que nous travaillerons sur une population dans laquelle les hommes sont plus nombreux. Cependant, si l’on considère nos clients, je suis certain que nous plaçons plus de femmes qu’ils s’y attendent. Par ailleurs, en ce qui concerne le temps de travail, le haut de la pyramide est un secteur très compétitif. Personne n’espère que les ministres iront souvent jouer au golf ! Les Français attendent des dirigeants qu’ils soient très actifs et travailleurs. L’idée « d’apprendre aux hommes à moins travailler » a été citée. Nous n’allons pas dans cette direction.
Bénédicte Bertin-Mourot : Reste qu’il existe une spécificité française. Une enquête que j’ai réalisée en Allemagne montre que les dirigeants sont généralement chez eux à 18 heures ! Les Français vivent dans un modèle culturel très particulier. D’ailleurs, certains cadres ne rentrent plus chez eux tant ils ont oublié ce qu’était une vie de famille. De fait, à l’heure actuelle, la carrière de l’homme est privilégiée. En outre, si les trentenaires peuvent aider les femmes dans les tâches ménagères, il n’est pas certain que cette tendance reste craie dans le temps.
Christian Rousseau : En ce qui concerne les moyens d’actions, je crois que le principal souci des dirigeants est d’avoir une entreprise performante et un comité de direction efficace. Dans le même temps, ils sont intéressés lorsque nous leur faisons remarquer que les femmes, qui ne représentent que 30 % de leurs cadres, n’ont aucun modèle féminin dans les hauts niveaux de direction. En d’autres termes, nous leur faisons remarquer que 30 % du personnel est mécontent. Les dirigeants sont alors prêts à agir. Je crois d’ailleurs beaucoup au changement de société par l’exemple. En l’an 2000, une entreprise sans femmes dans ses instances de direction sera une entreprise qui semblera obsolète.
Caroline Page-Relo : Mariée, mère de quatre enfants, passionnée par mon activité professionnelle, je constate que l’équilibre est difficile à trouver. Cependant, j’estime que l’entreprise Hewlett-Packard est une fenêtre d’opportunité pour les femmes. En fait, Hewlett-Packard s’appuie sur trois éléments.
- Une approche culturelle. Hewlett-Packard est une entreprise certes américaine, mais surtout technologique. Aujourd’hui, nous réalisons nos bénéfices sur la vente de produits liés aux systèmes d’information et à la connaissance des personnes. La sphère informatique est un domaine technologique qui privilégie la convivialité, la transparence, la rapidité… Par ailleurs, l’entreprise possède une grande tradition autour de son capital humain. Les personnes en activité sont un avantage compétitif. Il faut donc générer un environnement de travail favorable à la performance.
- Une approche de conviction et de valeurs. Les responsables de l’entreprise ont pris conscience que Hewlett-Packard perdrait sa place s’ils n’amorçaient pas un changement. Le président de l’entreprise avait été frappé d’entendre toujours les mêmes arguments et ne plus être jamais surpris : son entourage était comme lui, c’est-à-dire américain, blanc, marqué par un certain environnement culturel… L’entreprise a alors eu recours à des cabinets de prospective pour tenter d’appréhender les évolutions potentielles de la société. Dans cette logique, le schéma Diversity and work-lifed balanced program a été élaboré afin de promouvoir la diversité de la force de travail et l’équilibre entre l’activité professionnelle et la vie. Certes, tout changement culturel provoque des réticences, mais les erreurs sont peut-être nécessaires pour apprendre.
- Une approche pragmatique. Le programme est pris en charge par des initiatives locales. Hewlett-Packard France a donc eu à s’approprier le schéma défini au préalable.
Je voudrais justement décrire rapidement quelques actions mises en œuvre au niveau des sites industriels français. À Grenoble, nous avons défini un programme qui peut être synthétisé en trois axes : communication, pratiques de ressources humaine et support à des initiatives. En termes de communication, nous avons longuement réfléchi à la logique des quotas. Il est sans doute préférable de parler de mesures pour tout ce qui touche les recrutements, les promotions… Disposant d’indicateurs de pilotage, les managers savent combien de femmes ils recrutent ou le nombre de départs. De plus, une communication a été mise en œuvre au niveau des managers ; un travail de proximité a été engagé. Enfin, la communication a également touché les employés.
En termes de pratiques, nous avons tenté d’améliorer nos modes de recrutement et de formation. Le thème des relations entre les femmes et les hommes est par exemple abordé durant des sessions de formation. De plus, le management par objectif permet de « traquer » et d’apprécier la performance. Enfin, certains programmes sont spécialement destinés aux personnes qui connaissent des situations de blocage professionnel. En ce qui concerne le support d’initiatives, notre réflexion a porté sur le travail des handicapés afin que la force de travail représente réellement la société. Nous avons également privilégié l’approche multiculturelle, puisque l’entreprise agit à l’international. En outre, en collaboration notamment avec Jacqueline Laufer, nous avons tenté de définir les moyens de développement du travail des femmes. L’entreprise s’est mobilisée aussi sur la question du temps. Des accords innovants ont d’ailleurs été signés dans ce domaine en juin 1995.
Je voudrais enfin noter que ces programmes s’inscrivent dans la durée. Ils renvoient en outre à un effort culturel. En tout état de cause, il ne s’agit pas de rechercher l’égalité ex nihilo. L’important est de trouver un impact en termes d’affaires.
François Roy : Nous allons maintenant écouter Anne-Marie Pasquet-Paoli afin de bénéficier d’un point de vue européen.
Anne-Marie Pasquet-Paoli : J’exerce les fonctions de DRH à temps partiel dans un groupe industriel suisse et je suis également chef d’entreprise d’une société de conseil. Bien évidemment, je suis comme Caroline Page-Relo très attachée à ma vie personnelle. Je suis présente parmi vous aujourd’hui en tant que représentante d’un réseau européen qui est né en 1994. Son existence vient d’ailleurs d’être prolongée de trois ans. Le réseau « Vie familiale et travail » s’occupe de la conciliation de la vie personnelle, au sens large du terme, et de la vie professionnelle. Les nouvelles formes d’organisation du travail sont notamment étudiées.
Tout d’abord, découvrir les succès des autres pays européens doit aider la France à fonctionner plus efficacement. Christian Rousseau nous indiquait à l’instant que les chefs d’entreprise étaient tournés vers l’international et regardaient comment vivent les entreprises hors de France. Cela est vrai en termes de concurrence, mais pas en ce qui concerne les modes de fonctionnement et de management d’équipes. Les situations sont souvent satisfaisantes dans les pays d’Europe du Nord. Ces pays ont, en effet, une vision du salarié qui n’est pas uniquement « salariée ». Considérer que l’efficacité de l’entreprise passe par la considération des hommes et des femmes, en tant qu’êtres humains qui doivent trouver un équilibre, a un impact direct sur les modes de management.
Je suis persuadée que nous nous limitons en France à la vision stricte et réductrice du salarié. Aussi les politiques familiales en entreprise restent-elles encore trop rares. De même, les évolutions seront difficiles tant que nous ne disposerons pas de réelles mesures incitatives comme le congé parental masculin (Suède). À ce propos, je reprends à mon compte les réserves exprimées ici ou là sur les quotas. Cependant, avons-nous le choix ? Il n’existe certainement pas d’outil unique ou magique.
Les priorités sont d’ordre divers : sensibilisation, incitations ou politiques relatives au couple… Nous ne pourrons pas changer fondamentalement les choses si nous n’intégrons pas toutes ces dimensions. Enfin, il convient de prendre en compte les aspirations des hommes ; aujourd’hui, nombreux sont par exemple ceux qui, hors hiérarchie, expriment le vœu de vivre différemment. Il est impensable que les femmes aient le monopole de l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle ! Cela est d’autant plus vrai que la crise change la relation au travail : les salariés prennent une certaine distance par rapport à l’entreprise et à l’engagement personnel.
Françoise Roy : Jacqueline Laufer, vous allez maintenant tenter de conclure cette table-ronde.
Jacqueline Laufer : Je ne chercherais pas à conclure, mais je souhaiterais, plutôt, souligner les perspectives très riches, ouvertes par cette table-ronde tant sur le plan du diagnostic des problèmes que peuvent rencontrer les femmes dans leur accès à des postes de pouvoir et de responsabilité que sur celui des leviers de changement qui pourraient être mis en œuvre. Il s’agit, en effet, de mieux intégrer un objectif d’égalité des chances et de développement de carrière des femmes aux politiques de gestion des ressources humaines. Au-delà du constat des inégalités persistantes dans de nombreux domaines entre hommes et femmes, deux enjeux se manifestent qui apparaissent essentiels pour la situation des femmes cadres demain : l’accès à la décision et au pouvoir, d’une part, l’organisation du temps de travail, d’autre part.
Sur le plan des stratégies de changement, on doit rappeler qu’il existe en France une loi sur l’égalité professionnelle, qui prévoit, d’une part, que soit établi un rapport de situation comparée sur la situation d’emploi des femmes et des hommes et, d’autre part, que puissent être mises en œuvre des actions positives de nature à améliorer la situation des femmes dans les différents domaines : recrutement, formation, carrière, rémunération.
Le rapport de situation comparée semble trop peu utilisé comme véritable outil de diagnostic des incidences des politiques d’emploi et de gestion des ressources humaines sur la situation respective des femmes et des hommes. De plus, seule une trentaine de plans d’égalité dans l’entreprise ont été négociés en France en treize ans. Les démarches de mise en œuvre de l’égalité professionnelle sur la base d’actions positives contribuent à développer au mieux le potentiel de compétences et d’implication des femmes présentes dans chaque entreprise. Le débat doit donc s’ouvrir sur les démarches de changement à mettre en œuvre dans le cadre de négociations avec les partenaires sociaux et de plans d’actions définies en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés. Ces démarches doivent s’appuyer sur des objectifs chiffrés qui constituent des outils de pilotage indispensables à toute démarche de progrès.
Il s’agit, en définitive, de considérer que de telles démarches de changement sont désormais légitimes et conformes, tant aux aspirations des femmes à plus d’égalité de qualification et de responsabilité, qu’aux besoins des entreprises qui y trouveront l’outil d’une meilleure maîtrise de leur évolution en y intégrant pleinement la contribution des femmes.
Bette Woody, professeur à l’université du Massachusetts : Je ne sais toujours pas ce qu’est la « guerre des sexes ». Aux États-Unis, les études sont nombreuses sur les femmes et les entreprises. La loi relative à l’égalité des chances est un point important. Des études montrent, en effet, que des entreprises évitent de faire appel aux femmes. En d’autres termes, les quotas ont été l’outil qui a le mieux fonctionné.
Caroline Page-Relo : Un outil doit s’appuyer sur le vécu d’un pays et d’une organisation. De fait, les quotas ne sont pas une recette universelle.
Jacqueline Laufer : La notion de mesures et d’objectifs chiffrés est plus nuancée que l’idée de quotas. Les précisions sémantiques sont utiles puisque le quota renvoie aujourd’hui au thème de la contrainte. Je ne vois pas pourquoi la situation des femmes, en termes de recrutement, de promotion et de formation, échapperait aux objectifs dans la mesure où toutes les activités de l’entreprise sont appréhendées à travers des indicateurs !
Anne-Marie Pasquet-Paoli : De plus, les objectifs chiffrés permettent l’appropriation d’un mode de fonctionnement favorable au changement et s’appuyant sur l’appréciation des performances.
Bénédicte Bertin-Mourot : Reste que les objectifs chiffrés doivent irriguer toute la société française et non la seule sphère politique.
Évelyne Serdjenian, Union professionnelle féminine : La sphère politique semble choquée par la logique des quotas ou des objectifs chiffrés. En effet, la parité, et non l’égalité, a été mise en avant alors que les propositions faites par les partis renvoient à un seuil de 30 % ! Par ailleurs, les syndicats n’utilisent pas les outils existants. Enfin, certains mots semblent gênants comme le « féminisme ». À ce propos, osons-nous dire femmes dans les titres professionnels : je suis présidente et non pas président !
Danielle Damin, conseiller régional Midi-Pyrénées : le nom de « conseiller régional » ne me gêne pas ! Je crois que des mesures volontaristes sont nécessaires dans le domaine politique. Par ailleurs, je suis professeur de physique et je voudrais terminer par une note d’espoir : mes étudiants font partie de la « génération mixité » et placent au-dessus de tout la compétence. J’ai une entière confiance en cette génération qui peut devenir la « génération parité » pour autant que nous l’aidions.
Enquête auprès des adhérentes de la CFE-CGC
Afin de connaître le sentiment des femmes cadres sur les obstacles et les difficultés qu’elles rencontrent dans leur carrière professionnelle, un questionnaire a été envoyé à un échantillon de 6 700 femmes adhérentes à la Confédération française de l’encadrement CGC.
Le profil des 1 053 réponses des femmes ayant répondu est le suivant :
- 31 % ont moins de 40 ans ;
- 31 % ont entre 40 et 50 ans ;
- 38 % d’entre elles ont 50 ans et plus ;
- 87 % sont en activité
- 52 % n’ont pas de mandat syndical, mais 40 % ont un mandat en entreprise
- 52 % ont eu accès au statut cadre par promotion interne.
Une analyse approfondie des réponses au questionnaire n’a pas permis de faire apparaître des écarts significatifs dans les réponses selon l’âge, la catégorie professionnelle, le mandat syndical ou le statut professionnel.
Grâce à un système de questions ouvertes, les femmes interrogées ont pu s’exprimer librement, faire des propositions et donner des témoignages sur les difficultés rencontrées pour mener de front une vie de famille et une carrière professionnelle.
[Tableaux non reproduits]
Commentaires :
Les pesanteurs culturelles apparaissent pour les femmes interrogées comme le frein n° 1 à l’accès à des postes de responsabilité.
Plus de 53 % des femmes les mettent en avant avec des appréciations du type : « tout a été fait par les hommes et pour les hommes » ou « il faut se battre tout le temps comme un homme même quand on est une femme ».
Les inégalités liées à la gestion de carrière arrivent en deuxième avec un peu moins de 46 % de réponses.
Interrogées sur la moins grande disponibilité liée à l’organisation du temps de travail, seulement 29 % des répondantes considèrent qu’il s’agit d’un problème. La grande majorité des adhérentes mettent tout en œuvre pour se rendre disponibles.
« Les femmes savent s’organiser et gérer leur planning ».
« C’est plutôt un atout, car les femmes sont habituées à mener plusieurs activités de front ».
Cela ne doit pas conduire à penser qu’il n’y a pas de demande vérifiée par d’autres enquêtes pour une meilleure articulation des temps professionnels et personnels.
Dernier frein à la promotion des femmes, leur désintérêt à occuper des postes de pouvoir. Cette enquête pourra mettre fin à une idée reçue selon laquelle si les femmes ne revendiquent pas de postes à responsabilité, c’est parce qu’elles n’en ont pas envie. Seulement 9 % des répondantes partagent ce point de vue.
[Tableau non reproduit]
Commentaires :
Dans leur très grande majorité (plus de 71 %), les adhérentes de la CFE-CGC souhaitent que les entreprises appréhendent davantage les difficultés liées à l’accès des femmes au management.
Elles ont été nombreuses à y apporter des commentaires.
Sensibiliser l’ensemble des décideurs
Les directions du personnel doivent bien entendues être sensibilisées et formées (73 % d’opinions favorables), mais cela ne peut suffire. « Les DRH ne sont pas en cause, c’est la hiérarchie » ; « Ce ne sont pas les DRH qui sont responsables en tant qu’hommes, mais les mentalités et la culture dans les entreprises » ; « Même quand les DRH sont des femmes, elles adoptent un modèle masculin ». Il est nécessaire aussi « d’impliquer les représentants syndicaux ».
Meilleure perception des enjeux de la conciliation activité professionnelle et vie familiale.
« Il faut sensibiliser les employeurs sur le fait que la maternité et l’éducation des enfants sont des fonctions sociales qui contribuent, elles aussi, à la richesse de la Nation. Elles ne sont pas quantifiables dans un compte d’exploitation ». « Tant que les hommes pourront continuer de "faire le monde" de 18 heures à 20 heures alors que les femmes sont contraintes d’assurer les charges de famille dès 18 heures, la question restera entière. Proposons donc une fermeture de nos entreprises à 17 heures ou 17 h 30 et fatalement les chances de voir les femmes progresser dans l’organigramme s’en retrouveront accrues ». « Le frein, c’est la contrainte familiale et le sentiment de culpabilité. Si on l’élimine, les femmes prendront des responsabilités naturellement ».
Utilisation des bilans d’égalité professionnelle
Une lectrice souhaite « la création dans les directions du personnel, d’une entité ou d’un poste de conseiller spécifiquement chargé de la promotion féminine dans l’entreprise ». D’autres demandent que soit « mieux exploité le bilan annuel d’égalité professionnelle ».
Cadre et mère de famille : ne pas se taire !
J’étais ingénieur d’affaires dans une société spécialisée dans le matériel de diagnostic médical, qui venait d’être rachetée.
Le fait de tomber enceinte a très bien été accueilli par ma direction et mon congé s’est déroulé normalement. Pendant sa durée, j’ai veillé à garder un contact professionnel et je disposais d’un téléphone portable et d’une messagerie vocale, de manière à pouvoir répondre à des appels d’offres de la part de certains clients. Je considère avoir bien continué mon travail.
De retour dans l’entreprise, j’ai rapidement appris que, pendant la durée de mon congé maternité, une personne avait prospecté sur mon secteur, sans que je sois informée. J’ai compris, en fait, que mon chef des ventes ne souhaitait plus travailler avec moi, selon des critères qu’il n’a pas su développer, sauf pour lâcher : « qui va à la chasse perd sa place » !
Je me suis adressée à la direction générale qui compatissait : « vous êtes une excellente vendeuse, primée l’année précédente, nous n’avons rien à vous reprocher, mais votre supérieur direct ne veut plus travailler avec vous ». Je ne peux pas m’empêcher de constater que cette nouvelle situation est liée directement avec mon congé maternité : il y a « avant » – relations excellentes, travail efficace – puis « après » – rejet, comportement négatif à mon égard.
Puis, les relations se sont rapidement dégradées. On en est venu à critiquer la manière dont j’appréhendais la vente : on m’a reproché de ne pas boire avec les clients ! « Si tu buvais du champagne, cela irait mieux entre nous ! » J’ai été interdite de clientèle. Comme c’était illégal, après trois semaines d’interventions auprès de la direction, j’ai pu obtenir un retour aux affaires. Je travaille à Paris, on m’a proposé un poste de directeur des ventes délocalisé, région Bordeaux-Cherbourg… J’ai fait savoir que je me battrais jusqu’au bout pour garantir mes droits et la direction a été capable de me répondre : « de toute façon, nous allons vous licencier ; nous le savons, nous sommes dans notre tort, nous perdrons aux Prud’hommes, mais nous avons de quoi payer ». En fait, mon employeur se donnait le droit d’avoir tort…
Propos recueillis par la CFE-CGC, février 1997
Demain : le défi d’un nouveau partage et d’un nouvel équilibre, professionnel et personnel (Troisième table-ronde)
Catherine Barbaroux, directeur général délégué d’Entreprise et personnel, membre de l’ANDCP ; Chantal Cumunel, présidente de l’APEC, ancienne secrétaire générale de la CFE-CGC, membre du conseil économique et social ; André Le Saux, directeur général du GIE-AFER (association française d’épargne et de retraite) ; Gabrielle Rolland, vice-présidente de l’Institut européen du leadership.
Simone Vaidy-Cuenot, commerciale, ProBTP, déléguée nationale de la CFE-CGC.
Simone Vaidy-Cuenot : Les femmes ont, les premières, cherché à concilier vie familiale et vie professionnelle. Depuis peu, les femmes demandent non seulement à exercer des responsabilités d’encadrement, mais également à avoir une vie personnelle. Les femmes veulent tout à la fois être indépendantes financièrement, avoir un travail intéressant, avoir une vie personnelle et des enfants. Comment concilier tous ces éléments ? Nous avons vu ce matin que pour être reconnus professionnellement, les cadres devaient aujourd’hui consacrer un temps considérable à leur travail. Il sera difficile de faire évoluer la mentalité des entreprises. Nous devrons donc avant tout faire évoluer notre environnement.
Les femmes demandent aujourd’hui de plus grandes facilités pour faire garder leurs enfants. Elles réclament notamment des horaires d’ouverture élargis pour les crèches et les écoles. Elles souhaitent également travailler quatre jours par semaine. Il serait parfaitement possible de travailler moins. Jusqu’ici, seules les entreprises ont pu tirer profit de leurs gains de productivité. Dorénavant, les salariés doivent également pouvoir en tirer profit. La CFE-CGC milite d’ailleurs pour cette cause.
André Le Saux : En 1994, la direction du groupement d’intérêt économique AFER a souhaité réduire rapidement le temps de travail de ses salariés. Un abaissement du temps de travail de 39 à 32 heures (- 20 %) aurait été trop lourd pour notre entreprise et pour nos salariés. Nous avons donc décidé de ne réduire le temps de travail que de 8 %. Il eut été inutile de réduire d’une demi-heure la durée quotidienne du temps de travail. Nous avons donc trouvé une solution originale. Nos salariés travaillent quatre jours par semaine durant trente-quatre semaines, cinq jours par semaine durant dix semaines et disposent de six semaines de congés payés.
La direction de l’entreprise a décidé de financer la réduction du temps de travail de ses salariés à hauteur de 5 %. Les salariés ont, quant à eux, accepté une réduction globale de 3 % de leurs salaires. Celle-ci a été plus ou moins importante selon le niveau des salaires. Les salariés percevant un salaire brut de 120 000 francs ont, par exemple, vu leur salaire réduit de 1,5 %, soit 150 francs par mois.
Cette solution a été soumise aux salariés lors d’un « référendum social ». Ils ont dans un premier temps accepté de la tester, quitte à l’abandonner par la suite s’ils n’en étaient pas satisfaits. Cette solution a finalement été accepté par 95 salariés sur 98.
Ce dispositif a permis d’améliorer de façon significative la qualité de vie de nos salariés. Ainsi, grâce à ce système, les mères de famille disposent de leur mercredi et l’ensemble des salariés bénéficie de week-ends prolongés. Des emplois ont également pu être créés : la réduction de 3 % de notre masse salariale a permis de créer 5 % de postes supplémentaires au sein de notre entreprise. Cette mesure a également été bénéfique pour notre entreprise. Nous avons pu ainsi faire disparaître l’absentéisme et renforcer l’attachement de nos salariés pour leur entreprise.
Pour parvenir à mettre en place un tel dispositif, il est indispensable que les cadres supérieurs et les dirigeants montrent l’exemple. Pour conclure, je dirai que les salariées de notre entreprise peuvent aujourd’hui concilier avec bonheur vie personnelle et vie professionnelle.
Encadré - « Pour les femmes cadres supérieurs, il est important que l’on interdise aux hommes de faire des heures supplémentaires, afin de supprimer le décalage entre eux dans la présence au bureau. » André Le Saux
Catherine Barbaroux : Je remarque tout d’abord que, depuis plusieurs années, la nature de l’entreprise a profondément changé. Celle-ci ne joue plus le même rôle d’insertion qu’auparavant. Par ailleurs, nombre de chefs d’entreprise ont encore trop souvent tendance à considérer le coût comme l’unique critère d’évaluation de la performance au travail. Or, le coût n’est pas le seul critère d’évaluation de la performance du travail. Sa qualité doit également être prise en compte.
Dans une entreprise de type taylorien, le temps était un critère d’évaluation du travail satisfaisant, ce qui n’est plus le cas dans les entreprises modernes. De fait, aujourd’hui, le temps de présence sur le lieu de travail ne correspond pas forcément au temps de travail effectif. Je ne suis donc pas sûre que la notion de temps de travail hebdomadaire ait encore un sens aujourd’hui. Pour certaines professions, notamment pour les cadres, il serait sans doute préférable de lui substituer la notion de temps de travail annuel ou semestriel. Nous devons en tout cas adopter une conception plus flexible de la notion de temps de travail. Chaque cadre semble avoir un rapport au temps spécifique. Il n’existe plus aujourd’hui de modèle de référence pour les cadres, chacun d’entre eux ayant des souhaits et des attentes spécifiques. Les cadres, notamment les femmes, devront faire accepter ces différences au sein de leur entreprise.
L’organisation du temps de travail au sein des entreprises change. Les entreprises du futur seront différentes des entreprises actuelles. Chacun devra y accepter les différences culturelles des autres. Dans ce contexte, l’opposition entre hommes et femmes au sein de l’entreprise ne sera plus aussi marquée qu’aujourd’hui.
En revanche, le fossé qui sépare les dirigeants des salariés ne fera que s’agrandir.
Nous devrons donc nous attacher à faire comprendre aux dirigeants qu’ils doivent changer leurs critères d’évaluation de la performance du travail de leurs salariés.
Gabrielle Rolland : J’entends parfois dire avec stupeur que le temps de travail est devenu une « variable économique d’ajustement ». En effet, le temps est l’une des valeurs fondamentales de notre société. Le meilleur synonyme du mot « temps » est d’ailleurs le mot « vie ». Lorsque l’on donne, par exemple, son temps à quelqu’un, on lui donne également sa vie. Le travail est également, depuis le début de ce siècle, l’une des valeurs fortes de notre société. Il permet aux individus de se réaliser et d’être socialement reconnus. On ne peut donc pas considérer le temps de travail comme une simple variable économique. De fait, la modification de la durée du temps de travail aurait des conséquences importantes pour l’ensemble de notre société.
Aujourd’hui, l’ordre de ces valeurs est en train d’évoluer de façon surprenante. Hier, c’est parce qu’ils disposaient de temps libre que les responsables politiques et les intellectuels étaient considérés comme étant les plus aptes à construire notre futur. Aujourd’hui, la situation est inversée : les personnes des classes dirigeantes sont celles qui disposent le moins de temps libre ; les personnes qui disposent de temps libre sont, quant à elles, exclues de notre société.
Cette situation m’a parue totalement aberrante. C’est pourquoi nous avons organisé avec l’Institut européen du leadership les « assises du temps, du travail et de l’emploi ». J’ai invité de nombreuses femmes cadres à y participer. J’ai pu constater que celles-ci n’avaient pas le même rapport au temps que les hommes. Ainsi, contrairement aux hommes, les femmes ne peuvent que rarement avoir des enfants au-delà de l’âge de quarante ans.
J’ai également pu relever trois paradoxes.
- Le travail est aujourd’hui le principal élément de réalisation personnelle de reconnaissance sociale. La perte de travail entraîne dont l’exclusion et la perte de l’identité sociale.
- Alors que l’on nous parle d’autonomie et d’initiative individuelle, les individus n’ont jamais été aussi dépendants de leur entreprise.
- Alors que les femmes et les jeunes seraient plus aptes à faire évoluer les mentalités, ils sont frappés de plein fouet par la crise.
À l’aube du troisième millénaire, je pense que nous avons tous droit à une vie « à quatre temps » : un temps pour une vie professionnelle ; un temps pour une vie personnelle ; un temps pour une vie sociale ; un temps pour une vie politique.
Il ne s’agit pas de faire en sorte que les femmes disposent de davantage de temps libre ; cela ne pourrait en effet que contribuer à les écarter davantage du pouvoir. Nous devons réfléchir à la question du temps de travail des hommes et des femmes. Selon moi, la durée du temps de travail diminuera de manière inéluctable dans les années à venir. Nous serons alors obligés de réorganiser fondamentalement nos modes de vie.
Pour conclure, je dirai simplement que les femmes doivent toutes ensemble faire davantage entendre leur opinion sur ce sujet.
Encadré - « Les femmes veulent tout : la réussite professionnelle et familiale. Elles ont besoin de temps pour cela et rêvent de la semaine de quatre jours. » Simone Vaidy-Cuenot
Chantal Cumunel : J’observe que notre assemblée ne contient pas uniquement des femmes, ce dont je me félicite. Par ailleurs, je constate que notre table-ronde a pour thème « le défi d’un nouveau partage et d’in nouvel équilibre des temps ». Le mot « partage » peut, selon moi, recouvrir des significations différentes. On peut en effet partager la richesse ou la pénurie. Les salariés âgés sont déjà rendus responsables du chômage des jeunes. Je n’ai pas envie que l’on rende les femmes responsables du chômage des hommes ! Au mot « partage », je préfère donc le mot « équilibre ». Nous partageons tous un objectif commun : nous souhaitons préserver l’équilibre entre notre vie professionnelle et notre vie personnelle.
Pour y parvenir à cet équilibre, nous devons tout d’abord commencer par admettre que notre société a profondément changé. Notre société a connu une véritable rupture par rapport à ce qu’elle fut dans le passé. Nous avons perdu nos valeurs communes au profit d’une multitude de valeurs individuelles. Chacun a, par exemple, sa propre vision du temps. La notion de temps est aujourd’hui totalement éclatée. Nous ne pouvons plus organiser notre temps de travail de la même manière qu’auparavant.
Nombre de personnes réclament aujourd’hui, au sein de leur entreprise, une nouvelle organisation de leur temps de travail. Or, les entreprises doivent respecter certains impératifs économiques. Il faut donc trouver, par le biais de la négociation, des solutions qui permettent aux entreprises de rester compétitives et de faire moins travailler leurs salariés.
Selon moi, les femmes sont les plus aptes à faire évoluer notre société. Elles ont toujours dû s’organiser de manière à gérer de front leur vie professionnelle et leur vie personnelle. En outre, elles ont une vision plus globale de la question du temps de travail.
Simone Vaidy-Cuenot disait dans son introduction que les femmes voulaient obtenir à la fois leur indépendance financière, un travail intéressant, du temps libre, etc. Je m’en réjouis. Cependant, j’espère que les hommes et les jeunes veulent également obtenir tout cela à la fois car c’est la volonté, et non la résignation, qui nous fera avancer.
De la salle : Je fais partie des 12,6 % de femmes cadres au chômage. Vous nous avez présenté ce matin plusieurs études sur le travail des femmes cadres. Je souhaiterais savoir si vous avez pris en compte dans ces études le phénomène du chômage, phénomène qui risque, selon moi, de nous empêcher d’abolir certains tabous. Par ailleurs, je souhaiterais savoir s’il y a dans cette salle des personnes qui travaillent moins de dix heures par jour.
Claude Cambus : Nous n’avons pas pris en compte le phénomène du chômage dans nos études. Nous avons avant tout cherché à résoudre les problèmes et à défendre la cause des femmes cadres qui travaillent. Nous pensons en effet que, grâce à leur pragmatisme, les femmes cadres sont les plus à même de faire avancer le dossier de l’aménagement du temps de travail au sein de leurs entreprises.
Chantal Cumunel : Je ne saurais vous dire s’il y a beaucoup de personnes qui travaillent moins de dix heures par jour au sein de cette assemblée. Cependant, je remarque que votre question souligne l’un des paradoxes majeurs de notre société : les chômeurs aspirent à travailler, alors que les travailleurs aspirent à disposer davantage de temps libre.
Par ailleurs, je note que l’on demande aujourd’hui aux cadres d’être compétents et performants. Mais, après tout, il leur importe peu que leurs cadres travaillent durant la semaine ou durant le week-end, durant la nuit ou durant la journée. C’est la raison pour laquelle notre perception du temps de travail va devoir évoluer. À l’avenir, nous ne raisonnerons plus en termes de temps de travail quotidien ou hebdomadaire, mais en termes de travail annuel. La notion de temps de travail hebdomadaire n’a, selon moi, plus aucun sens dans notre société.
Gabrielle Rolland : Monsieur Cambus reconnaît que les femmes sont plus aptes à faire évoluer notre société. Malheureusement, je constate qu’elles sont encore trop souvent, aujourd’hui, écartées du pouvoir au sein des entreprises. Si elles souhaitent changer la société, les femmes devront se rapprocher, voire s’approprier le pouvoir.
Catherine Barbaroux : La plupart d’entre nous ont été, à une époque ou une autre, confrontées au chômage. Cette situation nous a amenées à avoir une vision différente de ce problème. De nombreuses personnes se sont alors interrogées sur l’évolution de notre société. Tout ceci me semble assez positif.
Encadré - « Le temps ne mesure plus forcément la performance. Dans la nouvelle organisation du travail où il existe plusieurs notions du temps, les femmes ont une carte à jouer. » Catherine Barbaroux
De la salle : Monsieur Le Saux a brossé un portrait assez idyllique de son entreprise. Je souhaiterais savoir s’il a rencontré des problèmes lors de la mise en place de son dispositif de réduction du temps de travail. Par ailleurs, j’ai été assez étonnée par le discours de Chantal Cumunel. J’ai l’impression qu’elle accepte de participer à une « course au temps » qui pousse certaines personnes à travailler quatre-vingt heures par semaine.
André Le Saux : 95 des 98 salariés qui travaillaient au sein de mon entreprise ont accepté la nouvelle répartition de leur temps de travail. Aujourd’hui, mon entreprise emploie 136 personnes et il n’y a toujours que trois personnes qui travaillent 39 heures par semaine. Notre dispositif a permis à nos salariés de trouver un équilibre entre temps libre et temps de travail.
Chantal Cumunel : Je n’ai jamais parlé de « course au temps ». J’ai simplement dit que nous avions aujourd’hui des visions « éclatées du temps » de travail et que les salariés auront tous demain des rythmes et des horaires de travail différents.
Nous parlons depuis ce matin de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. J’ai, pour ma part l’impression que les nouvelles technologies de télécommunications ont aboli la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle. Ainsi, à cause des fax et des téléphones mobiles, les salariés sont parfois amenés aujourd’hui à travailler depuis leur domicile, le soir ou durant les week-ends.
Je souhaiterais également répondre à Gabrielle Rolland, qui rappelait que les femmes devaient faire en sorte de se rapprocher du pouvoir. Je crois que nous devons être clairs sur ce point : les femmes qui ont l’ambition d’accéder à des postes à haute responsabilité ne devront plus compter leur temps. Elles devront certainement s’investir davantage dans leur travail. Les hommes gardent le pouvoir pour eux et ont tendance à se coopter mutuellement : les femmes doivent également être davantage solidaires et se coopter mutuellement au sein de leurs entreprises.
Frédérique Chaperon : En tant que consultante en développement des ressources humaines, j’ai été amenée à rencontrer de nombreux dirigeants d’entreprise. J’ai dressé le constat suivant : les meilleures entreprises sont celles dont les équipes dirigeantes sont composées d’hommes et de femmes. Malheureusement, des facteurs culturels empêchent encore trop souvent les femmes d’accéder au pouvoir dans les entreprises. Que peut-on faire concrètement pour aider les femmes à accéder à des postes à haute responsabilité ?
Encadré - « On a toutes droit à une vie à quatre temps, familial, professionnel, politique, social. C’est le moment de prendre la parole car c’est une vraie cause pour les femmes. Et c’est une cause que les hommes peuvent partager. » Gabrielle Rolland
Catherine Barbaroux : Je n’ai pas vraiment de réponse à apporter à votre question. Pour ma part, c’est en prenant des risques que j’ai pu accéder à des postes à haute responsabilité. J’ai, par exemple, accepté de diriger un cabinet ministériel en 1981. Mon expérience m’a appris que nos dirigeants avaient la fâcheuse tendance à rester trop souvent repliés sur eux-mêmes au sein des cercles du pouvoir.
Je pense que nous devrions affirmer davantage nos convictions au sein de nos entreprises. Nous ne devons plus hésiter à nous opposer aux décisions qui ne nous paraissent pas équitables. C’est une question de citoyenneté, qui nous concerne tous. La situation me paraît actuellement favorable aux femmes. Le chemin du pouvoir ne leur a jamais été aussi accessible qu’aujourd’hui. Nombre de dirigeants semblent en effet réaliser que nous nous dirigeons vers une impasse.
[Tableau non reproduit]
Commentaires :
La semaine de quatre jours apparaît, pour les répondantes, comme la formule qui recueille leur préférence. Plus de 43 % la mettent en première solution et 19 % en deuxième solution, soit un total cumulé de 62 %. Le compte d’épargne-temps vient en deuxième (24 % en première solution et 24 % en deuxième). Ces résultats sont relativement proches du sondage IFOP réalisé en octobre 96 auprès de 500 femmes cadres qui montraient une préférence pour le compte épargne-temps à hauteur de 32 % et pour la semaine de quatre jours à hauteur de 30 % (cette solution était préférée par les cadres supérieurs à 36 % et les cadres du privé à 35 %).
Si la quasi-totalité des femmes qui ont répondu souhaitent que soient mises en place des formules d’aménagement du temps de travail, elles ont été nombreuses à y apporter les commentaires ou les réserves suivantes :
Égalité homme-femme.
Les différentes formules doivent « concerner les hommes comme les femmes » et pas uniquement dans les textes, mais aussi dans les faits.
Application de la législation sur le temps de travail.
Beaucoup sont sceptiques sur l’application de la réduction du temps de travail aux cadres. « Les cadres responsables travaillent 60 à 70 heures par semaine. » « L’encadrement doit se battre pour le respect de la réglementation sur la durée normale de travail avant de la réduire. »
Temps de travail et organisation du travail.
Si parallèlement à une réduction du temps de travail n’est pas revue l’organisation du travail, les femmes craignent d’avoir à faire le même travail, mais avec moins de temps. « Je suis dans une entreprise où le travail hebdomadaire est de 35 heures. Nous vivions mieux lorsque c’était 40 heures. En diminuant le temps de travail, mais pas la quantité (au contraire), on augmente le stress, la pénibilité du travail. »
Perspectives de carrière.
Les femmes craignent qu’une réduction du temps de travail aboutisse à limiter leurs perspectives de carrière. « J’ai dû abandonner un temps réduit pour pouvoir bénéficier d’une promotion. » « Pouvez-vous m’expliquer comment une femme peut espérer accéder à des postes élevés en restant davantage à son foyer ? » Cela explique pourquoi les femmes rejettent massivement le temps partiel qui constitue une solution réservée aux femmes et qui ne conduit pas à une réflexion sur l’organisation du travail. Au contraire, la semaine de quatre jours leur apparaît comme la formule la plus directement praticable pour un cadre. Il est à noter l’apparente contradiction à laquelle les répondantes ont à faire face. Elles souhaitent que soient initiées des formules d’aménagement du temps de travail, mais ont conscience que les modèles masculins en vigueur dans les entreprises en matière d’organisation du travail ne peuvent que les desservir.
[Tableaux non reproduits]
Commentaires :
Les femmes très majoritairement souhaitent que leur conjoint s’implique davantage dans la vie de famille.
Elles ont toutefois une préférence pour une plus grande mixité des formules de conciliation (écart de 57 points entre les « oui » et les « non ») plutôt que pour des congés de paternité rémunérés (écart de 38 points entre les « oui » et les « non »).
Certaines ont plus mis l’accent sur les congés pour enfant malade en souhaitant que les hommes puissent en bénéficier.
Alors que le cadre législatif interdit toute mesure spécifiquement réservée aux femmes, ces dernières sont convaincus que les hommes ne peuvent bénéficier de congés pour enfant malade.
À noter la demande exprimée par plusieurs répondantes d’avoir des formules de conciliation, notamment en terme de modes de garde adaptés aux besoins des familles monoparentales (femmes divorcées) ou des contraintes de temps du personnel d’encadrement.
S’impliquer dans la vie de famille signifie aussi pour certaines « que les hommes ne s’éternisent pas systématiquement le soir au travail, et partent aux mêmes heures que les mères de famille ».
L’accès des femmes à la prise de décision économique : enjeux et espoirs (Quatrième table-ronde)
Edwige Avice, ancien ministre, PDG de la Financière de Brienne ; Roselyne Bachelot, député et rapporteur général de l’Observatoire de la parité ; Martine Clément, vice-président du CNPF.
Marie Fabry, directeur général de l’ISICA ; Françoise Gaspard, expert France du réseau européen « Femmes dans la prise de décision » ; Sophie de Menthon, présidente de l’ETHIC, PDG de Multilignes-conseil ; Marie-Jeanne Vidaillet, cadre Aéroports de Paris, secrétaire nationale de la CFE-CGC.
Marie-Jeanne Vidaillet : L’étude présentée par Bénédicte Bertin-Mourot montre qu’il reste un long chemin à parcourir, malgré les nombreux progrès accomplis en faveur de la participation des femmes à la prise de décision économique. Le mouvement est appelé à s’accélérer car notre société a connu des bouleversements considérables. Nous ne pouvons en effet imaginer que nos enfants, filles et garçons, connaissent des traitements différents au cours de leur carrière alors qu’ils suivent les mêmes études, ont les mêmes préoccupations et les mêmes rêves.
Aujourd’hui, il faut que les femmes prennent le pouvoir. Ceci n’implique pas une lutte entre les sexes, mais plutôt une véritable solidarité entre les femmes, à l’image de celle qui existe entre les hommes et qui permet à ces derniers d’accéder aux plus hauts rangs de la société. Dans cette perspective, un mouvement volontariste doit s’affirmer pour créer des réseaux, comme il en existe dans d’autres pays européens, notamment en Allemagne. La CFE-CGC souhaite créer un réseau de femmes afin que celles-ci trouvent leur juste place. Le pouvoir ne se donne pas, ne s’octroie pas ; il se prend.
Marie Fabry : Je soutiens évidemment cette notion de solidarité puisqu’elle est le fondement même de l’entreprise dont je m’occupe. ISICA regroupe des activités de retraites complémentaires et d’assurances des personnes et des entreprises. Ces activités ont un caractère soit monopolistique (retraite complémentaire par répartition), soit concurrentiel (prévoyance, épargne salariale ou fonds de pension). La gestion d’ISICA a une dimension paritaire. On trouve au sein de son conseil d’administration des représentants des employeurs et des salariés. Société de personnes et non de capitaux, la notion de solidarité y est essentielle.
Tout d’abord, je considère qu’une organisation syndicale telle que la CFE-CGC a pour vocation de se préoccuper de la place des femmes dans l’entreprise. Ensuite, je me sen personnellement concernée en tant que chef d’entreprise – je gère 6 milliards de francs de flux et 3,5 milliards de placements financiers et dirige environ 400 personnes –, mais aussi en tant que mère, épouse et fille. Enfin, je constate que le monde paritaire n’est pas différent des autres secteurs économiques quant à la place des femmes à des postes de dirigeants. Ainsi, la moitié des salariés de l’ARRCO, l’AGIRC ou du secteur de la prévoyance sont des femmes, mais on en compte à peine 6 % dans les conseils d’administration. Sur environ 150 organismes et institutions, cinq sont dirigés par des femmes. Au sein d’ISICA, il y a trois femmes et quatre hommes aux postes de dirigeants.
Dans le cadre du débat sur l’équilibre des temps de travail, la notion de flexibilité me paraît cruciale. Je m’efforce évidemment, dans mon entreprise, de ne faire preuve d’aucune discrimination entre les hommes et les femmes, pas plus que je n’en fais entre les salariés syndiqués et les autres : dans un organisme paritaire, c’est bien la moindre des choses ! Dans l’entreprise, des horaires très flexibles ont été mis en place pour que les salariés, qui sont à 70 % des femmes, puissent concilier vie professionnelle et vie privée.
Personnellement, je n’ai jamais souffert de discrimination dans ma carrière professionnelle. Avocate pendant huit ans, j’ai décidé d’intégrer une entreprise pour pouvoir mieux concilier mes différentes fonctions. J’ai alors été embauchée à ISICA par un homme qui m’a ensuite nommé directeur général.
J’exerce également des responsabilités à caractère professionnel en dehors de l’entreprise, et cela dans les domaines de la communication et de l’action sociale, secteurs qui ne sont pas spécifiquement recherchés par les hommes. En outre, il m’arrive de m’imaginer que ma présence constitue une sorte d’alibi auprès de mes chers collègues !
Mon expérience m’amène à penser que le terme de féminisme reste bel et bien d’actualité, qu’il ait pris une signification différente. Les actions menées en son nom au cours des trente dernières années n’ont pas été uniquement positives et ont contribué à détruire certains systèmes. Dans un contexte de crise économique, il convient de reconstruire un système de valeurs, pour l’avenir, qui ne soit plus articulé autour d’une opposition entre valeurs féminines et masculines. Pour parodier le livre de l’une d’entre nous intitulé « Les femmes ne sont pas des hommes comme les autres », je dirais que les hommes ne sont pas non plus des femmes comme les autres.
Encadré - « Pour accéder au pouvoir, les femmes doivent s’investir dans les réseaux. Les femmes CFE-CGC vont créer le leur. » Marie-Jeanne Vidaillet
Sophie de Menthon : Je dirige deux sociétés de télémarketing que j’ai créées à l’âge de 22 ans. J’ai élevé mes enfants et développé mon entreprise simultanément, en restant à la maison. Cette expérience peut sembler nuire à la cause des femmes puisque mon entreprise est née de certaines contraintes : j’ai embauché des femmes qui, comme moi, pouvaient ou devaient travailler chez elles. Aujourd’hui, mon entreprise compte 550 personnes, dont 85 % de femmes dans l’encadrement et 60 % dans le secteur de la production.
Cette expérience s’inscrit parfaitement dans la réflexion sur l’organisation du temps. Je pense que pendant plusieurs années, les femmes ont dû accomplir de nombreuses tâches qui étaient difficiles à concilier. Il existe désormais des solutions à ce problème. Mon entreprise possède ainsi un management à organigramme plat, très efficace. Mon métier exigeait un travail à temps partiel et j’ai pu m’entourer de personnes qui partageaient mes convictions. De ce fait, 90 % des femmes qui travaillent dans l’entreprise disposent d’un temps de loisirs supérieur à la moyenne et beaucoup d’entre elles ont leur mercredi après-midi libre.
Cette forme de management m’a permis de constater que les femmes n’ont pas la même relation au pouvoir que les hommes. Le type de pouvoir désiré par les femmes est parfois même surprenant. Elles préfèrent leur autonomie et leur responsabilité au pouvoir lui-même. Pour ma part, j’ai créé le Syndicat du télémarketing et suis restée à sa présidence pendant dix ans. Il y avait de nombreuses luttes de pouvoir entre hommes. J’ai démissionné volontairement de mes fonctions, l’an dernier.
On m’a également proposé de prendre la tête du mouvement « ETHIC ». Personnellement, je me sens proche de la mouvance libérale d’Alain Madelin. Ce mouvement propose notamment de promouvoir l’idée d’entreprise à taille humaine. J’ai accepté parce que j’aime le pouvoir d’influence qui consiste à faire part de ses convictions. J’ai été élue à l’unanimité par quarante-cinq hommes. Je pense qu’il existe chez certains hommes un désir de valeurs féminines.
Je voudrais conclure sur une note d’optimisme. Je ne nie pas que la tâche est difficile, mais il existe pour les femmes des secteurs prometteurs. C’est le moment d’affirmer ce que nous sommes.
Marie-Jeanne Vidaillet : J’ai souvent été la seule femme dans un milieu d’hommes, ce qui est très gratifiant. Cependant, cette situation offre un alibi pour les hommes et ne constitue pas un moyen de promotion pour les femmes. Je crois que l’accent doit être mis sur la solidarité entre les femmes.
François Roy : Je vous propose maintenant d’analyser la place des femmes dans la prise de décision au sein de l’entreprise.
Françoise Gaspard : Je ne suis pas une spécialiste de la place des femmes dans la prise de décision. À ce sujet, j’ai beaucoup appris à partir des travaux publiés sur les lieux de décisions politiques, administratifs et sur les instances (conseils et comités consultatifs).
Or, le constat est étonnant dans ce domaine : quel que soit le pourcentage de femmes présentes dans un secteur donné, le pourcentage d’hommes présents dans les lieux où se prennent les décisions se trouve toujours au-dessus de 90 %, voire 95 %. Une société ne peut pas fonctionner correctement si l’on ne trouve pas d’équilibre en la matière.
Je n’étais pas féministe, mais je le suis devenue avec l’expérience. J’ai été maire d’une ville de plus de 30 000 habitants et j’ai constaté la tragédie causée par certaines décisions masculines en matière d’urbanisme, de transport, de sécurité, de logement ou de services concernant les enfants. Je crois que l’absence de femmes dans les cercles de décision crée un véritable préjudice pour notre vie quotidienne.
Je voudrais vous faire part d’une étude très intéressante réalisée par la RATP et intitulée : « Les bus ont-ils un sexe ? » Suite à la loi sur l’égalité entre les hommes et les femmes, ces dernières ont pu devenir conductrices de bus. Entre 1970 et 1980, leur pourcentage est passé de 1 à 6 %, mais il n’a pas bougé depuis. L’étude révèle que les conséquences de cette situation sont dommageables. Le métier de machiniste est très dur en raison des horaires de travail, mais les femmes, très minoritaires, n’osent pas le dire ouvertement.
Je pense que les bouleversements auxquels nous assistons résultent d’une prise de conscience du dommage social lié à l’absence des femmes dans les lieux de pouvoir. Des actions volontaristes menées par des femmes et des hommes ont donné naissance au mouvement en faveur de la parité en politique. Cependant, de nombreux hommes politiques s’y opposent et cherchent à lui faire perdre de sa substance, par exemple en proposant des quotas ou encore une révision constitutionnelle. L’égalité entre les hommes et les femmes est pourtant un principe constitutionnel et une loi suffirait pour instaurer la parité de façon plus concrète.
Par ailleurs, je constate le retard de la France par rapport aux pays du Nord, ou même à l’Italie et à l’Espagne. Ces pays sont beaucoup plus avancés dans la constitution de réseaux. Il faudrait mener plus d’actions positives en France. Ayant été député pendant dix ans, je sais qu’en l’absence de réseaux sur lesquels on peut s’appuyer, on finit par adopter la même attitude que les hommes. J’ai également fait partie de la direction du Parti socialiste, et je me suis rendue compte que les décisions n’étaient pas toujours prises au sein de cette direction.
Enfin, de tous les phénomènes en « ismes » de ce siècle, c’est le féminisme qui a fait le moins de morts et qui a amené le plus de progrès. C’est lui qui permettra de construire une société paritaire et de rénover la démocratie dont l’Europe a besoin.
Encadré - « De tous les mots en ismes, c’est celui de féminisme qui a fait le moins de morts. N’ayons pas peur des mots et avançons avec les hommes car, eux aussi, sont en train de changer. » Françoise Gaspard
De la salle : Je suis présidente et fondatrice de Kid-service et je fais partie des 167 candidates auxquelles le Parti socialiste a réservé une place pour les prochaines élections législatives. Or, dans les grands groupes industriels comme en politique, il existe en France un féodalisme puissant. Madame de Menthon n’a pas rencontré de problèmes machistes parce qu’elle ne s’est pas attaquée à des « domaines réservés ». Force est de constater cependant que tout devient différent lorsque l’on s’attaque à un véritable fief masculin. Il est alors beaucoup plus difficile pour une femme de s’affirmer.
De plus, notre système électoral uninominal constitue un obstacle supplémentaire. Les difficultés sont présentes au sein du Parlement, des collectivités locales comme dans l’entreprise, car une femme doit démontrer en permanence sa capacité à assumer des responsabilités. Or, on lui refuse souvent le pouvoir qui correspond à ces responsabilités. Je pense que les femmes ne sont pas naturellement portées à ‘tuer », d’où la difficulté pour elles de prendre le pouvoir.
Françoise Roy : Il y a quelques « tueuses » parmi les femmes…
De la salle : Je suis vice-présidente du Conseil national des femmes françaises et membre du conseil économique et social d’Île-de-France. Madame Vidaillet, comment se sont déroulées les nominations puisque les membres du CES ne sont pas élus, mais nommés par les responsables syndiqués ?
Marie-Jeanne Vidaillet : N’étant pas une spécialiste en la matière, je préfère céder la parole à Claude Cambus.
Claude Cambus : Un seul président de CES régional est une femme et il y a une femme président de conseil régional dans le Nord. La procédure de nomination est décentralisée. Au sein de la CFE-CGC, on compte 17 % de femmes, dont 12 % occupent des fonctions de responsabilité. Mais parmi ces 12 %, seulement 6 à 8 % exercent des fonctions dans les structures territoriales qui nomment les membres des CES.
Les structures territoriales présentent à cet égard des attributs symboliques du pouvoir. On peut proposer une explication à cette absence relative des femmes : le travail syndical dans les structures territoriales se fait le soit, le samedi, voire le dimanche, alors que le temps syndical lié aux fonctions professionnelles reste interne à l’entreprise. Cela peut donc présenter des difficultés pour les femmes qui ont des contraintes familiales.
Marie-Jeanne Vidaillet : J’exerce des fonctions syndicales depuis vingt-quatre ans et j’ai fait partie du bureau confédéral pendant deux ans, il y a vingt ans. Je n’affirme pas que la CFE-CGC est un « exemple de civilisation », mais nous évoluons dans la bonne direction. En ce qui me concerne, je m’investis beaucoup sur ce point en tant que seule femme appartenant au bureau national.
Marie Fabry : Je voulais rajouter que dans le milieu paritaire auquel j’appartiens, un seul syndicat a instauré des quotas pour ses administrateurs, et ce n’est pas la CGC. Du moins pas encore…
Martine Clément : Je suis arrivée dans l’entreprise il y a trente ans, en même temps que l’homme qui est aujourd’hui mon bras droit. Cela nous a permis d’aborder la réalité de façon beaucoup plus ouverte. Je pense qu’une femme est obligée de gérer un ensemble d’actions plus large. Elle exerce plusieurs métiers à la fois, ce qui élargit sa perspective.
L’aspect communication fait également partie de mon expérience. La communication est facilitée lorsque l’on prend en considération, non seulement, la réalité des choses, mais également la perception que nous en avons. En outre, je crois qu’une femme travaille de façon plus perfectionniste. Cette qualité peut être précieuse lorsque l’on prépare des dossiers.
En revanche, être une femme ne constitue pas toujours une protection car nous vivons dans une société latine. Les problèmes commencent à se poser quand une femme atteint une position importante ou influente. On a pu le constater lorsqu’une femme est devenue Premier ministre en France. Lors de manifestations récentes, Madame Notat a fait l’objet d’un chahut qui aurait peut-être été différent si elle avait été un homme.
Encadré - « Il ne suffit pas de prôner la parité, encore faut-il que cela s’inscrive dans un projet culturel, un projet de société. » Edwige Avice
Edwige Avice : Arrivant de la vie économique, j’ai exercé pendant neuf ans des fonctions ministérielles dans les domaines de la jeunesse et des sports, de la défense, des affaires étrangères et de la coopération. Ces secteurs avaient toujours été l’apanage des hommes. En 1992, je suis revenue à la vie professionnelle en créant une société, La financière de Brienne. Il s’agit d’une entreprise destinée à financer des PME de haute technologie, en reconversion de l’activité de défense et de l’aéronautique.
Pour moi, la question principale est la suivante : le pouvoir pour quoi faite ? Mon interrogation procède de quelques constats. En travaillant dans un milieu masculin, j’ai parfois eu l’impression que certains hommes, à un moment donné, se lassaient du pouvoir, mais beaucoup s’accrochaient à lui. Ils lui donnaient plusieurs significations : l’argent, la liberté, le pouvoir sur autrui, la volonté de plaire à travers la responsabilité qu’on exerce.
Pour les femmes, c’est différent. Ma démarche professionnelle s’inscrit dans une recherche d’innovation, dans un pouvoir de création. Elle est sous-tendue par un projet culturel qui s’articule autour de deux axes :
- le refus de la « désutilité » économique ou sociale. Il faut participer à la construction d’une société dans laquelle les gens ont conscience d’être utiles, et mesurer ce que représente le chômage et le sens qu’il a dans la vie de ceux qui l’éprouvent. Aider à la création d’activités et d’emplois est une priorité ;
- la question de la parité. Cette notion est un progrès. Jusqu’alors, les quotas, que j’ai pourtant défendus comme un pis-aller à certaines époques de ma vie, ont surtout permis à des hommes majoritaires de choisir « leurs femmes ». La parité signifie que l’on procède d’un droit, et non d’un choix effectué a priori. C’est la possibilité, en permettant la responsabilité de femmes nombreuses, de faire monter des compétences et de faire exister des approches intellectuelles et des solutions différentes.
Mon expérience m’a convaincue de l’aspect essentiel de la réflexion sur l’organisation du travail et du temps, à laquelle les femmes sont particulièrement sensibles. Je remarque également que nos voisins européens se préoccupent beaucoup plus que nous des ressources humaines. Un de mes soucis principaux à l’égard du système français concerne les formations : dans les entreprises comme en politique, il y a souvent des filières obligées et une pensée unique dues à des passeports fournis par les grandes écoles et la haute fonction publique. En outre, il y a trop de cloisons, et pas suffisamment de passerelles entre l’économie et la politique.
Dans cet environnement, je ne suis pas totalement optimiste quant à la prise de pouvoir des femmes. C’est difficile. Cependant la parité ouvre une perspective nouvelle et il revient aux femmes de se mobiliser pour l’obtenir et pour changer la société française.
Roselyne Bachelot : Cette table-ronde soulève les enjeux associés à la prise de décision par les femmes. J’en distingue trois principaux.
Le premier enjeu est lié au fait que les femmes représentent la moitié de l’humanité. Elles doivent donc représenter la moitié du pouvoir.
Le second enjeu rejoint la notion de modernité. Par exemple, le moteur de l’intégration des familles immigrées est souvent la femme, tandis que l’homme joue plutôt un rôle rétrograde en la matière.
Le troisième enjeu concerne la qualité et l’efficacité. Sur ces aspects, les femmes ont une contribution spécifique. Pourtant, des mesures volontaristes en faveur des femmes semblent plus difficiles à mettre en œuvre dans l’entreprise que dans le monde politique, comme nous le rappelle un arrêt récent de la cour de justice des communautés européennes.
Je crois qu’il faut agir, avant tout, en matière d’éducation, qu’il s’agisse de l’école ou de la famille. Une étude menée en Grande-Bretagne montre qu’il existe une discrimination grave à l’école entre les filles et les garçons. Elle souligne que les interactions – qui peuvent être un simple regard d’encouragement ou le fait d’interroger – entre les professeurs et les garçons sont trois fois plus nombreuses que celles s’adressant aux filles. Cette discrimination existe ensuite au niveau des classes préparatoires où il y a souvent des internats pour les garçons et non pour les filles. Il convient aussi de mobiliser les jeunes filles elles-mêmes, car celles-ci n’ont pas forcément conscience de ces obstacles et ne les perçoivent que dans la vie professionnelle, lorsqu’il est déjà trop tard pour agir.
C’est pourquoi je soutiens l’initiative de la CFE-CGC qui consiste à établir des contacts entre les jeunes diplômés et les cadres. Pour finir, je voudrais vous faire part de cette phrase, inspirée de Madame de Staèl : « la réussite professionnelle n’est pas le deuil éclatant du bonheur ». La parité demeure un enjeu essentiel, c’est un gage de qualité et de perfection.
Encadré - « Dans nos négociations de tous les jours, c’est une très bonne chose d’avoir deux points de vue, un masculin et un féminin qui se complètent. » Martine Clément
De la salle : Je travaille au sein d’une entreprise de conseil en management. J’ai toujours milité pour la cause des femmes et je voudrais savoir comment motiver les femmes pour qu’elles aillent jusqu’au bout de leurs ambitions. Par ailleurs, pouvez-vous préciser la notion de réseaux ?
Roselyne Bachelot : Cette question rejoint tout à fait le problème de l’éducation et de la formation. Quand on interroge des étudiants sur leur choix de filière, les filles répondent qu’elles choisissent en fonction de leurs désirs alors que les garçons ont déjà une perspective de carrière.
Sophie de Menthon : Je vous ai fait part de mes difficultés pour inciter les femmes, au sein de mon entreprise, à prendre plus de pouvoir. Je pense cependant que l’on doit respecter les choix de chacun. Les femmes n’arrêtent pas forcément leur choix en fonction de leur éducation, mais en fonction de certaines priorités. La solution réside peut-être dans l’organisation du temps. En effet, si les tâches qu’elles doivent assumer se révèlent trop lourdes, elles finissent par abandonner au lieu de demander de l’aide.
Edwige Avice : Je crois qu’il manque, dans l’éducation des femmes, la discipline du pouvoir. Elles ne sont pas suffisamment formées dans le sens de l’effort et de la persévérance. C’est là un grand problème éducatif.
François Gaspard : Une expérience appelée mentorship a été menée dans les pays nordiques, notamment en Suède. Elle consiste à faire parrainer les femmes élues locales ou jeunes cadres par d’autres femmes, qui leur servent de mentor pour les aider à entrer dans leurs fonctions. Elles leur font part des difficultés qu’elles ont pu rencontrer et la façon dont elles les ont surmontées. Cette formule se révèle très efficace pour enrayer le découragement qui est réel dans certains domaines. En politique, si l’on compare les carrières entre les hommes et les femmes, on constate que très peu de femmes conservent un mandat pendant de nombreuses années.
Marie Fabry : Il existe de toute façon des hommes et des femmes qui refusent d’assumer des responsabilités. Mais il est vrai que la tâche est plus difficile pour les femmes dans la mesure où leurs efforts doivent être plus grands et plus soutenus dans le temps.
Françoise Roy : Il existe également un manque d’informations sur les réseaux. Il y a un effort à réaliser dans cette direction.
[Tableau non reproduit]
Commentaires :
Plus des deux tiers (67 %) des femmes interrogées sont favorables à la mise en place d’actions volontaristes pour assurer une meilleure représentation des femmes aux postes stratégiques, contre seulement 12 % défavorables.
Quotas.
Elles sont très réservées sur les quotas. 37 % des femmes sont contre, 34 % sont pour celles qui sont contre considèrent que c’est la compétence qui doit primer dans l’entreprise et que l’avancement doit être indépendant du sexe. Elles le résument de la manière suivante : « à compétence égale, promotion égale ». « Le seul moyen de prouver notre valeur, ce sont les résultats. » « Nous voulons être jugées sur nos capacités. » Cela implique aussi « une meilleure définition des postes et de filières de carrière dans les entreprises ».
Les femmes qui sont favorables aux quotas pensent que cela peut être interprété comme un « signe d’infériorité », mais estiment que « c’est impératif dans un premier temps pour amorcer les changements ».
Réseaux.
Une plus grande majorité de femmes (45 % pour et 37 % contre) est favorable à la mise en place de réseaux féminins. Peu de réactions vraiment hostiles, mais des difficultés pour appréhender quelles pourraient être les finalités et la manière de fonctionner de ces réseaux.
Autres actions volontaristes.
Dans le questionnaire, il était proposé aux femmes de mettre en avant d’autres actions volontaristes. Beaucoup ont répondu et ont souhaité mettre l’accent sur :
Une présence accrue des femmes au sein de la CFE-CGC.
Partant du postulat que « la CFE-CGC doit donner l’exemple, plusieurs adhérentes ont souhaité que la confédération reconnaisse une plus grande place aux femmes en proposant par exemple de :
- « faire la promotion des femmes syndiquées, les aider au sein de la confédération à accéder à des postes de responsabilité en ne les freinant pas » ;
- « former les représentants CFE-CGC masculins à soutenir leurs collègues féminins au lieu de songer qu’à leur propre carrière » ;
- « de mettre en œuvre des quotas, notamment dans les mandats DP, DS et CE » ;
Une valorisation des femmes qui travaillent et réussissent.
Partant du postulat que le problème repose sur le fait que « l’inconscient collectif voit la femme en mère-épouse plutôt que travailleuse », une adhérente considère que « la solution viendra peut-être de nos enfants et notamment de nos garçons qui voient leur mère travailler, voire diriger et qui trouvent cela normal. Lorsqu’ils accéderont au monde du travail, il leur paraîtra naturel de retrouver des femmes à égalité avec eux ».
Sans attendre ces changements de génération, plusieurs d’entre elles ont souhaité que les femmes qui travaillent soient mieux mises en valeur :
- « montrer en exemple celles qui réussissent afin de prouver que c’est possible » ;
- « nécessité d’assurer une plus grande publicité (notamment dans les revues internes à l’entreprise) sur les réussites féminines ou le plus de femmes à la tête d’une entreprise ».
D’autres sont plus réservées sur la mise en valeur de l’exemplarité de ces femmes qui réussissent. Certaines d’entre elles remettent en cause les médias et la publicité « qui véhiculent des modèles culturels dépassés ».
Motiver les femmes.
Certaines adhérentes souhaitent que les femmes soient davantage motivées et armées pour accéder à des postes de responsabilité en proposant par exemple que l’on mette en place « des modules de formation destinés aux femmes » pour assurer des fonctions stratégiques « ou pour apprendre à revendiquer leur pouvoir ».
Commentaire :
Femme et cadre, une énergie phénoménale.
Je suis cadre de direction dans un organisme parapublic. J’ai trois enfants et mon conjoint a déserté le domicile conjugal.
Outre les problèmes « matériels », je n’ai que rarement regretté d’être femme dans une situation professionnelle sauf quelques surprises et expériences déroutantes. J’ai seulement appris qu’il fallait tout de suite montrer ce qu’on valait. À chaque fois que je prends un nouveau poste, il faut que je refasse la preuve de mes compétences, de ma disponibilité et de ma capacité de travail car la bonne réputation a plus de mal à suivre une femme qu’un homme.
Pour pouvoir travailler « pleinement », une seule solution : des formules souples d’accueil des enfants. Je choisis toujours des écoles avec garderie du matin, du soir, voire maintenant avec pensionnat et/ou une aide à domicile. Ce dernier point pose souvent problème car il est difficile de trouver rapidement, quand on arrive dans une nouvelle ville, la perle rare qui sait à la fois surveiller les devoirs, consoler, assumer une fièvre sans paniquer, faire le ménage, chercher le courrier recommandé à La Poste, acheter ce qui manque dans la semaine sans avoir à laisser de liste précise, accompagner les enfants chez le dentiste… et vous préparer un plat qu’il suffit de réchauffer quand on rentre à 20 h 30 ! Si on ne veut pas perturber les enfants, on garde le premier ou la première qui semble faire l’affaire, mais j’ai toujours été déçue par la suite ! J’ai eu jusqu’à trois emplois à domicile (garde d’enfant, ménage, répétiteur pour les devoirs) et cela ne couvrait pas tous mes besoins !
Un des problèmes non résolus est celui des stages de formation ou des missions qui obligent à dormir hors du domicile plus d’une nuit. Faute d’avoir de famille proche, j’en suis toujours à trouver des prétextes pour les refuser car, même si mes enfants sont devenus très autonomes par la force des choses, je « bloque » s’il s’agit de les laisser totalement à des personnes que je ne connais pas suffisamment.
Le point le plus difficile à assumer, du moins dans mon organisme où les carrières dépendent largement de la mobilité géographique, est celui des mutations. Il est à l’origine de séparations (les maris se fatiguent de suivre) et vouent la plupart d’entre nous au célibat. Les mentalités ne sont pas encore suffisamment prêtes sur ce point. Si on veut conserver un domicile commun, il faut forcément que l’un des deux se « sacrifie » et ce n’est pas facile à vivre pour les maris même s’ils gardent un emploi.
Une fois que le mari ne suit plus, les mutations (tous les trois à cinq ans) deviennent un véritable casse-tête car elles doivent obligatoirement coïncider avec les vacances scolaires. Il faut reloger la famille dans un temps record en évitant l’hôtel autant que faire ce peu, obtenir des dérogations scolaires, retrouver des activités de loisir pour eux… outre la préparation et l’accompagnement psychologique liés au fait de perdre ses amis. Comme j’estime qu’il est hors de question que, parce que mon métier implique cette mobilité, mes enfants soient moins bien logés que si je ne bougeais pas, j’exclus de les tasser dans des petits appartements, les seuls qu’on trouve en location. Or, acheter une maison et l’emménager proprement, seule, en travaillant douze heures par jour, avec trois enfants, impliquent une « énergie phénoménale… et ça recommence en moyenne tous les quatre ans ! Si cette énergie était déployée à des fins professionnelles, les patrons ne voudraient plus que des femmes au travail ! Je n’ai jamais vu de collègues hommes dans cette situation (avec enfants et sans femme à la maison pour assurer l’intendance de l’emménagement).
Propos recueillis par la CFE-CGC, février 1997.
Commentaire :
Femme et cadre, un problème culturel.
J’ai trente-deux ans et deux enfants. Je suis ingénieur dans une entreprise d’aéronautique où j’occupe actuellement un poste d’encadrement et j’ai déjà pu vivre la difficulté d’être une femme dans une industrie très masculine (13 % de personnel féminin).
Je crois que le frein essentiel est un problème de culture qui associe la motivation d’un cadre plus à son « présentéisme » dans l’entreprise qu’à sa capacité à atteindre les objectifs fixés, à innover et à gérer du personnel avec intelligence. Or, je pense que les femmes qui ont fait le choix d’être mère de famille sont moins corvéables à merci.
De plus, il est plus difficile pour une femme de s’intégrer dans des réseaux d’entreprise essentiellement masculins dans la population cadre, plus enclins à parler rugby et automobile qu’éducation des enfants, et tout le monde connaît l’importance d’un bon réseau de relations professionnelles dans les opportunités de carrière.
Claude Cambus, secrétaire général de la CFE-CGC
Madame Anne-Marie Couderc défend depuis longtemps la cause de la parité entre les hommes et les femmes. Femme engagée, elle est juriste et avocate de formation. Elle a été cadre au sein du groupe Hachette pendant dix-sept ans. Elle a été élue au conseil de Paris en 1983. Depuis 1993, elle est adjointe au maire du XIIIe arrondissement de Paris et depuis 1995, membre du gouvernement de Monsieur Juppé. Madame le ministre, je vais tenter de vous résumer brièvement les débats de cette journée.
La première table-ronde, consacrée à l’entreprise au masculin-féminin, a traité des questions suivantes : les femmes ont-elles besoin d’adopter des codes masculins pour accéder au monde de l’entreprise ? Leur présence permet-elle de diffuser des valeurs féministes ?
La seconde table-ronde a abordé la gestion des carrières. Elle a mis en évidence le caractère stratégique de la parité en proposant que l’instauration de quotas devienne un véritable objectif.
La troisième table-ronde a fait apparaître la nécessité impérative que constitue la gestion du temps de travail. Celle-ci présente des formes diversifiées, mais doit s’appliquer aussi bien aux hommes qu’aux femmes.
La dernière table-ronde était consacrée à la richesse que peut offrir la parité des équipes dirigeantes. La parité doit s’imposer aussi bien dans l’entreprise que dans la cité.
La place des femmes dans la société
Anne-Marie Couderc, ministre délégué à l’emploi
J’éprouve un grand plaisir à participer à votre colloque. Je n’oublie pas que j’étais moi-même cadre, il y a quelques années. Je me sens particulièrement concernée par vos préoccupations, à la fois en tant que femme, responsable politique et ministre chargé du droit des femmes.
Je suis heureuse qu’une organisation syndicale se mobilise sur ce sujet. Celui-ci est doublement d’actualité. D’une part, la journée internationale de la femme se tiendra samedi 8 mars et, d’autre part, un débat doit se tenir à l’Assemblée nationale sur le thème de la femme et de sa place dans la prise de décision en politique.
Je voudrais d’abord souligner la richesse fondamentale que constituent les hommes et les femmes dans l’entreprise. Le rôle d’une organisation syndicale comme la vôtre est essentiel pour faire évoluer la société.
L’emploi des femmes
- Les mutations de la société française
Au cours de ces vingt dernières années, la société française a connu de nombreux bouleversements. Le taux d’activité des femmes de 25 à 49 ans est d’environ 80 % en 1996. Parallèlement, les jeunes filles sont de plus en plus présentes dans les cycle d’études supérieures. Il est parfaitement légitime que les titulaires d’un diplôme veuillent le valoriser. L’emploi féminin est devenu plus qualifié : les femmes représentent 34 % de la catégorie des cadres et des professions intellectuelles, contre 25 % il y a seulement quelques années.
- Des problèmes persistants
Trois problèmes demeurent lorsque l’on analyse l’emploi des femmes. Le premier concerne les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes. Pour les cadres, ces écarts de rémunération s’élèvent aujourd’hui à 30 % ; ils étaient de 47 % en 1950. Certes, il existe des disparités selon les secteurs. Cependant, les chiffres sont stupéfiants et semblent inimaginables dans une société moderne. Cette situation est en outre condamnée dans les textes de loi.
Le second problème réside dans le fait que l’emploi des femmes reste très concentré dans certains secteurs. Peu de femmes travaillent dans l’agriculture, le BTP ou le secteur industriel, alors que certaines professions sont exclusivement féminines. Cela crée un déséquilibre. Par ailleurs, si davantage de femmes accèdent à un emploi qualifié, elles sont encore 60 % à être ouvrières ou employées.
Le troisième problème est le chômage des femmes. Elles sont 1 544 000 sans emploi. Le chômage dépend bien évidemment des aléas économiques. Cependant, il touche davantage les femmes que les hommes et il les touche plus longuement.
Les obstacles liés à notre société
Il existe, au sein de notre société, des stéréotypes récurrents et résistants, qui influencent de façon considérable la place des femmes dans le monde du travail. Pour vaincre ces obstacles, il faut porter nos efforts sur l’éducation et la formation des esprits. Cette démarche doit également s’appliquer dans le domaine de l’emploi des jeunes.
Au-delà de ces stéréotypes, des attitudes négatives persistent au sein de l’entreprise. Il faut ainsi dénoncer le fait que les candidatures des jeunes filles sont souvent rejetées. L’employeur craint, en effet, que celles-ci soient moins mobiles géographiquement ou qu’elles aient des enfants. Je trouve inadmissible que ces éléments soient parfois expressément cités dans certaines petites annonces. En outre, bien que le nombre de femmes cadres augmente, elles sont encore très peu nombreuses à accéder à des postes de décision.
C’est pourtant par la recherche d’un équilibre que passe la promotion des femmes dans la société. Dans cette perspective, le rôle de certains hommes dirigeants est important. Ce rôle se révèle aujourd’hui insuffisant. Cependant, il convient surtout d’inciter les femmes, qui en ont la compétence, à faire leur propre promotion et à ne pas être modestes. Trop souvent, les femmes elles-mêmes s’imposent certaines limites. Il faut alors montrer en exemple celles qui parviennent, avec succès, à mener vie professionnelle et vie familiale.
Le rôle de l’État
L’État se préoccupe depuis longtemps de la place des femmes, notamment dans le cadre de l’organisation du temps de travail qui se trouve au cœur du développement de l’emploi féminin. Il s’agit d’ailleurs d’un thème d’égale importance pour les hommes.
Le Premier ministre a souhaité, il y a environ un an, que se tienne une conférence de la famille. Ses travaux ont porté sur la gestion des temps de travail ainsi que sur la vie sociale et les services destinés aux familles. Le groupe de travail a préconisé plusieurs mesures.
- Un accès facilité au temps partiel choisi : cette proposition pourrait faire l’objet d’une négociation collective qui devrait assurer des garanties pour les salariés concernés. Un tiers des femmes actives travaillent, en effet, à temps partiel, mais le plus souvent, elles ne l’ont pas choisi. Dans ce domaine, les syndicats doivent s’impliquer pour faire progresser les choses.
- La mise en place de dispositifs de remplacement : le groupe de travail encourage cette proposition, notamment dans les cas de petites entreprises.
- Le développement de formules nouvelles : ces formules concernent les groupements d’employeurs. Elles permettraient une meilleure articulation entre les rythmes professionnels des petites entreprises et les rythmes familiaux des salariés.
Ces différents thèmes vont être abordés prochainement à l’occasion d’une nouvelle réunion de la conférence de la famille. L’État ne peut cependant pas agir seul pour instaurer un équilibre entre rythme professionnel et rythme familial. Il convient donc de réfléchir à de nouvelles formes d’activité telles que le travail à domicile, le travail délocalisé ou le télétravail. Toutefois, ces activités doivent être fondées sur le volontariat et être en relation avec les entreprises. Un travail en commun doit être accompli avec les partenaires sociaux sur les deux questions essentielles : la rémunération et le temps de travail.
En ce qui me concerne, je m’engage à créer des instruments de travail, à partir des travaux menés par le conseil supérieur de l’égalité professionnelle. À titre d’exemple, un répertoire des bonnes pratiques d’entreprise sera prochainement mis en place avec la collaboration de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Cette innovation sans précédent pour la promotion de l’égalité professionnelle devrait constituer un support de diffusion et permettre la mise en réseau d’acteurs œuvrant en faveur de la situation des femmes dans l’entreprise.
J’ai également demandé au service du droit des femmes du ministère du travail de lancer une étude pour évaluer le dispositif du compte épargne-temps, qui a été instauré par le loi du 25 juillet 1994, relative à l’amélioration de la participation des salariés dans l’entreprise.
En conclusion, je voudrais faire quelques remarques. L’équilibre entre les hommes et les femmes implique des évolutions sociales profondes. Le processus de recherche de cet équilibre doit être accéléré. Je suis à cet égard très attentive à vos travaux, car ils dépassent largement le cadre des relations du travail. Il s’agit en effet d’un débat social, qui nécessite une grande volonté de la part de tous les acteurs. C’est pourquoi tous les dispositifs que j’ai évoqués ne pourront être efficaces que si l’encadrement s’investit. Les problèmes sont identifiés. Toutefois, la prise en compte de la réalité quotidienne de l’entreprise demeure insuffisante. L’annualisation du temps de travail constitue, par exemple, une piste à explorer, et je crois profondément au rôle prépondérant de l’entreprise dans la réponse aux différentes attentes.
Conclusion
Marc Vilbenoît, président de la CFE-CGC
Madame le ministre,
Madame le député,
Mesdames,
Mesdemoiselles,
Messieurs,
Compte-tenu de la journée très dense à laquelle vous avez participé, j’essaierai d’être bref dans ma conclusion. Tout d’abord, laissez-moi vous dire ma satisfaction, mêlée à un sentiment inhabituel d’intervenir devant un public constitué, à plus de 90 %, de femmes. Il est vrai que dans ma carrière professionnelle et syndicale, j’ai plus été confronté à des publics en majorité masculins et ceci d’autant plus que l’on s’approche des instances de pouvoir.
Je n’ai malheureusement pas pu participer personnellement à vos travaux. Mais le rapport qui m’a été fait, par Claude Cambus, notre secrétaire général, des tables-rondes et de la teneur des débats me donne à penser que l’objectif poursuivi par la CFE-CGC est largement atteint.
C’est donc hélas à un homme – nul n’est parfait – qu’il appartient de clore ce colloque. En vous remerciant toutes et tous de votre contribution, je vais donc conclure ces travaux en tant que militant syndical, porteur des valeurs d’une société humaniste. Je le fais aussi en tant que président de la CFE-CGC, organisation pas plus misogyne que la moyenne, plutôt moins si je prends en compte le rapport entre la présence des femmes dans les structures dirigeantes et dans les catégories de salariés qu’elle représente.
La réflexion proposée sur l’accès des femmes à la prise de décision économique est indispensable. Il ne faut cependant pas oublier que pour importante, essentielle même qu’elle soit pour l’avenir, elle s’inscrit dans un décor, un contexte de difficultés qui pèsent sur notre société confrontée à des évolutions mal maîtrisées politiquement, économiquement et socialement.
J’écoutais ce matin sur un poste périphérique, une émission consacrée à ce colloque, où Edwige Avice et Chantal Cumunel exposaient les difficultés, mais aussi les enjeux des rapports entre femmes, pouvoir et entreprise. Le journaliste rappela que le 8 mars, c’est-à-dire samedi, se tenait la journée de la femme, avant que de conclure parodiant Audiard : « Vivement dimanche ! » Eh bien mes chers amis, au-delà du mot plaisant, je trouve la phrase dure, mais en même temps révélatrice du fait que le thème sur lequel la CFE-CGC vous a convié à travailler tout au long de cette journée, n’est pas un gadget qu’il convient, comme cela, de ressortir chaque année – quelque temps avant la journée de la femme !
Le sujet est sérieux car il touche aux fondements mêmes de notre société, de notre démocratie, que celle-ci soit civile ou sociale. Il est sérieux, car au-delà des fondements, c’est aussi l’évolution de cette démocratie qui est en cause : vers quel type de société allons-nous ? Sommes-nous maîtres de cette évolution ?
Quelle place respective, l’homme et la femme peuvent-ils y tenir ? Faut-il d’ailleurs que cette place soit « respective » ? La meilleure façon de traiter également des êtres nécessairement égaux, n’est-elle pas de considérer – pour prendre le contre-pied de l’un des derniers ouvrages parus sur la question – que les femmes sont des hommes comme les autres (« Les femmes ne sont pas des hommes comme les autres », Mesdames Lavau, Massuz, Kervasdoue ; éditions Odile Jacob ; NDLR). Ce à quoi d’ailleurs nous convie le Conseil constitutionnel lui-même pour les mandats municipaux lorsqu’il rappelle « s’opposer à toute division des citoyens entre eux ». Certes, une vision trop formaliste du problème peut conduire à ne pas le traiter. Je suis bien conscient du risque.
Mais, Mesdames et Messieurs, il ne faut pas oublier pour autant, disais-je, les problèmes dans lesquels se débattent quotidiennement nombre d’hommes et de femmes salariés ou en quête d’emploi, et celles et ceux qui luttent contre l’isolement ou doivent faire face à l’exercice solitaire de la responsabilité parentale.
Il ne faut pas oublier non plus l’inquiétude face à l’incertitude du lendemain qui taraude les salariés, les membres de l’encadrement, femmes comme hommes. Interrogation sur la pérennité de leur entreprise et inquiétude sur le maintien de leur emploi. Peur de l’avenir fondée sur le manque de lisibilité des choix des entreprises, les erreurs de gestion nombreuses couvertes du drapeau des choix stratégiques ou industriels. Peur associée aussi à la perte de sens qui accompagne l’aggravation d’une précarité alimentant une fracture sociale qu’il est si difficile de réduire.
Quotidiennement, nous sommes interpellés sur la place qui restera demain aux femmes et aux hommes dans la production de biens et de services et plus largement dans l’activité générale d’une société comme la nôtre.
Ajouterai-je à ce tableau que je crois réaliste, sans vouloir le noircir à dessein, l’incompréhension totale de nos concitoyens face au chômage des jeunes, qualifiés ou non, qui est ressenti à juste titre comme un renoncement. C’est faire injure à l’avenir, c’est déstabiliser gravement une société au travers de toutes ses générations – jeunes, parents, grands-parents – que de ne pas engager massivement nos jeunes dans la vie active.
Nous avions souhaité que cette journée permette une confrontation des points de vue des différents acteurs qui, dans les entreprises, ont chacun leur rôle à assumer : chefs d’entreprise, responsables du personnel et DRH, syndicalistes.
Dans tous les domaines d’action de cette entreprise qui reste et doit rester une communauté humaine autant qu’une société de capitaux, nous souhaitons pouvoir identifier les obstacles à l’accès des femmes aux postes de responsabilités, de décisions et de pouvoir et plus largement à leur participation à la vie économique et sociale. Et bien entendu, partant de ces constats et de ces analyses, identifier les axes d’action pour une nécessaire amélioration de cette situation.
Pour ce qui est de l’entreprise, en effet, toutes les études montrent, et l’enquête diligentée par la CFE-CGC ne déroge pas à la règle, que les femmes en général et celles de l’encadrement en particulier souffrent d’un modèle essentiellement masculin d’organisation. Mais en même temps que ce modèle est à bout de souffle, que l’on est manifestement arrivé au bout d’un système économique, voire d’un monde économique.
Ce qui a fondé la richesse des Nations développés, depuis un siècle, c’est une économie de type industrielle, regroupée en grandes unités productrices, où la loi du nombre créait, sinon justifiait, le rapport de forces parfois physiques, où le travail lui-même restait essentiellement manuel et donc fondé lui aussi sur la force, avec une parcellisation et en même temps une hiérarchisation des tâches favorisant là encore la résistance du muscle sur la qualité de la cellule grise.
Oui, cher(e)s ami(e)s, comment ne pas voir que ce modèle est en train de mourir et comment ne pas admettre qu’avec lui est en train d’agoniser l’entreprise machiste !!! Mais oui, moi, Marc Vilbenoît, président de la CFE-CGC, de cette confédération syndicale de cadres, d’ingénieurs, d’agents de maîtrise, de techniciens, de forces de vente, je le dis, et je m’en félicite !!! L’entreprise machiste meurt son cadavre bouge encore, mais elle meurt !
Simplement, je vous le dis ici, tranquillement, aidons-la à mourir !!! L’économie réelle, demain, sera fondée, encore plus, sur la production de services, regroupée en petites unités à taille humaine, où donc le rapport de forces ne sera plus consubstantiel à la structure des lieux, où l’organisation du travail tournera résolument le dos au taylorisme et où l’encadrement trouvera naturellement à s’exprimer dans un rôle d’interface, de mise en relation des hommes et… des femmes bien sûr, en un mot : des compétences et des responsabilités !
Et les compétences, les responsabilités, mes chers amis, elles n’ont pas de sexe ! Mais en attendant cet avenir radieux, il nous faut bien nous confronter à la dure réalité. Et là je suis optimiste.
Je le suis parce que les femmes ont formidablement progressé dans tous les domaines d’activité et dans tous les niveaux de formation initiale puis continue, malgré les handicaps qui demeurent et que rappelait le ministre Anne-Marie Couderc. Le mouvement est en marche et il ne s’arrêtera plus.
Mais je le suis aussi, parce que je suis syndicaliste et placé – si je puis dire – au centre même des évolutions que je retraçais tout à l’heure. Ce que je veux ici vous dire, Mesdames, c’est que le syndicalisme est probablement le vecteur de progression le plus efficace pour résorber durablement le gap existant aujourd’hui entre hommes et femmes, dans les entreprises s’entend. C’est lui le contre-pouvoir au pouvoir de l’entreprise, c’est lui qui peut prendre en compte la réalité des conditions de travail et qui œuvre pour la faire évoluer, c’est à travers lui qu’hommes et femmes réalisent leur extrême ressemblance dans les conflits agitant le monde du travail. Il importe que collectivement, avec le concours des partenaires sociaux, le débat public soit ouvert.
Attaquons résolument tous les chantiers de la réorganisation du cycle de vie, d’une nouvelle articulation des études et de l’insertion dans l’entreprise, d’un nouveau partage du temps et de la formation continue, de la mobilité, de la cessation progressive et programmée d’activités en y intégrant les valeurs féminines et aussi de nouveaux repères pour une nouvelle société compréhensible par des citoyennes et des citoyens impliqués et responsables, y compris dans l’économie et dans l’entreprise. En d’autres termes, gérons l’avenir sinon l’urgence et la nécessité feraient ressurgir les solutions du passé.
Pour ce qui concerne la CFE-CGC, nous avons une antériorité de travaux et de propositions considérable sur l’ensemble de ces questions, dont le colloque d’aujourd’hui, après celui de Nice, marque une nouvelle et importante étape. Au-delà des constats, de nombreuses propositions y ont été faites. Ma responsabilité, notre responsabilité commune sera maintenant de les mettre en œuvre, jusque et y compris, au sein même de notre CFE-CGC à laquelle j’appelle les femmes cadres et de l’encadrement à adhérer et à militer pour accélérer encore les évolutions dont nous avons parlées.
Ma conviction est que c’est par l’éveil de leur conscience syndicale que les femmes prendront le mieux en main le règlement des difficultés rencontrées dans leur vie professionnelle. L’action collective, plutôt qu’individuelle, travailler avec, plutôt que travailler contre, c’est comme cela que femme et homme trouveront à égalité de compétence le pouvoir et leur place dans l’entreprise.