Texte intégral
J.-P. Elkabbach
Vous avez affirmé hier, à propos des 35 heures, que si les accords de branche ne sont pas étendus - le non-dit c’est : « par M. Aubry » - il y aura rupture et riposte des entreprises du terrain. « Riposte », qu’estce que cela veut dire ?
E.-A. Seillière
« Le Medef est actuellement décontracté et confiant. Il a repris le contact avec sa basse ; sa rénovation l’a mis en position de pouvoir décider correctement au nom des entrepreneurs des décisions à prendre. Et donc, nous avons rétabli des contacts naturels avec tout le monde : le Parti socialiste, demain avec l’opposition, etc. Nous sommes redevenus, je crois, les représentants du 1,4 million d’entrepreneurs.
Donc, la “riposte”, cela veut dire quoi ? Cela veut dire que si, le gouvernement, qui a invité à la négociation, à la suite des 35 heures - négociations qui se sont déroulées et développées de façon assez surprenante et de façon très vaste. Il y a, à peu près, 6 millions de salariés aujourd’hui qui sont couverts par une trentaine d’accords de branche : dans les très grands métiers, la mécanique, le bâtiment, la restauration collective, le nettoyage, etc. Donc, il y a eu négociation sociale. Elle a donné du résultat : les partenaires sociaux sont convenus ensemble de ce qu’il fallait faire. On entend dire - mais je ne peux pas le croire ! - que la future loi ne tiendrait pas compte de tout ceci. Alors si le grand dialogue social auquel on nous a invités - et qui donne des résultats concrets : du donnant-donnant entre les partenaires sociaux qui conviennent de quelque chose comme d’une convention collective -, si ceci doit être refusé par le gouvernement et par la loi, je dis que le terrain de l’acceptera pas. »
J.-P. Elkabbach
La « riposte », qu’est-ce que cela veut dire ?
E.-A. Seillière
« Nous n’avons pas, nous, les moyens militaires, les moyens de pression. La riposte cela veut dire que l’envie d’entreprendre sera atténuée dans notre pays, et que les entrepreneurs le feront savoir. Comment veut-on avoir fait l’euro, comment veut-on pouvoir gagner si on ne donne pas aux entrepreneurs l’envie d’entreprendre. Voilà de quoi il s’agit ! »
J.-P. Elkabbach
Et la « rupture » ?
E.-A. Seillière
« La rupture ça serait de son fait ! On ne peut pas avoir pris une loi contre la volonté des entrepreneurs ; ensuite, inviter les entrepreneurs à négocier ; que ceux-ci négocient, et qu’on annule le résultat. Ce serait une rupture du fait du Gouvernement avec la représentation des entrepreneurs, avec les entrepreneurs. Encore une fois, c’est l’année de l’euro, l’année de la compétition mondiale, tout ceci serait absurde. Nous ne pouvons pas y croire. »
J.-P. Elkabbach
Cela sonne comme une menace ?
E.-A. Seillière
« Ce n’est pas une menace, c’est une position. Le Medef est capable, aujourd’hui, de prendre des positions, appuyé par sa base. C’est peut-être différent par rapport au passé. »
J.-P. Elkabbach
M. Aubry s’est dit convaincue que les 35 heures allaient réussir pour la création d’emplois. Elle dit : « accordez-moi la durée ». Est-ce que vous la lui donnez ?
E.-A. Seillière
« S’il s’agissait d’accorder la durée, on n’aurait pas fait une loi précipitée en imposant des délais très courts. À partir du moment où on s’est lancé là-dedans, qu’est ce qui se passera ? Du donnant-donnant qui fait que les entreprises pourront, peut-être, digérer le moins mal possible les 35 heures au prix de concessions réciproques. Mais la vision que le gouvernement avait que cette affaire allait créer des centaines de milliers d’emplois, sauvez le plein d’emploi, on le sait aujourd’hui - ce n’est pas la peine d’insister, il ne faut pas être cruel ; ne tirons pas sur l’ambulance -, actuellement, la loi des 35 heures ne craie pas d’emplois. Nous l’avons toujours dit. Ce n’est pas quelque chose qui nous réjouit. Mais, c’est un fait. »
J.-P. Elkabbach
Je n’ai pas la cruauté de vous demander qui est l’ambulance ?
E.-A. Seillière
« La loi des 35 heures, si vous permettez ? »
J.-P. Elkabbach
Le Premier ministre et M. Aubry confirment que la deuxième loi sur les 35 heures, les heures supplémentaires, les cadres, le temps partiel, sera votée comme prévu, fin 99. Cela vous va, et vous l’accepterez ?
E.-A. Seillière
« Le délai n’a pas une immense importance. Nous souhaiterions que l’on donne le maximum de temps à la négociation. Nous demandons au contraire que l’on donne plus de temps. Mais si le gouvernement est dans un délai, et qu’il veut s’y enfermer, après tout, ce n’est pas ça qui change. C’est le contenu de la loi qui compte. »
J.-P. Elkabbach
À quelles conditions, l’accepteriez-vous ? Cette fois-ci, il n’y aurait pas toute cette bataille que nous avons vécu au moment de la première loi ?
E.-A. Seillière
« Au nom des entrepreneurs de notre pays, nous dirons - début mars ou courant mars - ce que nous avons vu sur le terrain et qui doit être repris. De quoi s’agit-il : de l’annualisation ; des heures supplémentaires que les métiers veulent se donner pour pouvoir faire leur métier ; de la possibilité pour les cadres de pouvoir travailler dans des conditions correctes, et non pas dans l’étroitesse d’une semaine de 35 heures qui n’a strictement aucun sens pour eux ; les conditions de l’exercice du temps partiel, du temps de formation. Tout ce dont on a parlé dans les branches, et qui actuellement fait que les 35 heures, dans les entreprises, peuvent se vivre, je dirais non pas acceptable, mais pas totalement négative. Si on veut balayer tout ça d’un geste, encore une fois ce sera la rupture du fait du gouvernement. »
J.-P. Elkabbach
Vous avez noté qu’il y a tout de même de grands accords à Air France, à EDF, avec plusieurs milliers d’emplois à la clé, signés même par la CGT, et qui donne un véritable coup de fouet à la politique de M. Aubry.
E.-A. Seillière
« Ne me faites pas sourire ! Qui croit, actuellement, que quand l’État employeur donne instruction à ses directions générales, de faire les concessions nécessaires pour payer sur son budget - c’est à dire sur l’argent des contribuables - les sommes nécessaires pour réduire à 32 heures, à 35 heures, dans des conditions qu’aucune entreprise privée ne pourrait se permettre, … tout ceci est une manière de donner le sentiment - mais personne n’est dupe - que les 35 heures ont repris un nouvel élan à coups d’instructions données aux entreprises publiques. Je respecte les accords d’entreprise, bien sûr, je ne les commente pas. Mais la démarche du gouvernement, qui dit “les 35 heures sont sauvés par Air France, la SNCF et EDF”, fait sourire les entrepreneurs. »
J.-P. Elkabbach
À propos de la Sécurité sociale dont M. Aubry espère l’équilibre cette année, est-ce que le Medef va rester dans le paritarisme ?
E.-A. Seillière
« C’est vraiment quelque chose que nous devons traiter cette année. Si le déficit renaît, que les programmes de rétablissement de l’équilibre de la Sécurité sociale, proposés par la direction générale, ne sont pas mis en œuvre est acceptés, nous n’avons plus rien à faire là-dedans. Je ne vais pas en décider aujourd’hui, mais il y aura un débat parmi les entrepreneurs, et je sens monter du terrain des choses évidentes : qu’est-ce qu’on fait là-dedans ? À quoi ça sert ? Est-ce qu’on n’est pas caution de quelque chose qui est mal géré ? »
J.-P. Elkabbach
Est-ce que le Medef va se contenter de refuser, de protester ? Est-ce que la stratégie des entrepreneurs ne ressemble pas à celle de feu les patrons ?
E.-A. Seillière
« Ecoutez, feu les patrons, feu le CNPF : toute cette attitude, en effet, défensive, négative. Nous avons proposé de reprendre la négociation en ce qui concerne l’indemnisation des jeunes chômeurs en CDD ; nous proposerons sur les 35 heures la manière de faire ; nous proposerons sur l’éducation ; nous proposerons sur le dialogue social. Nous sommes une force de propositions représentant, dans notre pays, ce qu’il y a de plus précieux. Les entrepreneurs font la richesse de ce pays, ce qu’il y a de plus précieux. Les entrepreneurs font la richesse de ce pays, donnent la base du système de solidarité. Alors assez maintenant de dire que nous sommes sur la défense, et négatifs ! Nous sommes, nous le Medef aujourd’hui, une force de propositions. Qu’on le sache ! »
J.-P. Elkabbach
Une force d’opposition aussi ?
E.-A. Seillière
« Une force d’opposition nullement. Nous sommes totalement non-partisans. Et que le gouvernement reste où il veut, ce n’est pas notre affaire. »
J.-P. Elkabbach
Vous dites que vous avez reçu les partis. Vous allez bientôt recevoir ou être reçu par l’opposition. Est-ce que vous verrez tous les partis de la majorité plurielle ? Par exemple, R. Hue ?
E.-A. Seillière
« Très volontiers. S’il veut que j’aille le voir à son siège, je viendrais avec une délégation. Tous les partis politiques républicains sont, pour nous, des interlocuteurs. Nous devons nous faire comprendre de tous. »
J.-P. Elkabbach
Les Verts aussi ? D. Voynet ?
E.-A. Seillière
« Bien entendu ! »
J.-P. Elkabbach
D. CohnBendit ?
E.-A. Seillière
« Je ne sais pas si c’est un parti politique. Mais, en tout cas c’est un personnage qui joue un rôle. S’il veut nous entendre nous le ferons très volontiers aussi. »
J.-P. Elkabbach
L’Allemagne renonce au nucléaire et le débat s’engage aussi en France. La France doit-elle réduire ses choix et ses efforts en matière de nucléaire civil ?
E.-A. Seillière
« Il faut être sérieux ! La France a construit sa politique énergétique sur le nucléaire, qui est contrôlé, qui sur le plan de l’écologie est parfaitement dominé. Tout ceci est fait avec très grand sérieux. Alors assez de démagogie. La politique du nucléaire en Allemagne c’est un peu les 35 heures en France : c’est de l’idéologie qui s’applique sans avoir vu les conséquences. »
J.-P. Elkabbach
Quels vœux adressez-vous à l’opposition pour 99 ?
E.-A. Seillière
« A l’opposition ! Eh bien, je leur dis déjà : faites un peu comme l’entreprise. C’est-à-dire, organisez-vous de façon à pouvoir, si vous le pouvez reprendre le pouvoir. Mais c’est vraiment votre affaire ! »
J.-P. Elkabbach
Et au gouvernement Jospin ?
E.-A. Seillière
« Ils sont très clairs : entendez et écoutez les entrepreneurs ! Vous ne pourrez pas réussir sans eux. »
J.-P. Elkabbach
Les gouvernants autour de L. Jospin sont en train de réussir ?
E.-A. Seillière
« Ecoutez, cela se discute ! Il y a beaucoup de choses promises qui ne viennent pas. Et surtout, la croissance sur laquelle on se fonde, hélas, ne sera pas à la hauteur de ce que l’on souhaite. Alors, attention à tout corriger de façon à ne pas se trouver pris à contre-pied. »