Texte intégral
Je tiens tout d’abord à vous remercier, Mesdames et Messieurs les Présidents des cours constitutionnelles, et vous aussi Messieurs les membres du Conseil constitutionnel français, d’avoir bien voulu accepter cette invitation. Je suis particulièrement heureuse de votre présence ici.
Mes propos naturellement s’adressent en particulier à M. Roland Dumas, qui retrouve en cette circonstance des lieux familiers.
C’est toutefois plus précisément le président du Conseil constitutionnel que je souhaitais remercier, pour l’initiative qui nous réunit aujourd’hui, celle de créer une association des cours constitutionnelles francophones.
La francophonie se prête remarquablement à la coopération dans le domaine du droit.
Il s’agit d’abord d’une question de langue : le droit et tout simplement le droit constitutionnel forment une matière précise, subtile et rigoureuse, qui ne s’accommode pas de l’à-peu-près et que la langue française sert remarquablement par sa précision et son génie propres. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le français occupe traditionnellement une place éminente dans le monde juridique, par exemple à la Cour internationale de justice ou à la Cour de justice de l’Union européenne.
Mais il s’agit surtout d’une question d’esprit : pour s’en tenir à la dichotomie traditionnelle entre droit romain et droit anglo-saxon, il faut bien constater que deux familles culturelles ont engendré deux système juridiques parfois radicalement différents. La francophonie, infiniment plus ambitieuse qu’un simple usage commun de la langue française, et qui met en exergue le partage de valeurs ou de concepts, trouve donc tout naturellement dans le droit un champ d’action et de coopération essentiel.
Il n’est pas surprenant qu’en raison de la place stratégique qu’elle occupe, la coopération juridique ait été considérée comme une priorité lors du sommet de Cotonou de décembre 1995, qui a consacré une vision plus politique de la francophonie.
Au Bénin, les chefs d’État et de gouvernement se sont prononcés pour une francophonie plus présente et plus active dans les affaires du monde, au service du développement et de la paix. Même si d’autres organisations telles que l’ONU ou les organisations régionales assument la responsabilité principale du règlement pacifique des différends, il appartient à la communauté francophone d’y contribuer selon ses moyens. Qu’il s’agisse de restaurer ou de consolider l’État de droit, la coopération francophone a un rôle à jouer : formation de magistrats, échanges de documentation, jumelages de juridictions, soutien au déroulement régulier des consultations électorales… La tâche est immense.
La communauté francophone ne dispose pas des légions qui lui permettraient d’arrêter un génocide ou d’interrompre un conflit armé international. Elle a déjà, en revanche, la capacité à participer à leur prévention ou à s’associer au rétablissement de la paix et de l’ordre constitutionnel. C’est ce qu’elle fait au Rwanda, au Burundi, au Niger.
Ce dernier pays nous fournit un exemple particulièrement édifiant, et qui reflète bien l’actualité dans laquelle vous vous situez. Dans le cas d’une remise à plat des institutions d’un pays et des relations entre les pouvoirs publics, un amendement de la Constitution est la première étape de la reconstruction de l’édifice institutionnel. C’est dans ce domaine que notre expertise est généralement sollicitée en priorité.
J’ai parlé du Niger parce que c’est un pays francophone et qu’il traverse une période de transition. Mais j’aurais pu évoquer aussi l’ex-Union soviétique ou l’ex-Yougoslavie qui, selon des processus différents, ont conduit à l’apparition de nouveaux États et donc à la nécessité de formuler autant de lois fondamentales originales et adaptées à leur accession à l’indépendance. Les questions constitutionnelles demeurent ainsi un domaine en perpétuelle évolution.
La francophonie disposait déjà d’un instrument, l’Agence de coopération culturelle et technique et particulièrement sa délégation générale à la coopération juridique et judiciaire, à laquelle je rends ici hommage. Dans le cas du Niger, elle a montré sa capacité à répondre à la demande et à se mobiliser pour faire face à une situation délicate.
Mais je place désormais aussi beaucoup d’espoir dans l’association que vous allez constituer. Magistrats des cours constitutionnelles, vous êtes au cœur des relations institutionnelles des États que vous représentez. Vous êtes, dans une certaine mesure, les garants de la démocratie et des valeurs qui s’attachent à un tel régime politique et qui se trouvent justement énoncées par les constitutions. Cela fera la matière des activités de votre association.
Je me réjouis que la francophonie – qui n’est pas une fin en soi – serve ce projet-là. Ces contenus, la démocratie, l’État de droit, les droits civils et politiques, comptent parmi les plus nobles ambitions auxquelles elle peut se dédier. Votre association va donner une dimension supplémentaire à la francophonie. Je ne peux que m’en féliciter, et vous souhaiter un plein succès dans vos travaux.