Déclaration de M. Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, sur les relations franco-marocaines et le rôle du Maroc dans l'ensemble méditerranéen et du Maghreb, à l'Assemblée nationale le 7 mai 1996.

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Circonstance : Visite officielle de S.M. Hassan II, roi du Maroc, à Paris les 6 et 7 mai 1996 - réception à l'Assemblée nationale le 7 mai

Texte intégral

En recevant le roi du Maroc, à l'occasion de sa visite d'État, notre Assemblée se réjouit d'accueillir le souverain d'un pays dont l'amitié pour la France ne s'est jamais démentie, malgré les inévitables vicissitudes d'un long destin commun, d'un pays aussi jeune et entreprenant qu'il est chargé d'histoire, d'un pays tout entier tendu vers la paix, le progrès et la modernité.

Mais comment, Sire, ne pas évoquer en ces instants la haute figure de votre père, restaurateur de l'indépendance du Maroc ? Comment ne pas penser avec émotion à ce grand Roi qui aimait la France, qui n'avait jamais douté de son relèvement et qui n'imaginait pas que nos deux pays puissent se passer l'un de l'autre ? Comment ne pas nous souvenir de ce Sultan qui dès le 3 septembre 1939 avait invité les marocains à combattre à nos côtés, qui tout au long de la deuxième guerre mondiale se refusa à tout contact avec les autorités ennemies, de ce compagnon de la Libération, dont il fut si naturel et légitime qu'il assistât, le 18 juin 1945, aux côtés du général de Gaulle, - honneur insigne - au défilé de la victoire ?

Et comment, dès lors, ne pas dire à nouveau, cinquante et un an après, dans cet hémicycle et devant vous, notre respect et notre reconnaissance pour ces magnifiques soldats marocains qui s'illustrèrent dans les Flandres, à Cassino, sur le Garigliano, en France, sans jamais ménager leur peine ni reculer devant les sacrifices, pour nous aider à reconquérir notre liberté.

Vous êtes, il est vrai, Sire, à la tête d'un grand peuple, un grand peuple, fier et courageux. D'un peuple ouvert, aussi chaleureux, héritier d'une grande culture, à la fois arabe, africain, et pleinement méditerranéen...

Dans une comparaison imagée, qui vous fut souvent empruntée, vous avez dit un jour que le Maroc « ressemblait à un arbre dont les racines nourricières plongent profondément dans la terre d'Afrique et qui respire, grâce à son feuillage, bruissant au vent de l'Europe »…

On ne saurait oublier en effet que la province romaine de Mauritanie Tingitane a été créée à peu près au même moment que les provinces romaines des Gaules ou encore que deux brillantes dynasties, celle des Almoravides puis celle des Almohades régnèrent de part et d'autre du détroit de Gibraltar, liant étroitement l'Europe du Sud et l'Afrique du Nord, rayonnant depuis Cordoue, Cordoue à qui nous devons une bonne part de l'humanisme moderne et de ce qu'on appellerait bientôt les lumières…

Voilà qui faisait déjà du Maroc un véritable trait d'union, vocation à laquelle il n'a jamais renoncé et qu'il entend plus que jamais assumer.

Voilà aussi qui aura contribué à inspirer au Maroc cette conception d'un Islam serein et tolérant, ouvert aux progrès techniques et scientifiques, comme en porte témoignage parmi tant d'autres réalisations, la Grande Mosquée de Casablanca.

Cette conception est aujourd'hui servie, Sire, par l'influence considérable qui est la vôtre dans l'ensemble du Monde islamique. Ce n'est pas par hasard que vous présidez l'Organisation de la Conférence Islamique et le Comité Al Qods. Le sens de l'Histoire et de la mémoire qui est votre marque, la volonté de modernité que vous savez allier au respect des traditions qui font l'âme d'un peuple donnent à vos initiatives et à vos propos une autorité singulière.

C'est dire que tout ce qui touche à votre démarche est important, important non seulement pour votre pays, mais aussi pour l'ensemble des riverains de la Méditerranée. Voilà d'ailleurs qui ne manque pas d'inspirer aux quelque 700 000 marocains qui vivent en France une attitude souvent citée en exemple et fort bénéfique.

Ces marocains de France nous apportent le témoignage des progrès que ne cesse d'accomplir le Maroc dans le domaine économique au prix d'efforts méritoires. Le développement est en effet l'une de vos priorités en même temps que la construction d'un État de droit.

Vous avez inspiré un courageux plan d'adaptation riche de promesses sur le plan économique, y compris pour nos relations bilatérales.

Vous avez encouragé par ailleurs une politique allant dans le sens de la promotion des libertés publiques. Liberté de la presse, liberté d'association et de réunion, multipartisme, peuvent ainsi être vérifiés par tous vos visiteurs. La constitution adoptée par référendum en septembre 1992 renforce les pouvoirs de votre parlement, avec lequel nous nous félicitons d'être unis par les liens les plus étroits, tandis qu'un Conseil constitutionnel règle désormais les rapports entre pouvoirs publics. La création d'une deuxième chambre, à la faveur de la nouvelle consultation que vous avez annoncée lors de la récente Fête du Trône, devrait mettre un terme définitif aux discussions relatives au mode de recrutement de la Chambre des députés. La France, vous le savez, conformément aux attentes de sa propre opinion publique, continuera d'applaudir à de telles initiatives.

Il n’est guère étonnant qu'adhérant à de mêmes prémices, nos deux pays parviennent à s'entendre sur les dossiers les plus délicats. C'est bien pourquoi le Président de la République n'a pas hésité, lors de sa visite officielle au Maroc en juillet 1995, à parler d'une relation placée sous le signe de l’exception.

Nous apprécions à sa juste valeur l'action menée par le Maroc en faveur de la stabilité et la région et le rôle de médiateur qu'il joue depuis plusieurs décennies, action et rôle qui ont trouvé leur consécration dans les retentissants succès de la diplomatie marocaine de ces dernières années : Conférence des accords du GATT à Marrakech, sommet économique de Casablanca, sommet de l'organisation de la Conférence Islamique…

Nos deux pays sont également conscients de la nécessité de promouvoir un rapprochement de l'ensemble des peuples qui bordent notre mer commune.

Le Maroc qui a participé activement à la conférence de Barcelone entend occuper une place à sa mesure dans ce nouvel espace qui devrait aboutir, à l'horizon de l'an 2010, à la création d'une zone de libre-échange euro-méditerranéenne. L'accord d'association conclu le 10 novembre dernier avec le soutien empressé de la France est particulièrement prometteur à cet égard…

Oui, le Maroc et la France ont bien vocation à œuvrer ensemble à l'avènement de cette « zone de paix, de stabilité, de prospérité et de coopération ». L'action résolue du Maroc en faveur du processus de paix au Proche-Orient, votre implication personnelle si courageuse sont, d'ailleurs, une contribution majeure à ce grand et noble objectif.

La relance de la construction du Maghreb au sein de l'UMA sera, à n'en pas douter, une autre de ces contributions. Car le succès du partenariat euro-maghrébin passe, aussi, par un essor des relations politiques et commerciales entre les trois principaux États du Maghreb que tout doit inciter à la bonne entente.

Sire, à l'orée du XXIe siècle, en mesurant, vous et nous, le rôle que jouent nos Nations, la France dans l'Europe, comme le Maroc au Maghreb, en Afrique et dans l'ensemble du monde arabe, nous désignons ici nos responsabilités particulières. Elles sont immenses si nous voulons qu'une véritable communauté se renforce et s'affirme de part et d'autre de la Méditerranée. Nous devons donc plus que jamais resserrer nos liens.

Dans l'histoire de nos relations, de nos convergences et de nos actions communes, votre visite en France est ainsi promise à un grand retentissement Nous nous réjouissons que vous ayez choisi que votre passage à l'Assemblée nationale en soit un temps fort. Car ce que vous avez à dire sera entendu au-delà de cet hémicycle et des frontières mêmes de nos deux pays.

Aurai-je assez dit, Sire, combien vous êtes ici, le bienvenu.

La parole est à sa majesté le roi du Maroc.