Texte intégral
Madame la présidente,
Mesdames, Messieurs,
Depuis ses origines le CNJA aime bousculer l'ordre des choses, aiguillonner la réflexion, défricher les sentiers de l'avenir. C'est le privilège de la jeunesse que de dire tout haut ce que certains pensent tout bas.
« Il vaut mieux regarder en face les vérités déplaisantes. Elles ne font courir aucun danger à notre unité syndicale qui a beaucoup plus à craindre des silences riches d'équivoques... » déclarait en 1962 un jeune paysan de Palladuc, tout frais émoulu, du CNJA en présentant le rapport du XVIe congrès de la FNSEA.
Permettez-moi, Madame la présidente, à l'occasion de votre congrès, de rendre à mon tour un hommage à Michel Debatisse, homme de caractère et de conviction qui, en des temps où il était difficile de faire entendre sa voix, a su défendre une vision novatrice de l'avenir de l'agriculture française.
Les révolutions silencieuses sont de celles qui ne se découvrent qu'après coup. Celle des années 60, avec ses ombres et ses lumières, ses réussites et ses échecs, ses traumatismes et ses avancées économiques et sociales, a permis à notre agriculture d'entrer de plein pied dans la construction européenne.
La première des politiques communes a été la PAC qui nous a hissés au rang de puissance exportatrice. Comme le souligne votre rapport d'orientation : une exploitation sur cinq vit directement du marché communautaire et de l'exportation vers les pays tiers.
Les organisations communes de marché fortement inspirées par la philosophie du soutien à la française ont depuis les années 80 subi des infléchissements significatifs pour, comme le disent les économistes, être plus sensibles aux signaux du marché, instauration des quotas laitiers en 1984 pour adapter l'offre aux besoins de la consommation, réforme des OCM fruits et légumes et viti-vinicole en 1987 pour préparer l'élargissement à l'Espagne et au Portugal, réforme de la PAC en 1992 pour débloquer la négociation du GATT... Les agriculteurs ont eu le sentiment qu'après avoir payé un lourd tribut à la modernisation l'Union européenne n'en finissait plus de leur demander de nouveaux efforts d'adaptation.
À nouveau, face à de nouvelles et lourdes échéances, il est question d'approfondir la réforme de la PAC. C'est pourquoi il est salutaire que la réflexion entamée par les jeunes agriculteurs pour définir leur contrat pour l'Europe retrouve « la franchise tonifiante » - l'expression est d'un observateur de l'époque - du rapport de Michel Debatisse en 1962.
Devant le congrès de l'AGPB, où vous étiez présente Madame la présidente, j'ai fait part aux représentants des différentes régions céréalières de mon souci de parler avec mes interlocuteurs de façon claire et franche pour aboutir aux choix que la France pourra défendre à Bruxelles pour que son agriculture, ses industries agroalimentaires restent un élément essentiel de son développement économique et social.
Alors, si vous me permettez l'expression, passons des bonnes intentions aux travaux pratiques.
Votre rapport d'orientation analyse de façon approfondie les enjeux internationaux auxquels la politique agricole commune sera confrontée au cours des prochaines années.
Ramené à son expression la plus schématique, le débat communautaire peut se résumer de la façon suivante :
- soit l'Europe choisit de défendre sa politique agricole en essayant de préserver son marché intérieur et en renonçant à occuper des positions significatives sur les marchés extérieurs à l'Union européenne. Les ajustements se feront alors en réduisant les quotas de production, lorsqu'ils existent, et en augmentant le gel des terres à mesure que progressera la productivité de l'agriculture ;
- soit l'Europe continue à affirmer sa vocation exportatrice de produits agricoles et agroalimentaires, mais elle doit alors continuer à rapprocher ses prix intérieurs de ceux du marché mondial, en mettant en œuvre des solutions différenciées selon les secteurs. Mais alors c'est le revenu des exploitations qui risque d'en pâtir, en entraînant la disparition d'une partie d'entre elles, et une concentration accrue des exploitations agricoles. Nous savons tous qu'un trop grand nombre d'agriculteurs vivent dans des conditions difficiles, peinant à rembourser leurs emprunts et qu'il faut éviter toute mesure qui pourrait leur rendre la vie plus difficile encore.
Vous proposez pour sortir de ce dilemme une solution originale consistant à adapter les organisations communes de marché dans un sens qui permette le maintien de la présence économique de l'agriculture européenne sur les marchés tiers, mais à reconnaître dans le même temps que l'agriculture remplit d'autres fonctions que la production de produits agricoles. Ces autres fonctions seraient reconnues et encouragées dans le cadre d'un contrat d'entreprise.
Cette approche me paraît très novatrice et riche de développements futurs.
Je voudrais indiquer ici que nos réflexions se rejoignent.
Le repli sur le seul marché communautaire serait à moyen terme insoutenable pour l'agriculture européenne et pour les agriculteurs. Il nous conduirait à gérer la pénurie de droits à produire ou de quotas qu'il faudrait généraliser à toutes les productions qui y sont liées : rente de situation pour les titulaires des droits à produire, augmentation des investissements d'installation pour les jeunes agriculteurs, intervention permanente de l'autorité administrative.
Il est donc nécessaire de préserver l'accès de l'Union européenne aux marchés tiers.
Mais celui-ci ne sera garanti que si l'agriculture ne rompt pas l'équilibre qui conduit les citoyens à accepter qu'elle reçoive des aides en échange d'une utilité sociale reconnue par tous.
Bien sûr les citoyens demandent des produits alimentaires de qualité à des prix aussi bas que possible. Mais la société attend aussi des agriculteurs qu'ils préservent les territoires, contribuent à l'emploi et que la sécurité alimentaire soit garantie.
Ce contrat d'entreprise que vous évoquez n'est pas éloigné du contrat entre l'agriculture et la nation que souhaitent le Premier ministre et son ministre de l'Agriculture et de la Pêche.
J'ajoute que dans mon esprit il ne s'agit pas d'opposer une agriculture réputée compétitive, et orientée sur le marché, qui vivrait des aides liées au fonctionnement des grandes organisations communes de marché à une agriculture vouée à l'entretien de l'espace, qui bénéficierait des autres types d'aides.
Les exigences des citoyens s'adressent à l'agriculture dans toutes ses composantes et toutes les exploitations sont concernées par les préoccupations relatives à la préservation des territoires, le respect de l'environnement et le maintien de l'emploi.
De la même façon, la pérennité des aides liées au fonctionnement des organisations communes de marché sera d'autant mieux assurée qu'elles seront attribuées de façon équitable entre les agriculteurs, sans amplifier ou maintenir des inégalités liées aux conditions naturelles de production.
C'est donc à partir de ce socle commun que nous devons travailler ensemble en étant bien conscients que nos analyses et nos choix devront toujours être confrontés, sans concession à la facilité, aux enjeux communautaires et internationaux.
Cependant n'invoquons pas le faisceau des contraintes extérieures pour ne rien faire. L'étroitesse de nos marges de manœuvre au plan national ne nous interdit nullement de refonder notre modèle d'exploitation agricole autrefois qualifiée de familiale, aujourd'hui plus diversifiée avec le développement des formes sociétaires d'exploitations. Dans le travail d'élaboration de la loi d'orientation, annoncé par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, il nous faut, avec les matériaux déjà accumulés lors des travaux préparatoires du texte déposé par mon prédécesseur et ceux que fera émerger la concertation que nous allons engager, trouver la voie entre le souhaitable et le possible. Rien ne serait pire qu'une accumulation d'objectifs contradictoires qui conduirait certains agriculteurs dans des impasses.
Chacun à notre place, nous nous devons de contribuer, dans des conditions qui respectent au mieux vos intérêts professionnels et ceux de la collectivité, à faire prendre à notre agriculture une nouvelle orientation.
Orienter, c'est le dictionnaire qui le dit, c'est indiquer à quelqu'un la direction à prendre. Ne nous payons pas de mots. La compétition génère plus d'individualisme et d'inégalités que de solidarité. Au travers du cadre que sera la loi d'orientation il nous faudra définir des garde-fous qui ne soient pas des freins, élaborer des outils contractuels dont les agriculteurs devront s'emparer, favoriser ceux qui jouent la carte des produits et des territoires, introduire des exceptions pour lutter contre les inégalités.
Certains, je les entends déjà, vont nous dire que nos débats franco-français ne sont que des clapotis dans le vaste océan de l'économie en voie de mondialisation. Permettez-moi de m'inscrire en faux contre ce pessimisme. Nos choix, si nous avons le courage de les assumer chacun à notre place, nous permettront tout d'abord d'assumer, comme nous l'avons toujours fait dans le passé, un rôle moteur dans le débat difficile qui va s'engager au sein de l'Union européenne pour approfondir la réforme des politiques communes et ensuite de valoriser dans l'esprit de nos concitoyens le rôle essentiel joué par les agriculteurs dans l'équilibre économique, social et environnemental de notre pays.
Profitons du débat d’orientation que nous allons ouvrir pour définir ensemble les moyens de notre ambition. Nous travaillons tous pour les générations futures et face aux représentants des jeunes agriculteurs, je me dois de réaffirmer comme l'a fait le Premier ministre dans sa déclaration devant le Parlement que la politique d'installation sera poursuivie avec détermination dans le cadre de la loi d'orientation qui pourrait décliner d'une façon adaptée aux défis de notre époque la trilogie chère à Edgard Pisani : l'homme, l'espace et le produit. L'ordre de cette énumération afficherait dans le contrat passé entre les agriculteurs et la nation que par-delà la nécessaire compétitivité de notre agriculture nous nous engageons à ce que sur l'ensemble de notre territoire les hommes et les femmes qui ont choisi comme vous le métier d'agriculteur puisse l'exercer dignement.
Je ne saurais m'exprimer devant vous sans en dire un peu plus sur l'installation des jeunes agriculteurs.
Le Premier ministre a indiqué dans son discours de politique générale qu'elle constituerait une des priorités du gouvernement en matière agricole.
Cela signifie bien sûr que des moyens budgétaires suffisants y soient consacrés. Vous savez, Madame la Présidente, que je n'ai pas l'habitude d'esquiver les questions.
J'ai trouvé, en prenant mes fonctions, une situation dans laquelle une partie des crédits du fonds pour l'installation et le développement des initiatives locales (FIDIL) sont gelés.
Vous savez que le Premier ministre a demandé un audit des finances publiques pour avoir une vue complète de la situation avant de prendre des décisions dans tous les domaines.
Vous pouvez croire que je défendrai le rétablissement des moyens nécessaires à la politique d'installation des jeunes agriculteurs, dans les arbitrages budgétaires que le Gouvernement rendra dans les semaines à venir.
Mais au-delà des questions budgétaires nous devrons veiller à ce que les mesures en matière de structures agricoles ne contribuent pas à renchérir le coût des investissements nécessaires à l'installation des jeunes agriculteurs. La PAC a introduit dans de nombreux secteurs des droits à produire : quotas laitiers, droits à primes bovines, etc. Tout doit être mis en œuvre pour éviter qu'ils ne deviennent la source de ventes pour les agriculteurs déjà installés au détriment des jeunes et qu'ils ne favorisent pas la concentration des exploitations.
Avant d'aborder les dossiers qui seront traités lors des grandes échéances communautaires et internationales des mois et des années à venir permettez-moi de m'arrêter un court instant sur un chantier qui pour vous jeunes agriculteurs est porteur d'avenir.
Il s'agit du chantier de la qualité.
Cette question a toujours été au cœur de nos préoccupations. En 1990 nous avons fait adopter par le Parlement un texte qui refondait l'appellation d'origine contrôlée sur des bases juridiques indiscutables. De même à la suite de la réunion informelle des ministres de l'agriculture de Beaune nous avons ouvert la voie de la reconnaissance par l'Union européenne des AOP et de IGP. Les outils existent, il vous faut vous en saisir. La démarche qualité est un investissement à moyen terme qui est la garantie la plus sûre pour le producteur de capter sa juste part de la valeur ajoutée. Encore faut-il que sous le vocable qualité nous n'introduisions pas des éléments de confusion qui troublent plus encore des consommateurs dont la confiance a été ébranlée par la crise de l'ESB, par l'annonce de l'arrivée d'OGM ou par la volonté des États-Unis de nous vendre des viandes hormonées.
La qualité première d'un produit alimentaire aussi banal soit-il est d'être sain, loyal et marchand. Nous devons dans ce domaine apporter à nos concitoyens une garantie indiscutable. Très bien me direz-vous mais les consommateurs veulent aujourd'hui savoir d'où viennent les produits qu'ils consomment. C'est une demande justifiée qui pourra être satisfaite grâce à la mise en œuvre de la traçabilité et de procédures d'assurance-qualité.
Cependant si nous en restions là nous ne ferions que renforcer nos atouts de compétitivité sur le vaste marché des produits de grande consommation. Ce qui est nécessaire mais pas suffisant car nous nous devons d'aller au-delà en valorisant plus encore les richesses de notre terroir. Ce plus à la française, l'exception de l'excellence alimentaire de notre pays est un modèle dont nous n'avons pas encore tiré tous les dividendes. Bien sûr il ne s'agit pas de laisser croire que ces outils de protection de l'authenticité et de typicité de nos produits vont couvrir l'ensemble de la gamme alimentaire. Ce serait les dévaloriser et ruiner les efforts de ceux qui se sont soumis à des règles de production qu'ils ont eux-mêmes élaborés. Mais quand je vois dans mon pays les producteurs de cidre de Cornouaille redonner à ce produit trop souvent banalisé ses lettres de noblesse en le ré-arrimant à un territoire je pressens que des producteurs et des transformateurs de zones plus larges vont s'engager sur cette voie pour satisfaire une demande en expansion.
Cette démarche trouve toujours son origine dans la volonté des producteurs de se donner à eux-mêmes des disciplines que l'État se devra de protéger. Plus encore que les résultats enviés obtenus par nos viticulteurs, c'est cette prise de conscience et cette volonté des producteurs de maîtriser leur destin qui méritent réflexion et qui à sans aucun doute avoir valeur d'exemple.
Bien sûr, comme je l'ai souligné en préalable, il ne s'agit là que d'un des volets de notre politique agricole et alimentaire. Pour la plus grande part, c'est-à-dire les productions soutenues par des aides directes votre rapport d'orientation le met en évidence : le montant des subventions octroyées est supérieur au résultat net d'exploitation. Les soutiens de l'Union européenne à ces productions assurent donc la pérennité économique des exploitations dans le secteur des grandes cultures, des bovins et des ovins viande.
Il s'agit donc d'un sujet très sensible sur lequel il faut se garder de prise de position intempestive. Les échéances internationales qui sont devant nous sont trop importantes.
Elles sont européennes d'abord.
La commission devrait adopter au mois de juillet le « paquet-Santer ».
Ce document de réflexion qui sera soumis au Conseil des ministres, tracera les perspectives d'évolution des politiques communes et de leur financement, dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne.
Ceci nous conduira à discuter des perspectives budgétaires pour la période 2000 à 2005, notamment en ce qui concerne le budget du FEOGA et le financement des politiques régionales.
Mais au-delà des seules contraintes budgétaires, c'est de l'avenir de la PAC dont il sera question et de la poursuite du processus entamé en 1992.
Les négociations d'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale qui débuteront en janvier 1998 constituent un autre défi d'importance. Les élargissements successifs de l'Union européenne dans les décennies précédentes ont prouvé que l'arrivée de nouveaux membres n'était pas synonyme de nouveaux dangers pour notre agriculture, mais qu'elle représentait aussi de nouvelles chances de développement.
Je veillerai à ce que le futur élargissement ne soit pas un prétexte pour démanteler la PAC.
Je suis convaincu que l'Europe abordera d'autant mieux ces échéances que la France sera capable de défendre une politique agricole, pour elle et pour l'Europe, élaborée en concertation avec toutes les organisations professionnelles représentatives, et faisant l'objet d'un consensus minimum.
Voici nos grands chantiers, voilà la méthode, mais il n'en reste pas moins vrai que si l'avenir doit nous préoccuper en permanence, le quotidien au jour le jour parfois trop accaparant, exige que les décisions que vous attendez soient prises.
Le Conseil des ministres de l'Agriculture vient de se terminer à Luxembourg. Je pense que le résultat obtenu est très satisfaisant. J'ai noté le bon accueil que les organisations professionnelles lui ont réservé.
J'ai obtenu satisfaction sur l'ensemble des demandes que je présentais.
La baisse des aides proposée par la commission, qui aurait signifié une modification sans débat de fond des règles de la PAC adoptées en 1992, a été abandonnée.
Le taux de gel des terres pour la campagne prochaine a été fixé plus tôt que la commission ne le voulait, ce qui est indispensable pour nos agriculteurs et à un niveau acceptable de 5 %. Le gel extraordinaire a été suspendu.
Qu'il s'agisse de la viticulture ou la production de tomates, j'ai obtenu les aménagements qui permettront de mieux gérer les marchés en cours de la prochaine campagne.
Certes il ne s'agit que d'une étape. Engrangeons ce succès en étant conscients des échéances qui sont devant nous... Et je ne peux que vous affirmez que je ferai preuve dans toutes les batailles à venir, de la même détermination pour défendre notre agriculture et les moyens de son développement.