« La Tribune ». — Un groupe d’experts qui conseille le gouvernement allemand préconise de couper le quart du budget agricole européen et demande que la moitié de ce qui reste soit cofinancée par les budgets nationaux. Qu’en pensez-vous ?
Jean Glavany. — Les revendications budgétaires allemandes ne sont pas à prendre ou à laisser. Elles sont discutables. En ce qui concerne le cofinancement, la France a dit qu’il est hors de question de cofinancer les aides directes. S’il faut réduire le budget agricole européen, nous préférons une baisse dégressive des aides directes mais sans remettre en cause les acquis communautaires. Enfin il existe déjà, notamment pour des actions de développement rural ou de protection de l’environnement, des politiques cofinancées.
« La Tribune ». — Quelles seraient les modalités d’une telle réduction dégressive des aides directes ?
Jean Glavany. — Elles sont à préciser au cours de la négociation qui s’engage avec nos partenaires et la Commission européenne. En tout état de cause, la baisse devrait tenir compte des gains de productivité propres à chaque secteur. Je voudrais préciser dès maintenant qu’un traitement particulier devra être accordé aux petits producteurs et à ceux qui bénéficient le moins des aides européennes.
« La Tribune ». — Le cofinancement change-t-il quelque chose pour l’agriculteur dans son activité ?
Jean Glavany. — On peut effectivement dire que pour l’agriculteur cela ne change rien mais le cofinancement des aides directes remettrait en cause l’acquis communautaire. La PAC est une politique intégrée et il est donc normal que des aides au marché soient financées par le budget communautaire.
« La Tribune ». — Vous préférez donc une baisse sensible des aides au cofinancement pour alléger le budget agricole européen…
Jean Glavany. — Je suis prêt à accepter une baisse progressive dans le temps des aides directes à l’agriculture, à conditions notamment qu’une telle dégressivité permette de recycler la plus grande partie possible des économies ainsi dégagées au bénéfice d’actions pour le développement rural et la multifonctionnalité de l’agriculture. Il existe là un lien étroit entre d’une part notre position sur la réforme de la PAC en général et la dégressivité des aides en particulier et d’autre part les orientations fixées par le gouvernement dans le projet de loi d’orientation agricole. Le transfert progressif d’une partie des aides directes vers des aides types contrat territorial d’exploitation constitue le moyen de redonner une forte légitimité aux aides accordées à une agriculture dont on reconnaît la multifonctionnalité. Et j’ajoute que cette politique commence à être admise très largement au niveau européen.
« La Tribune ». — Dans le calcul du seuil de la modulation des aides, ne faudrait-il pas tenir compte de l’ensemble des subventions y compris des soutiens indirects comme des quotas de production ou des tarifs douaniers ?
Jean Glavany. — Les aides coûtent très cher et nous avons besoin de les légitimer, qu’il s’agisse de l’argent public national ou européen. Je suis pour un plafonnement des aides, pour qu’il y ait une idée de justice sociale redistributive. Mais si nous décidons de nous engager dans une baisse progressive des aides directes communautaires, le plafonnement et la modulation de ces aides perdraient de leur sens.
« La Tribune ». — Raisonnez-vous en termes de subventions globales y compris les soutiens indirects.
Jean Glavany. — Oui, bien sûr. Mais attention ! En compliquant exagérément les critères de modulation, pour prendre en compte l’ensemble des éléments qui caractérisent les résultats d’une exploitation, nous risquerions de réinventer la fiscalité, ce qui n’est pas l’objectif visé.
« La Tribune ». — Pensez-vous que la France fait assez d’effort pour boucler l’agenda 2000 ?
Jean Glavany. — À partir du moment où elle accepte de discuter de la PAC, elle fait beaucoup d’efforts. Mais tout le pari que nous faisons, c’est justement de réorienter cette PAC, pour redonner une légitimité à ces aides à l’agriculture notamment en les découplant de la production de manière à préserver le territoire, protéger l’environnement et accroître la qualité des aliments. Il s’agit d’un enjeu majeur.