Interviews de M. Edouard Balladur, député RPR, à France 3 et à Europe 1 le 20 juin 1997, sur la déclaration de politique générale de M. Lionel Jospin, la cohabitation et les propositions du gouvernement Jospin concernant les dépenses publiques et l'Europe sociale.

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Média : Europe 1 - France 3 - Télévision

Texte intégral

France 3 : vendredi 20 juin 1997

L. Bignolas : L. Jospin a donc annoncé le programme : un calendrier et quelques mesures spectaculaires parmi lesquelles celle concernant les allocations familiales. C’est un sujet sur lequel vous aviez travaillé. Vous trouvez que c’est une bonne mesure ?

Édouard Balladur : Non, je ne le pense pas. Je pense que le système français d’allocations familiales est fondé sur l’idée qu’il faut aider toutes les familles à élever leurs enfants. D’ailleurs, le critère que l’on a pris consiste à exclure 500 000 familles. 500 000 familles, ça fait beaucoup de monde et pour une grande partie, ce sont des classes moyennes, purement et simplement. Et je trouve que c’est une mesure tout à fait inadaptée et tout à fait critiquable.

G. Leclerc : Sur la première partie du discours de Lionel Jospin, c’est-à-dire, je dirais, sur la réhabilitation du politique, est-ce que vous seriez prêt à voter certains textes, comme par exemple la parité hommes-femmes, les cumuls ou encore la réforme de la justice ?

Édouard Balladur : Écoutez, je voudrais vous dire sur le discours de M. Jospin : il vient d’arriver, il fait un discours dans lequel il affirme les idées qui sont les siennes et qui sont celles qu’il a annoncées pendant la campagne. Laissons-lui le temps. Cela étant, on peut déjà porter un certain nombre de jugements. Parité hommes-femmes : j’avais développé ce thème durant la campagne présidentielle quand j’étais moi-même candidat. J’y suis complètement acquis. Lutter contre les cumuls, je le souhaite également. Pour le reste, ce qui est l’essentiel, c’est-à-dire la politique économique et sociale du Gouvernement, je constate que le problème français d’aujourd’hui, c’est de lutter contre le chômage et pour l’emploi. Et je n’ai rien aperçu dans la deuxième partie du discours de M. Jospin de précis, de concret et d’efficace pour avoir plus de croissance et plus d’emplois.

G. Leclerc : Pour vous, ce que propose Lionel Jospin, c’est une vraie rupture ou c’est juste un changement ou un aménagement ?

Édouard Balladur : Mais je crois que c’est surtout le statu quo ou sinon même le retour vers le passé. Que font tous les pays qui nous entourent ? Nous ne sommes pas seuls au monde tout de même, nous sommes en Europe. Que font-ils ? Ils abaissent leurs dépenses publiques, ils abaissent leurs impôts et ils donnent plus de souplesse à toutes les réglementations pour qu’il y ait davantage de liberté pour créer des emplois. Que propose M. Jospin ? Il ne propose pas une baisse des dépenses publiques, il propose même une augmentation. En fait, il ne propose pas de baisse d’impôts non plus et il n’a proposé aucune mesure pour assouplir la réglementation qui empêche la création des emplois. Je constate donc que ce projet ne répond pas aux perspectives et aux besoins de la société française.

G. Leclerc : Est-ce que la France peut tout de même réussir le rendez-vous européen de Maastricht même si on n’aboutit pas au fameux critère de 3 % concernant les déficits, même si on est à un petit peu plus ?

Édouard Balladur : Il faut bien voir que c’est un objectif vital pour la France que de réussir à entrer dans la monnaie européenne, comme les autres. Et si d’aventure elle ne devait pas y entrer, ce serait un échec majeur. C’est notre intérêt. Ce n’est pas de l’idéologie, mais c’est notre intérêt. Pour cela, il faut que nous réduisions nos dépenses.

L. Bignolas : Sur l’Europe, justement qui décide ? Le Président a son mot à dire et on l’a entendu jusqu’à présent soutenir le Gouvernement.

Édouard Balladur : Oui, mais le président de la République n’a pas soutenu la déclaration de politique générale de M. Jospin que je sache. Faut savoir ce qu’on veut : ou bien on veut être dans l’Europe ou bien on veut être hors de l’Europe. Pour être dans l’Europe, il faut réduire nos dépenses, c’est une nécessité absolue et également pour diminuer le chômage, il faut réduire nos dépenses. Alors si on dit : je veux être dans l’Europe, je veux diminuer le chômage mais je ne réduis pas les dépenses et je ne réduis pas les impôts, eh bien, on tient un langage parfaitement contradictoire. Alors je souhaite que M. Jospin – il vient de faire des déclarations assez générales – puisse préciser les choses rapidement car si c’est la voie dans laquelle il devait engager notre pays, ce serait une impasse.

L. Bignolas : Sur quelle ligne commune l’opposition va réussir à s’entendre ?

Édouard Balladur : L’opposition doit d’abord être unie.

L. Bignolas : Mais ça tire dans tous les sens en ce moment.

Édouard Balladur : Oui, mais ce sont des périodes de transition. Je suis persuadé que tout cela va se mettre en place et elle doit proposer aux Français un projet alternatif à la politique socialiste. Or, il n’y en a pas cinquante, il y en a un seul : que fait-il dire aux Français pour leur donner le sentiment qu’il y a une différence ? C’est que d’un côté, il y a le socialisme et de l’autre il y a la liberté, il y a l’Europe et il y a le dialogue. Voilà, me semble-t-il, le projet qui doit inspirer l’opposition pour donner aux Français le sentiment qu’ils ont un choix devant eux.


Europe 1 : vendredi 20 juin 1997

Europe 1 : Premier ministre, vous avez connu cet exercice, cet examen devant l’Assemblée nationale et devant le pays. Vous en avez certainement connu les peurs, les joies, les fiertés. Peut-on accorder, avant de l’attaquer, quelques qualités à un adversaire ?

Édouard Balladur : Bien entendu ! Cela va de soi. Sans quoi ensuite, ce que l’on dirait serait frappé de suspicion.

Europe 1 : Vous avez entendu L. Jospin parler de pacte, de contrat, de République, de morale civique. Dans les commentaires, on le compare à Mendès-France, à la politique de la vertu de Mendès. N’y a-t-il pas quelque chose qui ressemble à cela ?

Édouard Balladur : Je ne le sais pas. Tout ce que je sais, c’est que parler de pacte républicain, de vertu et de morale, qui ne serait pas d’accord ? Les problèmes commencent quand il s’agit ensuite de voir quelle est la politique qui est menée, quelles sont les mesures qui sont prises. C’est beaucoup plus intéressant que les déclarations générales.

Europe 1 : Ça commence toujours comme ça ?

Édouard Balladur : Pas nécessairement. On n’est pas obligé de commencer par les généralités. Je pense de façon générale qu’il vaut mieux être plus précis. Je vais vous donner mon sentiment sur la déclaration qu’a faite M. Jospin : si j’ose dire, à quoi servent un gouvernement et des élections ? C’est d’avoir un projet – de le faire adopter – qui réponde aux besoins du pays. Quels sont les besoins de la France aujourd’hui ? Elle n’a pas assez de croissance ; elle n’a pas assez d’emplois ; elle a trop de chômage ; son système scolaire doit être modernisé ; ses finances sont en déficit ; sa protection sociale également.

Europe 1 : Lionel Jospin a voulu parler aux Français ; répond-il à ces demandes et ces besoins ?

Édouard Balladur : Eh bien, il ne me semble pas qu’il y réponde. Qu’y a-t-il dans ce que nous a exposé M. Jospin hier qui permette d’espérer le retour d’une croissance plus forte et d’un emploi plus abondant ? Je n’ai rien entendu là-dessus, rien.

Europe 1 : Mais c’est un début : il vous annonce un calendrier.

Édouard Balladur : J’ai entendu tout ça. Mais dans le calendrier de ces réunions multiples et qui sont sans doute nécessaires, je n’ai pas entendu que l’on parlait de réduire les dépenses publiques. On va au contraire les augmenter. Je peux en donner la liste, si vous voulez : cela représente une bonne cinquantaine de milliard de Francs.

Europe 1 : Vous avez calculé, même approximativement, le montant des dépenses publiques ?

Édouard Balladur : Approximativement, cela représente 50 milliards de dépenses de plus. Ce n’est pas comme cela qu’on relancera la croissance : c’est le contraire de ce qu’il faut faire. Deuxième point : pour relancer la croissance dans le pays et retrouver l’emploi, il faut réduire les impôts et les cotisations. Ai-je entendu, avez-vous entendu quelque chose là-dessus ? Moi rien.

Europe 1 : Ça arrive, a-t-il dit.

Édouard Balladur : Ça arrive ? Ah bon ? Écoutez, il y a beaucoup d’intentions pour le futur : je n’ai pas entendu une intention sur ce futur-là. Donc, ce que je redoute, c’est que le problème fondamental de la France qui est l’insuffisance de croissance et l’excès de chômage ne soit en rien pris à bras-le-corps pour être résolu. C’est ma première appréciation. En second lieu, il faut également s’efforcer d’être cohérent. Lionel Jospin a affirmé à la fois une ambition européenne et à l’intérieur, il a affiché une politique économique et sociale. Bien. Est-ce que les deux sont compatibles ?

Europe 1 : Quelle réponse donnez-vous ? Hier, il s’est montré plutôt européen et europhile.

Édouard Balladur : Oui, oui, les intentions, c’est très bien, mais ce qui compte, c’est les résultats. La France a un intérêt majeur à entrer dans l’Europe et à bâtir la monnaie européenne. Cela va se décider dans les huit mois qui viennent.

Europe 1 : On y va ou non ?

Édouard Balladur : Dans l’état actuel des choses, si on augmente les dépenses, si on rigidifie encore notre système social, je ne vois pas comment on pourra tenir nos ambitions européennes. Donc, c’est là, à mes yeux, une deuxième insuffisance et une deuxième contradiction.

Europe 1 : En écoutant Lionel Jospin présenter les prémisses de sa politique économique, vous dites qu’il y a contradiction avec la vision européenne et qu’à un moment ou à un autre il y aura crise ?

Édouard Balladur : Je ne parle pas de crise : je dis qu’il y a contradiction.

Europe 1 : Vous ne dites pas qu’il prépare le renoncement à l’Europe ?

Édouard Balladur : Non, je ne dis pas cela non plus : je dis simplement qu’il devrait s’astreindre à un exercice de cohérence qu’il ne me paraît pas avoir poussé assez loin. Je sais bien que ce qui sous-tend tout cela et ce qui d’ailleurs fait l’objet de tous les commentaires, c’est de dire : on a le temps, on fait cela sur cinq ans, etc. Mais la question est de savoir si nous avons les temps, nous, Français. Faut-il encore prendre des années pour retrouver la croissance et l’emploi ? Nos partenaires européens sont-ils prêts à nous attendre ? La réponse est non. Donc, je trouve que c’est un programme qui est beaucoup trop vague, général sur les grands enjeux de la politique française et qui dans une certaine mesure, est contradictoire.

Europe 1 : Vous aviez réclamé un audit en 1993, d’ailleurs pas trop sévère.

Édouard Balladur : Ah bon ?

Europe 1 : Il avait été sévère ?

Édouard Balladur : Écoutez, la gauche avait présenté un budget de 160 milliards de déficits, et il était apparu que c’était 360 milliards, plus de deux fois plus.

Europe 1 : Redoutez-vous l’audit que vont préparer les experts choisis par le Premier ministre ? Ne pensez-vous pas qu’on va vous faire le coup du bilan calamiteux ?

Édouard Balladur : Oui, mais la question n’est pas là. La situation de nos finances publiques s’est améliorée depuis quatre ans, mais il y a encore beaucoup à faire. Je le reconnais très volontiers. À partir de là, si on veut noircir le tableau, il faudra très clairement expliquer à nos partenaires européens comment nous allons faire pour tenir nos engagements européens. Si on veut noircir le tableau, il faudra expliquer à toutes les catégories sociales françaises envers lesquelles on a fait toute une série de promesses comment on va tenir ces promesses. Nous verrons bien le résultat et les conséquences qui seront tirées de cet audit.

Europe 1 : Mais Lionel Jospin s’est montré européen et a signé le traité d’Amsterdam.

Édouard Balladur : Oui, et il s’est targué d’avoir obtenu en manière sociale de grandes satisfactions. Je me suis reporté au texte de cet accord d’Amsterdam sur les questions sociales. Voilà ce qu’on dit : il faut une restructuration restrictive des dépenses publiques – cela veut dire qu’il faut réduire les dépenses publiques. Est-ce que M. Jospin le fait ? Non. Ensuite, on nous dit qu’il faut continuer revoir les systèmes d’imposition et de protection sociale. Que fait M. Jospin ? Est-ce qu’il le fait ? Non. Ensuite, on nous dit qu’il faut revoir les systèmes d’allocations en systèmes volontaristes capables d’améliorer l’emploi. Est-ce qu’on le fait ? Réponse : non. Enfin, on nous dit qu’il faut continuer en matière de modération salariale à poursuivre les efforts. M. Jospin se targue d’avoir obtenu des éléments sociaux à Amsterdam qui vont en contradiction avec toutes les promesses qu’il a faites hier dans son discours de politique générale.

Europe 1 : Vous êtes mordant ce matin, M. Balladur ! M. Jospin et ses ministres vous répondront. N’avez-vous pas trouvé d’éléments positifs par exemple, dans le domaine de la modernisation de la démocratie, de l’harmonisation de la durée des mandats électifs sur la base de cinq ans ?

Édouard Balladur : Oui, pourquoi pas, cela ne me paraît pas un point fondamental que les maires soient élus pour cinq ans ou six ans, mais pourquoi pas ?

Europe 1 : La parité hommes-femmes ?

Édouard Balladur : Je suis tout à fait d’accord. Je vous rappelle qu’au cours de la campagne présidentielle il y a quatre ans, j’avais proposé – j’avais d’ailleurs été très critiqué – une modification de la Constitution pour améliorer la représentation des femmes dans la vie publique. Cela, je l’approuve.

Europe 1 : La justice ?

Édouard Balladur : Il faut voir avec précision : que la justice soit indépendante, c’est indispensable ; que le Parquet puisse être géré différemment, pourquoi pas. Quant au reste, je n’ai pas compris ce que voulait dire que les juges soient responsables devant le peuple. Je n’ai pas très bien compris ce que ça voulait dire.

Europe 1 : Ne craignez-vous pas que les affaires de gauche et de droite émergent de nouveau et se développent ?

Édouard Balladur : À la suite de la défaite que nous avons connue, la question était de savoir si l’on essayait d’avoir une opposition la mieux organisée possible. Cela a commencé bien entendu par le maintien de l’unité du RPR. J’ai donc choisi, avec ceux qui sont proches de moi, de faire en sorte que cette unité soit maintenue, mais dans le respect de la diversité, dans le respect des opinions de chacun et dans le respect des règles de fonctionnement plus adaptées à notre temps.

Europe 1 : Ne craignez-vous pas que les affaires de gauche et de droite émergent de nouveau et se développent ?

Édouard Balladur : La justice fera son œuvre. Elle remplira sa mission. Je n’ai pas de jugement à porter là-dessus.

Europe 1 : La droite est en train de se réorganiser. Pourquoi vous et les vôtres avez-vous choisi de vous accorder avec P. Séguin pour la présidence du RPR ?

Édouard Balladur : À la suite de la défaite que nous avons commune, la question était de savoir si l’on essayait d’avoir une opposition la mieux organisée possible. Cela a commencé bien entendu par le maintien de l’unité du RPR. J’ai donc choisi, avec ceux qui sont proches de moi, de faire en sorte que cette unité soit maintenue, mais dans le respect de la diversité, dans le respect des opinions de chacun et dans le respect de règles de fonctionnement plus adaptées à notre temps.

Europe 1 : Cela veut-il dire que dans l’accord, N. Sarkozy doive devenir secrétaire général du RPR ?

Édouard Balladur : Ce serait une excellente solution.

Europe 1 : Sinon ?

Édouard Balladur : C’est une excellente solution : les solutions excellentes, en général, ne comportent pas d’alternatives.

Europe 1 : Je vous interrogerai plus tard sur la manière dont se gère la cohabitation.

Édouard Balladur : C’est un sujet qui va revenir sur le devant de la scène, sans doute.