Interviews de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, à RTL le 22 février 1999, RMC le 24 et à France-Inter le 25, sur les manifestations des agriculteurs contre la réforme du financement de la PAC négociée à Bruxelles, le cofinancement de la PAC et la baisse des prix agricoles garantis.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission Journal de 8h - Emission L'Invité de RTL - France Inter - RMC - RTL

Texte intégral

RTL : lundi 22 février 1999

Q - Vous êtes à Bruxelles pour participer aujourd'hui aux manifestations d'agriculteurs contre la réforme de la Politique agricole commune. On nous dit qu'il y a des mesures de sécurité exceptionnelles. C'est justifié, à votre avis ? Les manifestations peuvent dégénérer ?

- “C'est justifié dans le sens où il y a de nombreux agriculteurs, puisque nous avions prévu 30 000 agriculteurs de toute l'Europe, et ce chiffre risque fort d'être dépassé. Mais je crois qu'il ne faut pas en rajouter. Les agriculteurs savent aussi organiser les manifs et être tout à fait respectueux des biens et des personnes. En tout état de cause, notre objectif n'est pas de dégénérer, bien au contraire ! Car, nous avons besoin de l'appui de l'opinion publique.”

Q - Ceux qui ont saccagé le bureau de D. Voynet, il y a 15 jours sont présents à Bruxelles ?

- “Ce qui s'est passé chez Mme Voynet est un dérapage par manque de préparation, d'action syndicale, pendant le temps où il y avait 50 autres manifestations dans toute la France. Je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de personnes qui étaient à Paris qui soient présentes ici. Mais les départements qui étaient représentés le seront, bien sûr, ici à Bruxelles.”

Q - Vous leur avez demandé de ne pas venir ?

- “Non, nous leur avons demandé à tous d'être très respectueux. Et d'ailleurs, pour ce qui concerne la délégation française, nous avons mis des moyens en oeuvre de façon très très forte au point de vue de l'organisation : un encadreur pour dix avec des brassières de différentes couleurs pour bien identifier les manifestants, car nous ne voulons pas de débordement de l'extérieur. Nous avons fait cela de façon très réglementaire et très professionnelle.”

Q - Toute la difficulté de la négociation vient d'une question qui dépasse la Politique agricole commune : les Allemands ne veulent plus payer autant pour l'Europe. Vous comprenez qu'il faut le prendre en compte ?

- “Bien sûr que nous comprenons qu'il faut tenir compte, globalement, du budget européen ; et les Allemands considèrent qu'ils y contribuent très fortement. Je tiens simplement à dire qu'il faut tout relativiser. Parce que si nous avions complètement intégré sur toutes les politiques, nous verrions qu'il y a beaucoup moins de différences entre les uns et les autres. Malheureusement, aujourd'hui, depuis de nombreuses années, il n'y a véritablement que la Politique agricole commune qui est concernée. C'est pour cela que les Allemands reçoivent moins que les Français. Et j'en profite pour dire que lorsqu'on dit que les agriculteurs consomment 50 % du budget européen, c'est vrai, mais cela ne représente que 0,5 % du PIB de l'ensemble de l'Union européenne.”

Q - Autrement dit, s'il y a des économies, il faut les faire ailleurs que sur l'agriculture ?

- “Non, l'agriculture doit y contribuer comme tout le monde, mais avec ces 0,5 % du PIB, il faut voir quelle utilisation on en fait pour l'agriculture et pour l'ensemble de la société.”

Q - Que pensez-vous accepter ? Par exemple, on a parlé de cofinancer par les Etats, la Politique agricole commune, et non plus par l'Europe.

- “A chaque fois que l'on renationalise, que l'on cofinance par les Etats, on s'éloigne de la politique européenne. Et au moment où l'on vient de mettre la monnaie unique en place, détruire la première politique qui existait, ce serait complètement aberrant.”

Q - Vous craignez qu'elle soit détruite ?

- “Nous craignons surtout qu'elle soit détruite progressivement, parce que si on attaquait franchement la Politique agricole commune, ce serait grave. Mais on s'en rendrait compte. Tandis qu'aujourd'hui, avec ces mesures insidieuses de cofinancement, d'enveloppes nationales, de renationalisations, c'est la fin programmée de la Politique agricole commune. Nous voulons qu'elle reste, cette Politique agricole commune !”

Q - La baisse progressive des aides sur certains produits agricoles – ce qu'on appelle la dégressivité – c'est une logique que vous pouvez accepter ?

- “La logique que nous pouvons accepter sur la dégressivité permet de faire quelques économies. Mais, en tout état de cause, nous ne voulons pas que cela soit supérieur aux gains de productivité – c'est-à-dire à l'évolution des rendements -, mais qu'elle touche les productions qui ne sont pas stabilisées, ou qui sont en difficulté.”

Q - Par exemple !

- “Par exemple, la production ovine. Dire aujourd'hui que les producteurs ovins verront diminuer leurs soutiens chaque année, c'est véritablement scandaleux quand on sait le niveau de revenus qu'ont déjà ces gens en France.”

Q - Vous avez l'impression que tout se passe bien entre vous et le Gouvernement. Vous soutenez J. Glavany ?

- “Aujourd'hui, il y a une position prise en France qui est de faire front uni entre le Gouvernement et le Chef de l'Etat. C'est ce que nous comptons bien soutenir pour que, véritablement, soit pris en compte – non pas uniquement l'agriculture – l'aspect des conséquences de l'agriculture sur l'ensemble de la société. Alors, M. Glavany a la responsabilité de négocier pour l'agriculture, nous demandons qu'il n'y ait pas d'accord agricole tant qu'il n'y a pas d'accord budgétaire et politique en général.”

Q - Un manifestant paysan dans le Sud-Ouest disait : on soutient J. Glavany avec des baïonnettes dans le dos pour qu'il ne recule pas. Cela vous convient comme image ?

- “Tout à fait. D'ailleurs, ce n'est pas le Premier ministre qui se trouve dans cette situation. Peut-être n'y était-il pas préparé. Mais, aujourd'hui, c'est clair. Si nous disons à M. Glavany : “Vous allez négocier”, ce n'est pas pour qu'il revienne nous dire, demain : - “Je n'ai pas pu faire autrement.” Nous savons qu'il y aura des négociations finales, certes, mais il y a des questions de principe que nous ne pourrions pas accepter, comme la diminution des prix qui ne serait pas compensée. Si ce n'est pas compensé au niveau de Bruxelles, il faudra retrouver le moyen d'assurer le revenu des agriculteurs. Ce que nous ne pouvons pas non plus accepter, c'est la remise en cause des organisations communes de marché. C'est quoi les organisations communes de marché ? C'est les filets protecteurs qui évitent que les agriculteurs soient complètement exposés aux fluctuations mondiales ou climatiques.”

Q - Vous avez l'impression que l'on parle d'une seule voix entre l'Elysée et Matignon ?

- “Pour l'instant, oui. Mais, j'attends de voir jusqu'à la fin, parce que ce qui compte c'est le résultat.”

Q - Vous avez l'air un peu méfiant ?

- “Bien sûr, il faut toujours être méfiant dans les négociations. Il y a 15 pays. Donc, il peut toujours y avoir, au dernier moment, quelques chausse-trappes qui seraient dangereuses pour l'agriculture.”

Q - Depuis que l'on a saccagé le bureau de D. Voynet, elle s'intéresse de plus en plus aux dossiers agricoles.

- “Mme Voynet a tout à fait de s'intéresser à l'agriculture, mais je crois qu'il ne faut pas faire d'amalgame. Si Mme Voynet veut s'occuper d'agriculture, il faut qu'elle commence d'abord par accepter que l'agriculture, pour qu'elle puisse exister, doive vivre économiquement.”

Q - Oui, mais rajouter des préoccupations d'environnement, cela se défend aussi ?

- “Oui, mais à condition de ne pas casser l'économie. Nous sommes tout à fait favorable, dans l'agriculture, à tout mettre en oeuvre – nous avons d'ailleurs bien commencé – pour avoir des pratiques plus respectueuses de l'environnement. Mais il faut respecter d'abord, et assurer le revenu des agriculteurs. Parce que, mettre des contraintes supplémentaires…»

Q - Par exemple, des taxations sur les activités polluantes ?

- “Tout à fait ! Nous préférons que l'on taxe ceux qui ne veulent pas respecter, mais qu'en aucun cas l'on taxe tout le monde avant de commencer à travailler. Nous préférons la prévention plutôt que l'éradication.”


RMC : mercredi 24 février 1999

Q - Avant-hier, vous étiez allé à Bruxelles manifester avec les paysans français et européens. Depuis, les négociations pour la réforme de la PAC piétinent. Vous diriez, comme certains, qu'en ce moment, il y a une atmosphère de crise à Bruxelles ?

- “Je ne sais si c'est vraiment la crise mais on est dans une situation quand même très ardue. Ce que l'on a entendu, depuis lundi, dans les négociations, nous montre que c'est très difficile, qu'il faut être très ferme. Hier, avec mon collègue, le président du CNJA, j'ai appelé à beaucoup de fermeté de la France et en particulier du ministre de l'Agriculture qui a toute la charge sur ses épaules aujourd'hui. Je crois qu'il est important pour l'agriculture – les décisions qui vont se prendre -, mais surtout, j'allais dire, pour la construction européenne. Et le débat de crise, ou presque, entre la France et l'Allemagne, montre que c'est un sujet d'avenir qui est très présent et sur lequel il n'y a pas de raison que ce soit l'agriculture qui en fasse les frais.”

Q - Par parenthèses, M. Glavany est un tout nouveau ministre de l'Agriculture ; est-ce que vous êtes satisfait par sa manière de mener les négociations ?

- “Dans des négociations comme celles-ci, bien sûr chacun joue son rôle : le ministre de l'Agriculture, mais cela se passe aussi à des niveaux budgétaires et de politique générale. Pour l'instant, nous avons demandé à Monsieur le ministre de l'Agriculture d'être ferme par rapport à ce que nous avons demandé, mais aussi ce qu'il a exprimé. C'est l'avenir de l'agriculture, avec des hommes et des femmes responsables, qui vivent d'abord de leur métier avant de vivre d'aides compensatoires aléatoires, et donc, aujourd'hui, le ministre de l'Agriculture semble, sur ce que j'ai entendu hier, montrer beaucoup de fermeté. Il lui en faudra sans doute encore beaucoup si l'on veut ne pas passer par pertes et profits l'agriculture française.”

Q - Qu'avez-vous pensé lorsque vous avez entendu M. Vasseur, ancien ministre de l'Agriculture, dire qu'il avait un désaccord sur le fond et la forme entre le Président de la République et le Premier ministre. C'est inquiétant, si c'est vrai ?

- “Je laisse à M. Vasseur ses propos.”

Q - Oui mais enfin, vous êtes au courant ? Vous êtes bien placé pour savoir si…

- “Je suis bien placé, je suis responsable…”

Q - Vous êtes au centre du dispositif ?

- “Si c'était moi qui décidais tout, ça serait quand même peut-être plus facile pour moi, quoique j'aurais toute la responsabilité sur le dos aussi.”

Q - Est-ce que vous avez senti parfois des divergences, des appréciations différentes ?

- “Je crois que la volonté de la France a été d'avoir un front uni. D'ailleurs, le Gouvernement, ainsi que le Président de la République, se réunissent encore aujourd'hui pour savoir quelle est la stratégie à prendre. Je crois que c'est une bonne mesure, si l'on peut, pour arriver à quelque chose de cohérent. Alors après, qu'il y ait des divergences ou des différences d'appréciation ou d'orientation, si on disait qu'il n'y en avait pas du tout, tout le monde serait surpris, parce qu'on est quand même en cohabitation. Mais je crois que l'essentiel, aujourd'hui, et le monde l'a démontré, c'est de vouloir avoir une position commune. Alors, il doit y avoir des débats certainement, mais je crois que l'essentiel, c'est qu'on puisse arriver, autant pour l'agriculture que pour l'ensemble de l'Europe, parce que ce débat, n'oublions pas qu'il est agricole mais aussi budgétaire, élargissement, politique au niveau international pour les négociations futures, on a besoin de beaucoup de solidarité française.”

Q - Est-il faux de dire que les paysans français, la France a beaucoup, beaucoup profité de la Politique agricole commune, et que finalement, au bout du compte, après tant d'années de bons profits, il n'est pas anormal qu'il y ait un petit retour de balancier ?

- “Je crois qu'il faut être clair là-dessus : La France – l'agriculture française – a bénéficié de la Politique agricole commune. Mais c'est la mission à la construction européenne qu'on lui a confiée. A l'époque, il y avait une sorte de deal qui a été passée entre la France et l'Allemagne, où on a demandé à la France de mettre plein pot pour pouvoir répondre à la demande alimentaire européenne et mondiale, et on l'a fait. Et puis, l'Allemagne devait s'occuper un peu plus de l'industrie. Alors, la France a fait l'agriculture, un peu d'industrie.”

Q - Qui a fait ce deal-là ? C'était aussi clair que ça ?

- “C'était la construction européenne, à l'époque, et donc ça s'est engagé là-dessus. L'Allemagne a fait l'industrie mais aussi elle a fait l'agriculture, et à la réunification, elle s'est trouvée un pays agricole plus fort qu'elle ne l'était auparavant. Donc l'agriculture française en a bénéficié. Je crois qu'elle a bien répondu à la demande pour les consommateurs français et européens. Il ne faut quand même lui reprocher tous ces éléments-là aujourd'hui. Et puis il y a eu d'autres ajustements de la Politique agricole commune, un certain moment…”

Q - Mais sans lui reprocher le passé, finalement, les aiguilles tournent ?

- “Je crois qu'il ne faut pas oublier non plus, parce qu'on a parlé beaucoup de débat budgétaire, aujourd'hui, et on entend partout dire – chez vous, vos collègues, les journalistes et les hommes politiques souvent extérieurs à la France – que l'Europe agricole coûte 50 % du budget. Je rappelle qu'au début de l'Europe, lorsque nous étions tous seuls nous coûtions 100 % du budget et qu'aujourd'hui, 50 % du budget, ça ne fait que 0,5 % du PIB pour assurer la sécurité alimentaire en quantité, en qualité. L'environnement, l'aménagement, l'emploi réparti sur le territoire et la présence européenne sur les marchés mondiaux, reconnaissez que c'est un très, très bon investissement pour l'Europe. Alors, qu'on arrête de dire que la Politique agricole coûte cher. Bien sûr, c'est elle qui coûte le plus cher, parce que les autres, il n'y a pas de politique. Alors ensuite, on est sur le budget, aujourd'hui, où l'Allemagne dit : je veux payer moins. Mais si l'on globalise tous les avantages de l'Allemagne autres qu'agricoles aussi, on s'aperçoit que la différence est beaucoup moins importante.”

Q - Au bout du compte, vous acceptez l'idée que les agriculteurs français touchent un petit peu moins ? Ce serait dans l'ordre des choses ?

- “Je suis chargé de défendre les agriculteurs dans la société et leur revenu. Et ça se saurait si les agriculteurs avaient plus de revenus que l'ensemble de la moyenne européenne. Je rappelle qu'en 92, ce n'est pas nous qui avons demandé à ce que l'on baisse les prix pour pouvoir nous donner des aides compensatoires, que nous avons aujourd'hui ; que depuis 92, alors que tout le monde salarié a eu deux, trois points d'évolution de son salaire parce qu'il y avait eu l'inflation, nous, nous n'avons pas eu d'évolution – aucune – sur la revalorisation de nos prix. Donc, baisse des prix, pas de rattrapage en ce qui concerne l'inflation, et aujourd'hui encore, on nous dit qu'on nous baisse nos aides ! Nous souhaitons un point de valorisation de nos produits !”

Q - Les revenus agricoles n'ont pas baissé, ces dernières années, vous le savez bien…

- “Le revenu global de l'agriculture française, depuis 92, a baissé ! Mais comme le nombre d'agriculteurs a fortement baissé, lui, le revenu moyen a eu tendance à se stabiliser et quelques années à augmenter. Mais si c'est cela l'objectif de la Politique agricole commune, de faire en sorte que les quelques-uns qui vont rester demain, si ça continue, auront abandonné. Ce n'est pas notre objectif. Notre objectif, c'est une population nombreuse, répartie sur le territoire, qui peut réaliser toutes les missions qui lui sont confiées, qui vive d'abord par la rémunération de son travail, la valorisation de ses produits mais aussi toutes ces missions qu'on appelle “multifonctionnelles” sur l'ensemble du territoire - c'est-à-dire qui répondent à la demande de la société. Aujourd'hui, plus que jamais, nous voulons répondre à la demande de la société. Il y a 30 ans, on nous a demandé de produire parce qu'on manquait de nourriture. En 53, on avait des tickets de rationnement dans ce pays. Et aujourd'hui, on nous demande de l'alimenter en quantité, en qualité, de faire de l'aménagement du territoire, de l'environnement, de l'emploi. Et nous disons : présents !”

Q - Quand on dit que, finalement, dans ce système de la Politique agricole commune, c'était les gros qui touchaient et les petits qui devaient se débrouiller…

- “Là aussi, il y a un procès qui est fallacieux.”

Q - C'est pas un peu vrai, quand même ?

- “Aujourd'hui, les aides qui sont portées aux agriculteurs sont fonction des décisions qui ont été prises en 92 pour compenser une situation qui était auparavant, et qui ont même été réduites en fonction de l'Etat. Aujourd'hui, qu'il y ait des ajustements à faire, qu'il y ait du rééquilibrage à faire, nous ne le contestons pas. Et ces rééquilibrages et ces aménagements sont en route déjà depuis de nombreuses années. Mais l'essentiel, quand on fait du rééquilibrage, ce n'est pas de casser la mécanique. A quoi servirait-il d'améliorer la situation de trois ou quatre si, de l'autre côté, on remettait en cause trois ou quatre autres. Donc il y a un équilibre progressif qui doit se faire et nous ne l'avons jamais contesté. A condition que ces mesures de rééquilibrage ne soient pas des mesures de distorsion de concurrence avec les autres pays de l'Union européenne. Et c'est pourquoi nous disons : des mesures de rééquilibrage, voire de plafonnement, de régulation, au niveau européen, pourquoi pas ? Mais surtout pas dans chacun de pays parce que ça serait une renationalisation qui serait fatale pour beaucoup d'exploitations de notre pays et d'autres pays.”

Q - Si jamais il y avait une crise à Bruxelles et qu'on ne pouvait pas s'en sortir, vous allez casser quel ministère ?

- “Nous ne casserons aucun ministère ; nous continuerons la pression syndicale sereinement, comme nous l'avons fait depuis maintenant des années, et en particulier un mois. Bien sûr, il y a eu un petit dérapage par rapport à 100 actions syndicales qui se sont déroulées sur le terrain. Je ne veux pas dire c'est peu, c'est trop. Mais ne parlons pas que de ça. Et puis nous avons quand même rassemblé 25 000 agriculteurs français avec 50 000 agriculteurs dans le calme…”

Q - A Bruxelles…

- “Je crois que nous sommes capables de faire des actions syndicales revendicatives déterminées, mais aussi respectueuses des autres.”

Q - Un mot sur l'eau : vous partagez l'avis de Mme Voynet notamment ?

- “Je partage les orientations de Mme ::Voynet sur la qualité de l'eau ; je ne partage pas la technique de Mme Voynet qui veut faire payer tout le monde ! Avant de faire des efforts, nous préférons les soutiens à la prévention que la sanction. Si vraiment il y en a quelques-uns qui ne veulent pas respecter les règles, il faudra qu'ils soient sanctionnés. Mais aujourd'hui, il faut beaucoup plus agir en amont, aider les agriculteurs à continuer ce qu'ils font déjà d'amélioration sur la qualité de l'eau, des paysages et de l'environnement. Et c'est comme cela qu'on y arrivera ! Il vaut mieux que tous les agriculteurs fassent un bout de chemin plutôt qu'il y en ait quelques-uns qui le fassent et que les autres soient tous sanctionnés. Ce n'est pas comme ça que nous concevons l'action de promotion, de prévention. Je crois que là-dessus, on pourra peut-être y arriver, mais c'est dur. Mais l'objectif est le même, je tiens à le dire.”


France Inter : jeudi 25 février 1999

Q - Derrière le bras de fer franco-allemand sur la réforme de la PAC, n'est-ce pas en réalité les enjeux de l'Organisation mondiale du commerce qui sont engagés ? Avec cette question, jusqu'où la déréglementation ira-t-elle ? Le ministre français de l'Agriculture, J. Glavany, qui affirme exprimer le point de vue commun du Président de la République et du Premier ministre, refuse le projet allemand d'une baisse des prix de 20 % sur les céréales et de 30 % sur la viande en partie compensée par des subventions européennes. Les agriculteurs manifestaient à nouveau, hier, à Bordeaux. Revoilà une réforme de la PAC, comme en 1992, sauf qu'en 1992, elle a finalement amené des choses positives cette réforme ?

- “La réforme de 1992, bien sûr comme les autres réformes qu'il y a eu dans les années passées, était nécessaire. Il y a toujours des réformes nécessaires dans l'Europe. On dit que cela a été positif, positif dans les résultats par rapport à ceux qui sont restés. N'oublions pas qu'il y a eu un départ massif d'agriculteurs et c'est comme cela qu'on a maintenu le revenu des agriculteurs et c'est comme cela qu'on a maintenu le revenu des agriculteurs, de ceux qui sont restés. Et puis, on a complètement oublié qu'en 1992 nous avions eu une conférence annuelle, ici, en France sous M. Bérégovoy qui avait réduit les charges de l'agriculture et qui a permis de maintenir le revenu. Sans cela, cela aurait été catastrophique.”

Q - Mais est-ce qu'en 1992 tout n'était pas déjà joué ? Parce qu'en même temps, en 1992, ou à peu près à la même époque, il y avait Uruguay-Round – les grandes négociations sur le commerce mondial et on avait dit que les subventions aux agriculteurs étaient provisoirement légales. Est-ce qu'on n'est pas entré, cette fois-ci, dans la grande négociation du commerce mondiale en réalité ?

- “Juste une petite rectification : les subventions, en réalité, ce sont des compensations de baisse de prix qui nous ont été infligées en 1992 et qui nous faisaient entrer justement dans la mondialisation avec la référence sur les prix mondiaux. De quels prix mondiaux parle-t-on ? On ne le sait pas très bien. Est-ce que ce sont ceux des Etats-Unis quand il s'agit des céréales, la viande bovine pour l'Argentine à un autre moment ou à un autre pays ? Donc banaliser…”

Q - Cela n'existe pas le prix mondial selon vous ?

- “Non, pour moi, cela n'existe pas. Encore que sur les céréales, à certaines périodes, il y a quelque chose qui se rapproche d'un prix mondial parce qu'il y a des stocks, il y a du transport mais sur la viande bovine ou sur le lait ? Pour le lait par exemple : sachez qu'il y a 4 % du lait qui circule dans le monde. Il suffit que l'Europe diminue sa production de 5 % et personne dans le monde n'est capable d'approvisionner l'Europe en produits laitiers. Alors il faut qu'on arrête ce petit jeu-là. Et puis n'oublions pas, quand même, que notre premier marché à nous ce sont les 350 millions de consommateurs, ici, en Europe. Alors cette mondialisation est rampante et cette réforme qui vient, aujourd'hui, en ajoutent encore un peu plus et on nous dit qu'il faut maîtriser la production et, pour cela, on va baisser vos prix, on va diminuer le budget européen mais on va augmenter vos aides directes à chaque agriculteur. Si vous pouvez faire comprendre aux auditeurs qu'en économisant à Bruxelles, les agriculteurs, demain, vont avoir plus d'aides directes, si vous pouvez faire comprendre à mon fils qui voudrait s'installer que pour avoir un revenu de 120 000 francs par an, quand il sera installé, il devra demander 150 000 francs d'aides. Eh bien, personne ne comprend : ni lui, ni les consommateurs. Nous nous voulons vivre d'abord de la vente de nos produits, de la valorisation de nos produits au niveau des revenus européens. On ne va pas mettre tous les salariés européens au niveau mondial.”

Q - Est-ce qu'au fond, l'enjeu n'est pas petit à petit le retrait progressif mais inéluctable des subventions garanties par les Etats ?

- “Eh bien, si cela était général sur tout le monde. Sachez quand même que pour l'année 1998, les Américains, en plus de la politique de soutien à leurs agriculteurs qui est déjà très importante, ont apporté 6 milliards de dollars d'aides supplémentaires : 3 milliards justifiés par des problèmes climatiques, 5 milliards de dollars uniquement pour des raisons électorales. Même les producteurs de lait au niveau des Etats-Unis, qui étaient payés plus cher que les producteurs de lait européens, l'année dernière, ont touché 300 millions de dollars d'aides. Alors pour 1999, on parle d'en remettre un peu plus. Pendant ce temps-là, en Europe, on dit qu'il faut diminuer les prix, il faut réduire les organisations communes de marché et j'entends M. Al Gore dire, comme cela, que pour l'agriculture, il faudrait peut-être envisager quelques filets de sécurité, quelques organisations…”

Q - Cela veut dire au fond qu'on ne dit jamais vraiment la réalité ? Chacun protège : les Américains protègent leur économie, les Européens protègent la leur. On parle toujours de la forteresse européenne ?

- “Quand on dit protéger, je crois qu'il faut être clair : nous avons un espace qui représente 350 millions de consommateurs, ici, avec un modèle européen de société. Et nous, nous disons : nous voulons avoir un modèle européen d'agriculture qui correspond au modèle de société. C'est-à-dire qu'on demande à l'agriculture des produits en quantité, en qualité, de proximité, avec un environnement, un aménagement de l'emploi réparti sur le territoire. J'ai eu l'autre jour un courrier de mon collègue japonais qui m'écrivait en disant : continue à te battre parce que nous, nous sommes d'accord avec vous : nous ne voulons pas copier le modèle européen, nous voulons simplement qu'on respecte un peu le modèle japonais. Et d'ailleurs, c'est comme cela qu'aux dernières négociations, les Japonais ont obtenu que le prix du riz au Japon soit dix fois supérieur aux prix mondial, non pas pour des raisons économiques mais pour des raisons d'aménagement, d'hydraulique, sociales, d'indépendance alimentaire. Alors pour l'Europe, si on n'arrive pas à affirmer cela dans les futures négociations de l'Uruguay-Round, de l'OMC, l'Organisation mondiale du Commerce, on va se faire encore lapider le prochain coup.”

Q - Comment vous percevez la position, je dirais médiane adoptée par J. Glavany qui dit : moins de baisse des prix, et moins aussi de subventions. Et puis finalement, il dit une chose assez intéressante : ne visons pas systématiquement la production, mais visons en tout cas la qualité ?

- “Je dirai que nous ne sommes sans doute pas toujours d'accord avec M. Glavany, avec le Gouvernement ou avec les dirigeants. Qu'importe ! Mais je dois dire que sur ce point-là, nous sommes en phase. Ce que nous souhaitons et il faut le dire à tout le monde : la FNSEA ne refuse pas, les agriculteurs ne refusent pas des évolutions dans la Politique agricole commune. Il y a eu sept réformes depuis 40 ans, donc on est quand même habitué à cette évolution. Mais on veut qu'on puisse nous donner la possibilité de vivre de nos produits, la valorisation des produits, sur la qualité, sur l'environnement. Alors quand cela peut être reconnu directement par le marché, c'est mieux. Si ce n'est pas possible par le marché, à ce moment-là, il peut y avoir des soutiens qui nous permettent d'entretenir le territoire. Mais je crois qu'il faut aussi, comprennent bien qu'on ne peut pas toujours dire : produisez à moindre prix.”

Q - Produisez propre !

- “Propre, de meilleur qualité, toujours améliorée avec identification, et toujours moins cher. Arrive un moment où ça n'est pas possible !”

Q - Est-ce que vous parlez tous d'une même voix ? On s'est posé la question pour le Gouvernement. On s'est demandé si le Président de la République et le Premier ministre exprimaient un point de vue commun. J. Glavany : - “Oui, il n'y pas de doute. On dit tous la même chose”. Est-ce que vous, les syndicats agricoles, vous avez une position commune là-dessus ?

- “Je prendrai deux niveaux. Au niveau européen, c'est déjà clair : nous sommes différents, c'est clair, les agriculteurs. Il n'y a pas deux agricultures, il y a une multitude d'agricultures. Mais nous sommes d'accord sur les missions et le rôle de l'agriculture dans la société, et c'est cela que nous voulons faire reconnaître. Je dirais qu'en France, c'est la même chose. Bien sûr, entre les Pyrénées-Atlantiques et le Bas-Rhin, Brest, la Vendée, l'Indre ou ailleurs, il y a des différences, même à l'intérieur de nos départements. Mais c'est sur la mission et sur le rôle que nous devons jouer dans la société sur lesquels nous sommes d'accord. Nous ne refusons pas qu'il y ait des avancées sur l'amélioration, sur un meilleur équilibre au niveau de la Politique agricole. Que ça soit sur l'organisation ou sur le soutien de l'agriculture. Depuis 30 ans, la FNSEA a toujours défendu une politique plus équilibrée. A chaque fois que nous avons défendu l'installation, nous avons favorisé ceux qui étaient en montagne par rapport à ceux qui étaient en plaine. Aujourd'hui, le problème c'est qu'on est avec des aides compensatoires d'une situation précédente, qui a déjà été diminuée pour ceux qui étaient en place. Mais il faut encore faire des réajustements certes. Mais on ne va pas faire simplement, comme le disent certains : on va prendre sur les dix meilleurs et on va répartir aux 100 000 plus faibles. On ne réglera rien comme ça. Il faut qu'il y ait avant tout la valorisation des produits de base.”

Q - Vous êtes bien conscient qu'il faut faire très attention, parce qu'un faux-pas aujourd'hui… Là on est dans un débat politique à un haut niveau…

- “Tout à fait.”

Q - Il s'agit quand même, encore une fois, de l'équilibre franco-allemand. Et au fond, il y a l'euro qui est concerné, il y a tout le système européen qui est en cause. Un faux-pas, je veux dire une manif qui tournerait mal, ça peut compliquer tout. Non ?

- “C'est toujours dangereux de l'organiser une manif. Mais forts de ce que nous avons réalisé, lundi, à Bruxelles, avec 50 000 agriculteurs européens – 25 000 agriculteurs français -, dans le calme, malgré quelques petits débordements, mais vraiment très minimes et un système policier outrancier en face de nous, je crois que c'est toujours le risque dans notre cas d'une manifestation. Mais aujourd'hui, nous voulons dire à l'opinion publique, et c'est pourquoi j'appelle toujours mes collègues à être toujours responsables dans leurs actions syndicales – c'est une action de communication, vraiment : le combat que mènent les agriculteurs, aujourd'hui, n'est pas un combat corporatiste. C'est un combat pour un choix de société. Demain, il sera trop tard quand les consommateurs nous diront dans cinq ans, si nous ne pouvons plus être là de façon satisfaisante : on voudrait avoir de la production en masse. Je ne parle pas des quelques-uns qui peuvent avoir du poulet tout près de chez eux, car ils ont trouvé un agriculteur. Mais n'oublions pas qu'on a 80 % des consommateurs qui sont en ville. Donc, il nous faut produire de la qualité en masse et en proximité. Et donc, demain, ça sera trop tard. Et par rapport à l'aménagement, à l'environnement, c'est tout un choix de société. On veut avoir une Europe qui soit équilibrée. Quand vous allez en Argentine ou au Texas, vous n'êtes pas dans le même contexte. Vous êtes dans n'importe quelle contrée d'Europe. C'est ce que nous voulons pouvoir contribuer à faire. Alors ce choix de société, il faut l'affirmer. Déjà un choix de société, comme vous le disiez, c'est quand même l'Europe.”

Q - C'est demain, et puis, lundi, il y a le Salon de l'Agriculture qui s'ouvre…

- “Oui. Sur la consommation, c'est quand même très important. Mais tout ne se joue pas forcément demain, car j'espère quand même, que le gouvernement français et le Président de la République, demain, ne vont pas dire : bon, allez hop ! ça suffit, on passe ! Parce que ça serait quand même très dangereux. N'oublions pas qu'il y a eu des propositions qui ont été faites dans cette Union européenne, par la Commission, que moi je trouve irresponsables par rapport aux propositions que…”

Q - Vous avez vu que la position française, c'est non !

- “C'est non au cofinancement que nous soutenons. Car ce n'est pas une question financière, budgétaire ; ce n'est pas une Europe des comptables qu'on veut. On veut une Europe qui clame haut et fort ce qu'elle veut faire. Et commencer par dire : voilà, attendez, je vais prendre ma machine à calculer, je dois faire l'Europe avec ça. C'est pas comme ça qu'on va y arriver.”