Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, dans "Le Point" le 16 janvier 1999, à France 2 le 20, RTL et "Libération" le 21, sur sa critique de l'ultralibéralisme, des aspirations social démocrates du PS, la société de partage voulue par le projet communiste, sa défense de la participation des communistes au gouvernement de la gauche plurielle et la stratégie du PCF pour la campagne des élections européennes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Publication par Robert Hue d'un livre intitulé "Communisme : un nouveau projet", janvier 1999

Média : Emission Forum RMC Libération - Emission L'Invité de RTL - France 2 - Le Point - Libération - RTL - Télévision

Texte intégral

Le Point: 16 janvier 1999

LE POINT : Votre précédent livre s'intitulait « La mutation », vous avez appelé celui-ci « Un nouveau projet ». Est-ce à dire que la mutation du PCF est achevée ?

Robert Hue : Non, elle se poursuit. Dans mon précédent ouvrage, je m'explique sur le modèle soviétique, les crimes et les drames du stalinisme. Aujourd'hui, c'est vers l'avenir que je me tourne. On dit : «  Les communistes n'ont plus d'idées depuis l'effondrement de l'Union soviétique, ils se limitent à être des aiguillons de la gauche dans le gouvernement ». Avec ce livre, je montre que nous avons un projet, qui n'est pas une resucée des vieilles recettes. L'ultralibéralisme dominant fait subir aux peuples des blessures, des violences intolérables. Avec la crise en Asie et en Russie, le capitalisme financier montre ses limites. Je vois apparaître des aspirations fortes à la montée de l'individu, à moins d'égoïsme. Le nouveau projet communiste que j'avance n'est plus celui de l'âge industriel, c'est celui de l'âge informationnel.

LE POINT : Mais ce nouveau projet n'est-il pas tout simplement social-démocrate ?

Robert Hue : Non. Toute la question est de savoir si le capitalisme est l'horizon indépassable de l'humanité ou bien s'il est l'obstacle à lever pour de nouveaux progrès. S'il faut en corriger les excès, ou bien mettre en cause sa domination. Lionel Jospin choisit la première solution. Moi, la deuxième. C'est en cela que je ne suis pas social-démocrate et ne le serai jamais. Il faut substituer une autre logique à celle de la domination des marchés, une société de partage et de participation à celle dans laquelle nous vivons.

LE POINT : Lionel Jospin vous dira qu'il est lui aussi contre la « société de marché ».

Robert Hue : Sauf que lorsqu'on propose d'augmenter les bénéfices des stock-options, ou lorsqu'on privatise, on ne fait pas le choix des priorités publiques et sociales. Moi, je suis pour qu'une logique de développement humain, l'emporte sur celle de la rentabilité financière.

LE POINT : Mais en quoi restez-vous marxiste ?

Robert Hue : Je me méfie des mots en –isme, qui figent une pensée. Quand 20 % de la population mondiale consomme 86 % des richesses, la pensée de Marx reste d'une singulière jeunesse. Simplement, l'abolition du capitalisme ne se décrète pas. Je ne vois pas le changement de société sous la forme d'un « grand soir », mais d'un processus, où s'inscrit la modification des rapports de forces, du rapport du capital et du travail. C'est une conception nouvelle du changement révolutionnaire. Jaurès disait : « Il s'agit d'une évolution révolutionnaire. »

LE POINT : Vous faites sans cesse référence à la personne humaine, à l'individu. Ça aussi, c'est nouveau…

Robert Hue : Le communisme nouveau doit s'affranchir de quelques idées pesantes : l'étatisme, le productivisme, le collectif qui écrase l'individu. J'ai le courage de le dire, non pas pour me flageller, mais parce qu'il ne faut pas faire bégayer l'Histoire.

LE POINT : A propos d'avenir, vous ne consacrez qu'une page, et très critique, à l'euro dans votre livre…

Robert Hue : Le 1er janvier, certains ont fait la fête pour l'euro, pas dans les rues, mais à la Bourse et dans les banques. Cela me paraît un parrainage suspect. L'euro a été conçu dans une période de fuite en avant libérale. On en a vu les limites. Le pacte de stabilité, avec la rigidité budgétaire qu'il implique, reste un terrible obstacle à la réussite du gouvernement de gauche en France. Les amorces de progrès du sommet de Luxembourg ne suffisent pas. Bâtissons une autre Europe, plus juste, plus sociale et plus solidaire.

LE POINT : Pourtant, jusqu'à nouvel ordre, vous participez au gouvernement qui a mis en place l'euro. Depuis dix-huit mois, qu'est-ce que la participation des communistes a changé concrètement ?

Robert Hue : Quand je rencontre les électeurs ou les militants communistes, ils ne souhaitent pas du tout qu'on quitte le gouvernement. Ils savent que nous contribuons à ancrer son action à gauche. On a toujours identifié les communistes à l'opposition : ils doivent maintenant être constructifs, faire rêver à une société future sans perdre de vue la réalité concrète et les propositions immédiates.

LE POINT : Mais que répondez-vous à ceux qui, au sein même de votre parti, vous trouvent trop timide ?

Robert Hue : Je réponds qu'aucune des mesures comme les 35 heures ou les emplois-jeunes n'aurait vu le jour sans notre participation à la majorité plurielle. Ce qui, entre parenthèses, nous laisse perplexes lorsque certains imaginent qu'à l'issue des élections européennes un nouveau rapport de forces pourrait s'instaurer du fait du résultat d'Untel ou Untel… A l'assemblée nationale, je vous le rappelle, le poids des communistes est décisif, sans eux il n'y a pas de majorité de gauche.
Sur un autre plan, je mets en garde ceux qui se prétendraient à rêver de recomposition à partir des turpitudes qui ont agité la région Rhône-Alpes. A cet égard, il est très important que Lionel Jospin ait réaffirmé sa fierté de gouverner avec la gauche plurielle.

LE POINT : Ferez-vous une liste unique avec le PS aux européennes ?

Robert Hue : Avec le Parti socialiste, les différences restent fortes sur l'Europe. Il faut proposer aux électeurs des options claires. Je souhaite une liste ouverte  à des personnalités non communistes, qui ne se reconnaissent pas dans l'Europe actuelle.

LE POINT : Conduite par vous ?

Robert Hue : Il est bien évident que j'entends, sur un sujet d'une telle importance, m'engager pleinement. Surtout quand la tête de liste des Verts, Daniel Cohn-Bendit, s'est donné pour premier objectif de réduire l'influence des communistes.

LE POINT : Le qualifieriez-vous, comme Chevènement, « d'anarchiste mercantiliste » ?

Robert Hue : Ne rentrons pas, à propos de Daniel Cohn-Bendit, dans le jeu des épithètes : on risque d'être vite à court, en fonction de ses choix qui alternent d'un jour à l'autre… Mais, pour avoir discuté avec lui, je peux affirmer qu'il n'est pas choqué qu'on dise de lui qu'il s'inscrit dans une démarche libérale. J'ajoute qu'avec le soutien médiatique dont il bénéficie il devrait être au moins à 15 % dans les sondages !

LE POINT : Mais pour vous, aux européennes, le danger ne viendra-t-il pas tout autant de la gauche radicale que représentent Alain Krivine et Arlette Laguiller ?

Robert Hue : On ne peut pas être plus radical que je ne le suis, puisque je propose de dépasser le capitalisme. J'ai confiance dans le fait que le PCF capitalisera les voix de la gauche, y compris radicale, qui ne veulent pas se perdre dans les sables.


France 2 : mercredi 20 janvier 1999

Françoise Laborde : D. Cohn-Bendit, hier, n'a pas pu tenir un meeting qui était prévu à La Hague. Il a été chahuté, et finalement, il a dû se réfugier avec quelques amis dans une brasserie. Vous, qui aviez eu quelques échanges un peu aigre-doux avec lui, cela vous fait rire ?

Robert Hue : “Oh non, ce n'est pas que cela me fait rire. D. Cohn-Bendit est en train de passer de l'ambiance feutrée des studios où la provocation verbale peut être prise comme cela comme un élément de campagne électorale à une réalité de terrain où il y a les hommes qui sont confrontés durement à des souffrances réelles et où l'emploi est une question essentielle. Il faut que D. Cohn-Bendit se dise, une bonne fois pour toutes, que les Français n'ont pas voté pour la politique nucléaire de G. Schröder. Il y a une pression des Verts allemands sur la France, aujourd'hui, qui est insupportable. Moi je veux dire que, naturellement, il faut un débat sur l'énergie nucléaire en France. Moi, je ne suis ni pro-nucléaire, tout-nucléaire, ni anti-nucléaire. Je suis pour qu'on diversifie les énergies. Mais en même temps, on voit bien que les solutions proposées en Allemagne visant à supprimer le nucléaire ne sont pas sérieuses.”

Françoise Laborde : Vous pensez vraiment que Cohn-Bendit veut, si je puis dire, importer en France ces idées-là ?

Robert Hue : “Pour le moment, il défend en France les idées de G. Schröder et des Verts allemands. Ce n'est pas ce qu'on a choisi. Alors, cela ne signifie pas qu'en France il ne faut pas, je répète, avoir une politique énergétique différente. Mais, quand on sait que les problèmes qui se posent en France dans ce domaine, se posent à l'horizon de vingt ou trente ans, on a le temps de la réflexion pour diversifier les sources d'énergie. On voit bien que les solutions proposées aujourd'hui par les Allemands, notamment, ont de terribles inconvénients au niveau écologique. C'est très polluant d'employer des ressources qui ont sur l'effet de serre des conséquences terribles. Donc, voilà, il me semble qu'il ne faut pas se tromper et donc, attention à la provocation. J'ai dit souvent que l'attitude de D. Cohn-Bendit devait prendre en compte la réalité française. Il y a les provocations et quand elles touchent les hommes, il faut faire attention.”

Françoise Laborde : Donc, vous parlez bien de provocation. Autre question : CSA donne 8 % au PCF, mais un autre sondage BVA-Paris Match donne 9 % à une liste communiste pour les européennes. Une fois, vous êtes devant les Verts une autre fois, vous êtes juste à côté. Quel est votre objectif chiffré pour ces élections ?

Robert Hue : “L'objectif chiffré c'est déjà d'avoir un meilleur résultat – et les sondages montrent que c'est largement possible – qu'en 1994 où nous avons eu un peu moins de 7 %. Pourquoi est-ce possible ? Parce que le Parti communiste est foncièrement engagé dans la construction européenne, et vraiment sans ambiguïté. Nous sommes pour la construction européenne. Mais pas cette construction-là, pas cette logique qui reste profondément libérale. C'est ce qui nous sépare, là-dessus, du Parti socialiste. Nous pensons qu'il faut réorienter…”

Françoise Laborde : Est-ce qu'il n'y a pas le risque, pour les électeurs, de se dire : mais au fond, qu'est-ce qui vous différencie, vous, du Gouvernement, puisqu'il y a des ministres communistes au Gouvernement, puisqu'il y a à côté une liste d'extrême-gauche, une liste de D. Cohn-Bendit qui a d'autres positions ? Qu'est-ce qui donnerait envie de voter pour vous, à part les militants du PC ?

Robert Hue : “Ce qui peut donner envie de voter pour la liste dans laquelle seront les communistes, c'est précisément que l'objectif de cette liste sera d'ancrer à gauche la politique européenne, comme nous essayons d'ancrer à gauche le gouvernement de la gauche plurielle. Nous avons une vocation, nous n'en avons pas le monopole, mais nous avons une vocation de ce point de vue. Et chacun sait qu'avec le PS, nous avons des différences d'appréciation sur l'Europe. Alors, faut-il gommer, là, ces différences de façon politicienne ? Nous pensons que non. Il faut qu'il y ait le grand débat public.”

Françoise Laborde : Vous publiez chez Stock un livre qui s'appelle “Communisme : Un nouveau projet.” Vous y parlez de la rénovation du Parti communiste, et vous dites des choses quand même un peu étonnantes : la notion de cellule, vous trouvez que c'est un peu fini, usé. Vous vous interrogez même sur l'appellation “communiste.” On ne vous voit pas beaucoup citer le mot de “camarade”. Cela change en ce moment ?

Robert Hue : “Vous allez inquiéter les communistes. Non ! Je dis dans ce livre la vérité que je pense devoir exprimer, individuelle, personnellement, singulièrement. Je pense, je suis tout à fait pour garder le mot de “communiste”, je trouve que c'est un beau mot, mais il faut qu'il soit en rupture avec ce qu'a été l'image d'un communisme à la soviétique…”

Françoise Laborde : Communisme, mais pas stalinien : c'est cela que vous voulez dire ?

Robert Hue : “Oui, naturellement, j'ai réglé mes comptes avec ce mode de pensée. Aujourd'hui, il faut un communisme du XXIe siècle. On n'est plus dans la période de la Révolution industrielle de la fin du XIXe. Il faut un communisme de l'ère informationnelle. C'est ce que nous essayons de développer dans un projet en rupture avec ce qui a été un modèle de pensée. On a tellement dit après l'effondrement du Mur : les communistes n'ont plus de projet. A quoi servent-ils ? Eh bien, voilà ! Voilà à quoi on sert : à bien ancrer à gauche la vie politique de ce pays, à aller vers la transformation sociale, et nous avons un projet. J'essaye de l'exprimer dans ce livre.”

Françoise Laborde : Une toute dernière question : vous pensez vous aussi que L. Jospin est le meilleur candidat pour les prochaines présidentielles ? C'est votre candidat ?

Robert Hue : “Je pense qu'on met la charrue avant les boeufs. L. Jospin a raison de dire qu'on n'est pas dans cette phase aujourd'hui de pré-présidentielle. Les choses viendront suffisamment vite.”


RTL : jeudi 21 janvier 1999

Olivier Mazerolle : Vous publiez, chez Stock, “Communisme : Un nouveau projet.” Pour vous, le communisme est toujours d'actualité et consiste à surmonter le régime capitaliste, à l'abandonner même, le dépasser ? La publication de ce livre en ce moment, cela signifie que, pour vous, l'heure est venue d'accélérer pour la gauche ?

Robert Hue : “De toute façon, je pense que oui, l'heure est venue d'accélérer pour la gauche pour qu'elle réussisse. Le livre vient dans le prolongement d'un autre livre qui a été publié il y a trois ans, mais qui a été mis en oeuvre dans le Parti communisme, c'est-à-dire la mutation du Parti communiste. Je crois qu'aujourd'hui aux yeux des Français le Parti communiste apparaît comme un parti qui a changé, il y a un regard nouveau qui est porté sur lui. Mais cela ne suffisait pas. A quoi sert le Parti communiste ? Est-ce que ses propositions, est-ce que le communisme qu'il préconise est toujours d'actualité ? J'avance un certain nombre de pistes pour dire que nous sommes en cette fin de siècle en une période de fin des modèles. Je rejette complètement le modèle de communisme soviétique. Je pense que le modèle social-démocrate, qui est pourtant dominant aujourd'hui en Europe, n'apporte pas la preuve qu'il peut transformer profondément la société.”

Olivier Mazerolle : Et pan pour Jospin !

Robert Hue : “Pas seulement pour Jospin. Je pense que tout ce qui était dit sur les solutions néolibérales – c'était la fin de l'histoire, on n'avait plus à tourner la page -, tout cela n'est pas bon et ne correspond pas à la solution de l'avenir. Et donc, je crois qu'il faut imaginer une solution de transformation sociale. Moi, je l'appelle communisme. Je comprends que d'autres, au nom d'une philosophie, d'une croyance, d'idées, mettent autre chose derrière cela.”

Olivier Mazerolle : Vous écrivez dans votre livre que vous êtes inquiet devant les mouvements sociaux, qu'on ne les écoute pas suffisamment. Vous avez cette sensation ?

Robert Hue : “Oui, je pense que l'on doit écouter beaucoup plus. Et chacun sait bien que par exemple, aujourd'hui, dans l'expérience que je trouve positive de la gauche plurielle il y a un certain nombre d'acquis : les gens restent sur l'idée que cela va mieux. Mais, il y a un grand mais : je pense qu'il faut aller plus loin et qu'il y a une grande attente, voire du mécontentement parfois, parce qu'on ne règle pas – pour l'instant – les réponses suffisantes aux grandes questions comme l'emploi – c'est celle-là qui domine.”

Olivier Mazerolle : Lionel Jospin dit : je fais preuve de volontarisme. Mon gouvernement fait preuve de volontarisme.

Robert Hue : “Bon, Lionel Jospin sait que je l'estime. Mais je le trouve trop tranquille sur ces questions. Incontestablement, il tient les engagements qu'il a pris lors de son discours de politique générale quand il est arrivé au Gouvernement. Mais j'ai le courage de dire, moi, que cela ne suffit pas. Il y a beaucoup de gens, qui étaient très heureux à ce moment-là, qui se disent : qu'est-ce qui change quotidiennement aujourd'hui pour moi ? Il n'y a pas assez de changement. Est-ce que c'est possible ? Si ce n'est pas possible, il faut que je ramasse mon compliment, et que je dise : “Ce n'est pas bien, je fais de la démagogie.” Mais, je crois que c'est possible. Il faut avoir le courage de s'attaquer à la domination des marchés financiers. Or, je pense qu'on ne le fait pas assez. C'est honnête de le dire.”

Olivier Mazerolle : Dans votre livre, vous dites que les slogans vous n'aimez pas trop cela. Mais enfin, tout de même, vous, vous dites, que faire payer les riches c'était à l'époque du Front Populaire, et ce n'est pas si simpliste que ça. Vous l'écrivez !

Robert Hue : “Oui, je confirme, je signe. Mais, aujourd'hui, il faut apporter des réponses qui sont parfois différentes. Il ne suffit pas de dire qu'il faut faire payer les riches. Il faut voir comment on peut faire payer les riches. Et faire payer les riches aujourd'hui c'est s'attaquer, au fond, aux marchés financiers. On vit sur un continent, sur une planète ou la financiarisation – on l'a bien vu avec la crise financière internationale – pèse terriblement, où le rapport aux richesses créées, à la société, à la planète, n'est plus un rapport réel mais un rapport virtuel sur la finance. Il faut modifier cela. Je propose qu'en France et en Europe, on imagine des moyens économiques financiers, fiscaux qui permettent de maîtriser cela. Il faudrait peut-être une taxe, par exemple, pour que ces mouvements financiers… c'est cela le capitalisme aujourd'hui, ce n'est pas le capitaliste de l'ère industrielle. Moi, j'apporte une réponse qui n'est pas celle de la société industrielle de la fin du siècle dernier, mais celle de la société informationnelle.”

Olivier Mazerolle : Vous êtes, quand même, un peu manipulateur : vous dites qu'il faut écouter les mouvements sociaux, et en même temps, vous voulez les encourager. Vous dites, dans votre livre, qu'il faut encourager les revendications en donnant à ces revendications une autre perspective que le simple équilibrage du capitalisme. Vous dites à L. Jospin : il faut écouter les mouvements, mais en même temps vous les encouragez !

Robert Hue : “Je suis dans mon rôle.”

Olivier Mazerolle : Il ne va pas être content Jospin. Vous allez lui compliquer encore plus la tâche ?

Robert Hue : “Lionel Jospin connaît bien le Parti communiste. Il sait qu'elle est sa démarche : une démarche de loyauté. En clair, je ne mets pas d'eau dans mon vin. Ceux qui ont, un seul instant, pu imaginer que le Parti communiste, parce qu'il participait au gouvernement, se “social démocratise” se sont complètement trompés. Je le disais, il fallait le démontrer et c'est ce que je fais avec ce livre : je ne suis pas social-démocrate. Je ne serai jamais social-démocrate. La social-démocratie – je la respecte – est pour un aménagement du capitalisme, pour le civiliser en quelque sorte. Moi, je pense qu'il faut le dépasser. Il faut rompre avec sa domination parce que sa domination est celle des grands marchés financiers et de la finance.”

Olivier Mazerolle : Mais ces deux objectifs très différents ne portent-ils pas en germe la rupture inévitable, à un moment donné, entre le Parti communiste et le Parti socialiste. Il y a bien un moment où vous vous fâcherez, et où Jospin vous dira : attendez, cela ne je ne peux pas le faire, parce que c'est la rupture avec le capitalisme, et moi, je n'en veux pas de cette rupture.


Robert Hue : “C'est le grand débat démocratique. Ce n'est ni L. Jospin, ni moi ou un autre qui trancheront ce débat. Ce sont les gens eux-mêmes. On apporte des projets de société. Nous sommes, en cette fin de siècle, dans une situation où il faut transformer le monde. On ne peut pas vivre dans un monde où 20 % des habitants de la planète consomment 86 % des richesses créées. Tout cela va péter ! Moi, je ne suis pas pour l'explosion, je suis pour une évolution révolutionnaire qui fasse, qu'à un moment donné, on dépasse ce qui aujourd'hui fait obstacle à une harmonie, à ce qui fait qu'il y a des inégalités qui sont insupportables dans le monde. Je veux changer le monde : cela reste profondément ma démarche de communiste.”

Olivier Mazerolle : Mais vous êtes les seuls à encore vous appeler “communistes” avec les Russes et les Chinois !

Robert Hue : “Je reste fidèle à cette idée de communisme, même si je rejette…”

Olivier Mazerolle : Vous rencontrez d'Alema, l'Italien, il vous dit : “moi, je n'en veux plus de ce mot, parce que je veux changer.”

Robert Hue : “J'ai beaucoup discuté avec lui et c'était très intéressant. Mais il veut changer parce qu'il considère qu'on ne peut plus bouger le capitalisme. Il a changé de nom.”

Olivier Mazerolle : Vous, vous croyez qu'on peut ?

Robert Hue : “Moi, je crois qu'on peut transformer.”

Olivier Mazerolle : Mais vous êtes les seuls avec les Russes à le croire !

Robert Hue : “Non, ce n'est pas vrai. D'abord, je ne suis pas seul avec les Russes. Il y a en France, aujourd'hui, dans le monde, des progressistes qui mettent dans leur démarche de changement et de transformation de la société autre chose que le mot “communisme”, mais on dit la même chose. Et moi, je veux apporter ma démarche, Dans cette vie politique où tout le monde abandonne tout, moi, je dis qu'il faut rester fidèle à ses idées, fidèles à son engagement. Mais pas, naturellement, le communisme du passé.”

Olivier Mazerolle : Vous proposez, dans votre livre, de codifier la durée du mandat du secrétaire national du Parti communiste. Vous êtes en place depuis cinq ans, vous partez quand ?

Robert Hue : “J'ai voulu dire que…”

Olivier Mazerolle : Vous ne partez pas ?

Robert Hue : “Ce sont les communiste qui en décident, ce n'est pas moi. Je n'ai pas eu de stratégie de pouvoir, je ne suis pas arrivé à la direction du Parti communiste en jouant des coudes. Je me suis trouvé là, pas par hasard, mais en même temps…”

Olivier Mazerolle : Et vous y êtes bien ?

Robert Hue : “Si les communistes pensent que je suis bien ! Moi, j'y suis bien en tous les cas. Il reste qu'on ne peut pas avoir ses mandats à rallonge. Il faut une rotation des cadres. Il faut qu'on change le parti. Il faut rester communiste profondément, mais il faut changer le fonctionnement et les pratiques. Ce sont des bouleversements, mais je crois que tous les partis politiques sont confrontés à cela. Ceux qui ont le courage de le faire répondront aux attentes des gens. Sinon, la politique prendra encore des coups dans ce pays.”


LIBERATION : 21 janvier 1999

Après Communisme : la mutation en 1995, Robert Hue publie aujourd'hui Communisme, un nouveau projet (1). Si l'exercice lui permet de livrer sa vision du communisme du XXIe siècle, il n'oublie pas les contingences du moment. Et notamment les européennes de juin. Dans Libération, Robert Hue se dévoile un peu plus comme la tête de liste du PCF avant sa désignation officielle, à la fin du mois. Et il démarre sa campagne en tapant sur Jospin, Cohn-Bendit et le duo Laguiller-Krivine…

Libération : A l'aube de l'an 2000, vous pensez sérieusement que le communisme a encore un avenir ?

Robert Hue : C'est ma conviction, à condition de ne pas se tromper d'époque. Et ça nous est arrivé par le passé. Il faut regarder les réalités avec les yeux de notre temps. Il y a pour le PCF un formidable devoir d'innovation, car notre siècle a vu s'écrouler bien des modèles. Il nous faut procéder à toute une série de ruptures avec la culture communiste classique. Rupture avec l'étatisme, le productivisme, avec l'individu qui se dilue dans les masses, pour le placer comme élément moteur du développement. J'essaie de définir un communisme nouveau, non un communisme de l'âge industriel mais de la révolution informationnelle.

Libération : Mais à force de ruptures, n'avez-vous pas fini par rompre avec le communisme ?

Robert Hue : Non, car précisément la culture communiste figée dans un mimétisme avec un type de modèle soviétique s'écartait du communisme.

Libération : N'êtes-vous pas déjà dans un communisme « social démocratisé » ?

Robert Hue : Pas du tout. La social-démocratie d'aujourd'hui reste dans l'horizon du capitalisme. Elle veut simplement en civiliser les ravages, elle veut un capitalisme « équilibré », pour reprendre le mot qu'emploie souvent Lionel Jospin. Moi, je ne m'inscris pas dans cette démarche. La visée communiste est, au contraire, un choix de société où le capitalisme n'est pas la fin de la partie ou la fin de l'Histoire. Il y a une vie après le capitalisme. Il faut mettre en cause sa domination, sa logique, ses priorités. Je considère qu'en agissant pour changer la société au quotidien, on peut changer de société. C'est toute la différence avec la social-démocratie. Le social ne peut pas être une ambulance qui viendrait après l'économie pour soigner les plaies et limiter la profondeur des blessures qu'elle engendre.

Libération : Vous n'avez pas l'impression que votre rôle se réduit aujourd'hui à être la caution de gauche du PS ?

Robert Hue : Surtout pas. Le rôle du PCF, c'est de porter le plus loin possible, en étant un relais citoyen, les réformes pour changer la nature de la démarche actuelle. Si on reste timoré, si on va au-devant des marchés financiers – je pense à des dispositions comme les privatisations ou les clins d'oeil aux libéraux avec la réforme des stock-options -, je réponds : attention ! Nous sommes dans une période charnière, si la gauche ne prend pas les mesures destinées à changer le fond de la logique libérale, très vite elle risque d'apparaître trop peu différente des gouvernements précédents. Aujourd'hui, la gauche au gouvernement ne donne pas de signes suffisants de changement. Il y a une attitude de réserve qui peut devenir périlleuse.

Libération : A vous entendre, vous êtes l'allié d'un Jospin qui est lui-même l'allié du libéralisme ?

Robert Hue : Non, mais Lionel Jospin conduit une politique qui, sur un certain nombre de questions, ne va pas assez loin, selon moi. Il ne s'inscrit pas dans une démarche néo-libérale mais il n'est pas assez en rupture avec le libéralisme. Quand on voit que la social-démocratie est au pouvoir en Europe dans onze pays sur quinze et que l'Europe n'est toujours pas réorientée socialement, force est de dire que ce qui se fait aujourd'hui en Europe s'apparente plus au social-libéralisme, voire au néolibéralisme, qu'à une démarche progressiste ouverte telle que je la conçois comme homme de gauche. Cela dit, je ne pratique de « social-libéral », de « crypto-ceci » ou de « crypto-cela », je regarde la réalité : l'Europe a-t-elle changé ? La France s'est-elle dégagée des contraintes maastrichtiennes ? Je réponds « non ». Moi, je suis là pour fortement ancrer à gauche la politique du gouvernement. C'est là que je sue pas la méthode des épithètes, pour qualifieis efficace. Ce n'est pas en braillant tous les matins : « Jospin, c'est la même chose que la bourgeoisie », ce qui est absurde et ridicule, qu'on fera avancer les choses.

Libération : L'Europe de Jospin est la même que celle de Juppé ?

Robert Hue : Certainement pas. Depuis dix-neuf mois, des choix positifs ont été faits, mais les conditions n'ont pas été réunies pour une réorientation de la construction européenne. Il n'y a toujours pas de « pacte de croissance », et demeure bien et bien un « un pacte de stabilité », avec toutes ses contraintes sur les budgets sociaux. Il n'y a toujours pas de contrepoids politique capable de contrecarrer les orientations récessives de la Banque centrale européenne. Je tire la sonnette d'alarme pour la gauche plurielle, je dis attention ! si nous ne réorientons pas l'Europe vers une Europe plus axée à gauche, nous aurons des difficultés pour tenir les engagements pris en 1997 devant les électeurs et répondre à leurs attentes.

Libération : Et l'Europe de Cohn-Bendit, elle est à gauche ou à droite ?

Robert Hue : Il développe des idées qui peuvent parfois séduire à gauche. Mais ses propositions sont fortement empreintes de libéralisme et gomment délibérément les réalités nationales. Il ne manque pas de talent, mais il a fait une très grosse erreur au départ en se fixant comme objectif de réduire le PCF. Il a mangé le morceau, même si Dominique Voynet s'emploi depuis à le démentir. Finalement, je lui en sais gré, Daniel Cohn-Bendit a valorisé, à son corps défendant, l'utilité des communistes dans la société.

Libération : Votre vrai concurrent aux européennes, n'est-ce pas la liste Laguiller-Krivine ?

Robert Hue : On tire à vue de tous côtés sur le PCF. Cohn-Bendit, Laguiller, Krivine, ça devient un peu caricatural. On voudrait faire croire que le PCF est pris dans un étau entre les Verts, qui veulent le piler sur place, et une liste gauchiste qui lui court après. Ce comportement terriblement politicien tourne à l'obsession. Laguiller et Krivine disent que le PCF est « l'allié du capitalisme » (sic) : ça fait cinquante ans qu'on le dit, et là, c'est répété par des gens qui ont bien vieilli. Il n'y a rien de neuf. Dans ce « Pacs » étrange, Arlette Laguiller perd ce qu'il lui reste d'authenticité, et Alain Krivine dérape dans le repli sectaire. Pour nous, le problème n'est pas là. En fait, ce que je redoute le plus, c'est l'abstention.

Libération : Pour ne pas être débordé sur votre gauche, vous allez donc tirer sur Lionel Jospin ?

Robert Hue : Je ne crains pas ce débordement. Nous allons marquer fortement notre différence. Les gouvernements sociaux-démocrates européens et Lionel Jospin sont au pied du mur : qu'est-ce qui empêche la réorientation sociale de l'Europe que nous avons préconisée ensemble ? Rien, sauf un rapport de force où les thèses libérales continueraient de l'emporter. Nous allons défendre un projet « europrogressiste ». J'ai une ambition pour l'Europe : mettre le social et la démocratie au coeur de la construction européenne. Donc « oui » à une Europe différente de celle qui est mise en place aujourd'hui et dans laquelle s'inscrit trop le gouvernement. Je suis celui qui pousse la majorité à gauche, et là, je suis dans mon rôle. Il ne faut pas me demander de mettre de l'eau dans mon vin. Lionel Jospin s'inscrit dans une démarche tranquille, respectant – et c'est tout à son honneur – les choix de son discours d'investiture. Mais il y a un risque d'attentisme. Aujourd'hui, il faut aller au-delà si nous voulons apporter de vraies réponses aux interrogations des Français.

Libération : Vous n'êtes pas prêt à souscrire à un « code de bonne conduite » pour la campagne, comme le souhaite le Premier ministre ?

Robert Hue : Pourquoi un tel code ? Nous savons nous conduire en responsables. Non, ni code de bonne conduite, ni chef d'orchestre qui indiquerait où sont les bornes à ne pas dépasser.

Libération : La majorité ne risque-t-elle pas de sortir affaiblie de cette campagne, avec la concurrence interne qui s'annonce ?

Robert Hue : Je ne le pense pas. Le rapport des forces au sein de la gauche ne sera pas calibré sur ce scrutin. Lionel Jospin l'a dit, je le dis. Nous sommes d'accord sur ce point. Mais il est vrai que, s'il y a un feu croisé contre le PCF, la gauche plurielle peut être fragilisée.

Libération : Quand annoncerez-vous aux communistes que vous serez leur tête de liste ?

Robert Hue : Ne soyez pas impatients. Cette question va être très vite tranchée, comme celles de la conception et de la composition de la liste.

(1) Stock , 400 pp., 120 F (18,29 euros).