Texte intégral
LE FIGARO : 28 janvier 1999
Le Figaro. Dans Communisme, un nouveau projet, vous estimez que le Parti a beaucoup perdu d'adhérents en vingt ans, au point d'atteindre en certains endroits un seuil critique. Pouvez-vous chiffrer vos propos ?
Robert Hue : Permettez-moi une remarque préalable : une des conséquences de la crise de la politique, c'est une grave désaffection à l'égard de l'adhésion aussi bien aux forces politiques que syndicales. Tous les partis sont concernés. Quant à nous, au début des années 80, nous annoncions 600 000 adhérents. En 1996, au 29e congrès, j'ai indiqué que nous en comptions environ 270 000. Je n'ai donc pas caché l'ampleur du recul. Et je ne le dissimule pas plus aujourd'hui : à la fin de l'année 1998, il y avait 210 000 communistes. La perte a donc été de l'ordre de 4 à 5 % chaque année depuis 1995. Nous avons dans le même temps continué à enregistrer des adhésions : 14 000 en 1998 par exemple. Et dans le même temps, ce qui peut sembler paradoxal, l'image positive du Parti communiste a beaucoup progressé dans l'opinion.
J'ajoute, pour être tout à fait complet et transparent, que nous comptons 1 800 sections et 12 000 cellules. Nous estimons que 30 à 40 % de ces dernières ne fonctionnent pas véritablement. Ces chiffres ne me réjouissent pas. Mais il faut avoir le courage de regarder en face la réalité. Toutes les forces politiques y sont d'ailleurs confrontées. Suis-je le seul responsable de parti à le reconnaître ?
Josseline Abonneau : Qu'attendez-vous de votre critique du système des « dirigeants professionnels » et de l'exceptionnelle longévité des numéros un communistes ?
Robert Hue : Je dis dans mon livre qu'il faut « du sang neuf » à tous les niveaux du Parti, pour l'exercice de toutes les responsabilités. Ce n'est pas un « décret » de Robert Hue… C'est une invitation à la nécessaire réflexion sur nos pratiques de direction. Nous accomplissons beaucoup d'efforts pour renouveler en profondeur notre projet de transformation sociale et notre mode de fonctionnement. Et nous ne sommes pas au bout de ce travail de renouvellement. Il passe nécessairement par une meilleure rotation des cadres, à tous les niveaux de responsabilité.
Cette remarque, je l'applique aussi, bien sûr, au secrétaire national, Maurice Thorez a été secrétaire général pendant plus de trente ans. C'est trop long. Je n'ai eu que trois prédécesseurs en plus de soixante ans… Il faut rompre avec ce qui a existé.
Josseline Abonneau : En privilégiant au 29e congrès la question de la participation gouvernementale, n'avez-vous pas sous-estimé l'urgence des mises à jour de votre projet ?
Robert Hue : Au 29e congrès, nous avons débattu en cherchant à tirer enseignement de la période qui venait de s'achever, en France, par l'échec de l'expérience des années 80 et, dans le monde, par les profonds bouleversements constitués par l'effondrement de l'Union soviétique et l'émergence de nouveaux défis de civilisation. Nous avons beaucoup discuté d'une visée communiste permettant de « dépasser » le capitalisme.
Nous avons fait dans les conditions où nous pouvions le faire alors… avec toutes les interrogations et la perplexité qui accompagnaient la réflexion des communistes.
C'est d'ailleurs pourquoi, si le 29e congrès a apporté un grand soin à élaborer des propositions nouvelles – par exemple en matière de politique de l'emploi -, il a aussi laissé le débat ouvert sur de nombreuses questions. Plus encore : il s'est efforcé de le susciter pour mieux appréhender toutes les dimensions nouvelles des problèmes à résoudre.
Josseline Abonneau : La présence de ministres communistes au gouvernement a-t-elle accéléré la prise de conscience des communistes sur la nécessité d'une mise à jour du projet communiste ?
Robert Hue : En tout cas, elle n'est pas une « parenthèse » dans nos efforts pour préciser le projet communiste. Il n'y a pas, pour nous, un temps pour participer au gouvernement et un autre pour élaborer le projet communiste. Pourquoi les communistes sont-ils au gouvernement ? Pour contribuer à répondre aux attentes des Français, qui voient dans leur présence à la direction des affaires du pays un atout pour que leurs aspirations au changement soient bien prises en compte.
Dès lors, il n'y a pas de contradiction entre réponse aux attentes de notre peuple, de la société, et projet communiste. Celui-ci ne prédéfinit pas un modèle de société. Il part du réel pour le transformer. Qu'il s'agisse des services publics ou de l'Europe, de l'orientation de l'argent ou de la démocratie, nous ne cherchons pas à faire prévaloir au gouvernement une politique communiste ou des choix découlant de positions « idéologiques » a priori. Nous voulons contribuer à ce que la gauche réponde bien aux attentes de notre peuple, ce qui suppose que nous affirmions pleinement notre identité communiste moderne. Alors, d'une certaine façon, oui : notre participation au gouvernement exige de poursuivre nos efforts pour préciser et faire vivre notre projet communiste.
Josseline Abonneau : L'économique est fortement identitaire pour le PCF. Or, sur ces dossiers gouvernementaux, la marque communiste ne se fait qu'à la marge. N'est-ce pas là votre handicap pour vous affirmer ?
Robert Hue : Plutôt que de la « marque », je parlerai de l'apport communiste. On le retrouve dans la loi sur les 35 heures et dans les emplois-jeunes. Ou encore dans certaines mesures pour relancer l'activité par l'augmentation de la consommation. Par exemple les baisses ciblées de la TVA. Cela dit, le compte n'y est pas. En fait, je pense que ce sont la majorité plurielle et le gouvernement qui sont handicapés sur les questions économiques. Je viens d'évoquer les services publics. C'est à leur modernisation et à leur démocratisation qu'il faut travailler pour répondre aux attentes des Français, plutôt qu'à leur privatisation.
De même, une grande réforme de la fiscalité du crédit s'impose, afin d'aider les entreprises – les PME et PMI notamment – qui s'engagent à créer des emplois. Elle reste à venir, tout comme l'augmentation significative des salaires, retraites et minima sociaux afin de conforter la croissance par la demande intérieure. Ce sont quelques-unes de nos propositions de grandes réformes structurelles. Elles visent à dégager notre pays des contraintes récessives que lui imposent les marchés financiers et la priorité à l'argent. Nous les défendons à l'Assemblée nationale. Et, surtout, nous ne ménageons pas nos efforts pour les faire connaître dans le pays, pour que les citoyens en débattent, pour que l'exigence de leur mise en oeuvre grandisse et se conforte.
Josseline Abonneau : Dans la bataille européenne, n'est-ce pas là votre principale faiblesse par rapport à l'extrême gauche ?
Robert Hue : L'extrême gauche n'est pas mon problème. Mon problème, c'est de contribuer à apporter des propositions neuves, constructives, pour ancrer le changement à gauche. Ce qui m'intéresse, j'y insiste, c'est de les faire avancer, par le débat et le rassemblement des citoyens, jusqu'à l'Assemblée et au gouvernement. Si ces réponses ne sont pas apportées, alors oui, il peut y avoir un danger à l'extrême gauche, et à droite également. Et c'est l'ensemble de la majorité plurielle qui est concerné.
Josseline Abonneau : La modernisation du PCF en « parti des communistes » passe-t-elle par un congrès de la refondation, par la reconnaissance des tendances ou par une structure fédérant divers courants et mouvements ?
Robert Hue : Elle ne passe par aucune de ces « solutions ». Faire ainsi, ce serait, une nouvelle fois, chercher un modèle et s'y référer. Nous sommes définitivement vaccinés contre cette méthode. Tendances, structures « fédératives », je trouve que tout cela renvoie à des modes de fonctionnement figés, et pas précisément démocratiques. Je préfère le mot « association », au sens où Marx l'employait, c'est-à-dire comme moyen pour que le libre développement de chacun soit la condition du libre développement de tous.
La mutation du PCF c'est, fondamentalement, raccorder communisme et individu. C'est une exigence pour le Parti lui-même, et pour les rapports du Parti à la société. En travaillant à notre modernisation avec cet objectif, nous voulons enclencher une dynamique permettant de rassembler la force communiste, qui va au-delà des seuls membres du Parti. Et cet effort, nous le poursuivrons congrès après congrès et, chaque jour, par l'amélioration de nos pratiques. Permettez-moi de citer ce que j'en dis dans mon livre : « Il nous faut faire en sorte qu'il soit clair que notre conception n'est pas l'adhérent au service de la structure, mais, à l'inverse, la structure au service de l'adhérent. »
Josseline Abonneau : En liquidant l'organisation du PCF, vous considérez-vous comme le détonateur d'un lent processus de recomposition de la majorité plurielle, voire de l'ensemble de la gauche actuelle ?
Robert Hue : Je ne veux pas « liquider » mais innover, créer. Notre ambition, c'est d'être une grande force au service de la transformation sociale, un Parti communiste ouvert sur la société, constructif, disposant d'une influence électorale élargie. La mutation que nous avons engagée nous ouvre des chantiers très importants. Et elle pose aussi des questions nouvelles à toute la gauche. Je ne parlerai pas de « recomposition » de la majorité plurielle.
J'ai la conviction que chacune de ses composantes a un défi à relever : permettre à la gauche de devenir réellement majoritaire dans le pays. Ce n'est pas encore le cas aujourd'hui, tous les scrutins le montrent. Alors, à chacun d'innover pour réussir, pour rassembler largement à gauche, c'est-à-dire bien au-delà des contours de la majorité plurielle, toutes celles et tous ceux, progressistes, écologistes, qui se réclament de la gauche.
Je crois que nos efforts communistes peuvent être stimulants, peuvent dynamiser toute la gauche afin qu'elle travaille à cette indispensable ambition, en incitant chaque formation à s'interroger sur le contenu, le rythme des changements nécessaires. Et aussi sur une nouvelle façon de faire de la politique, plus proche des citoyens et de leurs problèmes.
RMC : VENDREDI 29 JANVIER
Philippe Lapousterle : Cette candidature aux européennes : il n'est pas dans la tradition du parti que le patron du parti soit tête de liste, et deuxièmement ce n'était pas tellement votre intention au départ. Qu'est-ce qui vous a décidé ?
Robert Hue : “C'est vrai qu'au départ, j'hésitais à être candidat tête de liste. Ce qui m'a décidé c'est le caractère éminemment politique de cette campagne européenne. Nous ne sommes pas encore en campagne, la vraie campagne commencera dans quelques semaines, mais nous voyons que ces élections – qui marquent traditionnellement la vie française – vont, là, prendre un caractère plus important. Et, pour le Parti communiste, c'est l'occasion d'affirmer – ce qui n'est pas encore forcément perçu par les Français – qu'il est foncièrement pour la construction européenne. »
Philippe Lapousterle : C'est nouveau ?
Robert Hue : “C'est nouveau, il veut s'engager dans cette construction européenne. Naturellement, en étant sur des positions anti-libérales, pour une Europe progressiste ! Mais en tout état de cause, je pense que la réussite de la majorité plurielle en France, et notamment les grandes réformes de structure que j'appelle, s'inscrit dans une réorientation européenne. »
Philippe Lapousterle : N'y a-t-il pas un risque pour vous de conduire la liste ?
Robert Hue : “Lorsqu'on fait de la politique, lorsqu'on est engagé pour des idées, il faut prendre des risques. Je pense qu'il y a surtout le risque que l'on progresse sensiblement, et ça je vais essayer d'y contribuer.”
Philippe Lapousterle : Ce n'est pas parce que vous étiez menacé par une extrême gauche – qui a des chiffres de sondage assez bons -, et par les Verts de l'autre, que vous avez été obligé de vous présenter ?
Robert Hue : “Non, non, on n'est pas cerné. On essaye de dire : vous êtes dans un étau. Je ne pense pas du tout que ce soit cela. Mais, je pense que le fait que D. Cohn-Bendit ait lancé sa campagne en disant : j'y vais, parce que j'ai envie de réduire le Parti communiste. Tout cela a contribué à réagir en disant : d'abord, ce n'est pas fait ; et puis, maintenant, il faut réagir. C'est dans cet esprit que je m'engage, pour conduire une bataille forte, offensive. Je n'entends pas du tout, ni poursuivre ou engager une polémique avec D. Cohn-Bendit. Je l'ai rencontré, je connais ses idées. C'est un homme qui a du talent, mais en même temps qui est foncièrement engagé dans une politique – même s'il ne le dit pas aussi ouvertement, encore qu'il le dise parfois – libérale. Du côté de l'extrême gauche, je ne crois pas que les choses se posent ainsi. Parce que la radicalité de ma candidature, des propositions que nous faisons sur l'Europe, franchement anti-libérales…”
Philippe Lapousterle : Quand on écoute A. Laguiller, vous êtes compromis.
Robert Hue : “Cela fait quarante ans qu'A. Laguiller dit cela. Si elle ne le disait plus, on s'interrogerait. J'ai beaucoup de respect pour les militants, et Arlette Laguiller est une militante. Cela dit, elle ne présente pas des propositions constructives : tout est mauvais, tout est opposition systématique. Il faut construire ! Il faut une opposition constructive.”
Philippe Lapousterle : Vous pensez que le Parti communiste peut battre ces deux listes ?
Robert Hue : “Ça ne se pose pas en ces termes. Le Parti communiste de toute façon existe, existera dans cette élection et après cette élection. Je ne pense pas que ces élections, pour être clair, modifieront le rapport de forces dans la gauche plurielle. La gauche plurielle est venue sur des élections législatives, et seules des élections législatives modifieront…”
Philippe Lapousterle : Vous avez dit vous-mêmes qu'il y aura des conséquences ?
Robert Hue : “Toute bataille politique engendre des conséquences.”
Philippe Lapousterle : Vous avez choisi la parité totale hommes/femmes. Qu'est-ce que vous pensez du Sénat qui refuse ?
Robert Hue : “C'est absolument terrible. Quelle image donnons-nous encore de la politique dans le pays quand on voit cette position conservatrice, réactionnaire, du Sénat qui refuse cette idée forte de l'égalité entre les hommes et les femmes ! D'ailleurs, à l'Assemblée nationale, cela s'est fait à l'unanimité. Nous avons donc voulu dans notre liste que ce combat pour l'égalité soit présent. Vous disiez parité hommes/femmes. Il ne suffit pas de le dire, il faut le faire, et puis il faut donner des signes. Et le fait que la seconde candidate de la liste, que j'ai l'honneur de conduire, sera G. Fraisse, connue nationalement pour ses combats pour l'égalité et les droits des femmes est un signe très fort.”
Philippe Lapousterle : Double parité, car il y aura également autant de communistes que de non-communistes ? Pourquoi, il n'y a pas assez de candidats ? Ce n'est pas troublant que le Parti communiste soit le seul de toutes les listes à prendre la moitié de non-communistes ?
Robert Hue : “Toutes les listes devraient en faire autant. Si les listes des formations politiques pensent, à elles-seules, dans une sorte de repli partisan, sur les candidats de leur parti, s'ils pensent qu'ils vont représenter la société telle qu'elle est, je crois qu'ils se trompent, et ils continuent de creuser le fossé entre les politiques et la société.”
Philippe Lapousterle : Donc tous les partis ont tort, sauf vous ?
Robert Hue : “Je n'ai pas dit cela. S'ils pratiquent la même parité que nous ils n'auront pas tort. Sinon, qu'ils ne viennent pas dire que la société civile, le mouvement social, et tout simplement que la société soit présente dans les élections. Ce que je souhaite c'est que dans ces 50 % de personnes qui ne seront pas communistes, il y ait ce courant ! En France, il y a un courant anti-libéral qui grandit, qui va bien au-delà du Parti communiste. Ces gens-là, s'ils ne sont pas dans un parti politique, alors ils ne pourront pas être candidats ! Mais, c'est terrible, on se mutile, on se prive d'une partie de la société. Quand on voit l'abstention qui existe ! Il faut que ces courants soient présents dans cette grande bataille électorale.”
Philippe Lapousterle : La sécurité : est-ce que vous pensez que c'est du devoir d'un gouvernement de gauche d'installer la sécurité comme préoccupation numéro un-bis ?
Robert Hue : “Je ne dissocie pas l'emploi des questions de sécurité. Ce qui me satisfait dans les mesures du Conseil de sécurité intérieur c'est que le Premier ministre a rappelé les causes profondes de l'insécurité. Elles sont quand même dans l'ordre de la situation sociale gravissime que connaissent un certain nombre de quartiers et de cités avec tous les maux de la société et de la crise de la société. Je pense qu'un gouvernement, en France aujourd'hui, doit prendre en compte ce droit à la sécurité. Il y a un droit à la sécurité. Je pense que les mesures qui sont prises sont d'importance d'abord parce qu'il y a une grande diversité de mesures, et surtout parce qu'elles prennent en compte l'action de proximité. Moi, qui suis maire et dans des quartiers dits-sensibles, je constate que c'est très important. Je me pose plusieurs questions. Un : il faut vite, au niveau budgétaire, qu'on dise où…
Philippe Lapousterle : Est-ce qu'il y aura les sous ?
Robert Hue : “C'est très important, et ce serait terriblement décevant qu'après une batterie de mesures positives, il n'y ait pas les moyens de les mettre en oeuvre. Ce serait désastreux. Deux : il manque dans le dispositif – mais, cela peut être complété – tout ce qui concerne la réhumanisation des quartiers. Il faut davantage donner de moyens à la vie associative, il faut que les services publics de proximité soient plus présents. Ce sont des choses sur lesquelles il faut revenir. Je suis satisfait que, par exemple, il n'y ait pas de remise en cause de l'ordonnance de 45. C'est-à-dire que le maintien de la priorité…”
Philippe Lapousterle : Jean-Pierre Chevènement est un bon ministre de l'Intérieur ?
Robert Hue : “Il n'a pas une tâche facile. Je ne partage pas tout ce que dit, ce que fait J.-P. Chevènement. J'ai beaucoup d'amitié pour lui. Mais, en même temps, il a une tâche difficile avec ces questions de sécurité.”
Philippe Lapousterle : Vous venez de signer un livre : « Communisme : nouveau projet », en lisant ce livre on se dit : comment le Parti communiste peut-il changer aussi vite et aussi profondément ? Sur l'Europe, par exemple, quel tournant incroyable ! C'est possible sans que le parti se dissolve ?
Robert Hue : “Non seulement il n'y a pas de désunion dans le parti, mais il y a un affermissement. Regardez, les dispositions, proposées hier sur l'Europe et sur la conception de la liste, sont unanimement soutenues dans le parti. Nous avons engagé une mutation profonde, il faut aller plus loin. Mais, souvent, et vous-mêmes ici, vous m'aviez posé la question : un parti communiste pour quoi faire aujourd'hui ? Ne sera-t-il pas un courant social-démocrate ? La démonstration est faite que nous sommes communistes, nous voulons le rester, et nous avons notre place dans ce pays parce que nous avons notre histoire. Et nous voulons, aujourd'hui, un communisme moderne qui n'a rien à voir avec la pensée ancienne du modèle soviétique et qui est un communisme de notre temps. Il est indispensable à la gauche plurielle pour bien ancrer à gauche ce gouvernement. C'est pour ça que les Français sont satisfaits qu'on soit au gouvernement.”
LE PARISIEN : 2 février 1999
Q - Vous prenez la tête d'une liste doublement paritaire : 50 % de femmes et, surtout, 50 % de non-communistes. Votre parti aurait-il peur de son drapeau ?
Robert Hue. - Evidemment non ! Notre drapeau, c'est la mutation et l'ouverture. Nous, nous passons aux actes. Sans doute s'agit-il d'une véritable révolution. En tout cas, c'est la seule façon, pensons-nous, de réhabiliter la politique…
Q - Vous avez déjà choisi comme numéro deux la philosophe Geneviève Fraisse, ancienne déléguée interministérielle aux Droits des femmes auprès de Jospin…
- Elle n'appartient pas au PC, c'est vrai. Il y aura d'autres surprises.
Q - Elle a voté oui à Maastricht en 1992…
- Elle voulait, à l'époque, affirmer sa conviction qu'il fallait construire l'Europe. Nous avions fait un autre choix. Nous nous retrouvons aujourd'hui dans un commun rejet d'une politique ultra-libérale. Mais que les choses soient claires : nous, communistes, nous ne sommes pas, en 1999, des eurosceptiques ou des euro-négatifs : nous voulons l'Europe. Nous sommes des euro-progressistes.
Q - Dans votre dernier livre (1), vous vous interrogez sur la notion même de « cellule », l'unité de base qui structure depuis l'origine votre parti…
- Quand on veut l'ouverture, le mot « cellule » n'est peut-être pas le mieux approprié… D'autant que les Français ont plutôt tendance à voir dans les partis des organisations hiérarchisées et fermées sur elles-mêmes. Mais, franchement, les querelles de mots ne m'intéressent pas. Ce sont les choses qu'il faut changer, pour que le Parti communiste devienne l'organisation moderne et ouverte dont on a besoin.
Q - Sur l'Europe, de qui êtes-vous le plus près ? Du tandem Laguiller-Krivine, qui dénonce Amsterdam ? Ou de Cohn-Bendit, avocat d'une Europe fédérale ?
- Arlette Laguiller n'avait pas voulu voter contre Maastricht. Daniel Cohn-Bendit m'a clairement confirmé ses orientations pro-libérales. Je ne suis proche d'aucun de ces deux choix. Moi, je suis pour l'Europe. Une Europe qui donne toutes ses chances à la réussite des changements attendus en France. C'est pour cela que je combats les orientations ultra-libérales qui, en soumettant tout aux marchés financiers, rendent les peuples concurrents, au lieu de les unir.
Q - Irez-vous vraiment siéger à Strasbourg, alors que vous êtes déjà député du Val-d'Oise ?
- J'irai siéger à Strasbourg : la loi actuelle me le permet. Mais je suis pour une réduction du cumul des mandats. Quand une loi sera votée en ce sens, ou peut-être avant, je prendrai les décisions qui me paraîtront les meilleures.
Q - Pensez-vous, comme Jean-Pierre Chevènement, que quelques « sauvageons » ou « petits caïds » perturbent gravement la vie d'un certain nombre de quartiers ou de cités ?
- Dans le cadre (très dégradé socialement) des quartiers et cités que vous évoquez se développe une délinquance souvent organisée autour de « petits chefs ». On a raison de s'en inquiéter. Le grave problème de la délinquance ne se résume cependant pas à ce seul aspect. Derrière ces « caïds » là, il y a souvent des gens plus âgés, plus puissants « installés » aux commandes de certains trafics…
Q - Faut-il éloigner les mineurs récidivistes en ouvrant des centres spécialisés et fermés ?
- Je ne suis pas hostile à des mesures d'éloignement pour les cas les plus difficiles. A une condition : qu'elles permettent effectivement d'empêcher la récidive. Les solutions type « maisons de correction » ne conviennent pas. Ce dont nous souffrons, c'est d'un grave manque de moyens pour travailler à une véritable réinsertion.
Q - Faut-il envisager la suspension des allocations familiales pour sanctionner les parents incapables de « tenir » leurs enfants ?
- Non. Cela ne réglerait rien. On punirait financièrement des familles déjà en grandes difficultés sociales et psychologiques. Elles n'en seraient certainement pas mieux à même d'assumer leurs responsabilités.
Q - Que répondez-vous à ceux qui jugent l'Etat bien impuissant devant la délinquance ?
- Beaucoup éprouvent le sentiment d'être abandonnés face à l'insécurité. Il faut augmenter considérablement les moyens, aussi bien pour la prévention que pour l'action de la justice et de la police. Les mesures que vient d'annoncer le Premier ministre sont une première étape. Il faut les concrétiser au plus vite.
Q - Avant, le PC disait catégoriquement non aux privatisations. Et voici maintenant l'ouverture du capital d'Air France ! Vous êtes convertis ?
- Certainement pas ! Privatiser, c'est imposer à des services publics la priorité de la rentabilité financière. Ce n'est pas la bonne solution. Je pense qu'il faut plutôt les rénover, les moderniser, les démocratiser. L'ouverture du capital peut être, dans certains cas, nécessaire. Notamment dans le cadre d'accords internationaux indispensables. Mais il faut alors préserver la maîtrise publique, et les priorités publiques des entreprises concernées.
Q - Franchement, les 35 heures sont-elles jusqu'ici une réussite ?
- Il y a des résultats. Mais ils sont insuffisants. Et il y a un risque : la loi pourrait être détournée pour aggraver la flexibilité, la précarité et refuser les créations d'emploi. Mais on peut empêcher cela et aboutir à de bons accords. Les salariés et leurs syndicats s'y emploient. Le gouvernement peut les y aider davantage.
Q - Comment interprétez-vous la coupure du FN en deux ?
- Que cela aille mal à l'extrême droite raciste et xénophobe, tant mieux ! Mais on n'en a pas fini pour autant avec elle. J'ai la conviction que c'est en faisant une politique répondant aux attentes des Français, une politique bien ancrée à gauche, que l'on pourra le mieux la combattre. Et la faire reculer.
Q - Samedi, Lionel Jospin a fait poser tous ses ministres devant les photographes. N'est-ce pas la preuve que le dernier mot doit toujours lui revenir ?
- L'art photographique donne lieu à de bien curieuses interprétations… Lionel Jospin est Premier ministre, donc responsable de la cohérence du gouvernement pluriel. C'est sur le travail commun respectant chacun que peut s'établir cette cohérence. Pas sur l'alignement autour ou derrière qui que ce soit. Lionel Jospin connaît mon sentiment sur ce point. Il ne m'a jamais dit qu'il ne le partageait pas.
Q - Comment se fait-il que le dossier du Pacs traîne à ce point en longueur ? Y aurait-il un certain embarras dans la majorité ?
- Je ne le pense pas. La majorité est à l'image de l'opinion publique, convaincue qu'il faut faire évoluer la loi pour tenir compte de ce qui bouge, de ce qui change dans la société. C'est à droite que se manifestent les plus vives réticences, et même les pires conservatismes à l'égard du Pacs. Cela dit, j'espère vivement que le texte sera définitivement adopté dans les délais fixés.
(1) « Communisme. Un nouveau projet », Stock, 398 p., 120 F.