Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, sur la réforme de l'ordonnance de 1945 relative aux professions du spectacle, et sur la culture européenne, Paris le 1er mars 1996 et Divonne-les-Bains le 15 mars 1996.

Prononcé le 1er mars 1996

Intervenant(s) : 

Circonstance : Séance du Conseil national des professions du spectacle à Paris le 1er mars 1996 et déplacement à Divonne-les-Bains le 15 mars 1996

Texte intégral

Allocution de Monsieur Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, à l'occasion de l'ouverture de la séance du Conseil national des professions du spectacle (le 1er mars 1996)

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais vous dire ma satisfaction de vous rencontrer, en ce début d'année 1996. Depuis notre précédent rendez-vous, en juillet dernier, je sais que vous travaillez sur des dossiers importants pour la profession.

Ainsi, le groupe de travail sur les annexes 8 et 10 de la convention relative à l'assurance chômage permet-il de tenter des rapprochements, sur les positions respectives des employeurs et des salariés du secteur.

Grâce à votre dynamisme – nous le verrons, tout à l'heure, dans les comptes rendus d'étape que nous ferons, les rapporteurs des deux groupes de réflexion –, un travail de qualité est réalisé au sein du conseil. Je m'en félicite. Mais il reste beaucoup à faire. Aujourd'hui, je souhaite vous soumettre un dossier d'importance, celui de la réforme de l'ordonnance du 13 octobre 1945, relative aux spectacles.

La réforme de l'ordonnance de 1945 est, je le sais, une préoccupation que nous partageons tous, depuis longtemps.

En effet, plusieurs de mes prédécesseurs ont envisagé d'ouvrir un tel chantier, sans qu'aucune de ces initiatives ne soit en mesure d'aboutir à une réforme d'ensemble.

Les modifications récentes mais partielles, comme l'extension du champ d'application aux associations, conjuguées à l'obsolescence du texte, rendent aujourd'hui indispensable une refonte, en profondeur, de l'ordonnance.

Je sais que plusieurs d'entre vous ont été témoins ou acteurs de propositions de réforme, jusqu'alors inabouties.

Je vois plusieurs causes à ces difficultés, dont les principales sont la nature complexe du texte et les intérêts parfois contradictoires des parties.

Je crois que, grâce à l'existence même du Conseil national des professions du spectacle, il est possible, aujourd'hui, d'engager, ensemble, cette réforme.

Notre instance a, en effet, beaucoup fait depuis trois ans, pour une meilleure cohésion des métiers du spectacle et la mise en évidence de leurs problèmes communs. J'observe également que, parallèlement à nos travaux, les secteurs se structurent : le groupement des employeurs privés du spectacle vivant, la négociation d'une convention collective relative aux variétés en sont quelques exemples.

La réforme de l'ordonnance de 1945 doit viser, à mon sens, quelques objectifs simples, que nous devrons décliner ensemble dans les semaines qui viennent : actualisation et redéfinition, le cas échéant, des activités couvertes ; amélioration du contrôle et des sanctions ; simplification des procédures.

Je souhaite que le Conseil national des professions du spectacle puisse me remettre, le 30 juin prochain, une proposition de réforme globale de l'ordonnance qui recueille l'assentiment de l'ensemble des composantes de notre instance.

Il vous appartiendra, dans cette perspective, de créer un groupe de travail ad hoc, qui se réunira à échéances régulières et rapprochées.

Afin d'amorcer rapidement cette réflexion, mes services vous remettront une proposition écrite ; il ne s'agira là que d'une base de travail, fruit de premières réflexions, qui aura vocation à être modifiée, contredite, enrichie par vos soins.

Le travail que vous allez effectuer est donc important. Je tiens à indiquer, ici, que nous ne pouvons prendre le risque d'un nouvel échec, qui décevrait, une nouvelle fois, les métiers concernés.

De ce fait, s'il n'était pas possible, au vu de vos travaux, d'aboutir à une réforme globale, je reviendrai vers vous, afin d'examiner les moyens de réformes sectorielles de l'ordonnance.

Je suis, comme vous, convaincu que cette seconde solution ne serait pas, loin s'en faut, la meilleure ; elle n'en demeurerait pas moins nécessaire, par pragmatisme, en cas d'échec de la démarche pour laquelle je vous sollicite aujourd'hui.

Il vous appartient donc d'engager, sans plus attendre, vos travaux, afin d'aboutir dans les meilleures conditions, à une proposition de réforme répondant aux besoins actuels. Je sais que ce travail est à votre mesure. Il est à notre portée.


Allocution de Monsieur Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, sur le thème de la culture européenne à Divonne-les-Bains (le vendredi 15 mars 1996)

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,

S'il y a une culture européenne, c'est qu'il existe à la fois, une pédagogie de l'Europe et une politique de l'Europe. Parce que l'Europe est, d'abord, le lieu d'apparition de la conscience historique. Non pas un savoir proliférant, mais une méthode, un projet, une « dialogique », comme l'indique ce mot forgé par Edgar Morin pour évoquer, en même temps, une dialectique, un dialogue et une logique.

L'histoire, en premier lieu, parce qu'une culture prend appui sur les événements du passé. L'Europe, ce sont les cathédrales et « … le blanc manteau des églises » qu'évoquaient les chroniques médiévales ; ce sont les droits de l'homme ; c'est l'idée de progrès. Mais c'est aussi, au cœur du XXe siècle, le mal absolu du génocide, le retour de la haine ethnique, la permanence de la violence.

Au fondement même de notre culture, il y a donc ces valeurs que nous dicte l'histoire : la liberté de l'esprit, la quête de la vérité, le respect de la personne humaine. Tout ce que nous construisons ensuite n'est qu'illusion ou pure technique, si nous ne retournons pas, avec patience et ténacité, à ces fondements-là, qui sont la part la plus précieuse de nous-mêmes.

L'histoire, donc, et la diversité. Il n'y a pas une culture européenne. Il y en eut une, autrefois, avant que l'Europe ne se partageât en États. Elle a disparu au profit de cultures nationales plus ou moins généralisables – songeons à la nôtre. Elle a reparu, en de fulgurantes et brèves éclaircies : c'est Vienne en 1900, ou Prague, ou Paris dans l'entre-deux-guerres. Ce sont Zweig, Kafka et Valery, dans l'ordre littéraire. Ce sont Freud, Planck et Pasteur, dans l'ordre scientifique. Ce qui unit ces hommes de lettres et ces hommes de science, c'est bien que leur activité est indissociable d'une vision du monde.

Il y a des cultures d'Europe dont chacune, par sa singularité même, est amenée à devenir européenne, par la formation de cette vaste et puissante communauté de nations et de peuples, dans des formes institutionnelles sans précédent, ni référent.

C'est notre travail : faire en sorte que, sur cet espace, s'édifie une puissance dont la culture est, en quelque sorte, l'illustration, le garant et l'avenir.

D'autres cultures, au-delà de l'Europe, possèdent art et musique, philosophie et science, littérature et mode de vie. Leur connaissance enrichit nos existences. C'est cette curiosité à l'égard d'autres cultures, le désir d'apprendre leur langage, la volonté d'étudier leurs coutumes et leurs arts qui est, typiquement, européen. Nous sommes ouverts à l'autre et attendons de lui une parole, un regard, un esprit.

D'autres grandes cultures de l'histoire, ailleurs qu'en Europe, ont naturellement apporté une contribution inestimable à l'humanité. Aucune, sans doute, n'a élaboré le même rapport à la culture de l'autre, que la culture de l'Europe.

C'est, souvent, sous la pression de la force que d'autres cultures que celle de l'Europe ont rencontré l'autre. C'est en Europe seule, qu'avec les Lumières, la culture s'est comprise comme universelle et comme cosmopolite, c'est-à-dire vouée à se diffuser et à s'enrichir des inventions de l'autre.

Chacun comprendra, de ce côté de l'Atlantique, que nous ne pouvons concevoir qu'il existe une culture dominante – par excès ou par défaut.

Nous, Européens, nous devons développer encore plus le puissant intérêt à l'égard de l'autre, qui est la nature même de notre culture. Cette curiosité, cet effort, cet intérêt sont autant de singularités et de spécificités de nos propres cultures.

Démarche historique, reconnaissance de la diversité, écoute et curiosité de l'autre ; c'est bien cela que résume, avec force, le mot de liberté ; notre culture n'est elle-même que dans cette recherche incessante qui l'a toujours caractérisée, y compris lorsque cette quête prenait la forme de la conquête.

Contre tout nombrilisme, la culture européenne doit rester fidèle à cette vocation. Nous devons chercher toutes les formes d'action qui nous permettront de coopérer, ensemble, avec les autres cultures, en particulier, avec l'Europe centrale et orientale, avec le monde méditerranéen, avec l'immense ensemble africain.

Paul Valery avait coutume de dire que « … l'Europe n'a pas eu la politique de sa pensée ». C'est à nous qu'il appartient de reprendre le cap que ce grand Européen avait tracé.

La culture ne figure que depuis peu dans les champs d'intervention de l'Union européenne. La plupart des programmes culturels qui ont été préparés, Kaléidoscope pour les manifestations culturelles, Ariane pour le livre, Raphaël pour le patrimoine sont, aujourd'hui, bloqués. Il me revient de me battre, pour que l'Europe tienne son rang dans le domaine culturel. Vous comprendrez que j'évoque la nécessité de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée, pour l'adoption des programmes.

Dans ce contexte, les régions de l'Europe peuvent, au côté des États et des villes, jouer un rôle essentiel pour une véritable coopération européenne. L'échelon régional est probablement le plus adapté pour le développement de la coopération entre les États de l'Europe. C'est bien une Europe des cultures de nos villes et de nos régions qui doit émerger, à l'horizon de la fin du siècle : je sais que vous l'avez compris, parmi les premiers.

Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs, nous vivons, aujourd'hui, des temps difficiles. Au sens de l'universel, s'oppose le repli sur la communauté. Au pluralisme ouvert, s'oppose l'assimilation brutale. Souvent, aussi, l'individu et ses intérêts l'emportent sur le citoyen et ses idéaux. Notre société que l'on dit civile devient, dans le même mouvement, « incivile » pour beaucoup de ses enfants qu'elle exclut, rejette, enferme.

Parce que nos cultures européennes, au-delà même de notre travail et pour indispensable qu'il soit, sont fragiles et menacées, elles ressemblent par là-même à nos démocraties.

Sur le sol reclus d'histoire de notre vieux continent, un espoir renaît. Une véritable civilité européenne émerge, qui renoue avec des valeurs et des pratiques qui nous réunissent aujourd'hui. À la fois civilité et urbanité, cette forme supérieure de citoyenneté s'appuie sur l'État de droit, sur la démocratie, sur le respect de la personne humaine : ce sont là les fondements de nos cultures. Elle renoue avec ces grands Européens que furent Julien Benda et Stephan Zweig.

Cette nouvelle citoyenneté, qui regroupe les meilleurs des esprits qui font l'Europe d'aujourd'hui, nous en sommes les acteurs et les témoins. Au-delà des hiérarchies sociales et des inégalités invisibles, il nous revient d'en porter les espoirs et d'en défendre les valeurs.