Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, sur le musée Jacquemart André, l'antisémitisme du gouvernement de Vichy, et la remise des Constitutions de la France à la direction des Archives de France par le ministère de la justice, Paris les 28 et 29 mars 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Inauguration du musée Jacquemart André et dévoilement de la plaque de l'immeuble ayant abrité le commissariat général aux questions juives. Remise des Constitutions de la France aux Archives nationales

Texte intégral

Allocution de Monsieur Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, à l'occasion de l'inauguration du musée Jacquemart-André (le 28 mars 1996)

Monsieur le chancelier,
Mesdames et Messieurs les académiciens,
Mesdames et Messieurs,

C'est un grand plaisir pour moi que de célébrer avec vous aujourd'hui, la réouverture, après cinq ans de fermeture pour travaux de rénovation, d'un des fleurons du patrimoine artistique français à Paris, le musée Jacquemart-André.

Le musée Jacquemart-André est l'un des très rares endroits, à travers le monde, où le public puisse pénétrer dans l'intimité de grands collectionneurs du siècle passé. Le magnifique hôtel, que l'architecte Parent construisit entre 1868 et 1875 pour le banquier Édouard André et son épouse Nélie Jacquemart, n'est pas seulement l'un des exemples les plus raffinés du grand goût parisien de la fin du Second Empire ; dès l'origine, il a aussi été conçu par ses propriétaires comme le réceptacle d'une des plus belles collections privées que Paris ait jamais connues, c'est-à-dire comme un musée en devenir.

Président de l'Union centrale des arts décoratifs, Édouard André, qui fut aussi membre du Conseil supérieur des Beaux-Arts et propriétaire de la célèbre Gazette des Beaux-Arts, était un homme de musée. En édifiant cette demeure, pour y installer ses collections comme pour y recevoir, dans un cadre à la mesure de sa fortune, il caressait le projet d'un musée des arts décoratifs.

Celui-ci, vous le savez, ne devait voir le jour que dix ans après sa mort, en 1905, dans l'aile Marsan, au Louvre. Mais en léguant à l'institut, en 1913, l'hôtel de la plaine Monceau et les collections qu'il renferme, Nélie André, qui partageait en tous points la passion de son mari et a autant que lui imprimé sa marque à cette demeure, en a, en quelque sorte, confirmé la vocation.

Nous sommes heureux de pouvoir le redécouvrir aujourd'hui dans son intégrité. Pendant des années, ses salons, voués à la présentation de grandes expositions temporaires, avaient perdu leur identité. Des prestigieuses collections de Jacquemart-André, on avait perdu la mesure. À vrai dire, on n'en voyait plus guère que des fragments, au gré, notamment, des prêts consentis par l'institut à d'autres expositions temporaires, à travers le monde.

Grâce au travail mené par Monsieur Nicolas Sainte-Fare-Garnot, conservateur du musée, nous pouvons à nouveau tout voir. Il nous est permis d'accéder, à présent, aux délicieux appartements privés des maîtres de maisons, alors que le public n'avait guère accès qu'aux salles d'apparat du rez-de-chaussée. Il faut bien reconnaître que ces collections, où brillent tant de chefs-d'œuvre des maîtres de la Renaissance italienne, de la peinture nordique du XVIIe siècle, de la peinture et de l'ébénisterie françaises du XVIIIe siècle, comptent parmi les plus belles de Paris.

À la renaissance du musée Jacquemart-André, le ministère de la culture n'est pas étranger. Nous sommes, ici, dans un monument historique ; l'hôtel et ses décors intérieurs sont entièrement classés ; avec l'aide de la direction du patrimoine, le musée a bénéficié de crédits d'entretien gérés par l'agence des Bâtiments de France.

De son côté, la direction des Musées de France met, de longue date, à la disposition de la Fondation Jacquemart-André, la compétence du service de restauration des Musées de France, pour le programme de restauration des œuvres auquel participent également des spécialistes de l'IFROA.

Ces rapprochements entre les services du ministère de la culture et les établissements relevant de l'institut me tiennent beaucoup à cœur. Ils ne concernent pas seulement Jacquemart-André.

Mon souhait, Monsieur le chancelier, est que ces échanges aillent en se renforçant. J'attache pour cela une importance particulière à ce que le projet de loi sur les musées, dont la direction des Musées de France est en train d'achever la rédaction, tienne compte de l'originalité et du statut particulier des établissements relevant de vos fondations.

À cet égard, je veux vous dire combien est significative, Monsieur le chancelier, l'élection du président directeur du musée du Louvre, Monsieur Pierre Rosenberg, à l'Académie française. Voilà bien un gage nouveau de dialogue entre ces institutions.


Allocution de Monsieur Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture, à l'occasion du dévoilement de la plaque de l'immeuble ayant abrité le commissariat général aux questions juives, place des Petits-Pères (le jeudi 28 mars 1996)

Monsieur le président,
Monsieur le maire de Paris,
Mesdames, Messieurs,

C'est ici que, pendant plus de trois ans, fonctionna un rouage de l'administration française, officiellement chargé, selon les termes de la loi qui le créait, – je les cite : de « … proposer toutes les mesures propres à mettre en œuvre les décisions de principe, arrêtées par le gouvernement, relativement à l'état des juifs ».

Entre mars 1941 et août 1944, le commissariat général aux questions juives fut donc ce lieu de coordination de l'action administrative, qui visait à exclure les juifs des fonctions publiques et privées où, citoyens de seconde zone, ils ne devaient plus avoir leur place.

Une administration de mission, en quelque sorte, que ce commissariat général. Triste mission et triste administration, dont l'une des sections avait la responsabilité de l'aryanisation économique – terme que l'on ne peut s'empêcher de lire, aujourd'hui, avec effroi, mais qui faisait partie du vocabulaire de cette maison !

Les textes, alors, se multiplièrent : des dizaines et des dizaines, dans lesquels l'odieux le disputait au dérisoire. Il fallait – aux termes de l'interprétation des textes donnée par le Conseil d'État – je cite : « … ôter aux juifs toute autorité et toute influence dans l'État français ».

Est-ce pour cela qu'une personne dont trois grands-parents avaient – peut-être – fréquenté la synagogue ne pouvait être juge de paix, instituteur, ou courtier en grains ?

Souvenons-nous de la rigueur avec laquelle furent appliqués ces textes d'exclusion.

Bien peu, hélas, parmi nos élites administratives suivirent le geste de l'inspecteur général Monod, demandant à son ministre de le décharger d'une tâche qu'il jugeait incompatible avec les valeurs républicaines dont il était pétri.

Ainsi guidée par un gouvernement dévoyé, par des chefs aveuglés, par des élites coupables, comment l'administration n'aurait-elle pas eu à cœur de mener, avec zèle, la tâche nouvelle attendue d'elle ?

Il faut redire, après le président de la République qui brisait, l'été dernier, le silence officiellement entretenu jusque-là, que les entreprises barbares de l'occupant nazi bénéficièrent de la complicité de ce qui était, alors, l'État français.

Vichy, nous disent certains, n'était pas la France. Ce n'était pas la France que nous aimons, la France des droits de l'homme, de l'État de droit, du respect de la personne humaine. Cette France-là, le général de Gaulle la portait avec lui.

Elle a guidé, des jours sombres de Londres ou de Dakar, aux jours glorieux de Bir-Hakeim et de Paris libéré, le geste de ces hommes auxquels nous devons tant.

Elle a guidé, aussi, l'action de ceux qui, dans la France occupée et dans la France muselée, refusèrent de laisser s'éteindre l'espoir. Ils le payèrent, souvent, de leur vie.

Alors, non ! Vichy n'était pas toute la France. Pourtant, ici, à Paris, comme à Vichy, comme dans tous les départements, des fonctionnaires et des agents du gouvernement français définissaient et appliquaient une politique d'exclusion et de ségrégation. Cette politique correspondait, certes, aux vœux de l'occupant allemand. Elle n'en était pas moins la politique du gouvernement.

Faut-il rappeler l'une des pages les plus noires de notre histoire récente, lorsque le régime prêta, à l'occupant, le concours de son administration – pas seulement de son administration policière – lorsque vint le temps des rafles ?

C'est, aujourd'hui, le ministère de la culture qui occupe ces lieux. C'est donc à lui qu'il est revenu de relayer, auprès de l'autorité préfectorale, en lui accordant son plein appui, la démarche, nécessaire et vigilante, du CRIF.

Par la responsabilité qu'il exerce en matière d'archives publiques, le ministre de la culture est aussi le ministre de la mémoire. C'est aussi et peut-être d'abord à ce titre que Jacques Toubon, puis moi-même, avons voulu voir aboutir votre demande, Monsieur le président.

C'est pour cela qu'aujourd'hui, ministre du gouvernement de la France républicaine, j'entends témoigner de notre volonté de regarder notre passé en face. C'est un devoir de mémoire.

Ce devoir, il nous faut l'exercer envers le souvenir des victimes de la politique suivie par le gouvernement de Vichy, victimes auxquelles cette plaque entend rendre un hommage officiel.

Nous le devons, aussi, à la France d'aujourd'hui, et d'abord à sa jeunesse. C'est un devoir rendu plus impérieux encore, lorsque renaissent des ferments d'une haine que l'on avait voulu croire, à jamais, éteinte.

Puisse cette plaque, par le sombre souvenir dont elle est le témoin, nous aider à faire en sorte que la France n'ait plus, dans son histoire qui se fait et dans celle qui se fera, à se remémorer des actes aussi terrifiants.


Allocution de Monsieur Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture, à l'occasion de la cérémonie de remise solennelle des constitutions de la France (le vendredi 29 mars 1996)

Monsieur le garde des Sceaux,

Vous avez fait le choix de mettre les constitutions de la France à la disposition des citoyens, en me confiant la garde au ministère de la culture, dans le cadre des Archives de France.

Je tiens, aujourd'hui, à vous exprimer mes plus vifs remerciements pour ce geste politique qui permet, ainsi, aux actes constitutifs de l'histoire de la nation, de rejoindre les Archives de France. J'y vois une belle continuité du service de l'État, du ministère de la culture au ministère de la justice.

En ce jour de remise solennelle des constitutions de la France, nous nous souvenons que c'est la perte des archives du royaume à la bataille de Fréteval, en juillet 1194, qui a engagé le roi Philippe Auguste à sédentariser les Archives royales au Palais de la Cité, afin de préserver les chartes et documents.

La Révolution française permit la mise en place d'une nouvelle organisation des archives. Dès le 20 juillet 1789, l'assemblée se dotait d'un service d'archives, confié à Armand Gaston Camus, qui va regrouper dans un grand dépôt, toutes les archives de l'ancienne monarchie.

Le 7 septembre 1789, les archives de l'Assemblée nationale prennent le nom d'Archives nationales. Elles conservent le dépôt de tous les actes qui établissent la Constitution du royaume, son droit public, ses lois et sa distribution en départements.

Aujourd'hui, Monsieur le garde des sceaux, vous renouez avec ce texte fondateur, œuvre de la Révolution française qui a fait, des Archives nationales, dès l'origine, les dépositaires des actes fondamentaux de la nation.

Si la Révolution ne pouvait tout inventer, elle énonçait des principes novateurs et durables : la collecte des documents et le droit des citoyens à en prendre connaissance.

Communiquer les documents d'archives au public, qu'il soit formé de professionnels de la recherche ou de simples amateurs, c'est l'objectif premier des services d'archives. Ils doivent faciliter l'accès à la connaissance historique, mais aussi l'accès des citoyens à l'information sur le fonctionnement des pouvoirs publics.

Ces constitutions seront, ainsi, à la disposition des citoyens. Nous faisons, ensemble, œuvre de civisme républicain.

C'est dans le même esprit, Monsieur le garde des sceaux, qu'en septembre 1994, alors que vous étiez ministre de la culture et de la francophonie, un comité interministériel d'aménagement du territoire a décidé de créer, à Reims, un centre de la mémoire de la Ve République, fruit d'une collaboration exemplaire entre les deux ministères de la défense et de la culture.

Au terme de cette entreprise, Reims deviendra, au cœur de l'Europe, un grand pôle de recherche au service des universitaires, des responsables politiques, des partenaires sociaux. Ce sera, aussi, un lieu de culture historique et civique, à l'usage du public le plus large.

Lors de l'inauguration des bâtiments, le 4 octobre 1998 – quarantième anniversaire de la Ve République – une grande exposition y évoquera la création du régime politique sous lequel nous vivons.

Vitrine de la mémoire, ce centre de la mémoire de la Ve République est essentiel pour le développement culturel du pays. Il est fondé sur la prise de conscience de l'identité collective du peuple français, la formation du sens civique, la promotion d'une culture générale positive pour le plus grand nombre.

C'est le sens de la cérémonie qui nous réunit aujourd'hui : l'histoire, Monsieur de garde des sceaux, constitue le ferment le plus indispensable à la continuité de la nation et de l'État.