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Paris-Match : Pendant des années, vous êtes resté un célibataire endurci, puis à 45 ans vous avez fini par craquer pour le mariage. Aujourd'hui, avec une femme et trois enfants, vous êtes un ministre heureux. Le mariage est-il donc une institution indispensable, selon vous, au bon équilibre de la famille ?
Jacques Barrot : La famille est une chance formidable que nous ne mesurons pas à sa juste valeur. C'est tout à la fois la stabilité et l'aventure, la sécurité et la nouveauté incessante. Bien sûr, mieux vaut construire cette union à partir d'un contrat clair, explicite comme le mariage. Mais il faut respecter le cheminement des uns et des autres. Il y a ceux qui tardent à se meure en chemin : j'ai été de ceux-là. Il y a ceux qui hésitent el cherchent. Il y a ceux qui ont dû modifier leur parcours. L'essentiel est de chercher à bâtir et à entretenir une communauté de vie et d'affection où l'enfant aimé apprend à aimer el où il acquiert le désir de transmettre à son tour la vie et l'amour.
Paris-Match : La mode est au concubinage avec enfant : tous les jours, on apprend que des stars du showbiz ou de la politique font des enfants hors mariage. Est-ce une menace pour la famille ?
Jacques Barrot : Il y a un risque de faire rêver au bonheur avec de belles images de couples éclatant de beauté et de jeunesse, mais fugitifs. Ce bonheur est, certes, protégé des difficultés matérielles, mais souvent assombri par une errance affective plus douloureuse qu'on ne le croit. Il nous faut, à coup sûr, d'autres images pour ce monde en quête de sens. Pendant le Sommet de la famille, la présidente de l'Union des parents d'enfants inadaptés, après nous avoir dit qu'un couple sur deux appelé à accueillir un enfant handicapé se dissociait, témoignait, à l'inverse, de la joie de ceux qui ont surmonté ensemble l'épreuve de l'accueil de cet enfant différent, plus fragile.
Paris-Match : Craignez-vous la multiplication des familles éclatées à cause des divorces ?
Jacques Barrot : Il ne s'agit pas de juger. Il s'agit avant tout de créer des conditions plus favorables à la vie des familles et des couples : il y va des rythmes de travail, de la prise en charge des enfants, des conditions de logement, bref, de tout un environnement dont nous, les politiques, sommes responsables. Pour le reste, il s'agit de la liberté. Il serait trop facile d'en appeler à un monde idéal où l'on ne connaîtrait plus ces séparations douloureuses. Mais il faut toujours parler « responsabilité ». L'enfant ne doit être ni un otage ni un enjeu entre ses parents séparés. Il doit continuer à bénéficier de leur pan de moments d'attention, de gestes d'amour. Quand c'est possible, il est bon que ces gestes puissent encore, en certaines occasions, être prodigués ensemble par ceux qui lui ont donné la vie. L'important est de répondre au besoin profond de l'enfant d'être aimé.
Paris-Match : Comment la politique familiale que vous comptez mener peut-elle aider les familles à se construire de nouveau ?
Jacques Barrot : La société française peut et doit faire beaucoup mieux pour accueillir les jeunes familles. Pourquoi faut-il de si longues heures de transport en commun, chaque jour, pour aller d'un domicile trop éloigné à son lieu de travail ? Pourquoi faut-il que la France n'ait que 15 % d'emplois à temps partiel choisi ? Pourquoi l'accueil des enfants et des adolescents, en dehors des heures scolaires est-il encore si peu développé dans certaines régions ? Le 6 mai, autour d'Alain Juppé, en réunissant à la fois – c'était une première – les mouvements familiaux, les syndicats, les patrons et les collectivités locales, nous avons imaginé une société tout entière réaménagée au service de la famille et de l'enfant. N'y a-t-il pas là l'une des grandes batailles pour le siècle qui s'annonce ?
Paris-Match : En attendant, Alain Juppé veut fiscaliser les allocations familiales. N'est-ce pas une solution qui va contre la famille ?
Jacques Barrot : Si on parle de fiscalisation sans expliquer, tout le monde prend peur. En fait, ce que le gouvernement a souhaité, c'est pouvoir dégager des ressources supplémentaires pour répondre à de nouveaux besoins : les besoins des familles où les grands enfants sont sortis de l'école mais ne sont pas encore entrés dans la vie professionnelle. L'allongement des allocations familiales serait une bonne chose au-delà de 18 ans. Mais comment la financer ? On ne peut pas toujours augmenter les cotisations. Il faut savoir demander un effort à certains dont la situation matérielle ne requiert pas une aide au taux maximal afin d'assurer une meilleure prise en charge des grands enfants. Le Premier ministre a souhaité qu'un groupe de travail puisse réfléchir de manière approfondie de façon à dégager les meilleures solutions possibles et les mieux acceptées. En aucun cas il ne s'agit d'augmenter le nombre de contribuables ni de soustraire de l'argent à la famille pour le mettre ailleurs, mais tout simplement de l'utiliser autrement pour les familles.
Paris-Match : Plutôt que « politique familiale », ne devriez-vous pas baptiser votre nouvelle politique « politique de défense de l'enfant » ?
Jacques Barrot : C'est vrai, l'engagement familial est sans doute source de bonheur pour les parents, mais il doit être aussi source de bonheur pour l'enfant. Et je lance un S.O.S. : la société française a besoin d'enfants plus nombreux. Elle s'étiolera vite si elle garde une démographie de 1,6 enfant en moyenne par couple. Elle s'affaiblira, elle se repliera sur soi. À l'inverse, un enfant accueilli, soutenu, orienté, est porteur de grandes richesses à venir. Il nous permettra de briser le cycle de la solitude et de l'exclusion. Il sera à son tour fondateur de famille, nouveau maillon d'une société qui retrouvera celle cohésion, cette solidarité entre générations dont nous avons tant besoin, Alors, vive l'enfant ! Pensons à nouveau très fort à lui. Comme le dit le Petit Prince : « C'est le temps que tu as perdu pour la rose, qui fait la rose si importante ».