Interview de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement des transports et du logement, à Europe 1 le 27 janvier 1999, sur l'ouverture du capital d'Air France et le projet de TGV Est.

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Média : Europe 1

Texte intégral


Europe 1 : C'est parti ! L'État ouvre le capital d'Air France. 17 % au lieu de 20 %. C'est une première étape ?

Jean-Claude Gayssot : Il s'agit non seulement de 17 %, mais il va y avoir aussi l'échange salaire-actions avec les pilotes et la participation du personnel. Au total, 63 % vont rester, dans un premier temps, capital public et puis cela pourra aller, dans les trois ans, jusqu'à 55 %.

Europe 1 : C'est une étape ?

Jean-Claude Gayssot : 55 %, ce n'est pas une étape. C'est le définitif.

Europe 1 : Ce que vous prévoyez, aujourd'hui comme définitif.

Jean-Claude Gayssot : Absolument !

Europe 1 : Mais, à une nouvelle étape de privatisation, vous dites : jamais, jamais ?

Jean-Claude Gayssot : Il ne s'agit pas de privatisation. J'insiste là-dessus. On m'avait dit : il faut privatiser Air France. Air France ne sera pas privatisée ! Christian Blanc, on s'en souvient, a démissionné parce qu'il voulait la privatisation. La privatisation n'aura pas lieu, mais je m'étais engagé à ce qu'il y ait une respiration, une ouverture du capital. Cela se fait aujourd'hui.

Europe 1 : Vous avez lu « L'Humanité » de ce matin : Air France, la privatisation décolle ?

Jean-Claude Gayssot : Oui, mais vous parlez d'un titre. En réalité, « L'Humanité » s'est trompée en disant cela. C'est l'entreprise publique qui décolle aujourd'hui et j'insiste là-dessus ! L'entreprise publique se trouve dans des conditions tout à fait nouvelles par rapport à celles que nous avons trouvées en 1997 quand nous sommes arrivés. On embauche à Air France, on va embaucher ; on va acheter des avions ; on va faire des accords internationaux…

Europe 1 : Attendez, on va trop vite ! On va acheter des avions : quand, combien ?

Jean-Claude Gayssot : Le PDG d'Air France, Jean-Cyril Spinetta – entre parenthèses, il faut saluer le travail qu'il fait – avait annoncé, dès l'an dernier, un plan d'investissement de plusieurs dizaines de milliards, de l'ordre de quarante milliards.

Europe 1 : Cela fait beaucoup d'avions.

Jean-Claude Gayssot : Cela fait des dizaines d'avions.

Europe 1 : Vous dites des alliances : des alliances avec qui ? Cela peut aller jusqu'à des alliances avec les Américains, s'il le fallait ?

Jean-Claude Gayssot : Mais, bien sûr ! Alors que, depuis 92, il n'y avait plus d'accord avec les États-Unis – je parle d'accord bilatéral, État-État, France-USA –, en avril 98, j'ai réussi, nous avons réussi à ce qu'il y ait un accord – et non pas un accord de libéralisme puisque ce n'est pas un accord de ciel ouvert –, mais un accord où chaque fois que les Américains gagnent une fréquence vers la France, nous gagnons une fréquence vers les États-Unis. Cela va permettre aussi à la compagnie Air France d'augmenter ses capacités, son trafic, de l'ordre de 15 % dans les prochains mois. Mais, je pense qu'il faut à partir de là, aussi renforcer des alliances avec des compagnies américaines. Vous savez qu'Air France est en relation, en particulier, avec Delta et Continental.

Europe 1 : Si l'intérêt et l'avenir d'Air France est de ramener la part de l'État à 49 % et la majorité au privé et au personnel, vous continuez ou pas ?

Jean-Claude Gayssot : Non, je crois qu'il faut que nous soyons clairs. Je sais bien que toutes les autres grandes compagnies sont dans le secteur privé mais, en France, nous pouvons faire la démonstration d'une originalité et dans l'intérêt de l'activité…

Europe 1 : Pour des raisons politiques ?

Jean-Claude Gayssot : Non, pas pour des raisons politiques. Aussi pour des raisons d'efficacité. Je le dis franchement, nous avons une seule grande entreprise nationale : c'est Air France. L'État et les salariés ont beaucoup engagé, beaucoup investi dans cette entreprise. Maintenant, il s'agit d'une entreprise publique avec une ouverture du capital où les pilotes, les salariés au total, auront près de 15 % des actions. Il s'agit de faire marcher cette entreprise publique.

Europe 1 : Un ministre communiste d'un gouvernement de gauche ouvre le capital d'Air France et s'en réjouit. Si on vous l'avez dit !

Jean-Claude Gayssot : Oui, mais cela prouve aussi qu'il faut se débarrasser de positions étroites et quelquefois étatiques que nous avons eues, en particulier dans ce domaine. Lorsque c'est nécessaire, il ne s'agit pas de rester figés sur des dogmes. Il faut voir ce qui est le plus utile, non seulement à l'activité économique, mais également au progrès social. À Air France – alors que 9 000 emplois ont été supprimés de 95 à 97 – va embaucher près de 8 000 personnes dans les prochaines années, et il y aura 4 000 créations d'emplois. Ça, si on vous l'avez dit, M. Elkabbach, il y a quelques années, vous auriez dit comme d'autres : ce n'est pas possible, vous n'allez pas réussir !

Europe 1 : C'est vrai que, si on m'avait dit que le ministre communiste des transports me dirait : « pas de dogme, pas d'idéologie », j'aurais était surpris. C'est comme une forme d'autocritique. Mais alors, il faut aller jusqu'au bout parce que, là, vous êtes en chemin !

Jean-Claude Gayssot : Le dogme est de l'autre côté, si je puis dire. Ce sont ceux qui disent que c'est uniquement par la privatisation, la loi des marchés financiers que l'on peut sauver l'économie. La preuve est faite que c'est faux et qu'il faut autre chose que cette dictature à la fois du dogme sur la privatisation et la dictature des marchés financiers sur l'ensemble des activités…

Europe 1 : C'est-à-dire qu'il faut faire ce qu'il faut dans l'intérêt de la compagnie Air France ? Ce qu'il faut, le moment venu, au fur et à mesure ?

Jean-Claude Gayssot : Il faut faire ce qu'il faut dans l'intérêt de la compagnie Air France, dans l'intérêt national, et également dans l'intérêt des salariés. La grande question, c'est surtout d'en finir avec l'opposition entre progrès social et progrès économique.

Europe 1 : À la SNCF, la négociation sur les 35 heures est engagée pour les 175 000 cheminots. Combien d'emplois attendez-vous ? Attendez-vous plus de flexibilité, de productivité ? Combien d'emplois ?

Jean-Claude Gayssot : D'abord, je veux vous dire que, depuis 14 ans, il y a eu en moyenne 5 800 suppressions d'emplois par an. C'est fini et bien fini ! Ensuite, il y a les négociations qui s'engagent sur la base d'un effectif qui est aujourd'hui stabilisé, si j'intègre les emplois-jeunes, et il y aura des propositions…

Europe 1 : Réponse : combien ?

Jean-Claude Gayssot : Nous aurons de l'ordre au moins de 20 000 embauches dans les prochaines années pour renouveler le personnel, pour renforcer le personnel au statut, et cela va dépendre des négociations, bien entendu !

Europe 1 : La loi Aubry ne prévoit rien pour la SNCF qui attend le bon vouloir de Jean-Claude Gayssot. Louis Gallois l'avait dit ici : il attend un geste substantiel de l'État. Vous le faites, ce geste ?

Jean-Claude Gayssot : L'État fera ce qu'il doit faire à l'issue des négociations et en prenant en compte le contenu des négociations, avec le souci de l'efficacité de l'entreprise et y compris que les rapports sociaux s'améliorent dans cette entreprise.

Europe 1 : Vous avez les moyens de faire cet effort, le moment venu ?

Jean-Claude Gayssot : Le moment venu, l'État fera ce qu'il doit faire pour faciliter les choses.

Europe 1 : Il ne devait y avoir une décision sur le TGV-Est ?

Jean-Claude Gayssot : Vendredi.

Europe 1 : C'est à la fois un effort que devaient faire Bercy, les régions. C'est un immense projet de vingt-un milliards. Quelle sera la décision ?

Jean-Claude Gayssot : La réunion aura lieu vendredi. L'État a doublé sa mise : on est passé de 3,8 milliards à 8 milliards. Un effort a été demandé aux régions. Un effort a également été demandé au point de vue européen ou à des pays comme le Luxembourg. Vous avez dit TGV-Est ! Je veux insister sur une idée : c'est TGV-Est européen. On va aller à Strasbourg, à Francfort, c'est cela qui est en jeu. Et si les propositions sont acceptées, eh bien, Strasbourg sera à deux heures dix-neuf de Paris.

Europe 1 : Votre pronostic ?

Jean-Claude Gayssot : Je suis confiant.

Europe 1 : Cela ne veut rien dire. Ça veut dire que la décision sera prise.

Jean-Claude Gayssot : Cela veut dire que la décision sera prise, mais je répète, il faut que tout le partenariat soit d'accord.

Europe 1 : Les convoyeurs de fond sont indispensables. En ce moment, ils sont victimes du banditisme, du terrorisme en Corse. Ils sont sans cesse menacés. La CFDT réclame une table ronde ; FO, des mesures. Qu'est-ce que vous faites ?

Jean-Claude Gayssot : Dès demain, le ministère de l'intérieur va recevoir les patrons et les syndicats. Et, dans les prochains jours, va être organisée une réunion de travail à laquelle je participerai, étant donné qu'il s'agit de convoyeurs et donc de métiers de transport…

Europe 1 : Quel est l'objectif ?

Jean-Claude Gayssot : L'objectif est de renforcer la sécurité. Dans les banques, il y a une sécurité tout à fait évidente, mais le maillon faible, c'est le convoyage.

Europe 1 : Ils seront plus armés encore ?

Jean-Claude Gayssot : On n'en est pas à dire cela. On en est à regarder, à travailler avec eux pour renforcer la sécurité des convoyeurs.

Europe 1 : Vous, qui travaillez avec l'Europe et qui voyez les effets positifs, qu'est-ce que vous conseillez sur l'Europe à votre ami Robert Hue ? Est-ce qu'il a une bonne tête de liste ?

Jean-Claude Gayssot : Il a une bonne tête, et ce sera, j'espère une bonne tête de liste. Moi, je suis favorable parce qu'il faut, à la fois, porter les changements qui sont nécessaires dans notre pays, porter une démarche nouvelle en ce qui concerne l'Europe. L'Europe s'occupe trop de ce qui ne la regarde pas, d'un certain point de vue, et pas assez de ce qui la regarde. Je pense à l'harmonisation sociale ; je me bats depuis dix-neuf mois pour l'harmonisation sociale dans les transports routiers, contre l'ultra-libéralisme dans les chemins de fer. Eh bien, Robert Hue, c'est mon candidat comme tête de liste, et je crois qu'une liste conduite par Robert Hue devrait avoir un résultat important. Et ce sera dans l'intérêt non seulement de la politique française, mais de la politique européenne.